Contes allemands du temps passé/Notice sur les frères Grimm

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NOTICE SUR LES FRÈRES GRIMM



Les frères Grimm, qui ont attaché leur nom aux Contes populaires de l’Allemagne, dont ils ont les premiers publié un recueil original, d’après la tradition même encore vivante partout, sont trop connus pour qu’il soit nécessaire de rappeler ici tous leurs titres au respect de l’Europe savante.

Ce n’est point, d’ailleurs, la vaste et profonde érudition, les patientes études, le puissant esprit critique des deux frères, c’est leur culte filial pour les trésors de la littérature populaire que nous avons à louer en tête de ce volume.

Jacques-Louis-Charles Grimm, né le 4 janvier 1785, à Hanau, mort le 20 septembre 1863, à Bertin, fit ses premières études à Cassel, étudia le droit à Marbourg, alla rejoindre à Paris, en 1803, son professeur Savigny qu’il aida dans ses travaux littéraires, puis revint en Allemagne, et fut successivement bibliothécaire de la Bibliothèque de Wilhelmshœhe, fondée par l’Électeur de liesse, attaché de l’ambassade de Hesse (c’était vers la fin du premier Empire), et bientôt après envoyé du gouvernement prussien à Paris, en 1815, avec mission d’y chercher et d’en rapporter des manuscrits, tout en continuant d’être chargé des affaires de l’Électeur.

Mais Jacques Grimm se sentait plus que jamais attiré vers les travaux d’érudition auxquels, dans sa carrière publique, il consacrait toutes ses heures de loisir, ayant dès le début entrepris une étude approfondie de la littérature du moyen âge. Il résolut donc de quitter la politique et la diplomatie pour se donner tout entier aux lettres, fut nommé bibliothécaire en second à Cassel, en 1816, et se plongea dans ces recherches incessantes qui auraient pu avoir pour d’autres les résultats solides poursuivis par lui, mais d’où ils ne seraient pas sortis, certainement, avec cette verdeur d’esprit tant admirée par Henri Heine « Jacques Grimm, dit-il, est sans égal dans son genre. Son érudition est colossale comme une montagne, et son esprit est frais comme la source qui en jaillit. »

En 1829, le premier bibliothécaire, étant mort, fut remplacé par l’historiographe Rommel, au mépris des droits de Jacques Grimm. Blessé par ce manque d’égards, ce dernier donna sa démission et accepta les fonctions de professeur et de bibliothécaire à Gœttingue. Là, il fit pendant sept ans des cours de langue allemande, d’histoire de la littérature et de droit.

En i837, il se trouva parmi les sept professeurs qui parièrent contre la révocation de la loi fondamentale de l’État, fut destitué et exilé avec Dalilmaun et Gervinus. Pendant les années suivantes, il vécut retiré à Cassel, puis fut rappelé, en i84i, à Berlin, où il avait le droit de faire des cours, comme membre de l’Académie.

Par sa Grammaire allemande, il n’a pas seulement fondé la grammaire historique de la langue allemande, mais il institué les principes mêmes des recherches de l’histoire de la langue.

Par son Histoire de la langue allemande, une des œuvres les plus remarquables qui aient jamais paru dans cette branche de littérature, il découvre des vues qui auront exercé une influence puissante sur le renouvellement des études historiques en Allemagne.

Tous ses ouvrages dénotent une ardeur infatigable et une aptitude singulière à vaincre tous les obstacles, un immense savoir, un grand esprit d’ordre et de persévérance. Une sûreté de tact parfaite dans l’interprétation des phénomènes de l’histoire, et en outre, ce qui ne se rencontre guère chez le même homme, le sentiment délicat et tendre de la poésie.

Il composa en commun avec son frère Guillaume le Dictionnaire allemand, leur plus grand ouvrage, destiné à mettre en lumière le riche trésor de la langue allemande, tel qu’il se trouve dans les œuvres littéraires depuis Luther jusqu’à Gœthe ; œuvre capitale, interrompue malheureusement par la mort des deux frères.

Il a aussi recueilli avec lui les Contes populaires de l’Allemagne.

Guillaume-Charles Grimm, né le 24 février 1786, dans la même ville que son frère, étudia d’abord comme lui à Cassel et alla aussi étudier le droit à l’université de Marbourg. Sa vie, dans ses principaux incidents, se confond presque avec celle de son frère, qu’il suivit à Cassel, à Gœttingue et à Berlin.

On cite parmi ses principaux ouvrages une traduction des « Vieilles chansons héroïques danoises », en 1811 des recherches sur les « Rimes allemandes », en 1821 ; il s’est fait surtout connaître par des recherches sur la poésie allemande au moyen âge, et par des publications d’anciens poëmes, tels que Grave Rudolf, fragment d’une œuvre du douzième siècle, la Chanson de Hildebrand, la Chanson de Roland, etc.

Il publia avec Jacques Grimm outre les Contes — les Forêts de la vieille Allemagne, choix de petits ouvrages populaires, les Légendes allemandes, et les Contes des fées de l’Irlande, d’après le Fairy legends de Crofton, avec une introduction sur la croyance aux fées.

Il ressemblait a son frère pour la science et pour l’esprit ; le même besoin d’activité intellectuelle et le goût des mêmes études les unissaient l’un a l’autre, aussi bien que les liens de la vie domestique.

Guillaume Grimm est mort le premier, le 16 décembre 1859.

L’étonnement fut grand en Allemagne et en Europe, lorsqu’on apprit que ces deux graves savants s’étaient amusés à recueillir dans leurs voyages et dans leurs promenades, de la bouche des simples et fies paysans, toute sorte de vieilles traditions, sous ce titre, sans prétention « Contes pour les enfants et pour la famille » (Kinder und Hausmoehrchen), dont la première partie parut en 1812, pour amplement s’accroître par la suite. Les frères Grimm ont fait en Allemagne pour les contes ce qu’a fait en Bretagne, pour les chansons populaires, M. de la Vitiemarqué.

Mais l’étonnement se changea bien vite en sympathie pour ces nouvelles recherches et en curiosité ardente à l’égard de ces trésors d’imagination naïve, dont le public n’avait pas semblé d’abord comprendre la valeur, reprochant en quelque sorte aux deux frères d’avoir compromis leur caractère de savants haut placés dans l’estime de tous, par cette publication enfantine.

Ils avaient réellement ouvert une voie peu explorée jusqu’alors, où les Simrock et les Bechstein devaient s’engager ensuite avec succès.

On peut dire qu’ils ont reçu de la bouche du peuple la tradition même, sans l’arranger comme Musæus, au gré d’une fantaisie plus ou moins heureuse, mais toujours personnelle, et loin d’offrir, par conséquent, t’intérêt qui s’attache aux productions spontanées de l’imagination populaire.

Ainsi Musæus, dans un des ses contes, Richilde, s’est emparé du sujet de Blanche-Neige pour le développer, le modifier et, l’enjoliver de mille traits qui ne valent pas la simplicité du récit primitif. On remarquera que les contes du peuple ont, en général, le double mérite de la brièveté et du naturel, avec un ton de conviction naïve auquel l’esprit se laisse prendre volontiers un instant.

Musæus raffine sur les descriptions, moralise et persifle tour à tour, comme un homme qui se moque de son sujet ou qui en use au profit de ses idées. Aussi, dans ce choix de contes allemands du temps jadis, ne sera-t-on pas étonné de voir les récits franchement populaires défrayer presque tout le volume, et Musæus n’occuper avec Tieck lui-même, qu’une place très-petite ici, plutôt pour fournir des sujets de comparaison que pour représenter le vrai type des traditions familières de la vieille Allemagne.