Consuelo (Hetzel, illustré 1855)/Chapitre 85

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LXXXV.

Le premier mouvement de Consuelo, en rentrant dans la chambre, fut d’écrire à Albert ; mais elle s’aperçut bientôt que cela n’était pas aussi facile à faire qu’elle se l’était imaginé. Dans un premier brouillon, elle commençait à lui raconter tous les incidents de son voyage, lorsque la crainte lui vint de l’émouvoir trop violemment par la peinture des fatigues et des dangers qu’elle lui mettait sous les yeux. Elle se rappelait l’espèce de fureur délirante qui s’était emparée de lui lorsqu’elle lui avait raconté dans le souterrain les terreurs qu’elle venait d’affronter pour arriver jusqu’à lui. Elle déchira donc cette lettre, et, pensant qu’à une âme aussi profonde et à une organisation aussi impressionnable il fallait la manifestation d’une idée dominante et d’un sentiment unique, elle résolut de lui épargner tout le détail émouvant de la réalité pour ne lui exprimer, en peu de mots, que l’affection promise et la fidélité jurée. Mais ce peu de mots ne pouvait être vague ; s’il n’était pas complètement affirmatif, il ferait naître des angoisses et des craintes affreuses. Comment pouvait-elle affirmer qu’elle avait enfin reconnu en elle-même l’existence de cet amour absolu et de cette résolution inébranlable dont Albert avait besoin pour exister en l’attendant ? La sincérité, l’honneur de Consuelo, ne pouvaient se plier à une demi-vérité. En interrogeant sévèrement son cœur et sa conscience, elle y trouvait bien la force et le calme de la victoire remportée sur Anzoleto. Elle y trouvait bien aussi, au point de vue de l’amour et de l’enthousiasme, la plus complète indifférence pour tout autre homme qu’Albert ; mais cette sorte d’amour, mais cet enthousiasme sérieux qu’elle avait pour lui seul, c’était toujours le même sentiment qu’elle avait éprouvé auprès de lui. Il ne suffisait pas que le souvenir d’Anzoleto fût vaincu, que sa présence fût écartée, pour que le comte Albert devînt l’objet d’une passion violente dans le cœur de cette jeune fille. Il ne dépendait pas d’elle de se rappeler sans effroi la maladie mentale du pauvre Albert, la triste solennité du château des Géants, les répugnances aristocratiques de la chanoinesse, le meurtre de Zdenko, la grotte lugubre de Schreckenstein, enfin toute cette vie sombre et bizarre qu’elle avait comme rêvée en Bohême ; car, après avoir humé le grand air du vagabondage sur les cimes du Bœhmerwald, et en se retrouvant en pleine musique auprès du Porpora, Consuelo ne se représentait déjà plus la Bohême que comme un cauchemar. Quoiqu’elle eût résisté aux sauvages aphorismes artistiques du Porpora, elle se voyait retombée dans une existence si bien appropriée à son éducation, à ses facultés, et à ses habitudes d’esprit, qu’elle ne concevait plus la possibilité de se transformer en châtelaine de Riesenburg. Que pouvait-elle donc annoncer à Albert ? que pouvait-elle lui promettre et lui affirmer de nouveau ? N’était-elle pas dans les mêmes irrésolutions, dans le même effroi qu’à son départ du château ? Si elle était venue se réfugier à Vienne plutôt qu’ailleurs, c’est qu’elle y était sous la protection de la seule autorité légitime qu’elle eût à reconnaître dans sa vie. Le Porpora était son bienfaiteur, son père, son appui et son maître dans l’acception la plus religieuse du mot. Près de lui, elle ne se sentait plus orpheline, et elle ne se reconnaissait plus le droit de disposer d’elle-même suivant la seule inspiration de son cœur ou de sa raison. Or, le Porpora blâmait, raillait et repoussait avec énergie l’idée d’un mariage qu’il regardait comme le meurtre d’un génie, comme l’immolation d’une grande destinée à la fantaisie d’un dévouement romanesque. À Riesenburg aussi, il y avait un vieillard généreux, noble et tendre, qui s’offrait pour père à Consuelo ; mais change-t-on de père suivant les besoins de sa situation ? Et quand le Porpora disait non, Consuelo pouvait-elle accepter le oui du comte Christian ?

