Considérations sur … la Révolution Française/Sixième partie/XI

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CHAPITRE XI.

Du mélange de la religion avec la politique.

ON dit beaucoup que la France est devenue irréligieuse depuis la révolution. Sans doute, à l’époque de tous les crimes, les hommes qui les commettoient devoient secouer le frein le plus sacré. Mais la disposition générale des esprits, maintenant, ne tient point à des causes funestes heureusement très-loin de nous. La religion en France, telle que les prêtres l’ont prêchée, a toujours été mêlée avec la politique ; et depuis le temps où les papes délioient les sujets de leur serment de fidélité envers les rois, jusqu’au dernier catéchisme sanctionné par la grande majorité du clergé françois, catéchisme dans lequel, comme nous avons vu, ceux qui n’aimeroient pas et ne serviroient pas l’empereur Napoléon, étoient menacés de la damnation éternelle, il n’est pas une époque où les interprètes de la religion ne s’en soient servis pour établir des dogmes politiques, tous différens suivant les circonstances. Au milieu de ces changemens, la seule chose invariable a été l’intolérance envers tout ce qui n’étoit pas conforme à la doctrine dominante. Jamais la religion n’a été représentée seulement comme le culte le plus intime de l’âme, sans nul rapport avec les intérêts de ce monde.

L’on encourt le reproche d’irréligion, quand on n’est pas de l’avis des autorités ecclésiastiques sur les affaires de gouvernement ; mais tel homme s’irrite contre ceux qui veulent lui imposer leur manière de voir en politique, qui n’en est pas moins très-bon chrétien. Il ne s’ensuit pas de ce que la France veut la liberté et l’égalité devant la loi, qu’elle ne soit pas chrétienne ; tout au contraire, car le christianisme est éminemment d’accord avec cette opinion. Aussi, le jour où l’on cessera de réunir ce que Dieu a séparé, la religion et la politique, le clergé aura moins de crédit et de puissance, mais la nation sera sincèrement religieuse. Tout l’art des privilégiés des deux classes est d’établir que l’on est un factieux si l’on veut une constitution, et un incrédule si l’on redoute l’influence des prêtres dans les affaires de ce monde. Cette tactique est très-connue, car elle n’est que renouvelée, aussi bien que tout le reste.

Les sermons, en France comme en Angleterre, dans les temps de parti, ont souvent porté sur des questions politiques, et je crois qu’ils ont très-mal édifié les personnes d’une opinion contraire qui les écoutaient. L’on a peu d’égards pour celui qui nous prêche le matin, s’il a fallu se disputer avec lui la veille ; et la religion souffre de la haine que les questions politiques inspirent contre les ecclésiastiques qui s’en mêlent.

Il seroit injuste de prétendre que la France est irréligieuse, parce qu’elle n’applique pas toujours au gré de quelques membres du clergé, le fameux texte que toute puissance vient de Dieu, texte dont l’explication sincère est facile, mais qui a merveilleusement servi les traités que le clergé a faits avec tous les gouvernemens, quand ils se sont appuyés sur le droit divin de la force. À cette occasion, je citerai quelques passages de l’instruction pastorale de monseigneur l’évêque de Troyes, qui, dans le temps où il étoit aumônier de Bonaparte, a fait, à l’occasion du baptême du roi de Rome, un discours au moins aussi édifiant que celui dont nous allons nous occuper. Nous n’avons pas besoin de dire que cette instruction est de 1816 : on peut reconnaître toujours en France la date d’un écrit par les opinions qu’il contient.

Mgr. l’évêque de Troyes dit : « La France veut son roi, mais son roi légitime, parce que la légitimité est le premier trésor d’un peuple, et un bienfait d’autant plus inappréciable qu’il peut suppléer à tous les autres, et qu’aucun autre ne peut y suppléer. » Arrêtons-nous un moment pour plaindre l’homme qui pense ainsi, d’avoir servi si bien et si long-temps Napoléon. Quel effort, quelle contrainte ! Mais, au reste, l’évêque de Troyes ne fait rien de plus à cet égard, que bien d’autres qui occupent encore des places ; et il faut lui rendre au moins la justice qu’il ne provoque pas la proscription de ses compagnons de service auprès de Napoléon : c’est beaucoup.

