Commission du Vieux Paris/28 janvier 1898
La séance est ouverte à dix heures du matin sous la présidence de M. le Préfet de la Seine, président.
Assistent à la séance : MM. Alfred Lamouroux, John Labusquière, Pierre Baudin, Louis Lucipia, Adrien Veber, Breuillé, Blondel, Chassaigne Goyon, Froment-Meurice, Bruman, Augé de Lassus, Banel, Formigé, Jules Guiffrey, Laugier, Longnon, Charles Lucas, Edgar Mareuse, Georges Montorgueil, Périn, Tourneux, Bouvard, Defrance, Brown, Le Vayer, Georges Cain, Hyérard.
Excusés : MM. Quentin-Bauchart, Sauton, Jules Claretie, Detaille, Gosselin-Lenôtre, Victorien Sardou, Paul Viollet, Le Roux.
Secrétaires : MM. Lucien Lambeau, Ch. Sellier, Tesson.
M. le Président donne lecture de l’arrêté ci-après, constituant la Commission :
- « Le Préfet de la Seine,
« Vu la délibération du Conseil municipal en date du 15 novembre 1897 ;
« Vu le procès-verbal de la séance du 17 décembre 1897,
- « Arrête :
« Article premier. — Il est institué à la Préfecture de la Seine une Commission administrative qui portera le nom de « Commission du vieux Paris ».
« Cette Commission sera chargée de rechercher les vestiges du vieux Paris, de constater leur état actuel, de veiller, dans la mesure du possible, à leur conservation, de suivre, au jour le jour, les fouilles qui pourront être entreprises et les transformations jugées indispensables, et d’en conserver des preuves authentiques.
« Un rapport des travaux de la Commission sera soumis annuellement au Conseil municipal.
« Art. 2. — Cette Commission sera composée de :
« M. le Préfet de la Seine, président.
« M. Lamouroux (Alfred), membre du Conseil municipal, de la Commission des travaux historiques et du Comité des inscriptions parisiennes, vice-président.
« MM. Quentin-Bauchart, John Labusquière, Pierre Baudin, Louis Lucipia, Sauton, Adrien Veber, Alfred Breuillé, Blondel, Chassaigne Goyon, Froment-Meurice, conseillers municipaux élus par le Conseil.
« M. le Secrétaire général de la Préfecture.
« M. Alexandre (Arsène), critique d’art.
« M. Augé de Lassus (Lucien), publiciste.
« M. Bunel, architecte en chef de la Préfecture de Police.
« M. Jules Claretie, membre de l’Académie française.
« M. Delisle (Léopold-Victor), membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, de la Commission des travaux historiques et du Comité des inscriptions parisiennes.
« M. Detaille, de l’Institut, président de la Société des artistes français.
« M. Formigé, architecte de l’Hôtel de Ville, membre de la Commission des monuments historiques.
« M. Gosselin-Lenôtre, auteur du « Paris révolutionnaire » et d’ouvrages sur la Révolution.
« M. Guiffrey (Jules), directeur de la Manufacture nationale des Gobelins, membre de la Commission des travaux historiques et du Comité des inscriptions parisiennes.
« M. Laugier (André), secrétaire général du Mont-de-piété.
« M. Longnon (Auguste), membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, de la Commission des travaux historiques et du Comité des inscriptions parisiennes.
« M. Lucas (Ch.), architecte-expert près le Tribunal de 1re instance.
« M. Mareuse (Edgar), publiciste, membre du Comité des inscriptions parisiennes.
« M. Montorgueil (Georges), publiciste.
« M. Normand (Charles), architecte, directeur de « l’Ami des monuments et des arts », secrétaire général de la Société des amis des monuments parisiens.
« M. Périn, avocat à la Cour d’appel, président de la Société de la Montagne-Sainte-Geneviève.
« M. Victorien Sardou, membre de l’Académie française.
« M. Tourneux, publiciste, membre du Comité des inscriptions parisiennes.
« M. Viollet (Paul), membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, de la Commission des travaux historiques et du Comité des inscriptions parisiennes.
- « Et de :
« M. Bouvard, directeur des services d’Architecture et des Promenades et plantations.