Cela ne se devait ni ne se pouvait, et il fallait attendre ce que prononcerait le Porpora lorsqu’il aurait mieux examiné les faits et les sentiments. Mais, en attendant cette confirmation ou cette transformation de son jugement, que dire au malheureux Albert pour lui faire prendre patience en lui laissant l’espoir ? Avouer la première bourrasque de mécontentement du Porpora, c’était bouleverser toute la sécurité d’Albert ; la lui cacher, c’était le tromper, et Consuelo ne voulait pas dissimuler avec lui. La vie de ce noble jeune homme eût-elle dépendu d’un mensonge, Consuelo n’eût pas fait ce mensonge. Il est des êtres qu’on respecte trop pour les tromper, même en les sauvant.



Haydn qui crêpait gravement la perruque… (Page 219.)

Elle recommença donc, et déchira vingt commencements de lettre, sans pouvoir se décider à en continuer une seule. De quelque façon qu’elle s’y prît, au troisième mot, elle tombait toujours dans une assertion téméraire ou dans une dubitation qui pouvait avoir de funestes effets. Elle se mit au lit, accablée de lassitude, de chagrin et d’anxiétés, et elle y souffrit longtemps du froid et de l’insomnie, sans pouvoir s’arrêter à aucune résolution, à aucune conception nette de son avenir et de sa destinée. Elle finit par s’endormir, et resta assez tard au lit pour que le Porpora, qui était fort matinal, fût déjà sorti pour ses courses. Elle trouva Haydn occupé, comme la veille, à brosser les habits et à ranger les meubles de son nouveau maître.

« Allons donc, belle dormeuse, s’écria-t-il en voyant enfin paraître son amie, je me meurs d’ennui, de tristesse, et de peur surtout, quand je ne vous vois pas, comme un ange gardien, entre ce terrible professeur et moi. Il me semble qu’il va toujours pénétrer mes intentions, déjouer le complot, et m’enfermer dans son vieux clavecin, pour m’y faire périr d’une suffocation harmonique. Il me fait dresser les cheveux sur la tête, ton Porpora ; et je ne peux pas me persuader que ce ne soit pas un vieux diable italien, le Satan de ce pays-là étant reconnu beaucoup plus méchant et plus fin que le nôtre.

— Rassure-toi, ami, répondit Consuelo ; notre maître n’est que malheureux ; il n’est pas méchant. Commençons par mettre tous nos soins à lui donner un peu de bonheur, et nous le verrons s’adoucir et revenir à son vrai caractère. Dans mon enfance, je l’ai vu cordial et enjoué ; on le citait pour la finesse et la gaîté de ses reparties : c’est qu’alors il avait des succès, des amis et de l’espérance. Si tu l’avais connu à l’époque où l’on chantait son Polifeme au théâtre de San-Mose, lorsqu’il me faisait entrer avec lui sur le théâtre, et me mettait dans la coulisse d’où je pouvais voir le dos des comparses et la tête du géant ! Comme tout cela me semblait beau et terrible, de mon petit coin ! Accroupie derrière un rocher de carton, ou grimpée sur une échelle à quinquets, je respirais à peine ; et, malgré moi, je faisais, avec ma tête et mes petits bras, tous les gestes, tous les mouvements que je voyais faire aux acteurs. Et quand le maître était rappelé sur la scène et forcé, par les cris du parterre, à repasser sept fois devant le rideau, le long de la rampe, je me figurais que c’était un dieu : c’est qu’il était fier, il était beau d’orgueil et d’effusion de cœur, dans ces moments-là ! Hélas ! il n’est pas encore bien vieux, et le voilà si changé, si abattu ! Voyons, Beppo, mettons-nous à l’œuvre, pour qu’en rentrant il retrouve son pauvre logis un peu plus agréable qu’il ne l’a laissé. D’abord je vais faire l’inspection de ses nippes, afin de voir ce qui lui manque.