Je laisserai de côté le langage de flatterie de l’auteur du mandement, langage qu’on devroit d’autant moins se permettre envers la puissance, qu’on la respecte davantage. Passons à quelque chose de moins bénin : « La France veut son roi, mais en le voulant, elle ne prétend pas qu’elle puisse en vouloir un autre ; et heureusement qu’elle n’a pas ce droit funeste. Loin de nous cette pensée, que les rois tiennent des peuples leur autorité, et que la faculté qu’ils peuvent avoir eue de les choisir, emporte celle de les révoquer … Non, il n’est pas vrai que le peuple soit souverain, ni que les rois soient ses mandataires … C’est le cri des séditieux, c’est le rêve des indépendans, c’est la chimère immonde de la turbulente démagogie, c’est le mensonge le plus cruel qu’aient pu faire nos vils tyrans, pour tromper la multitude. Il n’est pas dans notre dessein de réfuter sérieusement cette souveraineté désastreuse … Mais il est de notre devoir de réclamer ici, au nom de la religion, contre cette doctrine anarchique et antisociale, qu’a vomie au milieu de nous la lave révolutionnaire, et de prémunir les fidèles confiés à nos soins contre cette double hérésie, et politique et religieuse, également réprouvée et des plus grands docteurs, et des plus grands législateurs, non moins contraire au droit naturel qu’au droit divin, et non moins destructive de l’autorité des rois que de l’autorité de Dieu. » L’évêque de Troyes en effet ne traite pas sérieusement cette question, qui avoit pourtant paru digne de l’attention de quelques penseurs ; mais il est plus commode de faire d’un principe une hérésie que de l’approfondir par la discussion. Il y a cependant quelques chrétiens en Angleterre, en Amérique, en Hollande ; et, depuis que l’ordre social est fondé, l’on a vu d’honnêtes gens croire que tous les pouvoirs émanoient des nations, sans lesquelles il n’y auroit point de pouvoirs. C’est ainsi qu’en se servant de la religion pour diriger la politique, on est dans le cas de faire chaque jour des complaintes sur l’impiété des François ; cela veut tout simplement dire qu’il y a en France beaucoup d’amis de la liberté qui sont d’avis qu’il doit exister un pacte entre les nations et les monarques. Il me semble qu’on peut croire en Dieu et penser ainsi.

Par une contradiction singulière, ce même évêque, si orthodoxe en politique, cite le fameux passage qui lui a sans doute servi à se justifier à ses propres yeux, quand il étoit l’aumônier de l’usurpateur : Toute puissance vient de Dieu ; et qui résiste à la puissance résiste à Dieu même. « Voilà, N. T. C. F., le droit public de la religion, sans lequel personne n’a le droit de commander, ni l’obligation d’obéir. Voilà cette souveraineté première de laquelle découlent toutes les autres, et sans laquelle toutes les autres n’auroient ni base, ni sanction ; c’est la seule constitution qui soit faite pour tous les lieux comme pour tous les temps ; la seule avec laquelle on pourroit se passer de toutes les autres, et sans laquelle aucune ne pourroit se soutenir ; la seule qui ne peut jamais être sujette à révision ; la seule à laquelle aucune faction ne sauroit toucher, et contre laquelle aucune rébellion ne sauroit prévaloir ; contre laquelle enfin ne peuvent rien ni les peuples, ni les rois, ni les maîtres, ni les sujets ; toute puissance vient de Dieu ; et qui résiste à la puissance résiste à Dieu même. » Peut-on, en peu de paroles, rassembler plus d’erreurs funestes et de calculs serviles ? Ainsi Néron et Robespierre, ainsi Louis XI et Charles IX, les plus sanguinaires des hommes, devroient être obéis, si celui qui résiste à la puissance résiste à Dieu même ! Les nations ou leurs représentans sont le seul pouvoir qu’il faille excepter de ce respect implicite pour l’autorité. Quand deux partis dans l’état luttent ensemble, comment saisir le moment où l’un des deux devient sacré, c’est-à-dire le plus fort ? Ils avoient donc tort, les François qui n’ont pas quitté le roi pendant vingt-cinq ans d’exil ! car, certes, dans ce temps c’étoit à Bonaparte qu’on ne pouvoit contester le droit que monseigneur l’évêque de Troyes proclame, celui de la puissance. Dans quelles absurdités tombent les écrivains qui veulent mettre en théories, en dogmes, en maximes, leurs intérêts de chaque jour ! En vérité, le glaive déprave beaucoup moins que la parole, lorsqu’on en fait un tel usage. On a cent fois répété que cette phrase de l’Évangile : Toute puissance vient de Dieu, et l’autre : Rendez à César ce qui appartient à César, avoient uniquement pour but d’écarter toute discussion politique. Jésus-Christ vouloit que la religion qu’il annonçoit fût considérée par les Romains comme tout-à-fait étrangère aux affaires publiques : « Mon règne n’est pas de ce monde, » disoit-il. Tout ce qu’on demande aux ministres du culte, c’est de remplir, à cet égard comme à tous les autres, les intentions de Jésus-Christ.

