Contes danois (Andersen)/Introduction

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INTRODUCTION


Le poète danois Andersen est un auteur fécond qui a abordé tous les genres littéraires ; nous trouvons dans ses œuvres des poèmes, des satires, des relations de voyages, des drames, des comédies, des romans et des contes. Autant qu’il nous est permis d’en juger, c’est dans le conte qu’il a déployé la plus grande originalité. Aussi ses contes, plus encore que ses autres ouvrages, se sont-ils répandus en tous pays. Ils ont été traduits en toutes langues, et partout ils ont joui d’une vogue soutenue. On peut dire qu’ils sont devenus populaires en Europe.

Les contes d’Andersen ont ce caractère d’unir toujours à une très grande richesse d’imagination, à une très riante fantaisie, un sens profond. Sous des conceptions parfois bizarres, il cache toujours une idée philosophique. C’est, du reste, à cette double condition seulement que les contes deviennent populaires. Voyez (pour prendre l’exemple le plus familier à nos lecteurs) les Contes de Perrault : malgré des apparences enfantines, ils renferment tous une moralité assez haute. Riquet à la Houppe et Peau d’Âne ont une signification qui n’échappe à personne ; et le Chat botté, et Cendrillon, et le Petit Poucet, et les Deux Sœurs, dont l’une, en parlant, jette des diamants et des perles, et l’autre des vipères et des crapauds ? Dans chacun de ces récits l’on aperçoit distinctement une leçon éternellement vraie, un sujet de méditation. Lorsque ce fond existe, la fiction peut être impunément puérile, fantastique, extravagante. Pourvu qu’elle saisisse vivement l’imagination, le but est rempli. Le Calila et Dimna de l’Orient, le Comte Lucanor de l’Espagne, tous ces recueils d’histoires qui ont traversé les siècles sans périr, se prêteraient aussi bien à la même observation.

Pour qu’ils puissent se graver dans la mémoire des générations successives, les contes doivent plaire également à l’enfance et à la vieillesse, puisque l’une est chargée de les transmettre à l’autre. Or ils ne plaisent pas à l’une et à l’autre par les mêmes qualités. La première y cherche des aventures naïves ou touchantes, des peintures pittoresques, des drames merveilleux. La seconde, lorsqu’elle y revient, veut y trouver l’image même de la vie et du monde. Il faut donc que les contes, pour vivre plus d’une saison, combinent ce double élément.

On s’étonne parfois que la littérature enfantine compte un si petit nombre d’œuvres durables, et qu’il soit si difficile d’y réussir. C’est qu’en réalité la littérature enfantine, si l’on entend par là une littérature qui ne conviendrait qu’à l’enfance, est une illusion. Il n’y a point de littérature qui ne doive être faite pour tous les âges. Seulement, pour descendre jusqu’à l’enfance et pour se rendre abordable aux jeunes esprits, il faut que les ouvrages d’imagination présentent des mérites beaucoup plus frappants et beaucoup plus rares. Ce qu’on peut établir comme une règle certaine, c’est que, si le livre destiné à vos enfants n’est pas lu avec autant d’intérêt par leurs parents et par leurs grands parents que par eux-mêmes, vous n’avez affaire qu’à une production éphémère et sans valeur.

Les contes d’Andersen s’adressent à tout le monde ; ils n’offrent pas seulement des tableaux pittoresques, des péripéties saisissantes, des personnages originaux ; ils ouvrent comme une source vive de pensées et de réflexions sur la vie et sur la destinée humaine. Le conteur peut nous conduire à travers les plus étranges labyrinthes de la fantaisie et de l’imagination. Nous sentons toujours le fil que le philosophe et l’observateur ont remis entre nos mains pour nous y diriger. Dès lors, ce qui nous rebuterait peut-être, si nous n’avions pas ce fil conducteur, nous enchante et nous ravit, et nous suivons sans résistance et avec plaisir le poète dans ses rêves splendides.

