Contes du Pays Gallo/La Fée des Houx
LA FÉE DES HOUX
Le beau dolmen de la Roche-aux-fées est situé dans la commune d’Essé (Ille-et-Vilaine), derrière un fossé, au coin d’un champ. Ce dolmen, extrêmement curieux, parfaitement conservé, a été classé au nombre des monuments historiques de l’État. Il devait avoir jadis pour cadre une immense forêt recouvrant toute la contrée.
C’est une allée couverte de plus de 18 mètres de long, sur 2 mètres de haut, composé de 43 blocs de schiste superposés. Elle est divisée en deux pièces dont l’une sert pour ainsi dire d’antichambre à l’autre. Celle du fond est plus large, et plus élevée, plus spacieuse et a une ouverture qui permet d’entrer et de sortir sans être obligé de passer par le compartiment qui la précède.
Plusieurs pierres semblent suspendues dans l’espace, car les informes piliers qui les supportent se terminent quelquefois en pointe. On ne comprend pas comment de pareilles masses (6 mètres de long) peuvent demeurer en équilibre sur des appuis chancelants, à peine enfoncés en terre, et qui ne tiennent debout assurément que par l’énorme poids qu’ils soutiennent.
Un jour que j’étais assis au pied de ce monument des premiers âges, remontant en imagination les siècles qui se sont écoulés depuis son érection, et songeant aux cérémonies dont il a dû être le témoin, je fus tout à coup tiré de ma rêverie par un petit paysan qui s’en vint tourner autour de moi en me regardant d’un air curieux.
— Comment t’appelles-tu ? lui demandai-je.
— Jean-Marie Bosse, me répondit-il.
— Que fais-tu là ?
— Je garde mes vaches.
— Sais-tu qui a apporté ces grosses pierres dans le coin de ce champ ?
— Les fées, pardine.
— Mais comment faisaient-elles ?
— Dame ! elles en apportaient chacune trois à la fois, une sous chaque bras et une troisième sur la tête. Si l’une de ces pierres venait à leur échapper, c’était fini, le diable les empêchait de la relever. L’infortunée fée à laquelle était arrivé ce malheur devait recommencer le voyage.
Et en effet on rencontre dans les champs voisins, éparses çà et là, des pierres gigantesques couchées par terre et qui sont étrangères aux roches de ces champs.
Je demandai à Jean-Marie Bosse, d’où il tenait ce récit.
— Du père François, me répondit-il.
— D’où est-il, le père François ?
— De cheu nous. C’est un bonhomme qui sait de belles histoires.
— Et toi, en sais-tu ?
— Pt’-être ben que oui.
— Viens t’asseoir près de moi, je vais t’en dire une.
Le moutard parut ravi et écouta, la bouche ouverte, le conte de L’âne qui fait de l’or.
Je le fis rire aux larmes et parvins ainsi à lui délier complètement la langue.
— À ton tour maintenant, lui dis-je, quand j’eus terminé mon récit.
— V’lou la Fée des Houx ?
— Va pour la Fée des Houx.
I
Le bûcheron Jérôme et sa femme Gertrude, après une journée de travail, étaient assis dans le petit enclos attenant à leur cabane située dans la paroisse d’Essé.
« Ouf ! disait le vieillard (il avait près de 60 ans), en détirant ses membres, je suis brisé ce soir. En ai-je abattu aussi de ces malheureuses branches qui se tordent sous la cognée et semblent gémir en se détachant de l’arbre pour tomber sur le sol ! Tiens, Gertrude, c’est un triste métier que celui de bûcheron ; outre qu’il est fatigant, il m’arrive souvent d’avoir le cœur bouleversé en voyant les beaux chênes aux noueux rameaux, les sapins élancés et les bouleaux blancs tomber sous mes coups.
— Je t’engage, en effet, dit la femme d’un air moqueur, à t’apitoyer sur le sort des arbres et de leurs rameaux. Si je n’étais pas fatiguée, je crois vraiment que j’aurais du plaisir à t’écouter causer de la sorte.
« Tu penses peut-être, ajouta-t-elle, que de mon côté je n’ai rien fait de la journée ; tu te trompes, mon vieux ; moi aussi je suis harassée ce soir. J’ai profité du beau temps pour récolter les pommes de terre du courtil, et à l’heure qu’il est elles sont à sécher dans le grenier.
« Faut-il donc, mon Dieu ! continua Gertrude, qu’à notre âge, nous soyons obligés de travailler, sans repos ni trêve, pour vivre misérablement ? »
— Et dire que c’est notre mère Ève qui nous vaut tout cela, ajouta Jérôme.
— C’est tout de même vrai, dit Gertrude ; sans son inqualifiable curiosité, nous serions encore dans le paradis terrestre à rêver sous les bosquets en fleurs.
— Hélas ! oui, répliqua Jérôme en soupirant.
II
Un bruit étrange vint les distraire de leur conversation. La brise semblait agiter les feuilles d’un grand houx qui se balançait sur leur tête, et cependant le temps était parfaitement calme.
Tout à coup ils virent descendre de l’arbre une ravissante petite créature, pimpante, mignonne, coquette, qui s’approcha d’eux sans leur causer la moindre frayeur. Elle était charmante à voir. Sa tête était ceinte d’une couronne de houx, des petites baies rouges pendaient à ses oreilles, et un très joli collier de graines semblables ornait son cou. C’était la Fée des Houx !
