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Congrès français et international du droit des femmes 1889/Quelques considérations sur les différents rôles de la femme dans la société

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Discours de Mme Élisa Bloch

Quelques considérations sur différents rôles de la Femme dans la Société




Je ne suis ni orateur ni écrivain, cependant j’ai à cœur de déférer à la flatteuse invitation de Mlle Maria Deraismes, notre honorable Présidente, instigatrice du Congrès du Droit des Femmes de 1889.

Malgré les rares loisirs que me laisse l’atelier, j’apporterai d’autant plus volontiers mon modeste concours à ce Congrès, que c’est pour une noble et légitime cause ; c’est pour la revendication des droits de la femme que j’oserai plaider. Et vienne le jour de triomphe, combien je serais fière de dire avec vous, mesdames : « Nous avons combattu, et j’en étais !… »

Qu’il me soit donc permis de me servir de la comparaison d’un de nos grands écrivains du xviiie siècle ; si pompeuse qu’elle puisse paraître, en cette circonstance, elle exprime ma pensée tout entière.

Dans ses considérations sur les Causes de la Grandeur et de la Décadence des Romains, Montesquieu commence ainsi son ouvrage : « Tel qu’on voit un fleuve majestueux miner lentement et sans bruit les digues qu’on lui oppose », telle la femme depuis un siècle renverse une à une les barrières qu’on lui oppose ; ainsi petit à petit, elle conquiert l’égalité devant la loi, sa place à l’instruction, sa place au travail. Il faut que la femme dans toutes les classes de la société puisse gagner honorablement sa vie. Aussi, consciente de la faiblesse de ses forces physiques, c’est par le travail intellectuel, c’est par l’instruction qu’elle a entrepris de briser tous les vieux préjugés, de conquérir cette indépendance et cette émancipation qui la rendront l’égale de l’homme.

N’est-il pas logique, parmi les questions sociales qui ressortent des grandes nécessités de notre époque, de mettre en première ligne la condition de la femme ?

On me paraît surpris, au camp masculin, de voir encore cette année soulever cette question qui déjà était à l’ordre du jour il y a dix ans, au moment de notre grande Exposition de 1878 ; mais je ferai remarquer, que, s’il y a cent ans, tout un peuple combattait pour son affranchissement, il n’est pas surprenant que la femme aujourd’hui, faisant allusion à ce grand anniversaire, soit toute disposée à compléter cette œuvre gigantesque par l’affranchissement de son sexe.

Je vois un sourire se dessiner sur les lèvres de quelques-uns d’entre vous, messieurs, sourire involontaire, sans doute, le visage humain est mobile, et l’on ne peut toujours maîtriser son premier mouvement : vous avez été surpris en lisant la date prochaine du Congrès Français et International du Droit des Femmes ; mais vous avez déjà pris votre parti : vous viendrez, vous êtes venus et vous êtes venus en nombre, merci ! merci mille fois !

Ce n’est pas en effet à un Congrès de femmes politiciennes, de femmes énergumènes auquel vous assistez, vous l’avez compris ; c’est à une réunion de femmes humanitaires, sociologues, qui ont le courage d’exposer franchement leurs nobles idées sur la revendication de leurs droits.

Tout comme à vos congrès scientifiques qui ont lieu chaque année à Paris et dans les départements, congrès que l’avancement des sciences a vulgarisés, le Congrès du Droit des Femmes se divisera en quatre sections :

Section historique,
Section économique,
Section de morale,
Section de législation,

questions très importantes qui seront résolues avec toute la clarté, la netteté et l’érudition qui distinguent nos adhérentes ; et nous serons déjà récompensées de nos travaux, si nous avons la bonne fortune de remporter l’approbation de MM. Anatole de La Forge, Yves Guyot, Paul Barbe, Frédéric Passy, Colfavru, Paul Viguier, le docteur Chassaing, le docteur Thulié, de Hérédia, Auguste Vacquerie, Ernest Lefèvre, Eugène Mayer, etc., etc., de tous ceux enfin qui ont déjà rompu des lances en faveur de la femme.

J’ai nommé et j’aperçois parmi nous M. de Hérédia qui, président de l’Association Philotechnique (dont je me fais gloire de faire partie), était toujours prêt, alors qu’il y avait à élever la voix pour défendre les droits de la femme.

J’ai toujours souvenance de ses charmantes paroles qu’il nous adressait à un banquet d’ouverture des cours de l’Association.

« Vous nous êtes absolument nécessaires. Mesdames, vous arrêtez les défaillances, vous fortifiez nos courages ; en un mot, vous êtes nos Égéries, nos fidèles inspiratrices ! » Que n’êtes-vous tous ainsi, Messieurs ! mais hélas ! la majeure partie n’est guère composée que de détracteurs à idée préconçue sur la valeur intellectuelle et artistique de la femme, sur sa capacité à occuper Page:Congres francais et international du droit des femmes.djvu/46 Page:Congres francais et international du droit des femmes.djvu/47 Page:Congres francais et international du droit des femmes.djvu/48 Page:Congres francais et international du droit des femmes.djvu/49 Page:Congres francais et international du droit des femmes.djvu/50 soutiendra si parfois nous venions à défaillir. Allons, jetons à l’écho notre mot de ralliement :

Sursum Corda !

et l’écho le redira au monde entier ! — Longs applaudissements et fréquentes marques d’approbation.

M. Léon Richer demande la permission de réparer un oubli commis involontairement par Mme Bloch. Il a trait à l’énumération des femmes qui se sont distinguées dans la science, l’oratrice n’a pas mentionné le nom de Mme Clémence Royer, traductrice des œuvres de Darwin, auteur de plusieurs ouvrages scientifiques, philosophiques et économiques remarquables, et rédactrice de plusieurs revues françaises et étrangères. — Signes d’assentiment. — Bravos.

La parole est donnée au docteur Verrier.