Confidences (Lefèvre-Deumier)/Livre I/Le Langage des Fleurs
LE LANGAGE DES FLEURS
À
Madame la Comtesse Élisa O’Donnell.
Liebliche Blumen, ihr Toeliter der Flur,
Und eurer sprache Bedeutung ergründen.
Quasi bei fogli, apre le foglie un fiore,
Fiore, anzi libro……
Benedicati il cielo, e ehi scrisse
Beautiful language ! love's peculiar own,
But only to the spring, and summer know
Qui n’a pas éprouvé de ces momens trop courts,
Où, comme sa raison, l’on sent fuir ses discours,
Où l’âme s’embarrasse, et semble avec instance,
D’un brûlant dialecte implorer l’assistance !
Si l’âme et la parole expirent à la fois,
On envoie un regard au secours de sa voix :
Souvent même on se tait, pour se faire comprendre.
Mais, quand les yeux craintifs ne peuvent rien apprendre,
Comment représenter ce qu’on n’exprime pas !,
Que Dieu ne daigne-t-il éveiller sous nos pas
Une langue électrique, adroite, et nuancée,
Et qui, par tous les sens, attaquant la pensée,
Nous prodigue des mots, prompts à tout figurer,
Qu’on puisse entendre, voir, toucher et respirer !
Eh ! qui sait si le ciel n’a pas, sous nos bocages,
De nos désirs rétifs dispersé les images :
Si, choisissant pour eux un écho dans les fleurs,
On ne se répond pas, en mêlant leurs couleurs !
Firmament végétal, qui sait si nos parterres
N’ont pas, exprès pour nous, combinant leurs mystères,
Sur l’émeraude, éparse en tapis transparent,
Brodé de nos secrets un miroir odorant,
Un livre où chaque jour les âmes, qu’on délaisse,
Peuvent, sans en souffrir, feuilleter leur tristesse,
Où voyant le chagrin décliner et périr,
Aussi prompt à passer, que l’espoir à mourir,
Le cœur également de tous deux se défie,
Et se laisse gagner par la philosophie.
Etudions tous deux aux pages des jardins,
L’horocospe embaumé, qu’y sèment les destins.
De la nuit autrefois interrogeant les voiles,
Le sage y déchiffrait l’énigme des étoiles ;
Essayons son savoir sur un autre horizon,
Épelons à nos pieds notre ciel de gazon,
Et des astres lointains négligeant la magie,
En regardant les fleurs, changeons d’astrologie.
Frêles divinités, qui naissent sous nos yeux,
Ces filles du soleil ont un culte en tous lieux.
On les voit partager l’allégresse et les larmes,
Décorer un cercueil, en tombant de vos charmes,
Et, variant les tours de leurs muets accens,
Couronner la pudeur, en excitant les sens.
Mais c’est l’Amour surtout dont l’inquiet silence
En manie avec art la discrète élégance ;
C’est lui, toujours habile à ne jamais trouver
Le mot capricieux, qui pourrait le prouver,
L’Amour, qui, pour fléchir d’insensibles idoles,
Le premier, dans nos champs, sut cueillir des paroles.
Que de lieux, où le cœur a fait, dans un bouquet,
Passer ouvertement la voix qui lui manquait !
Sur les rives du Gange, aux bords du Bendémire,
Sous les bois de rosiers, où s’endort Cachemire,
C’est ainsi qu’on parvient à se tout révéler,
Quand on ne peut s’écrire, ou qu’on n’ose parler.
Tantôt vers la tourelle, où pleure une captive,
Le ramier va porter l’adonide plaintive ;
Tantôt, entre ses mains, qui rêvaient un billet,
Jette, comme un aveu, la pourpre de l’œillet,
Ou, d’une aile attentive, à ses genoux amène,
Les promesses de feu, qu’exhale la verveine.
Il n’est pas une plante, un bouton d’Orient,
Qui ne cache un aveu plaintif, ou suppliant ;
Partout dans ces climats, la féerie indigène,’
D’une moisson, qui parle, a damassé la plaine.
Les fortunés pays, où jeune de candeur,
L’âme y joint des vallons l’innocente splendeur !
Comme un luth parfumé, l’agreste poésie,
A tous sesmouvemens s’y mêle et s’associe.
L’homme, dont elle ombrage et garnit les chemins,
Voit sa prompte mémoire éclore sous ses mains,
Respire le génie, et négligent de gloire,
Laisse au printemps le soin d’écrire son histoire.
Oh ! que ne vivons-nous sur ces bords ravissans,
Où la nature entière est un hymne d’encens,
Dont le cœur entrelace, et dirige l’hommage,
Où, comme la fauvette, une herbe a son ramage !
