Commentaires des Principes de Newton - Des comètes

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DES COMETES.

I.

Quoique les cométes ayent attiré dans tous les tems l’attention des Philoſophes, ce n’eſt que depuis le ſiécle dernier & même depuis M. Newton, que l’on peut ſe flatter d’avoir quelque connoiſſance de leur nature. Séneque ſembloit avoir preſſenti ce qu’on devoit découvrir un jour ſur ces aſtres ; mais le germe des vrais Les Péripatéticiens prenoient les cométes pour des météores. principes qu’il avoit ſemé fut étouffé par la doctrine des Péripatéticiens, qui tranſmettant de ſiécle en ſiécle, les erreurs de leur maitre, ſoutenoient que les comètes étoient des météores & des feux paſſagers.

II.

Tycho reconnut qu’elles étoient par de-là la Lune. Quelques Aſtronomes à la tête deſquels on doit mettre Tycho, reconnurent la fauſſeté de cette opinion en faiſant voir par leurs obſervations, que ces aſtres étoient beaucoup par de-là l’orbe de la Lune.

Ils détruiſirent en même tems les cieux ſolides, imaginés par les mêmes philoſophes ſcholaftiques, & propoſérent des vues ſur le Syſtême du Monde, qui convenoient beaucoup mieux à la raiſon & aux obſervations : mais leurs conjectures étoient encore bien loin du but, auquel la géométrie de M. Newton pouvoit ſeule atteindre.

III.

Deſcartes à qui les ſciences ſont ſi redevables, n’avoit pas mieux Deſcartes en faiſoit des planetes errantes de tourbillons en tourbillons. réuſſi que ſes prédéceſſeurs dans l’examen des comètes, il ne penſa ni à employer les obſervations qu’il lui auroit été aiſé de raſſembler, ni la géométrie à laquelle il auroit dû ſi naturellement avoir recours, lui qui l’avoit portée à un ſi grand point de perfection. Il ſe contenta de raiſonnemens vagues & regarda les cometes comme des aſtres qui flottoient entre les différens tourbillons, qui compoſoient ſuivant lui l’univers, & il n’imagina pas qu’elles ſuiviſſent aucune loi dans leurs mouvemens.

IV.

Mr. Newton reconnut que les cometes tournoient autour du Soleil & étoient ſoumiſes aux mêmes loix que les planetes. Mr. Newton, éclairé par ſa théorie des planetes & par les obſervations qui lui apprenoient, que les cometes deſcendoient dans notre Syſtême ſolaire, vit bien-tôt que ces aſtres devoient être des corps de même nature que les planetes, & qu’elles étoient ſoumiſes aux mêmes regles.

Tout corps placé dans notre Syftême planétaire doit, ſuivant la théorie du M. Newton, être attiré vers le Soleil, par une force réciproquement proportionnelle aux quarrés des diſtances, laquelle combinée avec une impulſion primitive, donne un orbite qui eſt toujours une des ſections coniques, ayant le Soleil à ſon foyer. Il falloit donc pour confirmer cette théorie que les cometes n’euſſent aucun autre mouvement que ceux que l’on peut rapporter à ces courbes, & que les aires parcourues par elles autour du Soleil, fuffent proportionnelles aux tems de leur deſcription.

V.

Le calcul & les obſervations, guides fideles de ce grand homme, Il détermina l’orbite d’une cométe quelconque par trois obſervations. lui aiderent facilement à vérifier cette conjecture. Il réſolut ce beau problême aſtronomico-géométrique : trois lieux d’une cométe, que l’on ſuppoſe ſe mouvoir dans une orbe parabolique, en décrivant autour du Soleil des aires proportionnelles aux tems, trouver la poſition de l’axe, du ſommet & le paramétre de la parabole, ou, ce qui revient au même trouver l’orbite de la cométe.

Ce problême, déja très difficile dans l’orbite parabolique, auroit été ſi embaraſſant dans le cas de l’ellipſe & de l’hyperbole, qu’il étoit à propos de le réduire à ce dégré de difficulté. D’ailleurs l’hypothèſe de l’ellipſe, la ſeule vraiſemblable, revenoit pour la pratique à peu près au même que celle de la parabole, parceque les cométes n’ayant qu’une petite partie de leurs orbites à portée de nos obſervations, doivent ſuivre des ellipſes fort allongées, & on fait que de telles courbes peuvent dans la partie la plus voiſine de leur foyer être priſes ſans erreur ſenſible pour des paraboles.