« Établissez, Seigneur, dit le prophète, un législateur au-dessus d’eux, afin que les nations sachent qu’elles sont des hommes. » Il ne seroit pas mal non plus que les rois sussent qu’ils sont des hommes, et certainement ils doivent l’ignorer, s’ils ne contractent point d’engagement envers la nation qu’ils gouvernent. Quand le prophète prie Dieu d’établir un roi, c’est comme tous les hommes religieux prient Dieu de présider à chacun des événemens de cette vie ; mais comment une dynastie est-elle spécialement établie par la Providence ? Est-ce la prescription qui est le signe de la mission divine ? Les papes ont excommunié, déposé des rois de toute ancienneté ; ils ont exclu Henri IV pour cause de religion ; et des motifs puissans ont déterminé nouvellement un pape à concourir au couronnement de Bonaparte. Ce sera donc au clergé à déclarer, quand il le faudra, que telle dynastie, et non pas telle autre, est choisie par la volonté de Dieu. Mais suivons l’instruction pastorale : Établissez un législateur, c’est-à-dire un roi qui est le législateur par excellence, et sans lequel il ne peut y avoir de loi : un législateur suprême qui parlera, et qui fera des lois en votre nom : un législateur, et non plusieurs ; car plus il y en auroit, et moins bien les lois seroient faites : un législateur avec une autorité sans rivalité, pour qu’il puisse faire le bien sans obstacle : un législateur qui, soumis lui-même à ses propres lois, ne pourra soumettre personne ni à ses passions, ni à ses caprices : enfin, un législateur qui, ne faisant que des lois justes, conduira par là même son peuple à la liberté véritable. » Un homme qui fera les lois à lui seul n’aura ni passions ni caprices ! un homme entouré de tous les piéges de la royauté, sera le législateur unique d’un peuple, et il ne fera que des lois justes ! Certes, il n’y a pas d’exemple du contraire ; on n’a point vu des rois abuser de leur pouvoir ; point de prêtres, tels que les cardinaux de Lorraine, Richelieu, Mazarin, Dubois, qui les y aient excités ! Et comment cette doctrine est-elle conciliable avec la charte constitutionnelle que le roi lui-même a jurée ? Ce roi que la France veut, car l’évêque de Troyes se permet pourtant de le dire, quoique, selon lui, la France n’ait aucun droit à cet égard ; ce roi, qui est établi par le Seigneur, a promis sur serment qu’il y auroit plusieurs législateurs, et non un seul, quoique monseigneur l’évêque de Troyes prétende que plus il y en auroit, moins les lois seroient bien faites. Ainsi, les connoissances acquises par l’administration ; ainsi, les vœux recueillis dans les provinces par ceux qui y habitent ; ainsi, la sympathie qui naît des mêmes besoins et des mêmes souffrances, tout cela ne vaut pas les lumières d’un roi tout seul qui se représente lui-même, pour me servir de l’expression un peu bizarre de M. l’évêque de Troyes. L’on croiroit avoir atteint à ce qui, dans ce genre, ne peut être surpassé, si ce qu’on va lire ne méritoit encore la préférence.