« M. Defrance, directeur des services de la Voie publique et des Eaux et égouts.
« M. Le Roux, directeur des Affaires départementales.
« M. Brown, inspecteur du service des Beaux-arts de la Ville de Paris.
« M. Le Vayer, inspecteur des Travaux historiques, conservateur de la Bibliothèque de la Ville de Paris.
« M. Cain (Georges), artiste peintre, conservateur des Collections historiques de la Ville de Paris.
« M. le Chef du Cabinet du Préfet de la Seine.
« Art. 3. — MM. Lambeau, archiviste du Conseil municipal, Ch. Sellier, de la bibliothèque Carnavalet, et Tesson, secrétaire-trésorier à la mairie du 15e arrondissement, rempliront les fonctions de secrétaires de la Commission avec voix consultative.
« Art. 4. — Le présent arrêté sera inséré au « Recueil des actes administratifs » et au « Bulletin municipal officiel ».
- « Paris, le 18 décembre 1897.
« Le Préfet de la Seine,
« J. de SELVES. »
M. le Président rappelle ensuite dans quelles conditions fut créée la « Commission du vieux Paris ».
Le 15 novembre 1897, M. Alfred Lamouroux déposait sur le bureau du Conseil municipal la proposition suivante, signée également d’un grand nombre de ses collègues :
« Messieurs, j’ai l’honneur de déposer, en mon nom et au nom d’un grand nombre de mes collègues, une proposition relative à la création d’une Commission chargée de rechercher les vestiges du vieux Paris, d’en dresser l’inventaire, de constater leur état actuel, de veiller dans la mesure du possible à leur conservation, de recueillir les épaves de ceux qu’il serait impossible de conserver, de suivre, au jour le jour les fouilles qui pourraient être entreprises et les transformations de Paris jugées nécessaires, au point de vue de l’hygiène, de la circulation et des nécessités du progrès, et d’en fixer des images authentiques ; en un mot, de tenir les Parisiens, par l’intermédiaire de leurs élus, au courant de toutes les découvertes intéressant l’histoire de Paris et son aspect pittoresque.
L’utilité d’une pareille commission ne peut faire aucun doute.
S’il existe, en effet, une Commission dite des monuments historiques, celle-ci, obligée de s’occuper de la France entière, n’a jamais lutté sérieusement pour la conservation des monuments parisiens ; l’histoire de leur démolition et le rôle qu’y joua cette Commission seraient parfois singulièrement suggestifs.
Il n’en eût pas été de même si la municipalité parisienne avait possédé une Commission du vieux Paris.
Or, les vestiges du temps passé disparaissent peu à peu, effrités par les intempéries des saisons, ou brutalement détruits par le vandalisme des démolisseurs et souvent sans qu’il en reste une trace.
On n’apprend même parfois leur disparition que lorsqu’il n’est plus temps d’aviser. Que de documents ainsi perdus pour l’histoire ! que de merveilles d’art dispersées ou menacées ! que de souvenirs de gloire voués à un éternel oubli !
Permettez-moi de citer quelques exemples qui vous montreront que le moment est venu, pour le Conseil municipal, de se préoccuper d’un état de choses qui réclame toute sa sollicitude.
Rappelez-vous cette campagne mémorable que Victor Hugo commença dès 1833 contre un ministre de Louis-Philippe, l’inoubliable d’Argout, qui pensait à détruire Saint-Germain l’Auxerrois, pour faire passer sur son emplacement une « grande, grande, grande rue ».
Qu’aurait dit notre grand poète qui menaçait alors, dans « la Revue des Deux Mondes », « de châtier sans pitié en le dénonçant en face et en l’appelant par son nom tout démolisseur quel qu’il fût, propriétaire, maire, ministre ou roi », lorsqu’il aurait appris que l’administration de la Ville de Paris avait pu, sans délibération du Conseil, faire enlever, en 1875, de la place Dauphine, la statue du général Desaix, une des gloires les plus pures de notre grande Révolution, pour la reléguer au dépôt municipal, où elle attend toujours, dans un état qui exige une sérieuse réparation, une place au soleil de la grande ville, que vous ne lui refuserez certes pas plus longtemps ?