Et secoua la main de son maître Porpora… (Page 221.)

— Ce qui lui manque sera un peu long à compter, et ce qu’il a très-court à voir, répondit Joseph ; car je ne sache que ma garde-robe qui soit plus pauvre et en plus mauvais état.

— Eh bien, je m’occuperai aussi de remonter la tienne ; car je suis ton débiteur, Joseph ; tu m’as nourrie et vêtue tout le long du voyage. Songeons d’abord au Porpora. Ouvre-moi cette armoire. Quoi ! un seul habit ? celui qu’il avait hier soir chez l’ambassadeur ?

— Hélas ! oui ! un habit marron à boutons d’acier taillés, et pas très-frais, encore ! L’autre habit, qui est mûr et délabré à faire pitié, il l’a mis pour sortir ; et quant à sa robe de chambre, je ne sais si elle a jamais existé ; mais je la cherche en vain depuis une heure. »

Consuelo et Joseph s’étant mis à fureter partout, reconnurent que la robe de chambre du Porpora était une chimère de leur imagination, de même que son par-dessus et son manchon. Compte fait des chemises, il n’y en avait que trois en haillons ; les manchettes tombaient en ruines, et ainsi du reste.

« Joseph, dit Consuelo, voilà une belle bague qu’on m’a donnée hier soir en paiement de mes chansons ; je ne veux pas la vendre, cela attirerait l’attention sur moi, et indisposerait peut-être contre ma cupidité les gens qui m’en ont gratifiée. Mais je puis la mettre en gage, et me faire prêter dessus l’argent qui nous est nécessaire. Keller est honnête et intelligent : il saura bien évaluer ce bijou, et connaîtra certainement quelque usurier qui, en le prenant en dépôt, m’avancera une bonne somme. Va vite et reviens.

— Ce sera bientôt fait, répondit Joseph. Il y a une espèce de bijoutier israélite dans la maison de Keller, et ce dernier étant pour ces sortes d’affaires secrètes le factotum de plus d’une belle dame, il vous fera compter de l’argent d’ici à une heure ; mais je ne veux rien pour moi, entendez-vous, Consuelo ! Vous-même, dont l’équipage a fait toute la route sur mon épaule, vous avez grand besoin de toilette, et vous serez forcée de paraître demain, ce soir peut-être, avec une robe un peu moins fripée que celle-ci.

— Nous réglerons nos comptes plus tard, et comme je l’entendrai, Beppo. N’ayant pas refusé tes services, j’ai le droit d’exiger que tu ne refuses pas les miens. Allons ! cours chez Keller. »

Au bout d’une heure, en effet, Haydn revint avec Keller et mille cinq cents florins ; Consuelo lui ayant expliqué ses intentions, Keller ressortit et ramena bientôt un tailleur de ses amis, habile et expéditif, qui, ayant pris la mesure de l’habit du Porpora et des autres pièces de son habillement, s’engagea à rapporter dans peu de jours deux autres habillements complets, une bonne robe de chambre ouatée, et même du linge et d’autres objets nécessaires à la toilette, qu’il se chargea de commander à des ouvrières recommandables.

« Maintenant, dit Consuelo à Keller quand le tailleur fut parti, il me faut le plus grand secret sur tout ceci. Mon maître est aussi fier qu’il est pauvre, et certainement il jetterait mes pauvres dons par la fenêtre s’il soupçonnait seulement qu’ils viennent de moi.

— Comment ferez-vous donc, signora, observa Joseph, pour lui faire endosser ses habits neufs et abandonner les vieux sans qu’il s’en aperçoive ?

— Oh ! je le connais, et je vous réponds qu’il ne s’en apercevra pas. Je sais comment il faut s’y prendre !

— Et maintenant, signora, reprit Joseph, qui, hors du tête-à-tête, avait le bon goût de parler très-cérémonieusement à son amie, pour ne pas donner une fausse opinion de la nature de leur amitié, ne penserez-vous pas aussi à vous-même ? Vous n’avez presque rien apporté avec vous de la Bohême, et vos habits, d’ailleurs, ne sont pas à la mode de ce pays-ci.

