Considérations sur … la Révolution Française/Troisième partie/XII

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CHAPITRE XII.

Procès de Louis XVI.

QUEL sujet ! il a été traité tant de fois, que je ne me permets ici de retracer qu’un petit nombre d’observations particulières.

Au mois d’octobre 1792, avant que l’horrible procès du roi fût commencé, avant que Louis XVI eût nommé ses défenseurs, M. Necker se présenta pour être chargé de cette noble et périlleuse fonction. Il publia un mémoire que la postérité recueillera comme un des témoignages les plus vrais et les plus désintéressés qu’on pût rendre en faveur du vertueux monarque jeté dans les fers[1]. M. de Malesherbes fut choisi par le roi pour son avocat auprès de la convention nationale. L’affreuse mort de cet homme admirable et de sa famille l’emporte sur tout autre souvenir ; mais la haute raison et la sincère éloquence de l’écrit de M. Necker pour la défense du roi doivent en faire un document de l’histoire.

On ne pouvoit nier que Louis XVI, depuis son départ pour Varennes, ne se fût considéré comme captif, et en conséquence il n’avoit rien fait pour seconder l’établissement d’une constitution que les plus sincères efforts n’auroient peut-être pu maintenir. Mais avec quelle délicatesse M. Necker, qui croyoit toujours à la force de la vérité, ne la présente-t-il pas dans cette circonstance !

« Les hommes attentifs, les hommes justes admireront dans le roi la patience et la modération qu’il a montrées, lorsque tout changeoit autour de lui, et lorsqu’il étoit exposé sans cesse à tous les genres d’insultes ; mais s’il eût fait des fautes, s’il eût méconnu dans quelques points ses nouvelles obligations, ne seroit-ce pas à la nouvelle forme du gouvernement qu’il faudroit s’en prendre ? Ne seroit-ce pas à cette constitution, où un monarque n’étoit rien qu’en apparence ; où la royauté même se trouvoit hors de place ; où le chef du pouvoir exécutif ne pouvoit discerner ni ce qu’il étoit, ni ce qu’il devoit être ; où il étoit trompé jusque par les mots, et par les divers sens qu’on pouvoit leur donner ; où il étoit roi sans aucun ascendant ; où il occupoit le trône sans jouir d’aucun respect ; où il sembloit en possession du droit de commander, sans avoir le moyen de se faire obéir ; où il étoit successivement, et selon le libre arbitre d’une seule assemblée délibérante, tantôt un simple fonctionnaire public, et tantôt le représentant héréditaire de la nation ? Comment pourroit-on exiger d’un monarque, mis tout à coup dans les liens d’un système politique aussi obscur que bizarre, et finalement proscrit par les députés de la nation eux-mêmes ; comment pourroit-on exiger de lui d’être seul conséquent au milieu de la variation continuelle des idées ? Et ne seroit-ce pas une injustice extrême de juger un monarque sur tous ses projets, sur toutes ses pensées, dans le cours d’une révolution tellement extraordinaire, qu’il auroit eu besoin d’être en accord parfait, non seulement avec les choses connues, mais encore avec toutes celles dont on auroit vainement essayé de se former d’avance une juste idée ? »

M. Necker retrace ensuite dans son mémoire les bienfaits du règne de Louis XVI, avant la révolution ; les restes de la servitude abolis, la question préparatoire interdite, la corvée supprimée, les administrations provinciales établies, les états généraux convoqués. « N’est-ce pas Louis XVI, dit il, qui, en s’occupant sans cesse de l’amélioration des prisons et des hôpitaux, a porté les regards d’un père tendre et d’un ami pitoyable dans les asiles de la misère et dans les réduits de l’infortune ou de l’erreur ? N’est-ce pas lui qui, seul peut-être avec saint Louis, entre tous les chefs de l’empire François, a donné le rare exemple de la pureté des mœurs ? Ne lui accordera-t-on pas encore le mérite particulier d’avoir été religieux sans superstition, et scrupuleux sans intolérance ? Et n’est-ce pas de lui qu’une partie des habitans de la France (les protestants), persécutés sous tant de règnes, ont reçu non-seulement une sauvegarde légale, mais encore un état civil qui les admettoit au partage de tous les avantages de l’ordre social ? Ces bienfaits sont dans le temps passé ; mais la vertu de la reconnaissance s’applique-t-elle à d’autres époques, à d’autres portions de la vie ? »

