Contes choisis de la famille/Le violon merveilleux
Eugène Ardant et Cie, (p. 11-22).
LE VIOLON MERVEILLEUX.
Il était une fois un ménétrier qui avait un violon merveilleux. Ce ménétrier se rendit un jour tout seul dans une forêt, laissant errer sa pensée çà et là ; et quand il ne sut plus à quoi songer, il se dit :
— Le temps commence à me sembler long dans cette forêt ; je veux faire en sorte qu’il m’arrive un bon compagnon.
En conséquence, il prit son violon qu’il portait sur le dos, et se mit à jouer un air qui réveilla mille échos dans le feuillage. Il n’y avait pas longtemps qu’il jouait, lorsqu’un loup vint en tapinois derrière les arbres.
— Ciel ! voilà un loup ! ce n’est point là le compagnon que je désire, pensa le ménétrier.
Cependant le loup s’approcha, et lui dit :
— Eh ! cher ménétrier, que tu joues bien ! ne pourrais-je pas aussi apprendre ton art ?
— La chose est facile, répondit le ménétrier ; il suffit pour cela que tu fasses exactement tout ce que je te dirai.
— Oh ! cher ménétrier, reprit le loup, je veux t’obéir, comme un écolier obéit à son maître.
Le musicien lui enjoignit de le suivre, et lorsqu’ils eurent fait un bout de chemin, ils arrivèrent au pied d’un vieux chêne qui était creux et fendu par le milieu.
— Tu vois cet arbre, dit le ménétrier ; si tu veux apprendre à jouer du violon, il faut que tu places tes pattes de devant dans cette fente.
Le loup obéit ; mais le musicien ramassa aussitôt une pierre et en frappa avec tant de force les deux pattes du loup, qu’elles s’enfoncèrent dans la fente, et que le pauvre animal dut rester prisonnier.
— Attends-moi jusqu’à ce que je revienne, ajouta le ménétrier.
Et il continua sa route.
Il avait à peine marché pendant quelques minutes, qu’il se prit à penser de nouveau :
— Le temps me semble si long dans cette forêt, que je vais tâcher de m’attirer un autre compagnon.
En conséquence, il prit son violon, et joua un nouvel air. Il n’y avait pas longtemps qu’il jouait, lorsqu’un renard arriva en tapinois à travers les arbres.
— Ah ! voilà un renard, se dit le musicien ; ce n’est pas là le compagnon que je désire.
Le renard s’approcha, et lui dit :
— Eh cher musicien, que tu joues bien ! Je voudrais bien apprendre ton art.
— La chose est facile, répondit le musicien ; il suffit pour cela que tu fasses exactement tout ce que je te dirai.
— Oh ! cher musicien, reprit le renard, je te promets de t’obéir, comme un écolier obéit à son maître.
— Suis-moi, dit le ménétrier.
Quand ils eurent marché pendant quelques minutes, ils arrivèrent à un sentier bordé des deux côtés par de hauts arbustes. En cet endroit, le musicien s’arrêta, saisit d’un côté du chemin un noisetier qu’il inclina contre terre, mit le pied sur sa cime ; puis de l’autre côté, il en fit de même avec un autre arbrisseau ; après quoi, s’adressant au renard :
— Maintenant, camarade, s’il est vrai que tu veuilles apprendre quelque chose, avance ta patte gauche.
Le renard obéit, et le musicien lui lia la patte à l’arbre de gauche.
— Renard, mon ami, lui dit-il ensuite, avance maintenant ta patte droite.
L’animal ne se le fit pas dire deux fois, et le ménétrier lui lia cette patte à l’arbre de droite. Cela fait, il lâcha les deux arbustes qui se redressèrent soudain, emportant avec eux dans l’air le renard qui resta suspendu et se débattit vainement.
— Attends-moi jusqu’à ce que je revienne, dit le musicien.
Et il continua sa route.
Il ne tarda pas à penser pour la troisième fois :
— Le temps me semble long dans cette forêt ; il faut que je tâche de me procurer un autre compagnon.
En conséquence, il prit son violon, et les accords qu’il en tira retentirent à travers le bois. Alors arriva, à bonds légers, un levraut.
— Ah ! voilà un levraut, se dit le musicien. Ce n’est pas là le compagnon que je désire.
— Eh ! cher musicien, dit le levraut, que tu joues bien ! je voudrais bien apprendre ton art.
— La chose est facile, répondit le ménétrier ; il suffit pour cela que tu fasses exactement tout ce que je te dirai.
— Oh ! cher musicien, reprit le levraut, je te promets de t’obéir comme un écolier obéit à son maître.
Ils cheminèrent quelque temps ensemble, puis ils arrivèrent à un endroit moins sombre du bois où se trouvait un peuplier. Le musicien attacha au cou du levraut une longue corde qu’il noua au peuplier par l’autre bout.
— Maintenant alerte ! ami levraut, fais-moi vingt fois en sautant le tour de l’arbre.
Le levraut obéit ; et quand il eut fait vingt fois le tour commandé, la corde était enroulée vingt fois autour de l’arbre, si bien que le levraut se trouva captif, et il eut beau tirer de toutes ses forces, il ne réussit qu’à se meurtrir le cou avec la corde.
— Attends-moi jusqu’à ce que je revienne, dit le musicien.
Et il poursuivit sa route.
Cependant à force de tirer, de s’agiter, de mordre la pierre et de travailler en tous sens, le loup avait fini par rendre la liberté à ses pattes en les retirant de la fente. Plein de colère et de rage, il se mit à la poursuite du musicien qu’il se promettait de mettre en pièces. Lorsque le renard l’aperçut qui arrivait au galop, il se prit à gémir et à crier de toutes ses forces :
— Frère loup, viens à mon secours ! le musicien m’a trompé.
Le loup inclina les deux arbustes, rompit les cordes d’un coup de dent, et rendit la liberté au renard qui le suivit, impatient aussi de se venger du musicien. Ils rencontrèrent bientôt le pauvre levraut, qu’ils délivrèrent également, et tous les trois se mirent à la poursuite de l’ennemi commun.
Or, en continuant son chemin, le ménétrier avait une quatrième fois joué de son violon merveilleux ; pour le coup il avait mieux réussi. Les accords de son instrument étaient arrivés jusqu’aux oreilles d’un pauvre bûcheron, qui, séduit par cette douce musique, abandonna sa besogne, et, la hache sous le bras, s’empressa de courir vers l’endroit d’où partaient les sons.
— Voilà donc enfin le compagnon qu’il me faut ! dit le musicien ; car je cherchais un homme et non des bêtes sauvages.
Puis il se remit à jouer d’une façon si harmonieuse et si magique, que le pauvre homme resta là immobile comme sous l’empire d’un charme, et que son cœur déborda de joie. C’est en ce moment qu’arrivèrent le loup, le renard et le levraut. Le bûcheron n’eut pas de peine à remarquer que ses camarades n’avaient pas les meilleures intentions. En conséquence, il saisit sa hache brillante et se plaça devant le musicien, d’un air qui voulait dire :
— Celui qui en veut au ménétrier fera bien de se tenir sur ses gardes, car il aura affaire à moi.
Aussi la peur s’empara-t-elle des animaux conjurés, qui retournèrent en courant dans la forêt. Le musicien témoigna sa reconnaissance au bûcheron en lui jouant encore un air mélodieux, puis il s’éloigna.