— J’allais oublier cette importante affaire ! Il faut que le bon monsieur Keller soit mon conseil et mon guide.

— Oui-da ! reprit Keller, je m’y entends, et si je ne vous fais pas confectionner une toilette du meilleur goût, dites que je suis un ignorant et un présomptueux.

— Je m’en remets à vous, bon Keller ; seulement je vous avertis, en général, que j’ai l’humeur simple, et que les choses voyantes, les couleurs tranchées, ne conviennent ni à ma pâleur habituelle ni à mes goûts tranquilles.

— Vous me faites injure, signora, en présumant que j’aie besoin de cet avis. Ne sais-je pas, par état, les couleurs qu’il faut assortir aux physionomies, et ne vois-je pas dans la vôtre l’expression de votre naturel ? Soyez tranquille, vous serez contente de moi, et bientôt vous pourrez paraître à la cour, si bon vous semble, sans cesser d’être modeste et simple comme vous voilà. Orner la personne, et non point la changer, tel est l’art du coiffeur et celui du costumier.

— Encore un mot à l’oreille, cher monsieur Keller, dit Consuelo en éloignant le perruquier de Joseph. Vous allez aussi faire habiller de neuf maître Haydn des pieds à la tête, et, avec le reste de l’argent, vous offrirez de ma part à votre fille une belle robe de soie pour le jour de ses noces avec lui. J’espère qu’elles ne tarderont pas ; car si j’ai du succès ici, je pourrai être utile à notre ami et l’aider à se faire connaître. Il a du talent, beaucoup de talent, soyez-en certain.

— En a-t-il réellement, signora ? Je suis heureux de ce que vous me dites ; je m’en étais toujours douté. Que dis-je ? j’en étais certain dès le premier jour où je l’ai remarqué, tout petit enfant de chœur, à la maîtrise.

— C’est un noble garçon, reprit Consuelo, et vous serez récompensé par sa reconnaissance et sa loyauté de ce que vous avez fait pour lui ; car vous aussi, Keller, je le sais, vous êtes un digne homme et un noble cœur… Maintenant, dites-nous, ajouta-t-elle en se rapprochant de Joseph avec Keller, si vous avez fait déjà ce dont nous étions convenus à l’égard des protecteurs de Joseph. L’idée était venue de vous : l’avez-vous mise à exécution ?

