Consuelo/Chapitre II

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Michel Lévy (tome Ip. 10-21).

II.

Ceci se passait à Venise il y a environ une centaine d’années, dans l’église des Mendicanti, où le célèbre maestro Porpora venait d’essayer la répétition de ses grandes vêpres en musique, qu’il devait y diriger le dimanche suivant, jour de l’Assomption. Les jeunes choristes qu’il avait si vertement gourmandées étaient des enfants de ces scuole, où elles étaient instruites aux frais de l’État, pour être par lui dotées ensuite, soit pour le mariage, soit pour le cloître, dit Jean-Jacques Rousseau, qui admira leurs voix magnifiques vers la même époque, dans cette même église. Lecteur, tu ne te rappelles que trop ces détails, et un épisode charmant raconté par lui à ce propos dans le livre viii des Confessions. Je n’aurai garde de transcrire ici ces adorables pages, après lesquelles tu ne pourrais certainement pas te résoudre à reprendre les miennes ; et bien autant ferais-je à ta place, ami lecteur. J’espère donc que tu n’as pas en ce moment les Confessions sous la main, et je poursuis mon conte.

Toutes ces jeunes personnes n’étaient pas également pauvres, et il est bien certain que, malgré la grande intégrité de l’administration, quelques-unes se glissaient là, pour lesquelles c’était plutôt une spéculation qu’une nécessité de recevoir, aux frais de la République, une éducation d’artiste et des moyens d’établissement. C’est pourquoi quelques-unes se permettaient d’oublier les saintes lois de l’égalité, grâce auxquelles on les avait laissées s’asseoir furtivement sur les mêmes bancs que leurs pauvres sœurs. Toutes aussi ne remplissaient pas les vues austères que la République avait sur leur sort futur. Il s’en détachait bien quelqu’une de temps en temps, qui, ayant profité de l’éducation gratuite, renonçait à la dot pour chercher ailleurs une plus brillante fortune. L’administration, voyant que cela était inévitable, avait quelquefois admis aux cours de musique les enfants des pauvres artistes dont l’existence nomade ne permettait pas un bien long séjour à Venise. De ce nombre était la petite Consuelo, née en Espagne, et arrivée de là en Italie en passant par Saint-Pétersbourg, Constantinople, Mexico, ou Arkangel, ou par toute autre route encore plus directe à l’usage des seuls bohémiens.

Bohémienne, elle ne l’était pourtant que de profession et par manière de dire ; car de race, elle n’était ni gitana ni indoue, non plus qu’israélite en aucune façon. Elle était de bon sang espagnol, sans doute mauresque à l’origine, car elle était passablement brune, et toute sa personne avait une tranquillité qui n’annonçait rien des races vagabondes. Ce n’est point que de ces races-là je veuille médire. Si j’avais inventé le personnage de Consuelo, je ne prétends point que je ne l’eusse fait sortir d’Israël, ou de plus loin encore ; mais elle était formée de la côte d’Ismaël, tout le révélait dans son organisation. Je ne l’ai point vue, car je n’ai pas encore cent ans, mais on me l’a affirmé, et je n’y puis contredire. Elle n’avait pas cette pétulance fébrile interrompue par des accès de langueur apathique qui distingue les zingarelle. Elle n’avait pas la curiosité insinuante et la mendicité tenace d’une ebbrea indigente. Elle était aussi calme que l’eau des lagunes, et en même temps aussi active que les gondoles légères qui en sillonnent incessamment la face.

