Contes de l’Ille-et-Vilaine/Les Pilous

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Contes de l’Ille-et-Vilaine
Contes de l’Ille-et-VilaineJ. Maisonneuve (p. 237-240).


LES PILOUS

Un soir de la Toussaint — il n’y a pas longtemps de cela — le neveu du père Gautier, de Saint-Brice, s’en alla chercher du foin dans le fenil pour affourer ses vaches. Quand il fut dans le grenier, il entendit du bruit dans tous les coins, mais sans rien voir. Ce bruit ressemblait à celui que font les ouvriers lorsqu’ils écrasent les pommes à cidre dans les auges de bois ou de pierres.

Le gars, effrayé, appela son tonton qui monta à son tour dans le senas[1], et dit bien poliment aux lutins : « Voulez-vous ben, s’il vous plaît, cesser votre tapage, que je prenne du foin pour ma jument ? » Le bruit cessa ; mais le fermier était à peine dans le degré[2] que le tapage recommença, c’étaient les pilous.

Plusieurs personnes, réunies dans une étable pour la veillée, entendirent les lutins. Le bruit commençait comme s’il n’y avait que deux pilous à marcher : un, deux ; un, deux.

Le gas Pelot[3] dit en riant : « Si vous étiez trois, m’est avis que ça irait mieux. » On entendit : un, deux, trois ; un, deux, trois. D’autres personnes demandèrent quatre pilous, cinq pilous, etc., et le nombre de coups allait toujours en augmentant.

Une autre fois, trois jeunes filles couchées ensemble entendirent les pilous. Elles voulurent imiter les personnes de la veillée, mais elles en demandèrent trop, et les lutins vinrent frapper et marcher sur la carrée du lit. Effrayées, les filles se turent, laissèrent les pilous s’amuser à leur aise, et bientôt tout rentra dans le silence.

Un vieil avare dit un jour : « Tiens, puisque les pilous viennent chez nous et que nous avons de la filasse à piler[4], pourquoi ne feraient-ils pas notre besogne, ça nous dispenserait de payer des journalières. »

Tout joyeux de son idée, il porta un gros paquet de filasse dans son grenier, d’où partait le bruit.

Le soir, les pilous firent leur manège habituel ; mais le lendemain matin, quand le bonhomme eut grimpé son degré, qu’on juge de sa désolation, lorsqu’il vit sa filasse hachée et éparpillée à tous les vents. Il y en avait partout : sur les poutres, sur les chevrons du toit, dans tous les coins et recoins. Vous dire si l’avare avait le nez long, et s’il eut envie de recommencer.

Autre part, on entend ces lutins dans le coin du foyer ou dans les murs de la maison, malgré tout ce qu’on peut faire, il n’est pas possible de les apercevoir.

  1. Grenier au foin.
  2. Échelle.
  3. Paul.
  4. Broyer.