Contes des fées/Belle-mignonne

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Contes des féesCharavy frères, éditeur (p. 19-33).


I



COMMENT BELLE-MIGNONNE AIMA LE PAGE PARFAIT
AU DÉTRIMENT DE BEAUX FILS DE ROIS


L’Infante avait seize printemps,
Dont je vous veux conter la vie.
La légende que j’ai suivie
Fait régner son père du temps
Que l’histoire n’était écrite ;
Il n’importe. Mais je voudrais

Faire aimer ses gentils attraits
Selon leur grâce et leur mérite.

Belle-Mignonne était son nom :
Ce nom, s’il faut que j’en raisonne,
Venait de ce que sa personne
N’avait trait qui ne fut mignon.
Parmi les plus belles merveilles,
Il n’était point telle beauté,
Tant que chaque Prince invité
N’avait plus que soucis et veilles.
Ils amenaient de grands présents
En or, joyaux et haquenées,
En étoffes bien façonnées,
En santal, myrrhe et grains d’encens,
Ce qui faisait bien mieux l’affaire
Du Roi que les maigres cadeaux
Qu’en sonnets, dizains et rondeaux,
Les Poètes lui venaient faire.

Parmi tous ces beaux fils de Roi,

Etait un pauvre petit page ;
Il n’avait aucun équipage,
Or, ni joyaux, ni palefroi :
Le rang ne vaut âme bien faite.
Son nom de page était Parfait,
De ce que son âme, en effet,
Comme sa mine, était parfaite.

L’Infante l’aimait en secret,
Bien qu’encore aucune parole,
Bouquet parlant ou banderole
Eût assuré l’amant discret,
Et notre amant, mélancolique,
D’autre part, ne pouvait oser
A si grande Dame exposer
Sa très amoureuse supplique.
Ils faisaient pourtant de grands voeux,
Ne voulant qu’être unis ensemble.
Tout en n’avouant rien, ce semble,
Ne peut-on compter pour aveux
Rougeur et trouble en l’attitude

Qui ne trompe le bien-aimé,
Et par coup d’œil à point nommé
Leur bienheureuse inquiétude ?


II



COMMENT BELLE-MIGNONNE AVAIT EU DE SA MARRAINE LE DON DE FAIRE NAITRE DES FLEURS SOUS SES PAS AUSSITOT QU’ELLE AIMERAIT



Sachez, sans aller plus avant,
Que Mignonne eut à sa naissance,
D’une Fée, unique en puissance,
En magie et charme savant,
Le joli don de faire naître,
Sous ses pas, des fleurs à foison,
En tout temps et toute saison,

Quand Amour se ferait connaître.
Notre Marraine avait été
Malicieuse autant que bonne,
En cela contraire à Sorbonne,
Qui n’a malice ni bonté.

Il advint, comme bien on pense,
Qu’à son fait, petit à petit,
Leur même désir aboutit,
Et qu’Amour eut sa récompense :
Le page reçut, un beau jour,
Un message de sa maîtresse,
Qui lui mandait, par lettre expresse,
De l’attendre au pied de sa tour,
Qu’elle descendrait à sa vue,
Et que le soir même elle irait,
Avec le Page, où Dieu voudrait.
Et de son seul amour pourvue.
Dans un pli de satin léger
L’Infante enferma son message,
Et quelque linot de passage

Fut au Page bon messager.

La rencontre eut lieu, j’imagine.
Et, cette nuit-là, par les champs
Il fut dit bien des mots touchants,
Et bien baisé deux mains d’hermine.
— Laissons-les, où qu’ils soient allés :
Dès l’aube, une route fleurie
Vers nos amants, en ma féerie,
Nous conduira, si vous voulez ;
Car le don que de sa Marraine
Eut Belle-Mignonne en naissant
Fit que ses pieds allaient traçant
Un beau chemin de fleurs, sans graine.

Chacun de ses pas amoureux
Avait fait naître œillets, pervenches,
Roses roses, rouges et blanches.
Pavots divers et lys nombreux,
Et naître mauves, pâquerettes,
Herbe aux perles, reines des prés,

Hyacinthes, glaïeuls pourprés,
Folle avoine aux folles aigrettes,
Et naître encore serpolets,
Muguets, sauges et véroniques,
Pivoines aux rouges tuniques,
Soleils d’or, iris violets,
Et roselettes centaurées,
Basilics aux parfums troublants,
Menthes, liserons bleus ou blancs
Et belles-de-nuit azurées,
— Et, s’il fallait dire en tout point
Les fleurs qu’elle avait fait éclore,
Pas plus que les jardins de Flore,
Mon jardin n’y suffirait point.


III



COMMENT LE ROI ET LA COUR SUIVIRENT LES AMANTS A LA TRACE ET DÉCOUVRIRENT UN CHATEAU DE FLEURS AU LIEU DE FORET




Quand les servantes éveillées
Virent jusqu’aux horizons bleus
Ce beau chemin miraculeux,
Du haut des tours ensoleillées,
En hâte, aux Dames du palais
Elles furent conter la chose,
Et les Princes, pour même cause,
Furent cherchés par leurs valets.
Ce fut un grand remue-ménage
Dans le château, jusqu’à ce point
Qu’ayant mis son plus beau pourpoint,
Le Roi fut du pèlerinage.
La Cour entière par les prés
Marchait en bel ordre à sa suite,
Suivant nos amants et leur fuite
En tous ses détours diaprés.


