Considérations générales sur l’agriculture, la colonisation, le rapatriement et l’immigration

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DÉPARTEMENT DE
l’Agriculture et de la Colonisation
PROVINCE DE QUÉBEC.
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CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
SUR
L’AGRICULTURE, LA COLONISATION, LE

RAPATRIEMENT ET L’IMMIGRATION,

PAR
LE RÉVÉREND A. LABELLE.
Assistant-Commissaire.

(Extrait du Rapport Officiel du Département)

QUÉBEC :

1888.

I.

AGRICULTURE


La province de Québec est essentiellement agricole. La plus grande partie de sa population se livre à cette noble profession qui fait les races fortes et viriles. Tout l’y invite : les traditions de ses pères, les belles plaines du Saint-Laurent, de l’Ottawa, du Richelieu, les vastes territoires des cantons du Nord et du Sud si magnifiquement arrosés et si fertiles.

Les innombrables pouvoirs hydrauliques de cette province, ses richesses minières et forestières, sa proximité des ports maritimes pour y diriger facilement ses produits par les chemins de fer et la grande voie fluviale du Saint-Laurent, à nulle autre pareille dans le monde, lui donnent des avantages inappréciables. Elle est donc admirablement située pour que l’agriculture et l’industrie s’unissent afin d’alimenter ses marchés locaux et étrangers et de résoudre le grand problème de la force unie à la richesse. Elle occupe aussi une position stratégique dans la confédération et devient, de ce fait, un pivot essentiel dans la grande machine gouvernementale. On ne peut donc y toucher imprudemment ou l’affaiblir sans mettre en danger toute l’économie sociale de la Puissance.

Toute nation qui fait de l’agriculture sa principale occupation conserve toujours un degré de vitalité et de santé qui lui assure l’avenir.

L’ouvrier peut gagner parfois plus d’argent que le cultivateur, mais la constitution du premier se détériore au travail délétère des fabriques et l’affaiblissement de ses descendants qui suivent la même carrière ne fait que progresser de générations en générations et entraîner les maux lamentables qui sont la plaie des pays manufacturiers.

Il est donc du devoir du gouvernement, puisque ses domaines agricoles sont immenses, de favoriser l’agriculture par tous les moyens à sa disposition et de pousser fortement vers cet état paisible et moralisateur, heureux et libre, les sujets qui sont placés sous sa juridiction, en se rappelant que la conquête du monde fut l’apanage des soldats agriculteurs, les Romains.

Pour rendre, cette profession attrayante, il faut la rendre payante et faire connaître tous les secrets de l’art agricole sous toutes ses formes.

Divers moyens sont suggérés qui sont excellents, qui tendent tous au même but et que l’on doit favoriser graduellement, suivant les temps, les lieux, les circonstances, les habitudes des gens et les ressources du gouvernement.

Il est certain que l’agriculture a fait de grands progrès dans la province de Québec sous l’impulsion du Conseil de l’agriculture qui sans cesse doit perfectionner et multiplier ses moyens d’action,

Nous possédons beaucoup d’agronomes des plus distingués, comparables aux meilleurs agronomes de tout autre pays, mais, il faut l’avouer, un grand nombre d’agriculteurs n’ont pas toujours profité des efforts du gouvernement pour les diriger dans la bonne voie, les uns par une coupable indifférence, les autres, pur un attachement regrettable à de vieilles routines. C’est cette classe qu’il faut atteindre, avec l’aide du temps, en déployant du courage et de la persévérance, qui vainc tous les obstacles. Que l’on sache qu’il faut vingt ans pour élever un enfant et cent ans pour refaire une nation.

La société change tous les jours de face par ses facilités de communication, ses nouveaux marchés de l’intérieur et de l’extérieur, et, par là même, une culture qui aujourd’hui est plus lucrative peut demain le devenir moins.

Notre pays a donc subi l’influence de ces modifications commerciales qui affectent les conditions économiques de toute nation et dont il faut savoir profiter.