Comme elle grandissait beaucoup, et que sa mère était fort misérable, elle portait toujours ses robes trop courtes d’une année ; ce qui donnait à ses longues jambes de quatorze ans, habituées à se montrer en public, une sorte de grâce sauvage et d’allure franche qui faisait plaisir et pitié à voir. Si son pied était petit, on ne le pouvait dire, tant il était mal chaussé. En revanche, sa taille, prise dans des corps devenus trop étroits et craqués à toutes les coutures, était svelte et flexible comme un palmier, mais sans forme, sans rondeur, sans aucune séduction. La pauvre fille n’y songeait guère, habituée qu’elle était à s’entendre traiter de guenon, de cédrat, et de moricaude, par les blondes, blanches et replètes filles de l’Adriatique. Son visage tout rond, blême et insignifiant, n’eût frappé personne, si ses cheveux courts, épais et rejetés derrière ses oreilles, en même temps que son air sérieux et indifférent à toutes les choses extérieures, ne lui eussent donné une certaine singularité peu agréable. Les figures qui ne plaisent pas perdent de plus en plus la faculté de plaire. L’être qui les porte, indifférent aux autres, le devient à lui-même, et prend une négligence de physionomie qui éloigne de plus en plus les regards. La beauté s’observe, s’arrange, se soutient, se contemple, et se pose pour ainsi dire sans cesse dans un miroir imaginaire placé devant elle. La laideur s’oublie et se laisse aller. Cependant il en est de deux sortes : l’une qui souffre et proteste sans cesse contre la réprobation générale par une habitude de rage et d’envie : ceci est la vraie, la seule laideur ; l’autre, ingénue, insouciante, qui prend son parti, qui n’évite et ne provoque aucun jugement, et qui gagne le cœur tout en choquant les yeux : c’était la laideur de Consuelo. Les personnes généreuses qui s’intéressaient à elle regrettaient d’abord qu’elle ne fût pas jolie ; et puis, se ravisant, elles disaient, en lui prenant la tête avec cette familiarité qu’on n’a pas pour la beauté : « Eh bien, toi, tu as la mine d’une bonne créature » ; et Consuelo était fort contente, bien qu’elle n’ignorât point que cela voulait dire : « Tu n’as rien de plus. »

Cependant le jeune et beau seigneur qui lui avait offert de l’eau bénite resta auprès de la coupe lustrale, jusqu’à ce qu’il eût vu défiler l’une après l’autre jusqu’à la dernière des scolari. Il les regarda toutes avec attention, et lorsque la plus belle, la Clorinda, passa près de lui, il lui donna l’eau bénite avec ses doigts, afin d’avoir le plaisir de toucher les siens. La jeune fille rougit d’orgueil, et passa outre, en lui jetant ce regard, mêlé de honte et d’audace, qui n’est l’expression ni de la fierté ni de la pudeur.

Dès qu’elles furent rentrées dans l’intérieur du couvent, le galant patricien revint sous la nef, et abordant le professeur qui descendait plus lentement de la tribune : « Par le corps de Bacchus ! vous allez me dire, mon cher maître, s’écria-t-il, laquelle de vos élèves a chanté le Salve Regina.

— Et pourquoi voulez-vous le savoir, comte Zustiniani ? répondit le professeur en sortant avec lui de l’église.

— Pour vous en faire mon compliment, reprit le patricien. Il y a longtemps que je suis, non-seulement vos vêpres, mais jusqu’à vos exercices ; car vous savez combien je suis dilettante de musique sacrée. Eh bien, voici la première fois que j’entends chanter du Pergolèse d’une manière aussi parfaite ; et quant à la voix, c’est certainement la plus belle que j’aie rencontrée dans ma vie.

— Par le Christ ! je le crois bien ! répliqua le professeur en savourant une large prise de tabac avec complaisance et dignité.

— Dites-moi donc le nom de la créature céleste qui m’a jeté dans de tels ravissements. Malgré vos sévérités et vos plaintes continuelles, on peut dire que vous avez fait de votre école une des meilleures de toute l’Italie ; vos chœurs sont excellents, et vos solos fort estimables ; mais la musique que vous faites exécuter est si grande, si austère, que bien rarement de jeunes filles peuvent en faire sentir toutes les beautés…

— Elles ne les font point sentir, dit le professeur avec tristesse, parce qu’elles ne les sentent point elles-mêmes ! Pour des voix fraîches, étendues, timbrées, nous n’en manquons pas, Dieu merci ! mais pour des organisations musicales, hélas ! qu’elles sont rares et incomplètes !

