Contes d’une mère à sa fille/À ma petite fille

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À la librairie d’Éducation de Pre Blanchard (p. 7-10).


À MA PETITE FILLE.




Qu’il est doux pour ta mère, ma chère Delphine, ce travail entrepris pour toi, puisqu’il peut contribuer à perfectionner les qualités précieuses que tu annonces ! L’extrême sensibilité de ton cœur dont tu m’as déjà donné des preuves touchantes, doit te rendre agréable un Ouvrage où le sentiment domine, et dont le naturel fait tout le mérite.

Je n’oublierai jamais ce jour où ta mère, fuyant les horreurs de la guerre, suivant avec sa famille un époux adoré, passa dans la ville que j’habite, et pour ménager mes forces et m’épargner une surprise dangereuse, se fit précéder par sa fille conduite par une dame étrangère ; je te considérais avec un vif intérêt, mais je ne pouvais te reconnaître, ne t’ayant vue que dans ta première enfance. Tu prononças le nom chéri de Delphine ; je fis un cri de joie, ma fille fut aussitôt dans mes bras ; je vous y réunissais, et jamais mère ne fut plus heureuse. Mais que cet état de félicité devait peu durer ! un seul quart d’heure était accordé à nos tendres épanchemens ; il fut presque employé à regretter chaque minute qui s’écoulait, à prévoir l’instant cruel de la séparation. Ta mère m’entretenait de son mari, de ses enfans : pendant ce temps, debout près de mon fauteuil, tu t’étais emparée de mes mains, que tu serrais tendrement, et que tu couvrais de baisers en répétant avec l’accent d’un cœur pénétré : Pauvre mère ! Si jeune encore, ma Delphine, tu concevais donc ce qu’une longue suite de malheurs m’a fait éprouver ? Tu semblais par tes caresses vouloir me dédommager de tout ce que j’ai souffert. Ah ! si je vous voyais tous réunis près de moi, les funestes idées du passé s’effaceraient sans doute ; mais nous vivons à cent lieues de distance, et la consolation qui me serait la plus douce m’est refusée.


Reçois au moins, mon aimable enfant, ce témoignage de ma tendresse : en me lisant, tu croiras être près de moi ; en t’écrivant, je me fais la même illusion ; attendons tout du temps et de la Providence : s’il lui plait un jour de nous rapprocher, je ne regretterai ni ma jeunesse, ni ma fortune, puisque mes derniers jours s’écouleront dans le sein de la nature et de l’amitié.