La fécondité des nouvelles terres qui rendent longtemps avec usure la semence qui leur est confiée, et presque sans effort d’intelligence de la part du cultivateur, parce que le sol est enrichi avec excès depuis le déluge par l’humus des plantes et des arbres, a fait croire malheureusement que la terre ne pouvait s’épuiser par des récoltes successives de grain sur grain.

L’agriculteur ne réfléchissait pas que le sol, en nous donnant ses moissons luxuriantes, perdait peu à peu ses éléments fertilisants, et que le terrain ne pouvait renouveler ses forces vives de fécondité sans l’engrais qui est le pain nourricier de la terre.

L’Iowa, qui a donné jusqu’à 25 à 30 minots de blé par acre, ne rend plus, terme moyen, que 8 à 9 minots. C’est donc une loi de la nature que l’on ne peut mépriser sans de tristes mécomptes.

À l’heure qu’il est, cette erreur a disparu de l’esprit de notre population et beaucoup de cultivateurs comprennent que le fumier est une mine d’or pour eux.

Cet axiome de la valeur des fumiers étant bien compris partout, le reste, pour ainsi dire viendra par surcroît. En Belgique, le pays le mieux cultivé du monde, la richesse du cultivateur s’estime par l’amas d’engrais que l’on remarque devant ses constructions agricoles.

Heureusement que le cultivateur a commencé par adopter un bon système de rotation, à semer des graines propres à améliorer ses pâturages et ses fourrages, à faire plus de culture nettoyante pour sarcler sa terre, à augmenter le nombre de ses animaux pour accroître la quantité de ses fumiers. Plusieurs, en outre, emploient les amendements et engrais minéraux, comme la chaux, les cendres, et surtout le plâtre et le phosphate de chaux. C’est encore un progrès à constater.

Ces connaissances pénètrent de plus en plus dans le peuple et j’espère les répandre avec plus d’efficacité si le gouvernement le désire, par l’encouragement des cercles agricoles, et le meilleur fonctionnement des Sociétés d’agriculture, par des conférences sur la bonne culture, par l’amélioration de nos écoles, par une plus grande diffusion du Journal de l’Agriculture, par la création d’une station expérimentale et laboratoire de chimie agricole, et, parmi les cultivateurs, d’une classe d’honneur qui sera comme le sénat de l’agriculture.

Je compte aussi sur le bon exemple des fermes d’Oka et d’Arundel. Ce sont les mêmes hommes qui ont créé en France, à Belle-Fontaine, à St-Laurent sur Sèvres, ces célèbres métairies que tout le monde admire. Pourquoi ces religieux n’auraient-ils pas les mêmes succès ici qu’en France ? Ne serait-il pas à propos de les répandre avec le temps et les circonstances dans les différentes parties de la province ? On peut en dire autant de la ferme des sourds-muets, près de Montréal, que le Conseil d’agriculture a recommandée d’une manière particulière à l’attention du gouvernement.

À mon avis, l’amélioration agricole la plus importante, par ses conséquences immédiates, qui ait été accomplie dans la province de Québec est l’établissement des beurreries et des fromageries, au nombre d’environ 672. On compte plus de beurreries, dit-on, dans notre province que dans Ontario. C’est un bon point en notre faveur. Quand on pense qu’une vache ordinaire, avec des soins ordinaires, donne un revenu annuel de $25, en beurre, ou fromage et viande, un mouton, $3 à $4. quel est le cultivateur qui ne pourrait pas, relativement à peu de frais, se tailler un domaine dans les Laurentides ou les cantons du sud, et se créer un troupeau de quinze à vingt vaches, bonnes laitières, et de 40 à 50 moutons, sans parler de la récolte de ses grains, légumes et fourrages ? Il n’y a qu’à y penser pour le vouloir. Nous exportons pour $8,000,000 de beurre et de fromage en Europe. C’est une exportation qui peut être doublée, triplée en peu d’années. Nos fromages sont cotés au plus haut prix sur les marchés anglais et belges. Notre beurre n’a pas la même réputation et il ne tient qu’à nous de l’obtenir.