Mais ce n’est pas tout. L’année dernière, on a démoli sans protestation et sans nécessité la partie de l’enceinte de Philippe-Auguste qui se voyait dans la rue Clovis et qui constituait un point de repère aussi précieux pour les archéologues que la mire de l’Observatoire pour les savants.
À ce propos, nous devons manifester notre étonnement de voir nos plans de Paris ne faire aucune mention des parties encore existantes de cette enceinte. Verniquet, dans son célèbre travail, qui est un guide précieux pour tous les travailleurs, n’avait pas manqué de la faire figurer, et nous pensons qu’il suffira de signaler cette lacune pour qu’elle soit comblée dans la prochaine édition de l’atlas municipal.
Messieurs, nous ne voudrions pas abuser de votre bienveillante attention, mais nous croyons devoir signaler encore le sans-gêne avec lequel certains architectes, chargés de la construction de monuments publics, ont pu passer sous silence les découvertes qu’ils ont faites, et omettre d’en avertir les services compétents de la Ville.
Nous ne parlerons pas du peu de surveillance qui s’exerce dans les fouilles, permettant souvent la dispersion des objets qu’on y a trouvés.
Enfin, pour nous borner à un dernier exemple, emprunté au domaine particulier, n’avons-nous pas vu au mois de juillet de cette année disparaître, sans que la Ville en conservât ni une photographie, ni un moulage, ni un souvenir quelconque, un hôtel du XVIIe siècle, l’hôtel d’Anglade, 66, rue des Archives, hôtel bâti par de Cotte, élève de Mansart, orné de sculptures de Coysevox dans ses mascarons et ses consoles ?
Il y avait trois plafonds de Delafosse, élève de Lebrun.
On a vendu ces plafonds 25,000 francs et les sculptures 1,500 à 2,000 francs. Or, l’hôtel construit pour le Juge, fermier général sous Louis XIV, était en parfait état ; et savez-vous ce que l’on va mettre à sa place ? De grands magasins pour approvisionner des bazars !
Un mot maintenant, Messieurs, si vous voulez, sur la composition de la commission que nous réclamons. Nous croyons qu’elle devra comprendre des conseillers municipaux, élus par leurs collègues, des chefs de service de l’Administration et des techniciens pris, autant que possible, dans ces réunions d’érudits, de chercheurs et de fervents de l’histoire parisienne, qui ont fondé les sociétés rayonnant sur tout Paris ou s’adressant plus particulièrement à certains quartiers de la ville.
En terminant, nous faisons appel à la bonne volonté de tous.
Nous nous inspirerons en cela de l’opinion de Cassiodore qui a dit quelque part, dans ses lettres :
« De même que l’utilité publique est intéressée à la conservation de toutes choses, de même elle tire sa perfection de l’étude et du labeur de tous, parce qu’il y a grand honneur pour chacun à apporter dans une cause commune une efficace collaboration. »
Par toutes les raisons qui précèdent nous vous demandons de renvoyer à l’Administration, avec avis favorable, la proposition suivante :
- « Le Conseil,
Considérant que chaque jour on voit disparaître des vestiges de l’histoire de l’ancien Paris sans que personne, au nom de la Ville, ait mission de s’en préoccuper d’une façon officielle ;
Qu’il y a lieu de combler cette lacune,
- Délibère :
1o L’Administration est invitée à créer une commission composée de conseillers municipaux élus par le Conseil, de chefs de service et de techniciens, chargée de rechercher les vestiges du vieux Paris, de constater leur état actuel, de veiller dans la mesure du possible à leur conservation, de suivre au jour le jour les fouilles qui pourraient être entreprises et les transformations jugées indispensables, et d’en conserver des preuves authentiques.
2o Un rapport des travaux de la Commission sera soumis annuellement au Conseil municipal. »
Cette proposition, ajoute M. le Président, renvoyée à l’Administration municipale, fut accueillie avec empressement par elle, et le Pré et de la Seine choisit, pour adjoindre aux membres que le Conseil municipal avait désignés parmi les plus compétents des siens, les personnalités indiquées par leurs travaux antérieurs et leur connaissance profonde de l’histoire de Paris. Il remercie donc, au nom des élus de la cité, les membres de la Commission qui ont bien voulu apporter le concours de leur bonne volonté et de leur érudition à l’accomplissement du programme tracé par la proposition de M. Lamouroux. Il termine en invitant la Commission à procéder à l’organisation de ses travaux.
