Aller au contenu

Contes des landes et des grèves/La souris grise

La bibliothèque libre.
Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 89-94).

VII

LA SOURIS GRISE


Il y avait une fois un bûcheron et sa femme qui demeuraient dans la forêt. Un jour que le bûcheron coupait du bois, il vit un homme qui dormait profondément, étendu au pied d’un chêne, et comme une couleuvre s’approchait de lui pour le piquer, le bûcheron la coupa en deux d’un coup de hache, puis il réveilla l’homme et lui dit :

— Comment osez-vous dormir ici, où il y a tant de couleuvres ? En voici une que j’ai coupée en deux, au moment où elle s’élançait pour vous piquer. Si vous avez envie de dormir, venez vous reposer dans notre cabane.

— Ah ! répondit l’homme, vous m’avez rendu un grand service ; la couleuvre que vous venez de tuer était l’amie d’une fée qui voudrait bien me voir mort. Prenez garde à elle : elle va se transformer en souris grise et venir chez vous ; elle essayera désormais de vous faire du mal pour venger sa commère la fée.

Le bûcheron et l’homme qu’il avait trouvé dans la forêt se mirent en route pour aller à la cabane, et l’homme lui demandait s’il désirait quelque chose :

— En travaillant je gagne de quoi manger du pain, répondit le bûcheron ; mais il y a longtemps que je suis marié et je n’ai point d’enfant ; pourtant ma femme et moi nous ne désirons rien au monde que cela.

— Bientôt, lui dit l’homme, vous aurez une fille ; mais sa mère mourra en lui donnant le jour ; veillez bien sur elle, car, jusqu’à ce qu’elle ait dix-huit ans accomplis, la fée aura le pouvoir de lui faire du mal.

Ils arrivèrent à la cabane, et le bûcheron offrit à son hôte de manger un morceau ; à peine étaient-ils entrés qu’ils virent dans l’aire une souris grise qui trottinait en faisant : Kuit ! kuit !

— Voici la méchante fée, dit l’homme — c’était le fils du roi ; — elle s’apprête à nous jouer de mauvais tours ; jetez-lui un morceau de lard ; si elle mord dedans, elle ne pourra plus nous nuire.

Le bûcheron laissa tomber tout doucement à terre un petit morceau de lard ; la souris grise tourna trois fois autour en disant : Kuit ! kuit ! elle le mordit, aussitôt il se forma autour d’elle une petite tente qui l’enveloppa. Le fils du roi la ferma avec un cadenas, et il en remit la clé au bûcheron, en lui recommandant de mettre la petite tente en lieu sûr et de ne jamais l’ouvrir.



La femme du bûcheron mourut en donnant le jour à une fille qui vint à merveille, et arriva à l’âge de dix-sept ans sans avoir jamais été malade.

La petite tente où la souris était enfermée était ramassée dans la maison, et le père avait souvent défendu à sa fille de l’ouvrir, en lui disant que si elle désobéissait, il serait perdu. Un jour qu’il était à travailler dans la forêt, elle eut envie de voir ce qu’il y avait dans la tente, et comme elle savait où la clé était cachée, elle l’ouvrit. Il en sortit une souris grise qui se promenait dans la maison et tournait autour d’elle en mordant son cotillon et en disant : Kuit ! kuit !

Elle prit son balai pour la chasser, mais, dès que le balai eut touché la souris, il se changea en une barre de fer rouge qui lui brûlait les mains. Elle alla chercher son chat pour la manger, mais dès qu’il l’eut approchée, il fut transformé en un gros crapaud, qui sortit clopin-clopant de la maison.

Son père arriva et lui dit :

— Pourquoi la maison est-elle ainsi en désordre ? où est ton balai ?

— Il était si vieux que je l’ai jeté au feu.

— Où est le chat ?

— Il est parti je ne sais où.

Cependant la souris grise continuait à mordiller le cotillon de la jeune fille.

— Qu’est-ce que cette souris grise qui est toujours après moi ? demanda-t-elle à son père.

— Ah ! s’écria le bûcheron, tu as ouvert la tente : la méchante bête va essayer de te faire faire plusieurs choses ; mais ne lui obéis pas, ou tu es morte.

La fille sortit de la maison ; mais la souris grise la suivait comme son ombre. Et la fille était à la veille d’atteindre ses dix-huit ans.

Elle rencontra une femme qui avait un panier dont le dessus était recouvert d’une vitre, et qui lui dit :

— Il ne faudra pas découvrir ce panier-là, sinon tu es morte.

Comme elle avait faim et soif, la femme lui dit :

— Je vais te chercher à manger, mais garde-toi de toucher au panier.

La souris grise mordait dans le panier, tournait tout autour, sautait par-dessus, comme pour inviter la fille à regarder dedans, mais celle-ci disait :

— Non, tu as beau faire, je ne toucherai pas au panier.

La souris courait, courait en disant : Kuit ! kuit ! mais la fille répétait : Non ! non !

L’heure où elle atteignait ses dix-huit ans arriva ; alors la souris grise cessa de tourner et lui dit :

— Tu es délivrée : tu vas être mariée avec un prince, et moi j’ai encore mille années à rester en souris.

N, i, ni
Mon petit conte est fini.


(Conté en 1880 par Joseph Macé, de Saint-Cast, mousse, âgé de 14 ans).