Contes de tante Rose/01

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Éditions Édouard Garand (p. 5-7).

CHAPITRE I

TANTE ROSE

Un matin, quinze jours après son mariage, Jean Dubeau se réveilla, songeant à la nouvelle tâche qu’il avait assumée, à la très grande responsabilité de fonder un foyer. Joyeuses noces, fêtes de plaisir, repas succulents, visites aux parents, étaient choses du passé. Il fallait maintenant envisager la réalité, quitter le toit paternel, s’en aller commencer à deux, une vie nouvelle, inconnue, sujette au caprice de la destinée, vie toute remplie de sourires pour le moment, sans s’arrêter à chercher ce que cache l’avenir.

Après réflexion, Jean proposa à son épouse d’aller demeurer à Manchester, état du New-Hampshire, où habitait sa bonne tante Rose, de laquelle il avait gardé un bon souvenir, malgré qu’il l’eut perdue de vue depuis nombre d’années.

Le choix de Jean était des plus heureux. Manchester, la ville reine de l’État, était renommée pour sa propreté et l’ordre parfait qui régnaient dans ses murs. Enfouie dans une forêt verdoyante, elle semblait aux regards du voyageur venant au loin, un immense parterre de verdure. En entrant dans la ville, le cœur du visiteur se délectait d’aise, en respirant l’air pur, embaumé. Il admirait les belles rues larges, droites, allant du sud au nord et de l’ouest à l’est, les nombreux terrains où l’enfance prenait ses ébats. Les Canadiens-Français surtout ne pouvaient s’empêcher de remarquer avec orgueil les monuments religieux érigés par les compatriotes pour la gloire du saint nom de Dieu ; que tous ces temples canado-américains faisaient face au soleil levant, semblant chanter sous l’œil d’or, la foi, l’espérance et l’amour du « Je me souviens toujours. »

Un autre sujet de contentement pour Jean et son épouse d’avoir choisi cette ville entre beaucoup d’autres, ce fut le sympathique accueil dont ils furent l’objet et de la part de Tante Rose et des autres parents.

C’est que la chère tante était bien toujours la même, avec ses beaux yeux noirs remplis de douceur et de tendresse qui se reflétaient sur tout son entourage. Ses cheveux avaient blanchi, mais cela ajoutait un charme de plus à cette figure toute de candeur, et de prévenante bonté. Elle était toujours la même, toujours prête à rendre service et par ses bons conseils et par son encouragement à faire le bien.

Charitable, et d’une piété à toute épreuve, elle possédait aussi le don de raconter. Toujours, en toute occasion, elle savait intéresser, elle avait un bon mot de foi naïve, que dans son cœur de mère canadienne et de femme chrétienne elle savait placer pour démontrer la bonté de Dieu.

Que de bonnes et charmantes veillées, où les parents rassemblés passaient des heures entières à l’écouter attentivement, dans un religieux silence, raconter des histoires du temps passé.

Des histoires de naufrages suivies d’aventures extraordinaires, qui figeaient d’horreur les auditeurs, aux récits des souffrances endurées ; des récits de petits diables malfaisants qui faisaient blêmir les jeunes enfants, puis trépigner de plaisir, lorsque, rendus à la fin, ils voyaient la manière dont ils avaient été roulés par ceux qui, regrettant leurs fautes, prenaient de bonnes résolutions pour s’éloigner du mal et faire le bien : des légendes de hautes moralités parlant de la fierté nationale, et qui souvent portaient à accepter la souffrance pour la Foi de son Dieu.

Enfin, tante Rose était pour tous une véritable mère, et Jean lui avait voué une telle affection qu’il en était presque venu à oublier ses vieux parents qu’il avait quittés.

Tout marchait pour le mieux. Jean avait trouvé un emploi rémunérateur. La tante Rose avait justement deux chambres de libres qu’elle s’était empressée de mettre à la disposition de Jean et de son épouse, qui dans ce milieu écoulaient des jours heureux.