— Du moins vous en possédez une admirablement douée : l’instrument est magnifique, le sentiment parfait, le savoir remarquable. Nommez-la-moi donc.

— N’est-ce pas, dit le professeur en éludant la question, qu’elle vous a fait plaisir ?

— Elle m’a pris au cœur, elle m’a arraché des larmes, et par des moyens si simples, par des effets si peu cherchés, que je n’y comprenais rien d’abord. Et puis, je me suis rappelé ce que vous m’avez dit tant de fois en m’enseignant votre art divin, ô mon cher maître ! et pour la première fois, moi j’ai compris combien vous aviez raison.

— Et qu’est-ce que je vous disais ? reprit encore le maestro d’un air de triomphe.

— Vous me disiez, répondit le comte, que le grand, le vrai, le beau dans les arts, c’était le simple.

— Je vous disais bien aussi qu’il y avait le brillant, le cherché, l’habile, et qu’il y avait souvent lieu d’applaudir et de remarquer ces qualités-là ?

— Sans doute ; mais de ces qualités secondaires à la vraie manifestation du génie, il y a un abîme, disiez-vous. Eh bien, cher maître ! votre cantatrice est seule d’un côté, et toutes les autres sont en deçà.

— C’est vrai, et c’est bien dit, observa le professeur se frottant les mains.

— Son nom ? reprit le comte.

— Quel nom ? dit le malin professeur.

— Et, per Dio santo ! celui de la sirène ou plutôt de l’archange que je viens d’entendre.

— Et qu’en voulez-vous faire de son nom, seigneur comte ? répliqua le Porpora d’un ton sévère.

— Monsieur le professeur, pourquoi voulez-vous m’en faire un secret ?

— Je vous dirai pourquoi, si vous commencez par me dire à quelles fins vous le demandez si instamment.

— N’est-ce pas un sentiment bien naturel et véritablement irrésistible, que celui qui nous pousse à connaître, à nommer et à voir les objets de notre admiration ?

— Eh bien, ce n’est pas là votre seul motif ; laissez-moi, cher comte, vous donner ce démenti. Vous êtes grand amateur, et bon connaisseur en musique, je le sais : mais vous êtes, par-dessus tout, propriétaire du théâtre San-Samuel. Vous mettez votre gloire, encore plus que votre intérêt, à attirer les plus beaux talents et les plus belles voix d’Italie. Vous savez bien que nous donnons de bonnes leçons ; que chez nous seulement se font les fortes études et se forment les grandes musiciennes. Vous nous avez déjà enlevé la Corilla ; et comme elle vous sera peut-être enlevée au premier jour par un engagement avec quelque autre théâtre, vous venez rôder autour de notre école, pour voir si nous ne vous avons pas formé quelque nouvelle Corilla que vous vous tenez prêt à capturer… Voilà la vérité, monsieur le comte : avouez que j’ai dit la vérité.

— Et quand cela serait, cher maestro, répondit le comte en souriant, que vous importe, et quel mal y trouvez-vous ?

— J’en trouve un fort grand, seigneur comte ; c’est que vous corrompez, vous perdez ces pauvres créatures.

— Ah çà, comment l’entendez-vous, farouche professeur ? Depuis quand vous faites-vous le père gardien de ces vertus fragiles ?

— Je l’entends comme il faut, monsieur le comte, et ne me soucie ni de leur vertu, ni de leur fragilité ; mais je me soucie de leur talent, que vous dénaturez et que vous avilissez sur vos théâtres, en leur donnant à chanter de la musique vulgaire et de mauvais goût. N’est-ce point une désolation, une honte de voir cette Corilla, qui commençait à comprendre grandement l’art sérieux, descendre du sacré au profane, de la prière au badinage, de l’autel au tréteau, du sublime au ridicule, d’Allegri et de Palestrina à Albinoni et au barbier Apollini ?

— Ainsi vous refusez, dans votre rigorisme, de me nommer cette fille, sur laquelle je ne puis avoir des vues, puisque j’ignore si elle possède d’ailleurs les qualités requises pour le théâtre ?