M. Alfred Lamouroux remercie tout d’abord M. le Préfet de la Seine de l’honneur qu’il lui a fait en l’appelant à la vice-présidence de la Commission, et compte sur la bienveillance de ses collègues pour l’aider à mener à bien l’œuvre éminemment parisienne à laquelle ils sont si dévoués.
Il pense que les travaux de la Commission pourraient être organisés de la façon suivante :
1o Séance de la Commission une fois par mois.
2o Création d’une Commission de permanence chargée de centraliser les renseignements et de recevoir toutes communications adressées à la Commission.
3o Nomination de trois Sous-commissions ayant les attributions suivantes :
1re Sous-commission : Inventaire de tout ce qui a été signalé d’important par les historiens et recherche de ce qui a pu être oublié.
La 1re Sous-commission pourrait aussi proposer les mesures de conservation pour les choses vouées à la destruction et qu’il serait possible de sauver.
2e Sous-commission : Surveillance des fouilles et des démolitions ; étude des nivellements, alignements, pouvant modifier la topographie de Paris et menacer les monuments. Cette Sous-commission pourrait provoquer des recherches sur des indications déterminées.
3e Sous-commission : Conservation des aspects à l’aide de la photographie et des divers procédés artistiques, de façon à assurer le souvenir des parties de la ville appelées forcément à disparaître, où présentant un caractère pittoresque.
Étant bien entendu que toutes ces reproductions seraient destinées au musée Carnavalet, ainsi que tous les documents matériels qui pourraient y trouver place.
M. le Président soumet à la Commission les propositions de M. Alfred Lamouroux et les décisions suivantes sont prises :
1o La Commission plénière se réunira une fois par mois, le premier jeudi, à quatre heures.
Une convocation spéciale sera adressée aux membres de la Commission.
2o Il sera formé une Commission permanente composée du président, du vice-président et du secrétaire de chacune des Sous-commissions.
3o Il sera créé trois Sous-commissions, ayant les attributions définies dans la proposition de M. Alfred Lamouroux.
Il est également décidé que M. le Préfet de la Seine, président, et M. Alfred Lamouroux, vice-président, feront partie, de droit, des trois Sous-commissions.
La Commission procède ensuite à la répartition de ses membres entre les trois Sous-commissions et à la nomination des membres chargés de former les bureaux de ces trois Sous-commissions :
MM. Longnon, président ; Périn, vice-président ; Breuillé, secrétaire élu ; Paul Viollet, Victorien Sardou, Charles Normand, Léopold Delisle, Jules Claretie, Gosselin-Lenôtre, Tourneux, Laugier, Jules Guiffrey, Chassaigne Goyon, Quentin-Bauchart, John Labusquière.
M. Tesson, secrétaire adjoint.
MM. Sauton, président ; Charles Lucas, vice-président ; Le Vayer, secrétaire élu ; Froment-Meurice, Hruman, Augé de Lassus, Bunel, Formigé, Bouvard, Defrance, Le Roux, Adrien Veber.
M. Sellier, secrétaire adjoint.
MM. Detaille, président ; Louis Lucipia, vice-président ; Georges Cain, secrétaire élu ; Pierre Baudin, Blondel, Arsène Alexandre, Hyérard, Edgar Mareuse, Georges Montorgueil, Brown.
M. L. Lambeau, secrétaire adjoint.
La Commission décide que la présidence de la Commission de permanence sera dévolue à M. Alfred Lamouroux.
Cette Commission est ainsi constituée :
MM. Alfred Lamouroux, président ; Longnon, Périn, Breuillé, Sauton, Charles Lucas, Le Vayer, Detaille, Louis Lucipia et Cain.
MM. Lambeau, Sellier et Tesson, secrétaires.