Si nous le désirons fermement, notre beurre pourra rivaliser avec celui du Danemark, de la Hollande ou de la Normandie, comme nous le faisons pour le fromage. Dans ces matières et dans les mêmes conditions, je ne désespère pas d’atteindre à la perfection des autres nations ; pour cela il nous faudrait un inspecteur de beurre parfaitement qualifié et d’une réputation inattaquable, qui, par un examen sévère et intelligent, donnerait une bonne réputation à ce produit si important de nos fermes.

Il est prouvé par des faits indéniables que l’élevage des bestiaux, (à moins de cultiver près des villes) pour la fabrication du beurre et du fromage, est l’exploitation agricole la plus payante. J’ai toujours remarqué que le cultivateur qui s’y livrait avec patience et intelligence s’enrichissait à vue d’œil, tandis que ses voisins, qui suivaient les vieilles routines, végétaient autour de lui. Le premier multipliait avec succès ses animaux, et par là même, l’abondance de ses engrais, lesquels décuplaient la capacité productive de son sol pour les grains, les légumes et les fourrages. L’objection des longs hivers est résolue par la construction des silos, et je ne doute pas que celui qui adopte ce mode d’utiliser ses fourrages, en recueillera les plus grands profits, comme nous l’attestent, les meilleurs agronomes.

Il ne serait pas hors de propos de parler de l’amélioration de la race chevaline. Le Canadien aime le cheval, et souvent néglige les autres animaux pour nourrir le cheval avec soin, quoique cette industrie agricole me paraisse moins lucrative que celle des vaches laitières. Cependant, il serait bon de profiter des goûts et des aptitudes de la population pour l’élevage des chevaux.

Le gouvernement pourrait aider ceux qui seraient disposés à établir des haras, ou retenir une certaine somme sur les fonds agricoles, acheter lui-même des chevaux et les répandre dans la province, comme le fait annuellement une province maritime, le Nouveau-Brunswick.

Quant à l’exposition provinciale qui devait se tenir à Montréal durant le cours de l’été, si elle n’a pas eu lieu, c’est que la municipalité de cette ville n’a pas offert au gouvernement de contribuer dans les dépenses pour une somme égale à celle que celui-ci avait mise dans les estimations budgétaires.

II.

COLONISATION.


La colonisation et l’agriculture sont pour ainsi dire la même chose. Elles jouent le rôle principal dans l’augmentation de la richesse et de la prospérité de cette province. Cependant je puis dire que la colonisation de nos terres incultes doit occuper la première place dans notre esprit.

Notre influence dans les conseils des Chambres législatives dépend de notre accroissement par la colonisation ; c’est en effet celle-ci qui résoudra les graves questions du présent et de l’avenir. Chaque pas fait dans la forêt par le défrichement est une conquête qui fortifie nos droits, nos institutions et nos lois. « Emparons-nous du sol » est un motto qui devrait être écrit en lettres d’or au-dessus de la porte de chaque maison. Négliger d’étendre la colonisation, c’est porter un coup fatal au pays et détruire l’œuvre glorieuse de nos ancêtres.

En retardant d’ouvrir, par des mesures énergiques, soit volontairement, soit involontairement, nos terres incultes à la colonisation, nous avons contribué plus qu’on ne pense à pousser notre population à émigrer aux États-Unis. Que voulez-vous faire ? Un agriculteur, à la tête d’une famille de 5 ou 6 garçons, aurait bien voulu les établir dans leur paroisse natale, mais les propriétés étaient d’un prix trop élevé. À peine ses revenus suffisaient-ils à nourrir et à élever sa nombreuse progéniture. Les fabriques étaient remplies d’ouvriers et les magasins de commis. Ce bon père regardait d’un œil attristé l’immense région de nos bonnes terres incultes, mais cette région lui était fermée par le manque de routes et de chemins de fer. Se faire homme de peine, se soumettre à ce triste régime, c’était trop pénible pour lui, surtout dans son propre pays. Il ne restait plus d’autre alternative à ses enfants que de prendre le chemin des États sillonnés de chemins de fer, où l’industrie marchait à pas de géant et réclamait l’emploi immédiat de bras innombrables. Il faut ajouter que pour un certain nombre une mauvaise culture, le luxe, les folles dépenses, quelques fois, hélas ! l’ivrognerie, un tempérament aventureux que nous tenons des Normands, ont pu accélérer cet exode de nos nationaux. Il n’y a d’autre moyen de réagir contre ce courant qui nous décime que de pousser fortement notre population à coloniser surtout dans ce temps où le Canada offre, pour y vivre, autant d’avantages que les États-Unis.