— Je m’y refuse absolument.

— Et vous pensez que je ne le découvrirai pas ?

— Hélas ! vous le découvrirez, si telle est votre détermination : mais je ferai tout mon possible pour vous empêcher de nous l’enlever.

— Eh bien, maître, vous êtes déjà à moitié vaincu ; car je l’ai vue, je l’ai devinée, je l’ai reconnue, votre divinité mystérieuse.

— Oui da ? dit le maître d’un air méfiant et réservé ; en êtes-vous bien sûr ?

— Mes yeux et mon cœur me l’ont révélée, et je vais vous faire son portrait pour vous en convaincre. Elle est grande : c’est, je crois, la plus grande de toutes vos élèves ; elle est blanche comme la neige du Frioul, et rose comme l’horizon au matin d’un beau jour ; elle a des cheveux dorés, des yeux d’azur, un aimable embonpoint, et porte au doigt un petit rubis qui m’a brûlé en effleurant ma main comme l’étincelle d’un feu magique.

— Bravo ! s’écria le Porpora d’un air narquois. Je n’ai rien à vous cacher, en ce cas ; et le nom de cette beauté, c’est la Clorinda. Allez donc lui faire vos offres séduisantes ; donnez-lui de l’or, des diamants et des chiffons. Vous l’engagerez facilement dans votre troupe, et elle pourra peut-être vous remplacer la Corilla ; car le public de vos théâtres préfère aujourd’hui de belles épaules à de beaux sons, et des yeux hardis à une intelligence élevée.

— Me serais-je donc trompé, mon cher maître ? dit le comte un peu confus ; la Clorinda ne serait-elle qu’une beauté vulgaire ?

— Et si ma sirène, ma divinité, mon archange, comme il vous plaît de l’appeler, n’était rien moins que belle ? reprit le maître avec malice.

— Si elle était difforme, je vous supplierais de ne jamais me la montrer, car mon illusion serait trop cruellement détruite. Si elle était seulement laide, je pourrais l’adorer encore ; mais je ne l’engagerais pas pour le théâtre, parce que le talent sans la beauté n’est parfois qu’un malheur, une lutte, un supplice pour une femme. Que regardez-vous, maestro, et pourquoi vous arrêtez-vous ainsi ?

— Nous voici à l’embarcadère où se tiennent les gondoles, et je n’en vois aucune. Mais vous, comte, que regardez-vous ainsi par là ?

— Je regarde si ce jeune gars, que vous voyez assis sur les degrés de l’embarcadère auprès d’une petite fille assez vilaine, n’est point mon protégé Anzoleto, le plus intelligent et le plus joli de nos petits plébéiens. Regardez-le, cher maestro, ceci vous intéresse comme moi. Cet enfant a la plus belle voix de ténor qui soit dans Venise ; il a un goût passionné pour la musique et des dispositions incroyables. Il y a longtemps que je veux vous parler de lui et vous prier de lui donner des leçons. Celui-là, je le destine véritablement à soutenir le succès de mon théâtre, et dans quelques années, j’espère être bien récompensé de mes soins. Holà, Zoto ! viens ici, mon enfant, que je te présente à l’illustre maître Porpora.

Anzoleto tira ses jambes nues de l’eau, où elles pendaient avec insouciance tandis qu’il s’occupait à percer d’une grosse aiguille ces jolis coquillages qu’on appelle poétiquement à Venise fiori di mare. Il avait pour tout vêtement une culotte fort râpée et une chemise assez fine, mais fort déchirée, à travers laquelle on voyait ses épaules blanches et modelées comme celles d’un petit Bacchus antique. Il avait effectivement la beauté grecque d’un jeune faune, et sa physionomie offrait le mélange singulier, mais bien fréquent dans ces créations de la statuaire païenne, d’une mélancolie rêveuse et d’une ironique insouciance. Ses cheveux crépus, bien que fins, d’un blond vif un peu cuivré par le soleil, se roulaient en mille boucles épaisses et courtes autour de son cou d’albâtre. Tous ses traits étaient d’une perfection incomparable ; mais il y avait, dans le regard pénétrant de ses yeux noirs comme l’encre, quelque chose de trop hardi qui ne plut pas au professeur. L’enfant se leva bien vite à la voix de Zustiniani, jeta tous ses coquillages sur les genoux de la petite fille assise à côté de lui, et tandis que celle-ci, sans se déranger, continuait à les enfiler et à les entremêler de petites perles d’or, il s’approcha, et vint baiser la main du comte, à la manière du pays.