VI.

M. Newton ayant donc réſolu le problème dont nous venons de parler, l’appliqua à toutes les cométes obſervées, & il en tira la Il vérifia ſon calcul par les obſervations d’un grand nombre de cométes. confirmation compléte de ſa conjecture. Car tous les lieux déterminés par le calcul d’après trois longitudes & latitudes de l’aſtre, ſe trouvèrent ſi proches des lieux trouvés immédiatement par les obſervations, qu’on eſt étonné de leur accord quand on connoit la difficulté d’atteindre à la préciſion des obſervations de cette nature.

VII.

La durée de leur période ne ſe peut trouver qu’en trouvant dans l’hiſtoire des apparitions des cométes dans les mêmes circonſtances & à intervalles égaux. Quant à la durée des périodes des cométes, elle ne peut pas ſe tirer du même calcul, parceque comme nous venons de le dire, leurs orbites étant ſi allongées qu’on peut les prendre ſans erreur conſidérable pour des paraboles, des différences exceſſives dans leur durée ne produiroient preſque pas le moindre changement à leurs apparences, dans l’arc de leur orbite que nous connoiſſons. Mais il n’en eſt pas moins ſatisfaiſant pour la théorie de M. Newton, de voir que dans cette partie où elles font viſibles, elles obſervent exactement la loi de Kepler, des aires proportionnelles aux tems, & que le Soleil les attire, ainſi que tous les autres corps céleſtes en raiſon renverſée du quarré de leur diſtance.

VIII.

M. Halley, à qui toutes les parties de l’aſtronomie doivent tant, & qui a porté ſi loin la doctrine des cométes, a fait à l’occaſion de la fameuſe Cométe de 1680, une recherche bien ſatisfaiſante M. Halley a employé la période de celle de 1680 à rectifier l’orbite de cette cométe. pour M. Newton. Trouvant que trois obſervations de cométes dont l’hiſtoire fait mention, convenoient avec celle-ci dans des circonſtances remarquables, & qu’elles avoient reparû à la diſtance de 575 ans l’une de l’autre : il ſoupçonna que ce pouvoit être une ſeule & même cométe, faiſant ſa révolution autour du Soleil dans cette période. Il ſuppoſa donc la parabole changée en une ellipſe telle que la cométe qui la parcourroit mettroit 575 ans à la décrire, & que ſa courbure fut aſſez conforme avec la parabole dans la partie de ſon orbite voiſine du Soleil.

Ayant enſuite calculé les lieux de la cométe dans cette orbite elliptique, il les trouva ſi conformes avec ceux où la cométe fut obſervée, que les variations n’excédérent pas la différence qu’on trouve entre les lieux calculés des planétes & ceux que l’on a par obſervation, quoique le mouvement de ces dernieres ayent été l’objet des recherches des aſtronomes pendant des milliers d’années.

IX.

La cométe de 1680 ayant une période d’une durée ſi conſidérable, ſon retour qui ne doit arriver que vers l’an 2255, ne fait pour nous qu’une prédiction peu intéreſſante. Mais il y a une autre cométe dont le retour eſt ſi prochain, qu’elle promet un ſpectacle bien agréable La cométe de 1682 doit reparoître en 1758. aux Aſtronomes de ce tems : c’eſt la cométe qui parut en 1682, laquelle offrit des circonſtances ſi ſemblables à celles de la cométe qui parut en 1607, qu’on ne ſauroit gueres s’empêcher de croire que ce ne ſoit une ſeule & même planéte, faiſant ſa révolution en 75 ans autour du Soleil. Si cette conjecture ſe trouve vérifiée, nous verrons reparoître la même cométe en 1758, & ce ſera un moment bien flateur pour les partiſans de M. Newton. Cette cométe ſemble être du nombre de celles qui s’éloignent le moins de notre Syſtême, car dans ſa plus grande diſtance du Soleil, elle ne s’écarte pas quatre fois plus de nous que Saturne, ſi elle eſt viſible lorſqu’elle repaſſera dans la partie inférieure de ſon orbite en 1758, on ne balancera pas à la compter au nombre des planétes.

X.