« Aussi, N. T. C. F., avons-nous vu ce sénat de rois, sous le nom de congrès, consacrer en principe la légitimité des dynasties royales, comme l’égide de leur trône et le plus sûr garant du bonheur des peuples et de la tranquillité des états. Nous sommes rois, ont-ils dit, parce que nous sommes rois : ainsi l’exigent l’ordre et la stabilité du monde social ; ainsi le veut notre propre sûreté ; et ils l’ont dit sans trop s’embarrasser s’ils n’étoient pas par là en opposition avec les idées dites libérales, et moins encore si le partage qu’ils faisoient des états qu’ils trouvoient à leur convenance, n’étoit pas le plus solennel démenti donné aux peuples souverains. » Ne croiroit-on pas que nous venons de citer la satire la plus ironique contre le congrès de Vienne, si l’on ne savoit que telle n’a pu être l’intention de l’auteur ? Mais quand on est arrivé à ce degré de déraison, l’on ne se doute pas non plus du ridicule, car la folie méthodique est très-sérieuse. Nous sommes rois, parce que nous sommes rois, fait-on dire aux souverains de l’Europe ; je suis celui qui suis, sont les paroles de Jéhovah dans la Bible ; et l’écrivain ecclésiastique se permet d’attribuer aux monarques ce qui ne peut convenir qu’à la Divinité. Les rois, dit-il, ne se sont pas embarrassés si le partage des états qu’ils trouvoient à leur convenance, étoit d’accord avec les idées dites libérales. Tant pis, en effet, s’ils ont réglé ce partage comme un compte de banquier, donnant des soldes à une certaine quantité d’âmes ou de fractions d’âmes, pour se faire une somme ronde de sujets ! Tant pis, s’ils n’ont consulté que leur convenance, sans songer aux intérêts et aux vœux des nations ! Mais les rois repoussent, n’en doutons pas, l’indigne éloge qui leur est ainsi adressé ; ils repoussent de même aussi, sans doute, le blâme que se permet contre eux l’évêque de Troyes, quoique ce blâme renferme une odieuse flatterie sous la forme d’un reproche.

« Il est vrai qu’on en a vu plusieurs favoriser, au risque d’être en contradiction avec eux-mêmes, ces formes populaires, et autres théories nouvelles que leurs ancêtres ne connoissoient pas, et auxquelles, jusqu’à nos jours, leurs propres états avoient été étrangers sans qu’ils s’en fussent plus mal trouvés ; mais, nous ne craignons pas de le dire, c’est la maladie de l’Europe, et le symptôme le plus alarmant de sa décadence ; c’est par là que la Providence semble l’attaquer pour hâter sa dissolution. Ajoutons à cette manie de refondre les gouvernemens, et de les appuyer sur des livres, cette tendance des esprits novateurs à faire une fusion de tous les cultes, comme ils veulent en faire une de tous les partis, et à croire que l’autorité des princes acquiert pour elle-même toute la force et l’autorité qu’ils ôtent à la religion ; et nous aurons les deux plus grands dissolvans politiques qui puissent miner les empires, et avec lesquels l’Europe, tôt ou tard, doit tomber en lambeaux et en pourriture. » Voilà donc le but de toutes ces homélies en faveur du pouvoir absolu : c’est la tolérance religieuse qui doit faire tomber tôt ou tard l’Europe en lambeaux et en pourriture. L’opinion publique est favorable à cette tolérance ; donc il faut proscrire tout ce qui serviroit d’organe à l’opinion : alors le clergé de la seule religion permise sera riche et puissant ; car, d’une part, il se dira l’interprète de ce droit divin par lequel les rois régnent, et de l’autre, les peuples ne pouvant professer que le culte dominant, il faudra que les ecclésiastiques soient seuls chargés, ainsi qu’ils le demandent, de l’instruction publique, et qu’on leur remette la direction des consciences, qui s’appuie sur l’inquisition, comme le pouvoir arbitraire sur la police.