Façonnée à la vie dure et pénible des champs, la race canadienne possède des aptitudes particulières pour coloniser.

Il est vrai que la colonisation a fait de grands progrès, depuis un certain nombre d’années, grâce aux chemins que le gouvernement a construits dans la forêt vierge et en dépit des difficultés légales suscitées sur les pas du colon. Mais ce n’est pas encore assez. Que de colons souffrent depuis longtemps de l’absence de moyens de communication !

Le véhicule par excellence de la colonisation, ce sont les chemins de fer qui changent la face d’un pays comme par enchantement. Aussi le colon, qui est le principal facteur de l’avancement du pays, les demande à grands cris. Et comment pourrait-il, dans les commencements, transporter le lard, la fleur, dont il a besoin à son domicile, quand il vit à 30 ou 40 lieues des chemins de fer et qu’il n’a d’autre moyen de transport que sa charrette ou son traîneau.

C’est donc le moment favorable de mettre cette politique généreusement en pratique, dût la province s’endetter de plusieurs millions, et quand bien même il faudrait hausser le prix des terres dont on décuplerait la valeur par les voies ferrées. D’ailleurs, en 1882, le colon n’a-t-il pas envoyé à la Chambre des requêtes demandant de faire payer les lots $1.00 l’acre, pourvu qu’on lui fît des chemins de fer ? Combien n’y a-t-il pas de colons qui préféreraient payer leurs terres une piastre l’acre, avec des chemins de fer à proximité, que de les recevoir gratuitement sans chemins de fer ?

Monsieur Rameau, ce véritable ami du Canada, conseille de faire des chemins de fer dans l’intérieur, même en nous endettant.

Nous pouvons distinguer dans le Nord quatre grandes zônes qui offrent de vastes territoires à coloniser :

La vallée du Témiscamingue, à laquelle des vaisseaux et un chemin de fer, qui doit se prolonger jusqu’à Mattawa, donnent une valeur qu’on ne peut trop apprécier, et où l’on peut établir 40 à 50 paroisses dans les meilleurs terrains de la province, en particulier au rapide des Quinze, près d’une riche mine de galène argentifère que l’on exploite avec profit ;

La vallée proprement dite de l’Ottawa, où les chemins de fer de la Gatineau et du Montréal et Occidental doivent se raccorder en haut de cette rivière et se continuer jusqu’au Témiscamingue, toujours en traversant des terres des plus propres à la colonisation, entre autres les bassins supérieurs de la Rouge, de la Lièvre, de la Gatineau et de l’Ottawa : c’est un vaste champ de colonisation pour les districts de Montréal et d’Ottawa ; car il est bon de se rappeler que le dernier colon est déjà fixé à 50 lieues de Hull et de Saint-Jérôme. C’est pour cette raison que le gouvernement a ouvert un grand chemin de colonisation partant du canton de Hartwell et rejoignant le chemin Chapleau sur le lac Nominingue, afin de favoriser autant que possible l’établissement de cette immense région. Il est à propos de mentionner à ce sujet que Monsieur Arthur Buies a fait, dans le cours de l’été dernier, une excursion dans la vallée inférieure de l’Outaouais, accompagné d’un photographe chargé de prendre des vues, afin d’y puiser les matériaux nécessaires à la publication d’une monographie de cette fertile partie de la province. Cette monographie devra paraître à la suite d’un volume sur le bassin supérieur de l’Outaouais, volume qui est actuellement sous presse et qui est une description complète de la nature, de la physionomie et des ressources de ce pays si plein d’avenir ;