M. Alfred Lamouroux fait un chaleureux appel, aussi bien aux membres de la Commission qu’aux personnes aimant Paris, pour apporter tous les documents et signaler tous les indices intéressant l’histoire documentaire de la ville.
M. Louis Lucipia propose l’impression à part des procès-verbaux de la Commission générale et aussi leur insertion au « Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris ».
Adopté.
Il est entendu que les démarches nécessaires seront faites à ce sujet.
M. Bouvard expose qu’il serait indispensable que la Commission eût à sa disposition un crédit destiné à faire face aux quelques dépenses qu’elle sera obligée de faire. Il lui paraît impossible qu’une Commission de cette nature puisse fonctionner sans avoir, à sa disposition une certaine somme, si minime soit-elle ; il demande s’il ne serait pas utile de faire appel au Conseil municipal à ce sujet.
M. Ch. Lucas appuie la proposition de M. Bouvard ; il cite les fouilles récemment faites à la pointe de la Cité et pour lesquelles une indemnité aurait pu être exigée si la Sous-commission ne s’était trouvée en présence d’un architecte et d’un entrepreneur désintéressés et généreux qui se sont mis fort gracieusement à sa disposition.
M. le Président appuie ces observations et annonce qu’à la rentrée du Conseil municipal il soumettra à cette assemblée un mémoire dans ce sens. Il espère que les conseillers municipaux qui font partie de la Commission du vieux Paris voudront bien lui prêter leur appui en cette circonstance.
M. Jules Périn signale une collection particulière d’antiquités gallo-romaines recueillies sur le « Mons Lucotitius ».
Il communique un spécimen de cette collection (une « Vénus pudique », trouvée rue des Fossés-Saint-Jacques), spécimen qui est fort admiré.
M. Périn signale l’intérêt pour l’histoire de Paris de cette collection précieuse, dont les objets ont été étiquetés avec soin, au point de vue de l’emplacement où ils ont été trouvés dans les fouilles.
M. Edgar Mareuse fait hommage à la Commission d’épreuves photographiques tirées par lui et reproduisant divers aspects du mur de l’enceinte de Lutèce récemment découvert rue Chanoinesse.
M. le Président adresse des remerciements à M. Edgar Mareuse, au nom de la Commission, et déclare que les photographies sont renvoyées à la Sous-commission des fouilles. Ensuite il donne la parole à M. Lamouroux pour la lecture du rapport, qu’il a préparé, relativement à la découverte du mur gallo-romain de l’ancienne Lutèce.
- Messieurs,
Il y a environ un mois, M. le Préfet fut informé, comme président de la Commission du « vieux Paris », par une lettre de M. Barbé, un amateur passionné de nos antiquités parisiennes, qu’au cours des terrassements exécutés sur un emplacement situé entre la rue Chanoinesse, la rue du Cloître-Notre-Dame et le quai aux Fleurs, en vue de l’édification d’un groupe de maisons, on avait rencontré à une certaine profondeur un mur ancien, qui pouvait intéresser l’histoire de notre vieille cité.
En conséquence, M. le Préfet me chargea de réunir d’urgence quelques membres de la Commission pour nous rendre sur place et nous assurer de visu de la nature et de l’importance de cette découverte.
Dans une première visite à l’endroit indiqué, le 31 décembre 1897, visite à laquelle ont pris part avec moi MM. Ch. Lucas, Mareuse, Augé de Lassus et Ch. Sellier, nous avons pu déjà constater l’existence, à 4 où 5 mètres de profondeur au-dessous du sol actuel, d’un mur affleurant en plusieurs points le fond des fouilles et paraissant se continuer, de l’est à l’ouest, presque parallèlement au quai Mais ces quelques parties apparentes n’étaient pas suffisamment dégagées pour permettre d’en juger convenablement ; aussi témoignâmes-nous le désir de voir, exécuter les dégagements et les fouilles indispensables pour en connaître davantage. Avec un gracieux empressement et une courtoisie auxquels nous tenons à rendre hommage, M. Le Voisvenel, l’architecte, et M. Loup, l’entrepreneur, s’offrirent de faire, à leurs frais, les travaux nécessaires et nous donnèrent rendez-vous pour le 12 janvier 1898, à l’effet d’examiner et d’apprécier les parties découvertes et dégagées, dans l’intervalle de ce temps, par leurs soins gracieux et obligeants.
