Conseils aux dirigés/L’action révolutionnaire

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L’Action révolutionnaire
Traduction par Ely Halpérine-Kaminsky.
Conseils aux dirigésCharpentier (p. 171-173).


L’ACTION RÉVOLUTIONNAIRE


À J.-M. Trégoubov[1].


J’ai lu les Feuilles. Celle où est publié l’article : « Comment les prêtres ont asservi le peuple à l’aide de la doctrine du Christ » est excellente, et j’y souscris des deux mains. Bonne aussi la Feuille où l’on traite des Stundistes[2].

Le numéro où est publié l’article sur « Les émeutes des rues » est bien piteux. Outre qu’il est immoral, il ne peut avoir aucune portée pratique, et il est simplement stupide. À la place du gouvernement, je publierais de pareilles Feuilles aux frais du Trésor, et je les tirerais à des millions d’exemplaires. Car rien ne pourrait aussi complètement ruiner la confiance du peuple envers des hommes qui partagent les vues de ces journaux.

Ce que propose la Feuille est immoral d’abord. En effet, si le soldat est amené, par toute une suite de suggestions, à la nécessité ou de tuer ou de souffrir lui-même, et est abruti au point de ne pas s’apercevoir que le meurtre est un péché, d’autre part, l’homme qui suivrait les conseils de l’auteur de l’article se préparerait à l’assassinat et l’accomplirait, grâce à la simple affirmation de l’auteur que cet assassinat améliorerait son sort et celui de ses frères.

La proposition de la Feuille est impraticable, parce qu’il est impossible que des hommes sans armes ni organisation puissent enlever les engins de destruction à des soldats armés et disciplinés. Mais au cas même où, par une chance sur mille, cet événement se produirait quelque part, ceux qui auraient réussi à s’emparer des armes seraient immédiatement écrasés par des troupes venant d’autres points.

L’article est stupide, parce qu’organiser l’assassinat par ceux qui veulent s’affranchir des menaces de meurtres, c’est donner aux ennemis le seul prétexte légal d’employer contre les insurgés toutes sortes de violences, et de justifier toutes celles commises antérieurement.

Déclarer que je ne suis point solidaire avec des gens qui professent les opinions de la Feuille sur « Les émeutes des rues », me paraît inutile. Voici bientôt trente ans que je répète sans cesse : Tout dépend de l’état d’âme des hommes ; toute violence est un péché, et la violence de ceux qui luttent contre la violence est une folie.

C’est pourquoi aucun homme de bonne foi ne me confondra avec les révolutionnaires qui ont recours à la violence. Quant au fait qu’un homme de mauvaise foi puisse calomnier quelqu’un dans un but intéressé, il est difficile de l’empêcher ; d’ailleurs ce n’est pas bien nécessaire.

15 décembre 1901.


  1. M. Trégoubov avait écrit à Tolstoï au sujet des articles de l’organe révolutionnaire de Genève, Les Feuilles populaires. M. Trégoubov, contraire, comme Tolstoï lui-même, à la propagande par la violence, avait en même temps communiqué ces « feuilles » à l’illustre écrivain. (Note du traducteur).
  2. Secte religieuse russe, d’inspiration allemande (idem.)