Confidences (Lefèvre-Deumier)/Livre I/Les Illusions

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LES ILLUSIONS.


Villst du immer weiter schweifen ?
Sich, das Gute liegt so nah !
Lerne nur das Glück ergreiften,
Denn das Glück ist immer da.

Gothe.


Thus, with delight we linger to survey

The promised joys of life’s unmeasured way ;

Thus, froma a ar, each dim-discovered scene

More pleasing seems than all the past hath been ;

And every form, that fancy can repair
From dark oblivion, glows divinely there.

Th. Campbell.


Wie Himmels blumen werden oft Traume dureh die Menschennacht getragen, und am Tageslicht bezeichnet nur ein fremder Frühlingsduft die Spurne der verschwandenen.
J. Paul.


Vos lèvres, un moment, n’ont pas même effleuré
La coupe Tun banquet, à peine inauguré,
Et convive souffrant, qu’effraie un air de fête,
Sans toucher au festin, vous détournez la tête !
Àhi croyez-moi : la vie, on ne la connaît pas ;
Tel en médit tout haut, qui la bénit tout bas.

Est-ce à moi cependant de trouver qu’elle est belle.
J’ai vu plus d’une fois, semblable à l’hirondelle,
Dont le vol va mourir sous un ciel inconnu,
S’envoler mon espoir, qui n’est pas revenu :
Je n’ai pas, malgré tout, abjuré mes chimères ;
Je crois qu’il est des fleurs, qui ne sont point amères,
Et vous, jeune, adoptant une froide raison,
Où j’attends un parfum, vous cherchez un poison !
J’ai vu plus de pays, que vous n’avez d’années,
Et souvent la tempête a flétri mes journées,
Les orages pourtant ne m’épouvantent pas :
Et vous voulez, enfant, tremblante au premier pas,
Pensant avoir appris ce qu’il doit vous apprendre,
Renoncer au voyage, avant de l’entreprendre !

Averti du destin, moi qui me suis vanté
D’entrevoir l’avenir, au moins de mon côté,
Je ne puis, direz-vous, croire aux biens que j’avance,
Et ma crédulité dément ma prévoyance !

Peut-être : mais pourquoi fermerais-jc les yeux,
Lorsque l’illusion descend pour moi des cieux,
Et vient, de l’espérance agile avant-courrière,
Semer de toutes parts ses berceaux de lumière,
Ses colonnades d’or, ses temples de cristal,
Et de ses châteaux d’air le luxe oriental ?
La vie est comme un fleuve, où notre âme féconde
Peut, comme des bouquets qui parfument son onde,
Jeter un songe heureux, qui passe en nous suivant.
Pourquoi ne pas rêver, si l’on vit en rêvant ?
Tendons, tendons la voile au souffle qui l’appelle.
Permis à l’aquilon d’emporter ma nacelle,
Si je puis un moment du zéphyr caressé,
M’endormir sur la vague, humidement bercé,
Surprendre au nid des mers une perle furtive,
Ou couronner mes mâts des roses de la rive.
Qui cherche à tout prévoir n’ose rien affronter.
Je veux jouir de tout, sauf à tout regretter.
Que mon cœur, s’il le faut, dans les pleurs se dévore,
Qu’il batte torturé, pourvu qu’il batte encore !

Ne gâtons pas la vie, à force de raison,
En noircissant toujours son fragile horizon
Des nuages fiévreux, que la crainte y devine.
Jamais, comme on le croit, le sort ne les combine,
Et l’orage souvent, qui dut tout ravager,
Improvise un Eden au milieu du danger.
Faut-il trembler, l’été, de l’hiver qui s’apprête,
Et parce qu’on vieillit, courber sa jeune tête !
Si je vois, quand l’automne a jauni le gazon,
Quelque rose attardée émailler un buisson,
Irai-je, en son berceau, lire sa fin prochaine ?
Sans songer que la nuit va, de sa froide haleine,
Tarir de ses parfums le calice vermeil,
D’un œil reconnaissant j’en rends grâce au soleil.
Le vent peut déflorer son frêle diadême ;
Mais je me garde, au moins, de l’effeuiller moi-même.