L’imagination du conteur danois, à dire vrai, est parfois vertigineuse. Une remarque que l’on a faite déjà et que nous pouvons répéter à son occasion, c’est que, par l’éclat et la hardiesse de l’invention poétique, les peuples du Nord rivalisent avec les peuples de l’Orient. Il n’y a pour lutter de merveilles avec le brûlant soleil de l’Inde, de la Perse et de l’Arabie, que la neige et la brume de l’Irlande, de la Norwége, de la Suède et du Danemark. Les extrêmes se touchent, dit-on : l’Edda rejoint les Vedas ; je ne sais rien de comparable aux Mille et une Nuits que les Mabinogion ou Nursery tales des anciens Gallois. Qui a le mieux traduit les magnificences de la poésie indienne dans un poème moderne ? c’est Thomas Moore, un Irlandais, dans son poème de Lalla Rook.

Mais si l’imagination, de part et d’autre, semble d’une égale richesse, elle n’a point pour cela le même caractère et ne revêt pas les mêmes couleurs. Dans le Nord, la pensée est toujours quelque peu nuageuse, toujours teintée de mélancolie et de tristesse. La féerie n’y est guère que la personnification des forces turbulentes et redoutables de la nature : l’homme, dominé par elles, leur prête la vie de l’esprit. Pour lui, le ciel et la terre se peuplent d’êtres symboliques ; tout l’univers s’anime.

Ce naturalisme n’existe nulle part à un degré plus remarquable que dans Andersen. Il n’est point d’objet qu’il n’ait touché de sa baguette magique et doué de la vie et de la parole. Ses récits forment comme un concert où tous les êtres se répondent. L’homme y fait sa partie avec toutes choses. Non seulement les éléments, les vents, les orages, les eaux, le feu du ciel, non seulement les animaux, les arbres et les plantes lui donnent la réplique, mais les meubles qui l’environnent, les instruments qui lui servent, les jouets qui l’amusent. Il a la faculté de les voir vivre et de les entendre parler. La matière inerte n’existe pas pour lui.

Les héros des contes d’Andersen sont le plus souvent des enfants, des jeunes gens. Rarement il les conduit au delà de la jeunesse. Il est comme la plupart des poètes que le printemps de la vie et le printemps de l’année charment presque exclusivement. Il a l’ironie humoristique, mais il y joint beaucoup de sensibilité et de grâce ; la satire n’est chez lui jamais cruelle. Ajoutez à cela une grande pureté de sentiment, et vous avez assez exactement, je crois, le caractère général de l’œuvre du conteur danois.

Ces traits qui leur sont communs n’empêchent pas qu’il y ait une grande diversité parmi les contes d’Andersen : les uns sont pris dans la vie réelle et ne mettent en scène que des personnages humains ; c’est le plus grand nombre de ceux qui composent notre recueil, car nous croyons qu’ils s’accordent mieux au goût de notre nation et de notre temps ; tels sont : Ib et la petite Christine, Elle se conduit mal, Une Histoire dans les dunes, le Fils du portier, Sous le saule, Ce que le vieux fait est bien fait, Caquets d’enfants, Un Crèvecœur, le Jardinier et ses maîtres. Les autres sont de pures féeries : tels sont la Reine des neiges, la Fille du Roi de la vase ; et, dans un caractère différent et se rapprochant de l’apologue : Un Couple d’amoureux, le Schilling d’argent et les Aventures du chardon. D’autres enfin mêlent à dose à peu près égale la réalité humaine et le fantastique, sans que jamais l’élément fantastique, introduit parmi des tableaux d’une vérité très franche, choque l’esprit du lecteur. À cette dernière catégorie appartiennent la Vierge des glaciers, le Sylphe, Une feuille du ciel.

Dans le choix que nous avons fait nous avons cherché la variété, et nous nous sommes proposé d’offrir un spécimen assez complet du talent du conteur. Ce talent est déjà connu et apprécié en France ; mais nous espérons que ce nouveau recueil ajoutera à la réputation dont l’écrivain danois jouit parmi nous.

Louis MOLAND.