— Voici en effet un beau garçon, dit le professeur en lui donnant une petite tape sur la joue. Mais il me paraît occupé à des amusements bien puérils pour son âge : car enfin il a bien dix-huit ans, n’est-ce pas ?

— Dix-neuf bientôt, sior profesor, répondit Anzoleto dans le dialecte vénitien ; mais si je m’amuse avec des coquilles, c’est pour aider la petite Consuelo qui fabrique des colliers.

— Consuelo, répondit le maître en se rapprochant de son élève avec le comte et Anzoleto, je ne croyais pas que tu eusses le goût de la parure.

— Oh ! ce n’est pas pour moi, monsieur le professeur, répondit Consuelo en se levant à demi avec précaution pour ne pas faire tomber dans l’eau les coquilles entassées dans son tablier ; c’est pour le vendre, et pour acheter du riz et du maïs.

— Elle est pauvre, et elle nourrit sa mère, dit le Porpora. Écoute, Consuelo : quand vous êtes dans l’embarras, ta mère et toi, il faut venir me trouver ; mais je te défends de mendier, entends-tu bien ?

— Oh ! vous n’avez que faire de le lui défendre, sior profesor, répondit vivement Anzoleto ; elle ne le ferait pas ; et puis, moi, je l’en empêcherais.

— Mais toi, tu n’as rien ? dit le comte.

— Rien que vos bontés, seigneur illustrissime ; mais nous partageons, la petite et moi.

— Elle donc ta parente ?

— Non, c’est une étrangère, c’est Consuelo.

— Consuelo ? quel nom bizarre ! dit le comte.

— Un beau nom, illustrissime, reprit Anzoleto ; cela veut dire consolation.

— À la bonne heure. Elle est ton amie, à ce qu’il me semble ?

— Elle est ma fiancée, seigneur.

— Déjà ? Voyez ces enfants qui songent déjà au mariage !

— Nous nous marierons le jour où vous signerez mon engagement au théâtre de San-Samuel, illustrissime.

— En ce cas, vous attendrez encore longtemps, mes petits.

— Oh ! nous attendrons, dit Consuelo avec le calme enjoué de l’innocence. »

Le comte et le maestro s’égayèrent quelques moments de la candeur et des reparties de ce jeune couple ; puis, ayant donné rendez-vous à Anzoleto pour qu’il fît entendre sa voix au professeur le lendemain, ils s’éloignèrent, le laissant à ses graves occupations.

« Comment trouvez-vous cette petite fille ? dit le professeur à Zustiniani.

— Je l’avais vue déjà, il n’y a qu’un instant, et je la trouve assez laide pour justifier l’axiome qui dit : Aux yeux d’un homme de dix-huit ans, toute femme semble belle.

— C’est bon, répondit le professeur ; maintenant je puis donc vous dire que votre divine cantatrice, votre sirène, votre mystérieuse beauté, c’était Consuelo.

— Elle ! ce sale enfant ? cette noire et maigre sauterelle ? impossible, maestro !

— Elle-même, seigneur comte. Ne ferait-elle pas une prima donna bien séduisante ? »

Le comte s’arrêta, se retourna, examina encore de loin Consuelo, et joignant les mains avec un désespoir assez comique :

« Juste ciel ! s’écria-t-il, peux-tu faire de semblables méprises, et verser le feu du génie dans des têtes si mal ébauchées !

— Ainsi, vous renoncez à vos projets coupables ? dit le professeur.

— Bien certainement.

— Vous me le promettez ? ajouta le Porpora.

— Oh ! je vous le jure », répondit le comte.