Lorsque le rossignol, sous le dôme des bois,
Laisse tomber, le soir, la fraîcheur de sa voix,

D’un baume harmonieux mon oreille enivrée
Accueille ses accords, sans prévoir leur durée,
Je respire muet, de peur que dans les airs,
La lyre, en s’envolant, n’emporte ses concerts.
Peut-être, auprès de moi, caché sou9 le feuillage,
Le nocturne épervier, qui guette son ramage,
Va de mon ménestrel briser le timbre ailé,
Et son arbre demain se taira dépleuplé !
Pour ne pas déplorer le charme de la veille,
Faudrait-il, attentif au cri de la corneille,
N’écouter que la mort, que son vol nous prédit ?
Non, même en s’éteignant, le plaisir se survit ;
Plus lentement que lui son adieu se déflore,
Et pleurer son bonheur, c’est en jouir encore.

Au sommet du coteau, qui borne l’horizon,
Voyez-vous, effleurant l’invisible gazon,
Où s’allume pour nous le nocturne prestige,
Ce large œillet de feu, qui nous cache sa tige ?

C’est un astre lointain, dans les airs suspendu,
Qui semble cependant, de son ciel descendu,
Venir examiner ce qu’on fait sur la terre.
Faut-il, effarouchant ce lumineux mystère,
Voir, loin de nos climats, le globe curieux,
Sans pourtant s’envoler, remonter vers les cieux ?
Gravissons la colline, et la fleur alarmée
Fera fuir devant nous sa corymbe enflammée.
Faut-il nous en convaincre, et n’est-il pas plus doux
De croire qu’au ciel même on s’intéresse à nous ?
Ne fût-ce qu’un moment, il est si doux de croire !
Pourquoi vouloir, sans cesse, éclaircir son histoire,
Et voir fuir ce qu’on aime, en voulant l’arrêter ?
Pourquoi, quand on est sûr qu’on doit le regretter,
Vouloir sonder l’éclat d’une étoile qui file,
Perdre, en la poursuivant, sa splendeur volatile,
Et voir, à chaque pas qu’on fait pour le saisir,
Comme l’astre échappé, s’échapper le plaisir ?

Vous enviez souvent à quelqu’àme céleste
Le don de respirer dans un vers qui l’atteste,
Et de pouvoir au loin, divulguant ses douleurs,
Soumettre à l’avenir un état de ses pleurs ;
Ce fatal privilége est peut-être sublime,
Mais savez-vous aussi tout ce qui l’envenime ?
Qu’un souffle fait plier la hauteur du talent,
Que lui-même, effrayé de son essor brûlant,
S’il veut s’approfondir, connaît son impuissance,
Et qu’il suffit d’un mot pour gêner sa croissance ?
Comme un aigle de flamme, emporté vers les cieux,
Si parfois de ces mers, pilote audacieux,
J’aborde, sans boussole, aux sphères immortelles,
Je ne sens pas le froid se glisser dans mes ailes,
Si l’on m’eût averti, l’on m’aurait arrêté :
Je ne tomberais pas, mais serais-je monté ?

Autrement que mes vers votre raison calcule,
Et je vois, Maria, votre tête incrédule,