« Braves gens, leur dit-elle, j’ai entendu vos plaintes et je viens y mettre un terme.
« Tenez, voici une bourse qui contient des pièces d’or. Prenez-la, disposez-en comme vous l’entendrez, et quoi que vous fassiez, jamais le nombre de pièces qu’elle contient ne diminuera. Seulement, j’y mets une condition.
« Voici un pot, parfaitement couvert, que nous allons enterrer ensemble à l’intérieur de la Roche-aux-Fées, et jamais vous ne devrez chercher à voir ce qu’il renferme ; vous veillerez même à ce que personne n’y touche.
« Souvenez-vous bien que, si vous veniez à soulever le couvercle de ce vase, votre bonheur serait anéanti, car l’or disparaîtrait de la bourse. »
Jérôme et Gertrude promirent et jurèrent de ne jamais toucher au pot, et certes leur engagement était sincère.
La fée sauta aussitôt avec une agilité surprenante sur les premières branches de son arbre et disparut derrière le sombre feuillage du houx.
III
Jugez de la stupéfaction, puis de la joie des pauvres gens qui n’avaient jamais été à pareille fête. Ils ne pouvaient se rassasier de la vue des louis d’or qui brillaient entre leurs doigts.
Leur bonheur, pendant les premiers jours, ne fut qu’une longue ivresse. Ils étaient comme de véritables enfants achetant tout ce qu’ils rencontraient et emplissant leur cabane d’objets inutiles. D’autres fois, ils invitaient des voisins à dîner et restaient à table des journées entières.
Les premiers mois se passèrent ainsi ; mais ils se fatiguèrent bientôt de cette existence peu en harmonie avec leur manière de vivre. Le temps leur parut long. Habitués à travailler sans cesse, le désœuvrement amena nécessairement l’ennui, ce vilain conseiller qui souffle à l’oreille de mauvaises pensées.
Ils se rendaient chaque jour à la Roche-aux-Fées, qui était à peu de distance de leur demeure, et souvent Gertrude disait : « Quelles jolies choses ce vase doit contenir ! »
Ou bien : « C’est une singulière idée qu’a eue la fée de nous défendre de regarder dans ce pot. Bien sûr qu’il doit y avoir un secret là-dessous. »
— Chasse donc tes idées, lui disait Jérôme ; si tu y songes toujours, il nous arrivera malheur.
Mais Gertrude y pensait nuit et jour.
Elle rêva une fois que la fée possédait un trésor immense, et que, craignant qu’on ne le lui dérobât, elle le leur avait confié à garder.
À partir de ce moment, elle n’eut plus de repos.
« Ah ! disait-elle à son mari, si nous avions ce trésor, nous pourrions acheter ces belles propriétés qui nous occuperaient, tandis qu’avec quelques pièces d’or, que veux-tu faire ? Rien ; mourir d’ennui absolument. »
Toutes ses idées s’étaient concentrées vers ce but, et parfois, la nuit, elle s’éveillait en s’écriant :
« Jérôme ! entends-tu ces bruits qui semblent venir de la Roche. On dirait des soupirs, des sanglots ! Oh ! je meurs de frayeur ! C’est peut-être un crime qui a été commis et dont on nous accusera ! Et puis, pour avoir contracté un pareil pacte avec la Fée, ne sommes-nous pas damnés ? »
Ces réflexions étaient faites dans le but de décider Jérôme à découvrir le fameux pot ; mais elle ne réussit pas. Furieuse, elle n’y tint plus. « Je deviens folle, mon Dieu ! s’écria-t-elle ; ma vie n’est plus supportable ! j’aime mieux voir disparaître nos pièces d’or et travailler comme je le faisais autrefois que d’endurer de pareils tourments. »
Elle s’habilla à la hâte et courut vers la roche. Elle y pénétra sans hésitation et se mit à gratter la terre avec rage pour découvrir le pot.
Jérôme qui l’avait suivie ne chercha pas à l’en empêcher.
Lorsque le vase fut débarrassé de la terre qui l’entourait, elle l’arracha violemment et le renversa sur le sol.
Un cri de surprise leur échappa à tous les deux.
Au lieu du trésor qu’ils convoitaient ils virent de la cendre et des os calcinés.
Les malheureux se mirent à pleurer, car l’or avait déjà disparu de leur bourse. Gertrude remplit le pot de son contenu, le recouvrit et le replaça tel qu’il était, puis s’en alla sangloter au coin de son foyer.
Pendant que Jérôme et sa femme étaient abîmés dans leur douleur, la fée était entrée à son tour dans la cabane et les contemplait en silence.
— Eh bien ! leur dit elle, avez-vous tenu vos promesses et vos serments ?
— Oui, dit la femme, allez voir le pot, nous n’y avons pas touché. Elle croyait ainsi tromper la fée.
— C’est faux ! reprit celle-ci. Vous n’avez pu vaincre votre curiosité, et par votre faute vous voilà pauvres comme par le passé. Souvenez-vous de la conversation que vous teniez lorsque je vous parlai pour la première fois, et voyez, Gertrude, s’il vous appartient d’accuser votre première mère ?