Concours de voitures à vapeur

La bibliothèque libre.

GRANDE-BRETAGNE Concours de voitures à vapeur. — La compagnie du chemin de fer, que l’on construit entre Manchester et Liverpool, avait proposé un prix de 500 liv. st. (environ 13,000 fr.) en faveur de la meilleure voiture à vapeur qui lui serait présentée. Les principales conditions du programme étaient : 1o que les machines admises au concours ne devraient pas avoir un poids au dessus de 6,000 kilogrammes ; 2o qu’elles devraient avoir la force de traîner après elles, pendant un trajet de onze lieues, outre la provision d’eau et de combustible qui leur serait nécessaire pour cette route, un train de voitures de transport, dont le poids serait égal à trois fois celui de la machine elle-même ; 3o qu’elles devraient marcher avec une vitesse de dix milles anglais (trois lieues et demie) au moins par heure ; 4o que la pression de la vapeur dans la chaudière ne pourrait pas excéder cinquante livres par pouce carré ; 5o que la hauteur de la voiture, depuis la terre jusqu’au sommet de la cheminée ne devrait pas être de plus de quinze pieds ; 6o enfin que la machine devrait brûler sa fumée. On choisit, sur le nouveau chemin de fer de Liverpool à Manchester, un espace d’environ une lieue de longueur, dans un endroit où la route est parfaitement plane ; on disposa cette partie de la route de manière que les voitures pussent, en retournant plusieurs fois sur leurs pas, faire le trajet de onze lieues exigé par le programme.

Le 6 octobre dernier, jour fixé pour l’ouverture du concours, une foule de savans, d’ingénieurs et de curieux, arrivés de tous les points de l’Angleterre, étaient rassemblés sur la route de Liverpool pour être témoins de ces expériences intéressantes qui durèrent douze jours.

Dix concurrens s’étaient fait inscrire ; mais, soit qu’il fût arrivé quelque dérangement dans les machines, soit qu’elles ne fussent pas entièrement achevées pour l’époque fixée, cinq seulement furent en état de concourir.

La Persévérance, machine présentée par M. Burstall, et qui avait éprouvé quelques avaries dans son transport depuis Liverpool, mais qui avait été réparée depuis, fit plusieurs courses avec une vitesse d’environ cinq milles (une lieue et trois quarts) par heure.

Le 13 octobre, une seconde machine, appelée le Sans-Pareil, fut mise à l’épreuve. On trouva d’abord que le poids de cette machine excédait un peu le maximum de six mille kilogrammes déterminé par le programme. On lui imposa néanmoins l’obligation de faire la route fixée, ou onze lieues, en traînant une charge égale à trois fois son poids, c’est à-dire de plus de dix-huit mille kilogrammes. Cette voiture marcha pendant deux heures avec une grande régularité ; et, durant cet intervalle, elle parcourut un espace de vingt-cinq milles (huit lieues et demie) ; lorsqu’elle marchait rapidement, elle pouvait faire une lieue en douze ou treize minutes. On s’aperçut, pendant l’expérience, qu’un tube laissait perdre la vapeur, et l’on discontinua.

Les jours suivans, on essaya une autre machine, nommée la Nouveauté, présentée par MM. Braithwaite et Ericsson. La légèreté de cette voiture, sa petite dimension, son élégance et le fini de son travail, excitèrent l’admiration générale des spectateurs. Son poids était d’environ trois mille kilogrammes. On alluma le feu, et en moins de quarante minutes, avec une dépense de quinze livres de coke, la vapeur s’éleva à une pression de cinquante livres par pouce carré. On fit d’abord marcher la voiture seule, c’est-à-dire avec sa provision de combustible et d’eau et avec les personnes qui devaient la diriger. La Nouveauté partit avec une vitesse de vingt-huit milles (neuf lieues et demie) à l’heure ; elle fit même une lieue dans le court espace de cinq minutes. Si la route de Liverpool à Manchester eût été terminée, cette machine eût fait ce trajet de onze lieues en moins d’une heure. Malgré cette vitesse surprenante, la marche de la voiture était uniforme, sûre et régulière : la machine consumait entièrement sa fumée, et l’on n’en vit pas sortir la moindre quantité par l’ouverture de la cheminée. On y attacha ensuite une charge de trois fois son poids, ou près de onze mille kilogrammes ; elle traîna ce fardeau avec facilité, en conservant une vitesse de sept lieues à l’heure. Comme la vapeur vint à fuir par un petit tube, on s’arrêta pour la réparer ; l’épreuve fut renvoyée à un autre jour. Lorsque les réparations furent terminées, la Nouveauté se remit en route et fit plusieurs tournées pour l’agrément des spectateurs. À la place du chariot de roulage, on substitua une grande diligence, dans laquelle montèrent plus de quarante amateurs. Sa machine courut avec une vitesse d’une lieue en six minutes, et, quoique les personnes qui étaient dans la voiture pussent à peine distinguer les objets extérieurs, tant ils fuyaient rapidement, son mouvement était si doux et si régulier, qu’on pouvait y lire et même y écrire. Lorsque l’on recommença l’épreuve décisive avec la charge, la Nouveauté avait déjà fait trois lieues avec une vitesse de cinq lieues à l’heure, quand le mastic, qui bouchait les jointures de la chaudière et qui n’était pas assez sec, vint à fondre ; cet incident força de suspendre l’expérience qui fut ajournée à une autre époque.

M. Robert Stephenson présenta une autre voiture, dite la Fusée : cette machine était grande et solidement construite. Son poids, la chaudière étant remplie d’eau, était de quatre mille kilogrammes. Traînant après elle une charge d’environ treize mille kilogrammes, elle parcourut un trajet de trente-cinq mille (près de douze lieues) en trois heures dix minutes, y compris les stations et les retards nécessaires pour chaque tournée. Dans une seconde épreuve, elle fit le même trajet en deux heures quarante-cinq minutes, ce qui fait plus de quatre lieues à l’heure, les stations comprises. Une autre fois, la Fusée, étant débarrassée du fardeau qu’elle avait traîné, parcourut un espace de plus de dix lieues en une heure ; on remarqua que cette machine laissait échapper un peu de fumée, et qu’elle avait quelques inégalités dans sa marche, qui a varié entre quatre lieues et demie et cinq lieues et demie par heure. Toutefois il paraît constant qu’elle peut facilement faire, avec sa charge de treize mille kilogrammes, un trajet de cinq lieues par heure. La consommation de coke, pendant une course de vingt-quatre lieues, a été d’environ cinq cents kilogrammes.

C’est à cette dernière voiture que les commissaires du concours adjugèrent le prix de 13,000 fr.

A. R.