Comme le front d’un lys par le vent agité,
Balancer son silence à chaque vérité.
Que prouvent, direz-vous, dites-vous en vous-même,
Tous ces voiles brodés, jetés sur un problême,
Hiéroglyphes brillans, dont les signes confus,
Loin d’expliquer l’énigme, en sont une de plus.
Que prouve le poète avec son harmonie,
Et ces rapprochemens, qu’invente le génie ?
De l’adresse, et le don, qu’il suppose immortel,
De glisser, sans le voir, à côté du réel.
Et qu’est-il donc de vrai pour nous dans la nature !
Tout n’a-t-il pas, hélas ! son vernis d’imposture ?
Si l’œil, qui veut toucher l’arc-en-ciel radieux,
N’y découvre de près qu’un brouillard pluvieux,
Cet arc en a-t-il moins, sur la nue éclairée,
Courbé de ses couleurs l’écharpe diaprée !
Etincelle durcie, éclair cristallisé,
Le diamant, qui dort sous tes cheveux posé,
Peut sous un feu subtil, perdant sa transparence,
Exhaler en vapeurs sa rigide opulence :

Vaut-il pas mieux laisser son chatoyant sommeil
Embellir, s’il le peut, ton front jeune et vermeil ?
Et si, trompant le deuil de mes nuits toujours sombres,
Je crois voir le bonheur illuminer ses ombres,
Faut-il, de ce trésor prouvant la vanité,
Au creuset du cerveau dissoudre sa clarté ?

Bizarre composé de tout ce qui l’entoure :
Il n’est point de penchans que l’homme ne parcoure :
Ici bas, dans les cieux, il rencontre partout,
Quelque chose d’humain, qui l’unit avec tout.
Au plus fragile objet notre histoire se lie,
Chaque image, qui passe, est un mot de la vie.
Mais, parmi ces tableaux, devons-nous n’admirer,
Ne lire obstinément que ceux qui font pleurer !
Notre sphère peut-être est un séjourd’épreuve,
Mais pourquoi de l’espoir vouloir la rendre veuve,
Et mécontent du jour, sans l’avoir essayé,
Vers celui qui l’a fait reculer effrayé ?

Que savons-nous du Dieu, qui nous tient en tutelle,
Et loin de nos prisons, que la mort démantèle,
De la félicité, qui doit nous rajeunir !
Si le vrai paradis est de se souvenir,
Faut-il, quand notre soif déjà s’y désaltère,
N’y rien porter pourtant que l’ennui de la terre !

N’est-il pas doux de croire, en aimant dans ces lieux,
Qu’on prépare déjà ses amitiés des cieux,
Et qu’un être, échappé des pays où l’on pleure,
Ne nous oublîra pas dans sa sainte demeure !
L’hymen des souvenirs dure plus d’un instant :
Moi j’habite d’avance, où je sais qu’on m’attend.
Illusion encor, mais douce et ravissante !
Va, l’on ne meurt jamais, quand on aime ; on s’absente.
L’ami, qu’on perd, renaît au-delà du trépas,
Et si l’on se sépare, on ne se quitte pas.
Son âme bien-aimée, aussitôt qu’on l’appelle,
Apparaît à la nôtre, et voltige autour d’elle.

Dans l’errant météore, elle éclate à nos yeux.
Comme un rayon du soir, pâle et silencieux,
Elle veille sur nous à travers le feuillage,
D’une pensée intime elle entend le passage,
Et nous parle, invisible, une langue d’espoir :
S’entretenir ainsi, c’est déjà se revoir.
Moi j’ai senti souvent que l’ombre de ma mère
Suivait à mes côtés mon sentier solitaire,
Et confidente encor de mon muet effroi,
Etendait sa pensée entre un malheur et moi.
C’est presqu’un Dieu de plus, qui m’aime et me protège.
De cette illusion pourquoi me défendrais-je ?
Elle est belle, elle est douce, elle n’a rien d’amer ;
Elle fuit quelquefois plus vite qu’un éclair,
Qui brille, et disparaît, quand on croyait l’atteindre ;
Mais puisqu’elle a brillé, de quoi puis-je me plaindre ?