— Si je l’ai fait, signora ! répondit Keller. Dire et faire sont tout un pour votre serviteur. En allant accommoder mes pratiques ce matin, j’ai averti d’abord monseigneur l’ambassadeur de Venise (je n’ai pas l’honneur de le coiffer en personne, mais je frise monsieur son secrétaire), ensuite M. l’abbé de Métastase, dont je fais la barbe tous les matins, et mademoiselle Marianne Martinez, sa pupille, dont la tête est également dans mes mains. Elle demeure, ainsi que lui, dans ma maison… c’est-à-dire que je demeure dans leur maison : n’importe ! Enfin j’ai pénétré chez deux ou trois autres personnes qui connaissent également la figure de Joseph, et qu’il est exposé à rencontrer chez maître Porpora. Celles dont je n’avais pas la pratique, je les abordais sous un prétexte quelconque : « J’ai ouï dire que madame la baronne faisait chercher chez mes confrères de la véritable graisse d’ours pour les cheveux, et je m’empresse de lui en apporter que je garantis. Je l’offre gratis comme échantillon aux personnes du grand monde, et ne leur demande que leur clientèle pour cette fourniture si elles en sont satisfaites. » Ou bien : « Voici un livre d’église qui a été trouvé à Saint-Étienne, dimanche dernier ; et comme je coiffe la cathédrale (c’est-à-dire la maîtrise de la cathédrale), j’ai été chargé de demander à Votre Excellence si ce livre ne lui appartient pas. » C’était un vieux bouquin de cuir doré et armorié, que j’avais pris dans le banc de quelque chanoine pour le présenter, sachant bien que personne ne le réclamerait. Enfin, quand j’avais réussi à me faire écouter un instant sous un prétexte ou sous un autre, je me mettais à babiller avec l’aisance et l’esprit que l’on tolère chez les gens de ma profession. Je disais, par exemple : « J’ai beaucoup entendu parler de Votre Seigneurie à un habile musicien de mes amis, Joseph Haydn : c’est ce qui m’a donné l’assurance de me présenter dans la respectable maison de Votre Seigneurie. — Comment, me disait-on, le petit Joseph ? Un charmant talent, un jeune homme qui promet beaucoup. — Ah ! vraiment, répondais-je alors tout content de venir au fait, Votre Seigneurie doit s’amuser de ce qui lui arrive de singulier et d’avantageux dans ce moment-ci. — Que lui arrive-t-il donc ? Je l’ignore absolument. — Eh ! il n’y a rien de plus comique et de plus intéressant à la fois. Il s’est fait valet de chambre. — Comment, lui, valet ? Fi, quelle dégradation ! quel malheur pour un pareil talent ! Il est donc bien misérable ? Je veux le secourir. — Il ne s’agit pas de cela, Seigneurie, répondais-je ; c’est l’amour de l’art qui lui a fait prendre cette singulière résolution. Il voulait à toute force avoir des leçons de l’illustre maître Porpora… — Ah ! oui, je sais cela, et le Porpora refusait de l’entendre et de l’admettre. C’est un homme de génie bien quinteux et bien morose. — C’est un grand homme, un grand cœur, répondais-je conformément aux intentions de la signora Consuelo, qui ne veut pas que son maître soit raillé et blâmé dans tout ceci. Soyez sûr, ajoutais-je, qu’il reconnaîtra bientôt la grande capacité du petit Haydn, et qu’il lui donnera tous ses soins : mais, pour ne pas irriter sa mélancolie, et pour s’introduire auprès de lui sans l’effaroucher, Joseph n’a rien trouvé de plus ingénieux que d’entrer à son service comme valet, et de feindre la plus complète ignorance en musique. — L’idée est touchante, charmante, me répondait-on tout attendri ; c’est l’héroïsme d’un véritable artiste ; mais il faut qu’il se dépêche d’obtenir les bonnes grâces du Porpora avant qu’il soit reconnu et signalé à ce dernier comme un artiste déjà remarquable ; car le jeune Haydn est déjà aimé et protégé de quelques personnes, lesquelles fréquentent précisément ce Porpora. — Ces personnes, disais-je alors d’un air insinuant, sont trop généreuses, trop grandes, pour ne pas garder à Joseph son petit secret tant qu’il sera nécessaire, et pour ne pas feindre un peu avec le Porpora afin de lui conserver sa confiance. — Oh ! s’écriait-on alors, ce ne sera certainement pas moi qui trahirai le bon, l’habile musicien Joseph ! vous pouvez lui en donner ma parole, et défense sera faite à mes gens de laisser échapper un mot imprudent aux oreilles du maestro. » Alors on me renvoyait avec un petit présent ou une commande de graisse d’ours, et, quant à monsieur le secrétaire d’ambassade, il s’est vivement intéressé à l’aventure et m’a promis d’en régaler monseigneur Corner à son déjeuner, afin que lui, qui aime Joseph particulièrement, se tienne tout le premier sur ses gardes vis-à-vis du Porpora. Voilà ma mission diplomatique remplie. Êtes-vous contente, signora ?

— Si j’étais reine, je vous nommerais ambassadeur sur-le-champ, répondit Consuelo. Mais j’aperçois dans la rue le maître qui revient. Sauvez-vous, cher Keller, qu’il ne vous voie pas !

— Et pourquoi me sauverais-je, Signora ! Je vais me mettre à vous coiffer, et vous serez censée avoir envoyé chercher le premier perruquier venu par votre valet Joseph.

— Il a plus d’esprit cent fois que nous, dit Consuelo à Joseph ; » et elle abandonna sa noire chevelure aux mains légères de Keller, tandis que Joseph reprenait son plumeau et son tablier, et que le Porpora montait pesamment l’escalier en fredonnant une phrase de son futur opéra.