N’envions pas pourtant, sous nos brumes du Nord,
Ces vergers lumineux, où le ciel, sans effort,
A, mariant la grâce à l’éclat des miracles,
De sa bible féconde égrené les oracles ;
Croyez-moi : ce poème, éloquent et vermeil,
Que dictent aux humains les rayons du soleil,
N’est fermé nulle part aux yeux de la pensée.
Partout de ses conseils l’essence dispersée,
Pour prier, pour se plaindre, oublier, ou punir,
Sait, avec nos saisons, changer et rajeunir.
Oui, des plantes, partout, les groupes symboliques
Attaquent dans nos cœurs des cordes sympathiques ;
Ce n’est point un mensonge, à plaisir inventé,
Quelque chose de l’homme habite leur beauté.
Libre à nous de flétrir la naïve chimère
Qui, sous l’abri soyeux de leur disque éphémère,
Transporte après la mort notre immortalité :
Mais n’interdisons pas à la crédulité
L’espoir, qu’en nous quittant, l’illusion transfuge,
Dans leurs nids satinés, se choisit un refuge.
Quant à moi, j’en suis sur, esprits légers des airs,
Les sylphes protecteurs de ce froid univers
Vont tous, quand nos désirs n’invoquent pas leurs ailes,
Chercher, pour y dormir, ces temples de dentelles.
Sous leurs dômes d’agathe, ou leurs dais de lapis,
Nos songes préférés, tout le jour assoupis,
Ne fuient qu’à son déclin, pour peupler nos courtines,
Leurs trônes chamarrés de l’or des élamines.
Nous ne le savons pas que c’est là leur séjour,
Mais un instinct secret nous y conduit, le jour,
Redemander des nuits la vaporeuse escorte,
Ces plaisirs du sommeil, que le réveil emporte,
Ces songes veloutés, dont les fraîches couleurs
Vont, de nos yeux fermés, égayer les douleurs,
Et le bonheur enfin, qui n’est guère qu’un rêve,
Un rêve commencé, qui rarement s’achève.
Vous donc qui, d’un jour sombre, accusant la langueur,
Voudriez quelquefois abréger sa longueur,
Et reprendre, en veillant, ces nocturnes délices,
Dont un ange, pour vous, arrangea les caprices,
Venez auprès de moi, je vous ferai revoir
Le songe trop tardif, qui ne vient que le soir.
La lyre du poète, en avançant les heures,
Des sylphes engourdis, sait ouvrir les demeures,
Et de nos visions, qu’évoquent ses refrains,
Ramener au soleil les paresseux essaims.
Venez, je puis vous dire où ces subtils génies,
Loin des profanes yeux, dorment en colonies.
Ils vous diront leurs noms : vous, cachant vos chagrins,
Sous le voile enlr’ouvert de ces noms clandestins,
Vous soumettrez bientôt quelques ennuis rebelles ;
Raconter ses tourmens, c’est leur donner des ailes
Si vous voyez alors, du frivole amandier,
Sortir l’Etourderie, au vol aventurier,
L’Hilarité moqueuse aimer la citronelle,
Et l’Extase enflammer la sainte giroselle,
Si vous voyez l’Orgueil, dorant l’amaryllis,
Cacher son fier sommeil sous sa croix de rubis,
La Douceur s’échapper des rideaux de la mauve,
Ou quittant les grenats d’une hypocrite alcôve,
Du parjure safran fuir l’Infidélité,
Ne vous étonnez plus que l’homme ait inventé
De prêter à ces fleurs, au lieu de la parole,
Un reflet des esprits, que berce leur corolle
Vous apprendrez ainsi comment l’Enchantement,
Sous la rouge ipomée, enveloppe un serment,
Pourquoi l’Absence en deuil, ou le muet Veuvage,
Cherche au fond des forêts la bruyère sauvage ;
Pourquoi, sans le savoir, tour à tour on chérit
L’osmonde qui s’afflige, ou l’armoise qui rit ;
Pourquoi la Vérité, fidèle à la fougère,
Fuit du lobélia la pourpre mensongère :
La nature, en un mot, n’aura plus de secrets,
Et ses plus sourds échos seront tous indiscrets.
Épions leurs prisons : l’errante poésie,
De vos yeux curieux conductrice choisie,
Veut du moindre Caprice, agaçant le séjour,
De tous les dieux floraux, composer votre cour :
Je ne crains pas les dieux, je n’ai peur que des hommes.
Ces frais linosiris, ces brillans chrysocomes,
Vous diront, Élisa, que quand on doit vous voir,
Chaque instant de retard nous flétrit un espoir.
L’Impatience aussi, qui tremble et qui devine,
Meurtrit les boutons Verts, que rompt la balsamine ;
Avec la grenadille, on accepte un aveu,
L’hortensia refuse, et l’aster dit adieu.
