Contes de l’Ille-et-Vilaine/Le Lutin

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Contes de l’Ille-et-Vilaine
Contes de l’Ille-et-VilaineJ. Maisonneuve (p. 235-237).


LE LUTIN

Un soir d’hiver, nous dit le gars Daubé, de Liffré, vers sept heures et demie ou huit heures, comme nous demeurions à la Croix de la Mission, mon père qui était bûcheron, envoya mon frère François à la Mortais, chez Pierre-Marie Louvet, pour lui demander s’il fallait commencer à abattre ses chênes. Il y avait ben une lieue de chemin, et il était tout à fait tard quand mon frère rentrit. Il était essoufflé et le peil[1] li piquait dans la tête.

— Qu’as-tu donc ? li dit mon père.

— Ah ! mon Dieu ! Je viens de voir ce que je n’avais jamais vu.

— Qu’as-tu vu comme ça ? que j’lui dîmes.

— J’ai vu le lutin.

Et il nous raconta qu’au moment de passer la planche jetée sur le ruisseau des prés Moriaux, il avait aperçu, de l’autre côté, un mouton tout blanc qui ouvrait la goule tant qu’il pouvait.

— Tiens, pensit mon frère, v’là un drôle de mouton ; on dirait qu’il rit de ma.

Mais comme le gars n’était peuroux race en tout, il n’y prit point autrement de garde, et continua sa route.

Arrivé à la brèche du champ, v’là mon François qui s’mit à califourchon sur la barrière pour passer de l’autre côté, quand tout d’un coup, sauf votre respect, il se trouvit à bas, le cul par-dessus la tête, sans pouvoir comprendre comment que ça se fit.

Il se releva promptement, et vit le mouton près de lui, qui riait aux grands éclats, sans comparaison comme une personne naturelle.

Pour le coup, la peur le print et il s’en sauvit jusqu’au village, le mouton à ses trousses à c’qui nous dit.

Dame ! François en resta tout drôle de c’t’affaire-là, pendant pus de huit jours, et pourtant, je vous l’promets, il n’était point bobillon l’pauv’gas.

  1. Poil, cheveux.