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Compliments

La bibliothèque libre.
Poèmes Premier et second carnets de poèmesmanuscrits autographes (p. 66-71).

XVIII

Compliments

Allons ! un compliment ! les nouvelles années
Le veulent ! — aujourd’hui ! peut-on complimenter ?
Avez-vous, dites-moi, quelques fleurs non fanées
Qu’en bouquet, dans ce jour, je vous puisse apporter ?

Des souhaits ! — Vous goûtez un bonheur sans mélange !
Peut-on couler des jours plus heureux et plus doux
Que ceux que le soleil, comme votre bon ange,
En cette belle année a fait briller pour vous !

Pour vous, que désirer, vous dont le cœur se noie
Dans un plaisir si vrai qu’il n’a jamais cessé ;
Sinon que vous voyez d’un œil rempli de joie
Dans un doux avenir revivre le passé !

Bravo ! Vous avez vu votre sûre fortune

S’accumuler, s’accroître en dépit des méchants
Vous avez vu des gens assurer que la lune
Pouvait facilement se prendre avec les dents.

Bravo ! Vous avez vu le pouvoir arbitraire
Injustement raidir les rênes de l’État !
Vous avez vu pleurant, pleurant ! la pauvre mère
Trembler de voir son fils partir comme soldat !

Bravo, vous avez vu gaspiller les finances,
Et vous avez payé ces voleurs haut placés
Qui pour mener grand train leurs sales indigences,
Et vous marcher dessus, n’avaient jamais assez !

Bravo ! Vous avez vu d’indignes journalistes,
Insatiables Dracon, au pays rougissant
Jeter insolemment leurs déshonnêtes listes,
Que la haine écrivit, mais en lettres de sang !

Bravo ! Vous avez vu d’infâmes circulaires,
Aux pâles habitants, qui frémissent encor
Mettre la torche en flamme aux mains incendiaires,
Et menacer la France, et de vol et de mort.


Bravo ! Vous avez vu s’étendre la ruine
Sur vos femmes, vos fils, vos parents, vos amis,
Et vos pères, fuyant la dévorante mine,
Aller chercher refuge au sein des ennemis !

Bravo ! Vous avez vu des fourbes interprètes
Promener un niveau qui penchait d’un côté,
Vous avez vu des gens fouler aux pieds vos têtes,
En proclamant bien haut la noble égalité !

Bravo ! Vous avez vu les plus horribles guerres,
Hisser le drapeau rouge au mur ensanglanté,
Français, et par milliers, ivres et fous, vos frères
S’entrégorger au nom de la fraternité !

Bravo ! Vous avez vu de ces bourbiers fétides
Noirs, sales, surgir les médiocrités,
Et sous leurs vils décrets, lâches, liberticides,
En riant, écraser vos propres libertés !

Bravo ! Vous avez vu couronner la sottise,
Nommer opinion un sot entêtement,
Gloire, un peu de faveur avec bassesse acquise,

Honorer, saluer chaque déguisement !

Bravo ! Vous avez vu la divine puissance
Méprisée en faveur d’un pouvoir inconnu,
Vu le premier brigand trafiquer de la France
Et la perdre ! — Voilà ce que vous avez vu !

Mais vous n’avez pas vu de prospérités ceinte
Vous semant sans grand bruit ses mystérieux effets
Et conduite par Dieu, la Liberté si sainte,
Dans sa marche prudente enfanter le progrès !

Non ! vous n’avez pas vu la paix douce et tranquille
Les lumières de tous en son sein recevoir
Et jetant d’heureux jours à son peuple docile,
Doubler votre bonheur, en doublant votre espoir !

La république n’est qu’une fille publique,
Gens d’en haut, et bien plus, à ce point sans pudeur !
Qu’elle vous raccrochait pour mener sa boutique
Et qu’elle vous payait, vous, ses entreteneurs !

Soyez gais et contents ! Tressaillez dans vos âmes !

Car vous aurez vu, nobles cœurs, aujourd’hui
L’infamie, à la main des gens les plus infâmes !
Oui ! vous aurez vu mil huit cent quarante huit !

Au loin, les compliments ! Ce serait un mensonge !
Taisez-vous, devant Dieu, Dieu que vous profanez !
Vous avez dans le cœur un ver qui vous le ronge,
L’égoïsme ! il est là ! Français ! vous en mourrez !

Vous habillez votre âme avec l’indifférence !
Vous buvez à l’envi ce glacial poison !
Mais ne pas s’émouvoir aux malheurs de la France,
C’est un crime, Français, de haute trahison !

Oh ! que vous êtes beaux, quand devant l’infamie
Vous vous agenouillez ! Nous savons ce que vaut
Votre approbation ! Quand votre bouche crie,
Quand vous battez des mains, bravo, bravo ! bravo !!

Arrière, compliments ! Que le cœur se réveille
Et prie avec ferveur ! Que nous puissions enfin
Foulant, foulant aux pieds décembre de la veille,
Montrer avec orgueil Janvier du lendemain !


Français, nous dirons tous que Dieu fait condescendre
Aux larmes, aux souhaits de ses enfants aimés,
Si la nouvelle année en bonheur peut nous rendre
Tout ce que de malheurs l’ancienne a renfermés !!


Décembre 1848.