Contes épiques/Un Miracle de Notre-Dame

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PoésiesBibliothèque-CharpentierTome second (p. 48-54).


Un Miracle de Notre-Dame


 
La cellule est triste et la nonne aussi.
O nonne mignonne, est-ce un grand souci
Qui vous fait veiller et, par la cellule,
Rôder en tremblant, brune libellule ?
Minuit sonne : il faut détacher enfin
La guimpe rigide et le voile fin ;
Du sombre cocon de laine et de serge,
Papillon de soie, un corps frêle émerge,
Et, morte au cœur vif, qui s’ensevelit,
Elle glisse au froid linceul de son lit.

Mais, pieuse, avant de souffler sa lampe,
Son regard admire au mur une estampe
Où l’on voit la Vierge et l’enfant Jésus,
Le serpent dessous, le nimbe dessus.

« O pleine de grâce ! ô Vierge des vierges !
Mon âme à jamais sera l’un des cierges
Allumés devant votre pâle autel !
Aucun souffle issu du monde mortel
N’inclinera l’âme au ciel dirigée,
Hors de la paisible et blême rangée.
Loin du cloître obscur, disent les échos,
Dans la plaine et dans les bois musicaux
Il est des rayons, des ailes, des roses ;
Mais nous réprouvons la beauté des choses,
Car le Diable en fait, à l’occasion,
Un commencement de perdition. .
Au couvent parfois les pensionnaires
Tiennent des propos extraordinaires :
Bals et fiancés sont leur entretien ;
Le Malin les trompe, et nous savons bien,
Nous qui vous gardons des âmes sans taches,
Que les démons seuls portent des moustaches.

Adorer sans fin votre Sacré Cœur ;
Dans le demi-jour étoile du chœur,
Hors de l’encensoir, corbeille enflammée,
Voir s’épanouir des fleurs de fumée ;
Jeûner ; apporter le lys virginal
De son rêve au noir confessionnal ;
Subir, s’il le faut, le rouge cilice ;
Bénir l’amertume, aimer le calice,
Et de tout son être, heureux paria,
Ne faire qu’un long Ave Maria
Jusqu’à la clarté de la dernière heure :
Telle est notre part, et c’est la meilleure !
Pourtant un désir, éclos d’un regret,
M’occupe l’esprit plus qu’il ne faudrait,
Et j’en sens toujours la fine piqûre.
Quand s’ouvrit pour moi la demeure obscure,
Jeune et m’effrayant de l’antique seuil,
J’eus pour le bas monde un dernier coup d’œil.
Le joli printemps venait de renaître :
Dans le cadre en fleur d’une humble fenêtre
Une mère, avec un air triomphant,
Baisait les cheveux d’un petit enfant.
Cette vision, hélas, m’est restée.

Chevelure pâle et presque argentée,
Doux yeux où l’on voit sourdre et s’aviver
Un clair tremblement d’âme à son lever,
Bouche étroite au sein qui de lait l’arrose
S’ouvrant comme un cœur de petite rose,
Vous faites ma joie et ma peine un peu.
L’ange dans l’enfant descend du ciel bleu.
Il est chérubin, mais il est poupée.
D’une mouche noire au vol attrapée
Ou d’un hanneton savamment lié
Guérir son chagrin bientôt oublié,
Le fuir, le saisir, feindre qu’on l’évite,
Oh ! les jolis jeux qu’on apprendrait vite !
Oiselet sans plume, aux ailerons blancs,
Il bat l’air avec des gestes tremblants
Dès que monte aux cieux l’aurore vermeille ;
Aurore comme elle, il veut qu’on s’éveille,
Riant, et pleurant si l’on ne rit pas.
Il fait sur le lit mille petits pas ;
On le gronde ! Il va se blesser, s’il tombe ;
Vois donc, tu n’as point d’ailes, ma colombe !
Mais lui, tout fâché qu’on l’ait retenu,
Il vous clôt la bouche avec son pied nu.

Vierge qui m’entends, telle est ma chimère ;
Je souffre et languis, et je trouve amère
La douceur d’aimer votre nom divin,
A cause d’un rêve aussi doux que vain !
Certes, le désir dont je suis marrie
N’est qu’un léger mal, ô vierge Marie,
Au prix des longs deuils et des longs ennuis
Qui furent vos jours et furent vos nuits ;
Mais pour compenser le malheur sans trêves
Qui fit, vous perçant le cœur de Sept Glaives,
Une rose rouge, hélas ! de ce lys,
Dame des Douleurs, vous aviez un fils ! »

Elle dit. Son œil s’éteint, et sa lampe.

Un miracle alors descend de l’estampe.
Quels rêves plus beaux a-t-on jamais eus ?
Noël ! c’est la Vierge et l’enfant Jésus.
Des rayons autour sont comme une averse,
Et dans la splendeur que son pas traverse,
Elle traîne un bruit royal de satin !
Sa robe, couleur d’astre et de matin,

Eblouit, de tant de perles brodée
Que l’on ne peut pas s’en faire une idée ;
Et le manteau, certe, est plus riche encor !
L’enfant Jésus porte une blouse d’or :
Sans elle, il aurait aussi bonne mine.
Ses mignons souliers furent dans l’hermine
Taillés par Crépin, cordonnier du Ciel ;
Et d’un seul rubis ayant goût dé miel,
Le hochet heureux que pressent ses lèvres
Fut fait par Eloi, patron des orfèvres.

Marie est assise au bord du chevet.

« J’accorde souvent plus qu’il ne rêvait
A qui m’invoqua d’une âme sincère.
Mais en vain mon cœur maternel se serre,
Vierge sans enfant, de pitié pour vous :
N’aura point de fils qui n’a point d’époux.
Pourtant il faut bien qu’on vous réconforte :
Voici mon Jésus que je vous apporte ;
Chaque nuit, jusqu’au lever du jour bleu,
Vous aurez pour fils votre petit Dieu,

Et vous gronderez celui que l’on prie…
Baise-la, mignon, pour qu’elle sourie,
Et jouez tous deux, je regarderai. »

Et depuis, Jésus, en habit doré,
Sans faute descend, dès que minuit sonne,
Jouer sur le lit de l’heureuse nonne.