Contes des landes et des grèves/Le brigot et les grapillons

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Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 222-224).


XXV

LE BRIGOT ET LES GRAPILLONS


Il y avait une fois un petit brigot[1] qui voyait deux grapillons se promener sur le sable, et il se disait :

— Voilà deux crabes qui sont bien heureux ; ils vont rapidement où ils veulent, alors que moi je ne puis que me traîner sur les rochers, ou sur les herbiers. Que ne suis-je grapillon au lieu d’être brigot !

Un peu après la mer monta, et le vent souffla en tempête : les deux grapillons se réfugièrent dans la fente d’un rocher, à peu de distance du brigot, et s’y installèrent de leur mieux pour résister au mauvais temps. Le brigot alla leur demander la permission de se mettre à côté d’eux, mais ils lui refusèrent l’entrée de leur trou.

Le petit brigot se colla à son rocher le plus fort qu’il put, mais la mer le tourmentait, et il disait :

— Les deux grapillons ont bien de la chance ; ils ne sont pas secoués comme moi. Pourquoi ne m’ont-ils pas laissé entrer avec eux !

— Mon pauvre petit brigot, dit un minard[2] qui sortait d’un creux de rocher, tu ne serais plus ; car je viens de faire mon déjeûner de ceux qui t’ont refusé l’hospitalité, et je t’aurais mangé avec eux. Maintenant, je n’ai plus faim, et je vois que tu n’as pas la force de résister à la tempête ; monte sur mon dos, et j’irai te déposer sur les herbiers.

Le brigot monta sur le dos du minard, et il se disait : « Je suis bien aise de n’être pas grapillon ; car les grapillons sont exposés à bien plus de dangers que moi, et les autres poissons les mangent. Tant qu’à souhaiter d’être quelque chose, j’aimerais mieux être minard, comme le poisson qui me porte. »

Pendant que le brigot se disait cela, le minard qui nageait toujours, fut attaqué par un gros congre, accompagné de son ami le homard. Le minard se mit à leur cracher du noir pour les aveugler ; mais il fut blessé, et ses deux ennemis se mirent à le déchiqueter tout vivant.

Le brigot, qui avait quitté le dos du minard au commencement du combat, se disait :

« Je ne porte plus envie à aucun poisson ; j’aime mieux être brigot que minard ou grapillon. Étant tout petit, je suis moins exposé à être mangé ! »


(Conté en 1885 par François Marquer, de Saint-Cast.)
  1. Vignot.
  2. Pieuvre.