On est encore plus frappé du manque d’égards envers Louis XVI, dans le cours de son procès, que de sa condamnation même. Quand le président de la convention dit à celui qui fut son roi : « Louis, vous pouvez vous asseoir ! » on se sent plus d’indignation que lors même qu’on le voit accuser de forfaits qu’il n’avoit jamais commis. Il faut être sorti de la poussière pour ne pas respecter de longs souvenirs, surtout quand le malheur les consacre ; et la vulgarité, jointe au crime, inspire autant de mépris que d’horreur. Aucun homme, vraiment supérieur, ne s’est fait remarquer parmi ceux qui ont entraîné la convention à condamner le roi ; le flot populaire s’élevoit et s’abaissoit à de certains mots, à de certaines phrases, sans que le talent d’un orateur aussi éloquent que Vergniaud pût influer sur les esprits. Il est vrai que la plupart des députés qui défendirent le roi dans la convention se mirent sur un détestable terrain. Ils commencèrent par déclarer qu’il étoit coupable ; l’un d’eux, entre autres, dit à la tribune que Louis XVI étoit un traitre, mais que la nation devoit lui pardonner ; et ils appeloient cela de la tactique d’assemblée ! Ils prétendoient qu’il falloit ménager l’opinion dominante, pour la modérer quand il en seroit temps. Comment, avec cette prudence cauteleuse, auroient-ils pu lutter contre leurs ennemis, qui s’élançoient de toutes leurs forces sur la victime ? En France, on capitule toujours avec la majorité, lors même qu’on veut la combattre ; et cette misérable adresse diminue certainement les moyens, au lieu de les accroître. La puissance de la minorité ne peut consister que dans l’énergie de la conviction. Qu’est-ce que des faibles en nombre, qui sont faibles aussi en sentiment ?

Saint-Just, après avoir cherché vainement des faits authentiques contre le roi, finit par s’écrier : « Nul ne peut régner innocemment, » et rien ne prouvoit mieux la nécessité de l’inviolabilité des rois que cette maxime ; car il n’est point de monarque qui ne pût être accusé d’une manière quelconque, si l’on ne mettoit pas une barrière constitutionnelle autour de lui. Celle qui environnoit le trône de Louis XVI devoit être sacrée plus qu’aucune autre, puisqu’elle n’étoit pas sous-entendue comme ailleurs, mais solennellement garantie.

Les girondins vouloient sauver le roi ; et, pour y parvenir, ils demandoient l’appel au peuple. Mais en demandant cet appel, ils ne cessoient de se mettre en mesure avec les jacobins, en répétant continuellement que le roi méritoit la mort. C’étoit désintéresser entièrement de sa cause. Louis XVI, dit Biroteau, est déjà condamné dans mon cœur ; mais je demande l’appel au peuple, afin qu’il soit condamné par lui. Les girondins avoient raison d’exiger un tribunal compétent, s’il pouvoit en exister un dans cette cause ; mais combien n’auroient-ils pas produit plus d’effet, s’ils l’avoient réclamé en faveur d’un innocent, au lieu de l’invoquer pour un prétendu coupable ? Les François, on ne sauroit trop le répéter, n’ont pas encore appris, dans la carrière civile, à être modérés quand ils sont forts, et hardis quand ils sont faibles ; ils devroient transporter dans la politique toutes leurs vertus guerrières, les affaires en iroient mieux.

Ce qu’on a le plus de peine à concevoir dans cette terrible discussion de la convention nationale, c’est l’abondance de paroles que chacun prodiguoit dans une semblable circonstance. On s’attendoit surtout à trouver dans ceux qui vouloient la mort du roi, une fureur concentrée ; mais montrer de l’esprit, mais faire des phrases : quelle persistance de vanité dans une telle scène !