La surprise était infinie
De ce que ce nouveau printemps
Foisonnât de fleurs dans le temps
Qu’il n’est aux champs qu’herbe jaunie.

Or cet admirable chemin
Menait à la forêt prochaine :
Il n’était charme, orme, if ou chêne
Qui ne fût tendu de jasmin,
De chèvre-feuille, de glycine,
De vigne vierge et d’autres fleurs,
Mêlant et tramant leurs couleurs,
D’une branche à l’autre voisine.
Tant et si bien, qu’en ces beaux lieux
Ce n’est plus, comme en l’entourage,
Forêt d’automne sans ombrage,
Mais plutôt palais merveilleux,
Aux murs faits de branches taillées,
Et bâtis de fleurs en arceaux
Où chantaient de rares Oiseaux,
Sur des corniches de feuillées.


De leurs cent voix, l’écho chanteur
Salua le Roi dès l’entrée,
Dont l’âme encor fut pénétrée
D’une même et fraiche senteur,
Laquelle était si bien formée
De tant de parfums différents,
Qu’à mon embarras je comprends
Qu’aucun auteur ne l’ait nommée.
Le Roi, du portail, pas à pas
Poussa jusques aux galeries
Où figuraient ses armoiries
De lys sur ne-m’oubliez-pas.
Il fut touché de cet hommage
De Fée à Monarque, d’autant
Que les Oiseaux allaient chantant
Ses hauts faits en humain ramage.


IV



COMMENT BELLE-MIGNONNE ET LE PAGE PARFAIT FURENT TROUVÉS L’UN PRÈS DE L’AUTRE ENDORMIS




Les Oiseaux avaient leur secret
Qui le précédaient par volée,
Le menant d’allée en allée,
De salon en grotte et retrait.
Toute la noble multitude
Cueillait des fleurs, chemin faisant,
Et l’on parvint, en devisant
De solitude en solitude,
Jusqu’à l’Antre d’or où, parmi
Des fleurs plus blanches que nature,
Mignonne, en belle créature,
Dormait près du Page endormi.

Le Roi ne contint sa colère
Devant ce spectacle nouveau :
Tel cas à son royal cerveau

Ne pouvait, vraiment, que déplaire.
Et tout, dans le premier moment,
En voyant ce tableau coupable.
Il aurait bien été capable
D’ordonner qu’on pendît l’amant.
N’était-ce point un pauvre sire,
N’ayant sou, ni maille, ni nom,
Si mince et petit compagnon
Qu’écuyer n’eut daigné l’occire !

Ils étaient pourtant beaux ainsi,
Tête contre tête penchée,
Chevelure en blonde jonchée,
Et bras enlacés à merci.
Ils souriaient, et dans leur rêve,
Aussi charmant qu’eux et léger,
Ils semblaient encor prolonger
L’heure aux amants toujours trop brève ;
Car ils balbutiaient entre eux
Des mots si doux de voix si tendre,
Qu’aux bois il n’est plus doux d’entendre

Ensemble ramiers amoureux.
— « Je vous aime, Belle-Mignonne ; »
— « Je vous aime, Page-Parfait ; »
Redisaient-ils. Amour de fait
Autrement ni plus ne jargonne.

Le bel Amour n’a jamais tort.
Le Roi pouvait-il d’aventure
Empêcher que, contre nature,
Amant aimé fût le plus fort ?
Contre ouragan, feu, fer et flamme,
Contre vent, marée et fureurs,
Poisons, serpents, rois, empereurs,
Prévaut force aimante de l’âme.
Notre Roi donc, bien qu’à regret
Et bien qu’il perdit l’assurance
Des grands présents qu’en espérance
Chaque Prince à sa fille offrait
(Ce dont il faisait le décompte),
Consentit bien à les unir,
Ainsi qu’il devait advenir

De la façon que je raconte.
Tout bon courtisan approuva,
Quoiqu’il en eût de jalousie.
Il n’est royale fantaisie
Qu’on ne suive comme elle va :
Aussi fut-ce chants d’hymenée,
Fleurs en bouquets et compliments
Autour du réveil des amants
Et de leur grand’joie étonnée.

Les noces durèrent trois mois :
Il faudrait pour les conter telles
Les belles Muses immortelles
De Ronsard, le grand Vendomois.
Sachez seulement que la Reine
Et le Roi n’oublièrent pas
De faire prier au repas
La malicieuse Marraine.




MORALITÉ


Ce chemin de fleurs peut montrer,
Si ma fable vous embarrasse,
Qu’Amour laisse après soi sa trace ;
Et d’où je veux encor tirer
Qu’Amour est chose si fleurie,
Qu’il ne se peut longtemps cacher,
Ni ses belles fleurs empêcher
D’être telles qu’on s’en récrie.