Le 12 janvier 1898, à 3 heures 1/2, nous sommes de nouveau descendus dans ces fouilles où nous attendaient MM. Le Voisvenel et Loup. À cette seconde visite, j’étais accompagné de MM. Ch. Lucas, Paul Viollet, Mareuse, Georges Cain, Augé de Lassus, Laugier et Ch. Sellier, membres de la Commission, auxquels s’étaient joints, sur leur demande, MM. Barbé, Vacqué, Hoffbauer et Godefroy.
L’avis général a été qu’on se trouvait en présence d’un fragment, assez important de construction gallo-romaine, développant environ 60 mètres de longueur, mais apparent et dégagé seulement sur une portion de 13 mètres, du côté de l’est, et sur deux très faibles parties de 2 à 3 mètres, vers l’ouest, le tout offrant une épaisseur courante d’un peu plus de 2 mètres et distant de l’alignement des façades sur le quai d’environ 14 mètres.
Dans la portion de 13 mètres, dont il vient d’être question, la direction de la muraille s’infléchissait sensiblement et formait un angle rentrant très ouvert. En cette partie, les fouilles et les dégagements récemment exécutés avaient mis la construction complètement à découvert, sur 1 m. 50 c. et 2 mètres de hauteur, et permettaient de constater aisément sa nature. Nous avions sous les yeux un mur de grand appareil, composé de blocs de pierre, posés à sec, c’est-à-dire sans appoint de ciment ou de mortier, aux parements, lits et joints assez bien dressés.
Suivant l’avis de plusieurs personnes compétentes en la matière, ces pierres appartiendraient à l’espèce dite rochet demi-dure ou banc-franc paraissant provenir des carrières de Bagneux où de Clamart, dont les produits sont similaires. En ce point, qui est justement celui où la direction du mur s’infléchit, la construction se trouvait sensiblement déversée en avant, par suite d’un affaissement du sol, probablement déterminé par l’action des eaux. Aussi voyait-on en cet endroit la muraille surépaissie, renforcée, évidemment après coup, à une époque sans doute très postérieure, par une sorte de maçonnerie assez grossière, sans appareil déterminé, composée de pierres et de moellons de toutes dimensions, de moins bonne qualité, posés bruts, à bain de mortier de chaux et de sable, très hâtivement, comme pour résister à la ruine qui menaçait la construction. Ce sont les carrières du haut du faubourg Saint-Jacques qui semblent avoir fourni les matériaux.
En arrière de cette partie du mur on a rencontré un puits, depuis Longtemps desséché, de 0 m. 90 c. de diamètre intérieur, assez bien muraillé, et dont la construction est bien postérieure au Ve siècle.
Dans la partie située vers l’Ouest, qui a été dégagée sur 2 m. 50 c. de long, on a aussi constaté de sérieux désordres, causés par suite d’affouillements.
Notre visite s’est terminée par l’examen de quelques objets trouvés dans les fouilles et déposés dans le petit bureau du chantier. On a tout d’abord examiné attentivement une piécette de monnaie en cuivre paraissant dater du règne d’un des successeurs de l’empereur Constantin Ier, et que j’ai l’honneur de remettre à M. le Conservateur du musée Carnavalet, après l’avoir fait passer sous vos yeux. Puis M. Le Voisvenel nous a présenté quelques débris d’architecture du XVIe siècle, notamment un fragment de chambranle, un tronçon de colonnette à pans et une tranche de fût de colonne cylindrique, ayant à première vue l’aspect d’une meule, enfin quelques ossements d’animaux, chevaux, moutons, etc., rencontrés dans les environs du puits que nous avons mentionné ci-dessus.
Nous avons prié M. l’architecte de nous dresser les plan, coupe et élévation de la construction qu’il avait mise au jour, ce à quoi il s’est prêté avec beaucoup de bonne grâce. Nous les joignons au présent rapport, ainsi que la photographie prise au moment de notre constatation sur place par M. Godefroy, dans des conditions tellement défavorables au point de vue du jour, qu’il a fallu toute l’habileté de cet artiste consommé pour en tirer la belle épreuve dont il nous a fait hommage avec le plus louable désintéressement en même temps que l’épreuve de l’état ancien, avant la démolition, ainsi que celle qui représente l’enlèvement des pierres.