Des regrets du tombeau le Souvenir fidèle
Gémit, agenouillé dans la morne asphodèle :
Le fier Dispensateur de l’immortalité,
Sur la riche amaranthe, étend sa royauté ;
Mûrissant sous les eaux, où flottent ses alarmes,
Comme un talent profond sous le voile des larmes,
Le nymphsea sublime, en demeurant obscur,
A la Gloire, qui pleure, offre son lit d’azur ;
Et le laurier hautain, repoussant le Génie,
Le renvoie habiter la pensive hélénie.
Du Démon fantastique aux bardes familier,
La pâleur nuageuse attriste l’églantier,
Et, comme le printemps, l’Espérance légère
Sourit dans l’aubépine et dans la primevère.
Les sentez-vous déjà ces esprits gracieux,
Croyant changer de fleurs, se mirer dans vos yeux,
Ou de vos cheveux blonds boucler l’or qui voltige ?
Laissez-les s’enivrer, et changeons de prestige.
Lasse des bruits mortels, aimez-vous le repos ?
Nous irons, sous le saule, évoquer près des eaux,
Le trèfle matinal, la ményanthe humide,
Fille des jours sereins, que l’orage intimide,
Dont la neige recluse attire le pécheur,
Et semble, de notre âme, inviter la fraîcheur
A redouter, comme elle, un souffle qui la fane.
Du monde aromatique, à nos yeux diaphane,
Lisons tous les trésors que nous rencontrerons,
Depuis le chèvrefeuil jusqu’aux doux liserons,
Dont les cloches de rose, en rubans déroulées,
Captivent de l’hymen les ailes rassemblées.
Laissons poindre à l’écart ces plantes sans pitié,
Dont le parfum mordant fait peur à l’amitié,
L’envieux aloès, la froide ficoïde,
Et du souci jaloux l’ambre amer et perfide ;
Mais consultons long-temps, (si la main du chagrin
Ecarte de nos fronts la gaîté du jasmin, )
La menthe des rochers, dont les paillettes blanches
Percent dans les cailloux à côté des pervenches,
Comme un doux souvenir dans un cœur endurci :
Le lierre généreux, la clématite aussi,
Qui du seuil indigent des chaumières fumeuses,
Va suspendre à leurs toits ses guirlandes plumeuses :
La giroflée enfin, qui, de nos vieux châteaux,
Dernière sentinelle, embrasse les créneaux,
Et, comme un dévoûment que rien ne décourage,
Jette sur l’infortune un manteau qui l’ombrage.
Quelle vaste assemblée, et quel riant concours,
Epanche, autour de vous, ses odorans discours !
Et ce n’est rien pourtant : vous ignorez encore
Comment, avec des fleurs, on dit qu’on vous adore !
L’Amour ! nous l’avons vu, d’abord faible et tremblant,
Abriter sa naissance au fond d’un pavot blanc,
Eclater dans l’œillet, pleurer dans l’adonide ;
Dans la jonquille aussi le Dieu brûlant réside,
Et dans l’héliotrope il dort pour s’inspirer ;
Il a plus de palais qu’il n’en peut respirer.
Des tiges du rosier, que la mousse environne,
Sur le bleu mélilot il porte sa couronne,
Et passe incessamment du pudique osyris,
Aux ruses de l’acanthe, aux piéges de l’ophrys.
A peine a-t-il touché la naïve argentine,
Qu’il fane, en l’effleurant, la pauvre éphémérine.
Son berceau se balance aux épis du lilas,
Sous l’humble nivéole il prépare ses lacs ;
Irons-nous l’y chercher, ou de la fraxinelle
Faire jaillir le feu, dont son vol étincelle,
Ou foulant l’énothère et sa frivolité.
Baiser la tubéreuse, où dort la volupté ?
Non, non, préférez-leur l’helvétique astragale,
Ou les saphirs veinés de la pyramidale,
Ou le polygala, loin du monde habitant ;
C’est là que vit l’Amour, quand l’Amour est constant.
Quels secrets maintenant puis-je vous dire encore,
Sinon qu’il ne faut pas, quand ma voix vous implore,
Me jeter cet œillet, quelquefois recherché,
Qui renferme un refus dans son sein panaché,
1/ingrate polémoine, ou la fausse myrtile
Qui donne, en trahissant, l’ordre qui nous exile ?
Un autre à ces leçons peut un jour ajouter,
Mais il est tant de fleurs, qu’il faut nous arrêter :
Ma mémoire s’égare, elle hésite, et la lyre
Refuse les jardins, que je lui donne à lire.
Que de trésors pourtant sollicitent ma voix !
Le muguet adoré, qui sourit dans les bois,
Comme un bonheur perdu, dont le retour étonne,
L’iris du rendez-vous, l’infidèle anémone,
La scabieuse en deuil, et le blond réséda,
Qui, parti deMemphis, en Provence aborda,
Et, plus pur que brillant, présente à notre hommage,
De la vertu modeste une adoptive image !