La vallée du Saint-Maurice, à laquelle le chemin de fer des Trois-Rivières doit donner une grande impulsion colonisatrice et doit permettre de se relier en peu d’années aux établissements de la Rouge et du lac Témiscamingue. De ce grand lac au Saint-Maurice, nous pouvons coloniser jusqu’à une distance de 60 lieues du Saint-Laurent et de l’Ottawa, parfois même bien au-delà. Nous pouvons aussi placer, par cantons successifs, des millions d’habitants souvent sur des terres comparables à celles qui bordent le Saint-Laurent. Hélas ! à peine le cinquième de ce territoire est-il occupé ;

Que dirons-nous en outre du chemin de fer du lac Saint-Jean jusqu’à Chicoutimi et de celui des Basses Laurentides, qui tous deux vont donner une impulsion incalculable à la population de la vallée de ce magnifique lac dont les bonnes terres s’étendent au loin dans l’intérieur ? C’est là que les habitants du district de Québec trouveront de beaux héritages pour leurs enfants ; c’est là que les appellent dès aujourd’hui des parents et des amis qui ont créé nombre d’établissements déjà prospères.

J’attire l’attention du gouvernement sur la partie est du lac où les terres de la plaine sont remarquables par la qualité, le nombre et l’étendue. Il faut tenter de nouveaux efforts pour peupler de braves gens cette immense région qui est l’arrière pays de Québec. Cette ville de Québec a fait noblement son devoir en dotant la Compagnie du lac Saint-Jean. D’autres villes pourraient suivre son exemple et peupler de la même façon leur pays d’intérieur ; elles n’en auraient que plus d’honneur et trouveraient tout à y gagner pour leur crédit et leur commerce.

Rappelons enfin la Gaspésie, les cantons de l’Est, le comté de Bonaventure, et la fertile vallée de la Chaudière. Là aussi, nous devons apporter à la colonisation toute l’aide possible en complétant les chemins de fer qui y sont ébauchés, car il y reste encore une ample quantité de bonnes terres à livrer aux défricheurs.

Il ne faut pas oublier que la Gaspésie notamment contient un très grand nombre d’excellentes terres qui, partant des rivages du golfe Saint-Laurent ou de la baie des Chaleurs, se prolongent jusqu’à une distance de 20 à 30 milles dans l’intérieur. Voilà pourquoi le gouvernement a fait entreprendre une exploration s’étendant depuis New-Richmond jusqu’au bassin de Gaspé, afin de déterminer l’ouverture d’un chemin de colonisation au sein des belles terres de cette contrée.

Quant à la vallée de la Métapédiac, qui s’étend entre les comtés de Rimouski et de Bonaventure, dans le voisinage immédiat de la Gaspésie, sa fertilité est trop connue pour qu’il nous soit nécessaire d’y attirer spécialement l’attention.

Il faut diriger nos colons vers ces terres nouvelles qui offrent infiniment plus de ressources que l’existence aléatoire de la pêche.

Le gouvernement voit donc d’un bon œil toutes ces entreprises de chemin de fer, puisqu’il octroie des terres et de l’argent pour les faire réussir, et je dois ajouter que lorsque ces voies ferrées seront finies, des millions et des millions s’ajouteront à la richesse nationale, et c’est alors que la colonisation, prenant un essor inouï, nous grandira dans le présent et assurera notre avenir, pourvu qu’on ne veuille pas faire tout à la fois, que l’on procéde avec mesure et que l’on sache aller graduellement pour atteindre à l’ensemble.



III.


LE RAPATRIEMENT

Voilà une question qui s’agite depuis longtemps, et qui est de nature à flatter les sentiments les plus nobles et les plus légitimes de nos compatriotes.

Malgré les plus vifs désirs de voir se réaliser ce projet que caressait avec plaisir mon imagination, j’en suis venu à la conclusion, après de nombreux efforts tentés concurremment avec le rév. Père Fournier, résidant aux États-Unis, que ce mouvement ne pouvait pas se faire avec le succès que j’avais rêvé.