Orphelins, tous les deux, il faut la partager.
Ce qu’elle a de pénible émeut, sans affliger :

Elle est, comme un adieu, qui cache une promesse,
Un soupir d’exilé, qu’un écho nous adresse.
Ange gardien des pleurs, qu’on veut lui confier,
La nature, avec nous, prompte à s’associer,
Va, si nous l’invoquons, semer sur ton passage,
De nos regrets mêlés la conjugale image.
Vois-tu dans les brouillards ces deux astres perçans,
Entr’ouvrir nos rameaux de leurs feux caressans ?
Entends-tu des tombeaux frémir la fleur fidèle,
Et l’insecte léger qui la frôle de l’aile ?
Ce sont des yeux chéris, qui se penchent sur nous,
Pour bénir du regard mon amour à genoux,
Et je connais la voix, qu’exhale l’asphodèle,
Aussi bien que l’écho, qui frissonne autour d’elle.
Ces yeux, ce sont les yeux qui surveillaient nos pas,
Quand tous les deux enfans, nous ne nous rêvions pas,
Et cette voix, qui pleure à travers la bruyère,
Ta mère, Maria, qui répond à ma mère.

Toi qui penses souvent, en même temps que moi,
Entends ce que mon cœur n’entend qu’auprès de toi.
Ecoute, en te penchant sur mon âme moins sombre,
De ta mère attentive écoute parler l’ombre ;
C’est elle et non pas moi, Maria, qui promet
Que je puis seul t’aimer plus qu’elle ne t’aimait,
Et que le ciel, sans moi, ne peut, triste et sévère,
T’offrir autant d’amour, que t’en offre la terre.
Ne me condamne pas à ne te rien donner,
Et reçois le bonheur, toi qui peux l’ordonner.
Peut-être as-tu raison de croire à ses épines :
Mais tu ne les vois pas, hélas ! tu les devines.
Et quand il serait vrai qu’en ce monde imposteur,
Son éclat, quel qu’il soit, n’est qu’un éclat menteur,
De tes réalités la vanité frivole
Vaut-elle mieux, dis-moi, qu’une erreur qui console ?

Erreur souple et facile, elle épure nos jours,
Répond à nos dédains, en revenant toujours

Et sans changer ses traits, variant la constance,
Sait, pour la faire aimer, déguiser l’existence.
Peut-être ces tableaux, qui courent dans mes vers,
Ce jour étincelant, dont je peins l’univers,
Peut-être, ces bouquets, ces couleurs enflammées,
Qui brodent les gazons d’images parfumées,
Et ces yeux étoilés, qui veillent sur nos maux,
Et ces voix, dont mon âme invente les échos,
Tout peut-être m’abuse, et vient de ta présence :
Et blasphémant du sort l’avare bienfaisance
Je ne l’aurai, du moins, maudite qu’une fois,
Et toi, tu la maudis toujours, ou tu le crois !

Je sais, en te quittant, quel sera mon veuvage :
Mais pourquoi de si loin préparer son orage !
Sans doute qu’en moi-même exilé par l’ennui,
Je pleurerai demain les heures d’aujourd’hui ;
Demain ! toujours demain ! pourquoi d’un œil avide
Éveiller l’avenir dans son chaos aride ?
Qu’il dorme, oui, qu’il dorme ! Embrassons le présent.

Je n’attends du destin, ni faveur, ni présent ;
Dans mes rêves, tout prêts à devenir souffrance,
L’illusion habite, et non pas l’espérance.
Le monde, le destin, peut encor m’attrister,
Mais n’ayant rien à perdre, on ne peut rien m’ôter :
Je ne vis pas, je dors en attendant la vie.
Pourquoi m’inquiéter des efforts de l’envie,
Et vouloir mettre un frein aux coursiers du hasard !
Qu’ils marchent… Le réveil peut arriver bien tard.
Où vont-ils ? A la gloire ! —Au combat ! — Que m’importe !
Le remède est toujours près des maux qu’on supporte :
Le pays où l’on tue est toujours près de nous.
Oh ! laisse-moi long-temps rêver à tes genoux’.
A mes illusions n’oppose plus tes doutes,
Quand on sait s’en guérir, on peut les garder toutes !