Contes de l’Ille-et-Vilaine/Le Chien Noir

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Contes de l’Ille-et-Vilaine
Contes de l’Ille-et-VilaineJ. Maisonneuve (p. 272-274).


LE CHIEN NOIR

La mère Valentin, fermière aux Noyers, dans la commune d’Orgères, me fit un jour le récit suivant :

Une femme étant en mal d’enfant, au village de la Haie-de-Chartres, on envoya, la nuit, un tailleur appelé Favrais, chercher une sage-femme qui habitait la Grenadière, dans la paroisse de Bruz.

En marchant, Favrais s’aperçut qu’un tout petit chien noir le suivait. Bientôt l’animal le devança, marchant devant lui au point de l’empêcher d’avancer, tournant tout autour de sa personne, faisant mille farces.

Aux échaliers des chemins, le chien chercha plusieurs fois à jeter le tailleur par terre, puis, soudain, apparut à l’homme d’une grosseur démesurée.

L’infortuné couturier fut pris d’une peur affreuse et se mit à courir comme un insensé.

Quand il arriva chez la mère Drouin, — c’était le nom de la sage-femme, — il n’avait plus figure humaine. Il raconta ce qui lui était arrivé et dit à la vieille : « Venez voir, dans la cour, le chien noir qui me suit depuis chez moi. »

La sage-femme sortit de chez elle, mais ne vit rien. Elle supposa que le bonhomme avait bu un coup et fait un mauvais rêve.

— Partons, dit-elle, puisqu’on m’attend.

Elle n’eut pas fait un quart de lieue qu’elle partagea la frayeur du tailleur : le temps était calme, les étoiles brillaient au ciel, pas un souffle d’air ne venait effleurer leur visage, et cependant les buissons frissonnaient, les arbres gémissaient, et un bruit étrange semblait les poursuivre.

Lorsqu’ils arrivèrent à la Haie-de-Chartres une voix leur dit : « ne vous pressez pas, vous avez le temps. » Et cependant personne n’était près d’eux.

La sage-femme entra dans la maison, où la malade était au plus mal ; si elle avait seulement tardé de dix minutes, elle eut trouvé morts la mère et l’enfant. La délivrance eut lieu fort heureusement et un garçon vit le jour.

Au même instant, par la fenêtre donnant sur le courtil, et laissée ouverte, on entendit les branches d’un cerisier craquer, se briser et tomber par terre.

C’était, à n’en pas douter, le diable caché dans l’arbre, qui manifestait à sa façon son mécontentement de n’avoir pu empêcher la mort de deux créatures humaines.