Vous apprécierez, Messieurs, la valeur de ces documents, mais nous avons pensé que là ne devait pas se borner notre rôle, et que le souvenir de cette découverte archéologique devait être encore conservé par une inscription placée sur la façade de la maison en construction sur ce point, par un modèle en relief qui serait transporté au musée Carnavalet, et enfin par une section tout entière du mur, qui serait déposée pierre à pierre, puis remontée dans le square de l’Archevêché.
L’examen minutieux des pierres qui, dans leurs parties actuellement cachées, pourraient présenter des signes caractéristiques, selon l’opinion de notre collègue M. Ch. Lucas, pourra seul permettre de porter un jugement définitif sur la nature de la construction, et la portion conservée constituera un document irréfutable.
MM. Le Voisvenel et Loup ayant accédé à notre désir, j’ai prié M. Bouvard de faire procéder à la dépose et au remontage, dans ledit square, d’une tranche de mur d’environ 3 mètres. Notre collègue, M. Formigé, a déjà fait les relevés nécessaires et le numérotage des pierres ; à l’heure actuelle le travail doit être commencé.
Il nous reste à tirer des conclusions de la constatation que nous avons faite.
L’avis général des membres présents à notre visite a été que, selon toute probabilité, il s’agissait en l’espèce d’un fragment de l’enceinte gallo-romaine de la Cité, dont la plupart des auteurs font remonter l’origine à la fin du IVe siècle.
Cependant, si nous nous en tenons aux caractères extérieurs de cette construction, les seuls que nous ayons pu constater, nous relevons quelques différences avec les découvertes faites antérieurement dans la Cité, notamment en 1711 à Notre-Dame, en 1829 dans les substructions de l’église Saint-Landry, en 1847 et 1848 sur la place du Parvis, et en 1860 lors de la construction de la caserne de la Cité.
Ici, nous ne trouvons ni débris de sculpture, ni surfaces moulurées, ni inscriptions visibles ; par contre, les pierres sont de grand appareil et paraissent assez bien dressées, sans appoint de ciment de mortier, sauf dans les parties où il s’est produit des affouillements.
Ne pourrait-on supposer que ce serait là une sorte de digue opposée aux empiétements du fleuve ?
C’est une opinion que nous présentons avec quelque réserve, car elle pourrait être complètement détruite par un examen plus attentif des pierres conservées.
Quoi qu’il en soit, nous sommes certains que vous reconnaîtrez l’importance de la découverte qui vient d’être faite et dont le caractère gallo-romain nous semble hors de doute.
Nous espérons que les mesures conservatoires qui ont été prises recevront votre approbation.
Et, en terminant, nous vous prions de vous joindre à nous pour adresser tous nos remerciements à MM. Le Voisvenel, Loup et Godefroy, ainsi qu’à M. Barbé, pour le concours gracieux qu’ils ont prêté à l’œuvre de reconstitution historique de notre vieux Paris.
Dr Alfred Lamouroux.
Après la lecture du rapport une discussion s’engage à laquelle prennent part MM. Breuillé, Ch. Lucas, Lamouroux, Longnon et Formigé, tant sur le mode de transport que sur le caractère de la construction et la date qu’on pourrait lui assigner.
M. Longnon pense notamment que, d’après les textes anciens, et contrairement à l’opinion généralement admise, il y aurait lieu de reporter à la fin du IIIe siècle ou au commencement du IVe l’époque où l’enceinte fortifiée de la Cité aurait été édifiée.
Quant à M. Formigé, il ne trouve pas que le mur ait été dressé avec autant de soin que le dit le rapport, mais, pour lui, son origine gallo-romaine ne fait pas de doute, ainsi qu’il a pu s’en assurer par la comparaison avec les constructions romaines du midi de la France.
La suite de la discussion est remise à la prochaine séance, c’est-à-dire après, l’examen sur place des pierres transportées.
La séance est levée à midi un quart.