Confitou/Chapitre XV

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XV


Quand Confitou arriva à la porte de chez lui, il était plutôt accompagné. Mais il préférait qu’il en fût ainsi, car c’était la première fois qu’il rentrait si tard et il pensait bien que l’événement n’avait pas dû passer inaperçu. « Avec tant de monde, se disait-il, on n’osera pas me gronder ». Et il sonna.

Ce fut la Génie Boulard qui ouvrit. Aussitôt elle hurla :

— Le voilà, madame ! le voilà !…

On entendit un grand bruit dans l’escalier, des cris inarticulés ; et bientôt la mère et le fils étaient dans les bras l’un de l’autre. Quand Mme  Raucoux-Desmares put parler, elle apprit à tous ces gens, militaires et moutards, qui encombraient son vestibule, qu’elle était en train de devenir folle et qu’elle serait certainement morte de douleur une heure plus tard, si on ne lui avait pas ramené Confitou.

— Mais où était-il donc, le petit bandit ?…

Dans le même moment, Raucoux-Desmares apparut. Vers le soir, et aussitôt que les devoirs qui l’avaient retenu à l’hôpital militaire lui en eurent laissé la possibilité, il s’était mis, lui aussi, à la recherche de Confitou. Pour la troisième fois, il venait de faire le tour de la ville et il était bien pâle. En apercevant tout ce monde, il crut à un accident et que peut-être on lui rapportait le cadavre de son enfant. Freda avait relevé la tête ; elle vit qu’il s’appuyait défaillant à la muraille.

— Mais il n’a rien, s’écria-t-elle. Il n’a rien du tout ! Ce sont ces messieurs qui nous le ramènent !…

— Pardon, madame, put enfin dire le colonel qui avait déposé Grosse Saleté dans les bras de la Génie Boulard, mais ce n’est pas nous qui ramenons votre fils, c’est votre fils qui nous amène !

— Oui, maman, je les ai invités à dîner !

Tout le monde éclata de rire.

Raucoux-Desmares embrassait son fils, les yeux mouillés de larmes. C’est dans un moment pareil qu’il sentait combien il aimait Confitou.

— J’étais allé voir la bataille ! dit Confitou, mais je ne l’ai pas vue parce qu’elle était trop loin. Seulement j’ai rencontré des généraux et des petits réfugiés belges et je vous les ai amenés en me disant qu’ils feraient plaisir à papa !

Quand Raucoux-Desmares, qui considérait depuis un instant, avec un certain ahurissement, Grosse Saleté dans les bras de la Génie Boulard et les autres moutards attachés aux culottes de Confitou, eut appris les détails de l’initiative de son fils, il en ressentit une joie profonde, une allégresse intime toute particulière.

— C’est bien, Confitou, ce que tu as fait là ! dit-il… Eh bien ! maintenant, va t’occuper avec ta maman de tes petits réfugiés, moi, je vais m’occuper de tes généraux !…

Confitou entraîna les premiers à la cuisine et son père fit entrer les seconds au salon.

Les officiers voulaient prendre congé, mais Raucoux-Desmares les supplia de ne pas faire cette injure à son fils. Puisqu’ils avaient une heure ou deux à passer à Saint-Rémy, ils dîneraient chez lui. La Génie Boulard, fière d’avoir à servir la fleur de l’armée française, se distingua tout à fait, et chacun fit honneur au repas.

Dehors les troupes continuaient de passer en bon ordre. On entendait l’immense piétinement et quelquefois le roulement des caissons.

— Nous nous replions, dit un officier, mais nous ne sommes point battus, nous reviendrons.

— Nous vous attendons avec confiance, répliqua Raucoux-Desmares.

— Et revenez-nous le plus tôt possible ! ajouta Freda.

Elle avait été charmante et empressée, et très Française. Raucoux-Desmares lui en avait une profonde reconnaissance. Du reste, ces messieurs ignoraient certainement que sa femme fût Allemande. Il ne le leur apprit pas.

Sur ces entrefaites, la porte de la salle à manger s’entrouvrit et la tête ébouriffée de Confitou se montra… Confitou avait dîné à la cuisine avec ses petits réfugiés et, à propos d’une discussion qu’il avait eue avec Clara, il venait chercher un renseignement…

— N’est-ce pas, papa, que c’est à Guise, lança-t-il, qu’on leur a fichu un coup de torchon sur la gueule ? ? ?

Freda s’ébouriffa un peu, mais tous les autres applaudirent ; Raucoux-Desmares était radieux. Il dit :

— Qui est-ce qui t’a appris à parler comme ça, Confitou ?

Confitou répondit :

— C’est un capitaine !

Enfin, les officiers demandèrent à Freda la permission de se retirer ; l’auto, réparée, était à la porte. Tout le monde se leva. Il y eut des adieux et des paroles d’espoir jusque dans le vestibule.

Confitou était accouru ; naturellement, Clara, Bibi, Charlot étaient derrière lui, et il avait encore un tout petit à son cou.

— Celui-là, c’est Grosse Saleté, dit-il. Il ne veut pas aller se coucher sans moi !

Raucoux-Desmares l’embrassa encore :

— Ah ! mon chéri !… mon chéri !…

Les officiers aussi embrassèrent Confitou.

En partant, l’un d’eux dit :

— Demain matin, au petit jour, vous aurez l’avant-garde du troisième corps saxon.

Raucoux-Desmares s’attarda sur le seuil, à regarder passer, dans la nuit, une batterie de 75…

En se retournant, il fut étonné de ne plus voir sa femme, ni Confitou, derrière lui. Il monta au premier étage. Et il allait pénétrer dans la lingerie que Freda s’occupait déjà de transformer en dortoir, quand il entendit la voix de Confitou qui disait :

— Dis donc, maman, si c’est le troisième corps saxon, on va peut-être voir l’oncle Moritz !

Et Confitou sautait de joie.