Contes des landes et des grèves/La mort du bon Dieu

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Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 301-304).

XLI

LA MORT DU BON DIEU


Il était une jeune fille de Plédéliac qui alla à la messe le Vendredi Saint. Quand elle rentra chez elle, elle se mit à pleurer, et dit à sa mère :

— Maman ! tu ne sais pas ? le bon Dieu qui est mort !

— Rêves-tu, ma pauvre diote ?

— Mais non, maman ; c’est bien vrai qu’il est mort ; il lui ont donné les prières ce matin.

— Ah ! s’écria alors la mère ; nous avons fait une grande perte ; mais, lequel qui est mort ? était-ce le gars, ou bien le bonhomme ?

— Ils n’ont pas dit lequel, reprit la fille ; mais je pense que c’était le bonhomme, car c’était le plus vieux. Mais, qui est-ce qui commandera le ciel, à présent que le pauvre bonhomme de bon Dieu est mort ?

— Apparemment, répondit la mère ; ce sera son gars.

— Ah ! s’écria la fille ; le gars est bien jeune ; il s’abandonnera aux plaisirs, et cela ne marchera pas aussi bien que quand son bonhomme de père vivait.

Et la bonne femme et sa fille se mirent à se désoler, et si elles ne sont pas mortes, elles se désolent encore.




Il était une fois à Plédéliac, une bonne femme qui avait un fils en âge de faire sa première communion, et elle l’envoyait tous les dimanches au catéchisme.

Un dimanche M. le recteur lui demanda :

— Quel jour le bon Dieu est-il mort ?

— Est-ce qu’il est mort ? répondit le garçon ; je n’avais seulement pas entendu dire qu’il était malade.

— Mon garçon, dit le recteur, vous pouvez vous retirer ; vous ne ferez pas votre communion cette année.

Le petit gars s’en alla en pleurant, et quand il arriva auprès de chez lui, il n’osait rentrer. Sa mère, qui le voyait tourner autour de la maison, lui dit :

— Mais tu as bien pleuré, mon pauvre Chéo ? — car à Plédéliac, on appelle Chéo tous ceux qui se nomment ailleurs Cho, ou, si vous aimez mieux, François.

— Ah ! oui, répondit-il ; M. le recteur m’a dit que je ne ferais pas ma communion.

— Pourquoi donc, mon pauvre Chéo ?

— Parce que je ne savais pas que bon Dieu était mort ; vous auriez dû me le dire.

— Bonne foi de conscience, répondit la bonne femme ; je n’en savais rien non plus.

Et à l’instant elle se rendit au presbytère.

— C’est comme cela, M. le recteur, dit-elle, que vous avez dit à mon gars Chéo qu’il ne ferait pas sa communion ? Depuis qu’il est chez nous, il ne fait que braire (pleurer).

— Quel Chéo ? demanda le recteur.

— C’est Chéo Hervé.

— Mais, reprit le recteur, il est aussi trop ignorant, votre Chéo ! je lui ai demandé quel jour le bon Dieu était mort, et il m’a répondu qu’il ne savait pas qu’il eût été malade !

— Ni moi non plus, dit la bonne femme, je n’en savais rien ; nous demeurons dans le fond des terres, et nous ne sommes pas aussi au courant des nouvelles que vous qui habitez le bourg, et qui lisez les journaux.


(Conté en 1881, par Isidore Poulain, de Pluduno.)