Mais au même banquet comment tout convoquer ?
L’esprit, qui veut tout voir, voudrait tout expliquer.
Respectons cependant la moitié du mystère ;
Réservons-nous au moins un moyen de nous taire.
Qu’aurions-nous de caché, si nous apprenions tous
Cette langue rêveuse, et dont les mots si doux,
En attirant l’étude, étonnent la science !
Même, en la recherchant, craignons l’expérience :
On n’apprend à souffrir qu’à force d’observer :
La rose a des poisons qu’on finit par trouver.
Les plantes, après tout, quel que soit leur lignage,
De celui qui les donne empruntent le langage.
Si, pour prix de ces vers, j’espérais recevoir
Le nyctage, gardien des rencontres du soir,
Et qu’on ne m’adressât que la sèche ibéride,
Ou du jaune aconit le dédain homicide :
Facile à m’abuser, peut-être que mes yeux
De la pâle hyacinthe y liraient les aveux.
N’allez pas cependant, négligeant la pensée,
M’envoyer la sardoine, ou l’alysse glacée ;
Réservez-moi plutôt l’humble myosotis,
Qui, d’adieux à cueillir, émaille nos herbis,
Et dont le nom vulgaire, empêchant qu’on n’oublie,
Donne à l’amour qui part un ordre qui supplie.
Mais qu’importe ou l’hysope, ou l’ardent sassafras !
Chaque feuille à son tour dit : Ne m’oubliez pas.
Tout despote qu’il est, le lys aider lui-même,
D’un message tremblant peut devenir l’emblême.
La fleur philosophale enfin, je le prétend,
C’est celle qu’on dérobe, ou celle qu’on attend.
Toutes les fois alors qu’elle s’offre à la vue,
Fût-elle sans éclat, notre âme en est émue,
Et reprenant le cours d’un voyage effacé,
On jouit du présent, en faveur du passé.
Heureux qui, dans les champs, peut ainsi, comme un sage,
Du livre de ses jours voir germer chaque page,
Et rattachant sa vie aux buissons du sentier,
Avec ses souvenirs composer son herbier !
Son cœur à la nature en sera plus fidèle :
N’est-ce pas le bonheur que de la trouver belle ?
C’est un bonheur, au moins, toujours vrai, toujours pur.
S’il n’est pas le plus vif, n’est-il pas le plus sûr ?
Ces plaisirs ravissans, dont notre âme s’enivre,
Souvent à mi-chemin, ne veulent plus nous suivre,
Et nous n’en gardons rien, qu’un regret et des pleurs ;
Mais la terre nous reste, elle a toujours des fleurs,
Et si nos yeux charmés ne peuvent plus y lire
Ces suaves concerts, que l’amour y respire,
Nous y lirons toujours des secrets éternels.
Du Dieu qui les fit naître éphémères autels,
Au lieu de voir nos jeux dormir dans leurs calices,
Nous y lirons du ciel les futures délices.
Ces soleils escarpés, dont les lettres de feu
Nous tracent, en marchant, les annales de Dieu,
N’en sont pas, croyez-moi, de plus sûrs interprètes,
Que ces astres frileux, dont vous parez vos têtes,
Qui viennent à jour fixe, et dont les doux rayons
Dessinent sur nos prés le cercle des saisons.
Aussi bien qu’un pontife, un bleuet nous révèle
Que le plaisir est court, mais qu’il se renouvelle ;
Pourquoi chercher ailleurs de plus doctes conseils ?
Lisez, lisez des fleurs les oracles vermeils,
Religion changeante, et pourtant immortelle ;
Dans ce monde idolâtre, une autre la vaut-elle ?
Adresse.
Vous aimez tant les champs, qu’en écoutant ces vers, Vous avez cru, soustraite aux glaçons des hivers,
Retrouver du printemps l’opulence embaumée :
Ils ne sont plus à moi, puisqu’ils vous ont charmée.’"
Respirez leurs leçons, et que mon nom plus doux,
Caché dans les bouquets, que j’ai chantés pour vous,
Quand je n’y serai plus, vous suive sur la terre.
Qu’il vous explique encor chaque mot d’un parterre :
Et si vous adoptez ces dogmes favoris,
Qui, lorsque l’on s’éteint, font passer nos esprits
Dans le crêpe affidé des plantes qu’on préfère ;
De mon ciel botanique indiquez-moi la sphère.
Nommez-moi seulement, quand viendront les adieux.
Quelle est celle des fleurs que vous aimez le mieux i
Je veux, pour qu’elle dure un jour de plus qu’une autre,
Lui léguer dans mon âme une sœur de la vôtre.