Contes de la Haute-Bretagne/La faucille, le chat et le coq

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VIII

LA FAUCILLE, LE CHAT ET LE COQ

Il y avait une fois trois garçons qui perdirent leur père et leur mère. Leurs parents n’avaient point été économes, de sorte qu’à leur mort ils ne laissèrent pour tout héritage qu’une faucille, un coq et un chat.

L’aîné dit à ses frères :

— Comment faire ? Nous allons partager et chacun de nous aura un objet, puisqu’il y en a trois. Lequel choisis-tu, demanda-t-il au plus jeune ?

— Je veux la faucille, répondit-il.

— Et toi ? dit-il au second.

— Moi, je prendrai le coq.

— En ce cas, dit l’aîné, c’est moi qui aurai le chat.

Ils se mirent en route tous les trois pour chercher à gagner leur pain, et ils emportèrent avec eux leur héritage. Ils arrivèrent dans un pays où l’on faisait la moisson ; mais au lieu de scier le blé, les gens se servaient d’une alène pour couper chaque brin, et il y avait une multitude de monde qui y étaient occupés, et encore ils n’avançaient guère à la besogne. Celui qui avait la faucille s’approcha des moissonneurs et leur dit :

— Ah ! mes pauvres gens, est-ce ainsi que vous ramassez le blé ici ?

— Oui, répondirent-ils, c’est l’usage du pays.

— Voilà, dit-il en montrant sa faucille, une petite bête qui va bien plus vite en besogne.

Il prit sa faucille, et en quelques minutes il eut coupé un sillon tout entier. Il remit sa faucille sur son épaule en disant :

— Quand on a fini un sillon, on met la petite bête sur son épaule, et on recommence à l’autre.

— Voulez-vous, demandèrent ceux à qui était la maison, nous vendre votre petite bête ?

— Non, répondit-il.

— Si, vendez-nous-la. Combien voulez-vous ?

— Six cents francs.

— C’est trop cher.

— Au revoir, dit le garçon, qui remit sa faucille sur l’épaule et s’en alla. Mais bientôt il entendit crier :

— Hé ! jeune homme, voulez-vous vendre votre bête cinq cent cinquante francs ?

— Oui, répondit-il.

Ils lui comptèrent l’argent, et il dit à ses frères :

— Maintenant nous allons avoir de quoi manger du pain.

Les trois frères continuèrent leur route et arrivèrent à une maison où ils demandèrent à loger.

— Nous voudrions bien, répondirent les gens ; mais on ne peut dormir chez nous : dès que la nuit est venue, il vient des petites bêtes qui rongent tout et viennent même mordre ceux qui sont couchés.

— Nous n’avons pas peur, répondit celui qui avait le chat, donnez-nous une chambre.

Ils menèrent les frères dans une chambre, et bientôt il y vint tant de rats et de souris qu’on ne voyait plus le plancher ; mais le chat se précipita sur eux et en étrangla plus de mille. Les frères dormirent tranquilles et le lendemain quand les gens de la maison vinrent, ils leur dirent :

— Voyez si ma petite bête a produit de l’effet.

— Ah ! oui, dit le maître ; il m’en faudrait bien un comme cela ; voulez-vous nous la vendre ?

— Non, j’aime mieux la garder.

— Si, vendez-nous-la ; quel est votre prix ?

— Sept cents francs.

— Non, c’est trop cher. Donnez-nous-la pour six cents.

— Non.

— Tenez, voilà sept cents francs, laissez-nous la bête.

Celui qui avait le chat était bien content, et il disait à ses frères :

— Nous comptions être obligés de chercher notre pain ; regardez comme notre petit héritage nous rapporte.

Ils allèrent plus loin, et au soir ils entrèrent dans une maison où ils demandèrent à coucher.

— Nous voulons bien, leur répondit-on ; mais cette nuit il faudra lever avec les autres pour aller chercher le jour dans un sac.

— Ah ! dit celui qui avait le coq, j’ai là une petite bête qui fait venir le jour ; quand il a chanté trois fois, le jour arrive ; vous n’aurez pas besoin de vous déranger pour aller le chercher dans un sac.

Les trois frères se couchèrent, et leur coq était à côté d’eux. Il chanta une fois puis deux, et à la troisième fois le jour vint sans qu’on eût été le chercher.

— Ah ! disait les gens de la maison, voilà une petite bête bien commode ; vendez-nous la bête qui apporte le jour, nous n’aurons plus besoin de sortir pour le prendre dans nos sacs. Combien en voulez-vous ?

— Huit cents francs.

— Donnez-nous-la pour sept cent cinquante.

— Tenez, la voilà.

Ils donnèrent le coq, et s’en retournèrent bien contents. Puis ils se dirent :

— Nous sommes frères et nous allons partager par parts égales.

Ils se marièrent tous les trois avec de belles femmes, et ils furent heureux toute leur vie, et s’ils ne sont pas morts ils vivent encore.

(Conté en 1880 par Suzon Ledy, d’Ercé, âgée de 70 ans.)