Thomas Payne étoit le plus violent des démocrates américains ; cependant, comme il n’y avoit point de calcul ni d’hypocrisie dans ses exagérations en politique, quand il fut question du jugement de Louis XVI, il donna le seul avis qui pût encore honorer la France, s’il eût été adopté ; c’étoit d’offrir au roi l’asile de l’Amérique. Les Américains sont reconnaissans envers lui, disoit Payne, parce qu’il a favorisé leur indépendance. À ne considérer cette résolution que sous le point de vue républicain, c’étoit la seule qui pût affaiblir alors en France l’intérêt pour la royauté. Louis XVI n’avoit pas les talens qu’il faut pour reconquérir à main armée une couronne, et une situation qui n’auroit point excité la pitié n’eût pas fait naître le dévouement. La mort que l’on donnoit au plus honnête homme de France, mais en même temps au moins redoutable, à celui qui, pour ainsi dire, ne s’étoit pas mêlé de son sort, ne pouvoit être qu’un horrible hommage que l’on rendoit encore à son ancienne grandeur. Il y auroit eu plus de républicanisme dans une résolution qui auroit montré moins de crainte et plus de justice.

Louis XVI ne refusa point, comme Charles Ier, de reconnaître le tribunal devant lequel il fut traduit, et répondit à toutes les questions qui lui furent adressées, avec une douceur inaltérable. Le président demandant à Louis XVI pourquoi il avoit rassemblé les troupes au château, le 10 août, il répondit : Le château étoit menacé, toutes les autorités constituées l’ont vu ; et, comme j’étais moi-même une autorité constituée, il étoit de mon devoir de me défendre. Quelle manière modeste et indifférente de parler de soi, et par quel éclat d’éloquence pourroit-on attendrir plus profondément !

M. de Malesherbes, ancien ministre du roi, se présenta comme son défenseur. Il étoit l’un des trois hommes d’état, lui, M. Turgot et M. Necker, qui avoient conseillé à Louis XVI l’adoption volontaire des principes de la liberté. Il fut forcé, de même que les deux autres, à renoncer à sa place, à cause de ses opinions, dont les parlemens étoient ennemis ; et maintenant, malgré son âge avancé, il reparaissoit pour plaider la cause du roi en présence du peuple, comme jadis il avoit plaidé celle du peuple auprès du roi ; mais le nouveau maître fut implacable.

Garat, alors ministre de la justice, et, dans des temps plus heureux pour lui, l’un des meilleurs écrivains de France ; Garat, dis-je, a consigné dans ses mémoires particuliers que, lorsqu’il se vit réduit par sa funeste place à porter au roi la sentence qui le condamnoit à mort, le roi montra le calme le plus admirable en l’écoutant ; une fois seulement il exprima par un geste son mépris et son indignation : c’est à l’article qui l’accusoit d’avoir voulu verser le sang du peuple françois. Sa conscience se révolta, lorsque tous ses autres sentimens étoient contenus. Le matin même de son exécution, le roi dit à l’un de ses serviteurs : Vous irez vers la reine ; puis, se reprenant, il répéta : Vous irez vers ma femme. Il se soumettoit dans cet instant même à la privation de son rang, qui lui avoit été imposée par ses meurtriers. Sans doute, il croyoit que la destinée, en toutes choses, exécute les desseins de Dieu sur ses créatures.

Le testament du roi fait connaître tout son caractère. La simplicité la plus touchante y règne : chaque mot est une vertu, et l’on y voit toutes les lumières qu’un esprit juste, dans de certaines bornes, et une bonté infinie peuvent inspirer. La condamnation de Louis XVI a tellement ému tous les cœurs, que la révolution, pendant plusieurs années, en a été comme maudite.

  1. L’on séquestra la fortune de M. Necker en France, à compter du jour même où parut son mémoire justilicatif de Louis XVI.