Les queues des cométes qui ont fait regarder autrefois l’apparition de ces aſtres comme des préſages facheux, ſont miſes maintenant au nombre de ces phénoménes ordinaires, qui n’excitent Différentes opinions ſur les queues des cométes.l’attention que des ſeuls philoſophes. Quelques-uns ont prétendu que les rayons du Soleil paſſant au travers du corps de la cométe, qu’ils ſuppoſoient tranſparent produiſoient l’apparence de leurs queues, de même que nous appercevons l’eſpace que traverſent les rayons du Soleil, paſſant par le trou d’une chambre obſcure. D’autres ont imaginé que les queues étoient la lumiere de la cométe, réfractée en arrivant à nous & produiſant une image allongée de la même maniere que le Soleil en produit par la réfraction du priſme. M. Newton, après avoir rapporté ces deux opinions & les avoir réfutées, rend compte d’une troiſiéme qu’il a admiſe lui-même. Mr. Newton prétend qu’elles ne ſont qu’une fumée qui s’exhale du corps de la cométe. Elle conſiſte à regarder la queue de la cométe comme une vapeur qui s’éleve continuellement du corps de la cométe vers les parties oppoſées au Soleil, par la même raiſon que les vapeurs ou la fumée s’élevent dans l’athmoſphére de la terre, & même dans le vuide de la machine pneumatique. A cauſe du mouvement du corps de la cométe, la queue eſt un peu courbée vers le lieu où le noyau a paſſé, à peu près comme fait la fumée qui s’éleve d’un charbon ardent que l’on fait mouvoir.

XI.

Ce qui confirme cette opinion. Ce qui confirme encore cette opinion, c’eſt que les queues ſe trouvent toujours les plus grandes, lorſque la cométe ſort de ſon périhélie, c’eſt-à-dire du lieu où elle eſt à ſa moindre diſtance du Soleil, où elle reçoit le plus de chaleur & où l’athmoſphère du Soleil eſt dans ſa plus grande denſité. La tête paroit après cela obſcurcie par la vapeur épaiſſe qui s’en éleve abondamment, mais l’on découvre au centre une partie beaucoup plus lumineuſe que le reſte, qui eſt ce que l’on nomme le noyau.

XII.

Uſage de ces queues ſuivant M. Newton. Une grande partie des queues des cométes doit ſe répandre par cette raréfaction dans le Syſtême ſolaire : une portion par ſa gravité peut tomber vers les planétes, ſe mêler avec leur athmoſphére & remplacer les fluides qui ſe conſument dans les opérations de la nature.

XIII.

Les cométes pourroient ſubir de grandes altérations dans les extrêmités de leurs orbes. Si on conſidere tout ce qui peut agir ſur les cométes dans les parties les plus éloignées de leurs orbites, où la force du Soleil ſur elles devient extrêmement ſoible, & où elles peuvent être dans le voiſinage d’autres corps céleſtes, on voit que la permanence de leur période n’eſt pas auſſi indiſpenſable que dans les planétes. Si donc il arrivoit que quelques-unes des cométes que nous attendons ne reparuſſent pas, cela feroit beaucoup moins de tort au Syſtême Newtonien, que ce Syſtême n’a tiré d’illuſtration par leur conſtance à ſuivre toutes la premiere regle de Kepler, celle des eſpaces proportionnels aux tems.

XIV.

Quelques-unes des cométes pourroient bien tomber dans le Soleil. La réſiſtance que les cométes rencontrent en traverſant l’athmoſphére du Soleil, lorſqu’elles ſont dans les parties inférieures de leurs orbites peut encore altérer leurs mouvemens, les ralentir de révolution en révolution, & les faire approcher de plus en plus du Soleil, juſqu’à ce qu’enfin elles ſoient englouties dans cet immenſe globe de feu.

La cométe de 1680, paſſa à une diſtance de la ſurface du Soleil, qui n’excedoit pas la ſixiéme partie du diamétre de ce globe, il eſt vraiſemblable qu’elle en approchera encore plus près dans la révolution ſuivante, & qu’elle tombera enfin tout-à-fait ſur le Soleil.

XV.

Conjectures de M. Newton ſur des changements conſidérables arrivés à des étoiles fixes. M. Newton ſoupçonne que des étoiles dont la lumiere a paru quelquefois s’affoiblir conſidérablement, & qui ont enſuite paru brillantes, ont pû tirer leur nouvel éclat de la chute de quelque cométe qui eſt venue ſervir d’aliment à leur feu.