La fraternité de toutes les communions chrétiennes, telle que la sainte-alliance proposée par l’empereur Alexandre l’a fait espérer à l’humanité, est déjà condamnée par la censure portée contre la fusion des cultes. Quel ordre social ils nous proposent, ces partisans du despotisme et de l’intolérance, ces ennemis des lumières, ces adversaires de l’humanité, quand elle porte le nom de peuple et de nation ! Où faudroit-il fuir, s’ils commandoient ? Encore quelques mots sur cette instruction pastorale, dont le titre est si doux, et dont les paroles sont si amères.

« Hélas ! dit l’évêque de Troyes en s’adressant au roi, des séditieux, pour mieux nous asservir, commencent déjà à nous parler de nos droits, pour nous faire oublier les vôtres. Nous en avons, sans doute, sire, et ils sont aussi anciens que la monarchie. Le droit de vous appartenir comme au chef de la grande famille, et de nous dire vos sujets, puisque ce mot signifie vos enfants. » On ne peut s’empêcher de croire que l’écrivain, homme d’esprit, a souri lui-même, quand on a proposé pour unique droit au peuple françois, celui de se dire les sujets d’un monarque qui disposeroit selon son bon plaisir de leurs propriétés et de leurs vies. Les esclaves d’Alger peuvent se vanter du même genre de droit.

Enfin voici sur quoi repose tout l’échafaudage de sophismes qu’on prescrit comme un article de foi, parce que le raisonnement ne pourroit pas le soutenir. Quel usage du nom de Dieu ! et comment veut-on qu’une nation à qui l’on dit que c’est là de la religion, ne devienne pas incrédule, pour son malheur et pour celui du monde ?

« N. T. C. F., nous ne cesserons de vous répéter ce que Moïse disoit à son peuple : Interrogez vos ancêtres et le Dieu de vos pères, et remontez à la source. Songez que moins on s’écarte des chemins battus, et plus on est en sûreté …. Songez enfin que mépriser l’autorité des siècles, c’est mépriser l’autorité de Dieu, puisque c’est Dieu lui-même qui fait l’antiquité, et que vouloir y renoncer est toujours le plus grand des crimes, quand ce ne seroit pas le dernier des malheurs. » C’est Dieu qui fait l’antiquité, sans doute ; mais Dieu est aussi l’auteur du présent, dont l’avenir va dépendre. Quelle niaiserie que cette assertion, si elle ne contenoit pas un artifice habile ! et le voici : tous les honnêtes gens sont émus quand on leur parle de leurs ancêtres ; il semble que l’idée de leurs pères s’unisse toujours à celle du passé ; mais ce sentiment noble et pur conduit-il à rétablir la torture, la roue, l’inquisition, parce que, dans les siècles éloignés, de telles abominations étoient l’œuvre des mœurs barbares ? Peut-on soutenir ce qui est absurde et criminel, parce que l’absurde et le crime ont existé ? Nos pères n’ont-ils pas été coupables envers les leurs, quand ils ont adopté le christianisme et détruit l’esclavage ? Songez que moins on s’écarte des routes battues, plus on est en sûreté, dit monseigneur l’évêque de Troyes : mais pour que ces routes soient devenues des routes battues, il a fallu passer de l’antiquité à des temps plus rapprochés ; et nous voulons maintenant profiter des lumières de nos jours pour que la postérité ait aussi une antiquité qui vienne de nous, mais qu’elle pourra changer à son tour, si la Providence continue à protéger, comme elle l’a fait, les progrès de l’esprit humain dans toutes les directions.

Je ne me serois pas arrêtée si long-temps à l’écrit de l’évêque de Troyes, s’il ne renfermoit la quintessence de tout ce qu’on publie chaque jour en France. Le bon sens en réchappera-t-il ? Et, ce qui est pis encore, le sentiment religieux, sans lequel les hommes n’ont point d’asile en eux-mêmes, pourra-t-il résister à ce mélange de la politique et de la religion, qui porte le caractère évident de l’hypocrisie et de l’égoïsme ?