Les Canadiens fixés aux États-Unis peuvent être classés en trois catégories : ceux qui sont riches ou vivent avec aisance ; ceux qui sont nés aux États et sont accoutumés à la vie des manufactures ; ceux qui sont des cultivateurs originaires du Canada, ont vécu au pays, et pleurent la patrie absente.

Quant aux deux premières classes, nous les recevrons toujours à bras ouverts, mais il ne serait pas prudent de les déranger de leurs occupations lucratives ou d’un état auprès duquel celui de défricheur parait beaucoup trop dur. Ce sont des frères qui perpétuent nos traditions avec honneur aux États-Unis : ils ont toujours une grande place dans notre cœur !

Quant à la troisième classe qui mérite aussi toute notre affection, nous n’avons pas oublié ses aspirations patriotiques vers nous. C’est pour cela que nous avons envoyé des agents aux États-Unis pour attirer l’attention de ces braves gens sur leur pays d’origine, et les inviter à y rentrer en leur signalant les avantages que va nous donner l’extension des chemins de fer dans nos terres colonisables.



IV.


IMMIGRATION

Notre mission, en qualité de Canadiens, est d’établir la moitié de l’Amérique Septentrionale, puisque c’est là l’étendue qu’occupe le Dominion. Il y aura là, un jour, place pour une nation de 50 millions d’hommes.

La province de Québec, à l’heure qu’il est, à peu de chose près, est aussi grande que la France, et c’est à peine si un quinzième de son territoire est peuplé.

À l’exemple de la Russie, nous deviendrons la nation du Nord, composée de différents éléments, greffée sur le tronc canadien et nourrie de la même sève. Le nom canadien flatte mon oreille, réjouit mon âme quand je pense au passé, au présent et à l’avenir. Toutes les nations européennes ont été formées de différents peuples qui, dans le cours des siècles, sont devenus homogènes sous le même nom, tout en gardant les traces typiques de leur origine : exemple, les peuples de l’Angleterre et de la France dans les veines desquels coule le sang de plusieurs races.

Il est impossible, par notre propre force vitale, d’établir rapidement cet immense pays, de profiter de suite de ses ressources extraordinaires, sans appeler à notre secours, comme l’ont fait les États-Unis, le surplus des populations de l’Europe, chez lesquelles bon nombre d’habitants, mêmes riches, sont fatigués des crises périodiques qui chassent le bonheur du foyer et sont tourmentés par les inquiétudes que font naître en eux les révolutions, les guerres et les grèves qui sont toujours à l’état latent. Le Canada leur offre un des meilleurs champs du monde pour jouir de la vie heureuse, calme et paisible, pour placer avec sécurité leurs capitaux et exercer leurs talents, leurs aptitudes pour le commerce, les arts et métiers, et particulièrement pour l’agriculture.

Voilà pourquoi nous faisons notre part dans ce travail d’immigration, et je dois dire que, relativement à l’argent que nous dépensons dans ce but, le succès couronne nos efforts, grâce au travail intelligent de nos agents d’immigration : MM. Marquette, Bodard et Foursin.

Notre action serait plus efficace si la Chambre, considérant les graves questions d’avenir qui sont en jeu, voulait augmenter l’article du budget qui a trait à cette partie de nos opérations.

Sur ce point, nous n’avons pas, il est vrai, les avantages du gouvernement fédéral qui, par ses douanes, est payé en retour de ses dépenses d’au moins $4.00 à $5.00 par tête annuellement, tandis que nous, comme gouvernement, nous avons des dépenses à encourir sans profit direct.

L’augmentation du subside fédéral, à chaque recensement, nous dédommagerait en partie de nos sacrifices : mais comme nous ne devons pas y penser pour le moment, faisons toujours notre devoir au sujet de l’immigration étrangère et espérons que, tôt ou tard, nous recueillerons les fruits de notre bonne volonté.

Il faut dire que nous recherchons non pas la quantité mais la qualité des immigrants, et surtout ceux qui peuvent disposer d’un petit capital et l’employer à l’agriculture.

J’ai l’honneur d’être, monsieur le ministre,
Votre très humble et obéissant serviteur,
A. LABELLE, Ptre.,
Assistant-Commissaire.