Contes du Sénégal et du Niger/Chapitre 35

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Ernest Leroux (p. 203-208).


LA GENNIA TRANSFORMÉE EN VENT


Un vieillard possédait pour tout bien un arc. Il appela son fils unique et le lui donna en lui disant : « Je suis trop vieux pour m’en servir prends-le et sers-t-en ». Il partit à la chasse.

Une gennia faisait paître dans la brousse son bœuf, qui était comme un Koba[1] très grand. Le jeune homme en eut peur. En rentrant il dit à son père : « Je n’ai vu qu’un grand Koba et je n’ai pas osé tirer ». Le père lui dit : « Tu n’es bon à rien ».

Le lendemain, il retourna à la chasse, le vent souffla, la pluie vint, le Koba aussi, mais il n’osa pas tirer. Il le dit à son père qui répondit : « Si demain tu vois le Koba et que tu ne le tires pas, ne rentre pas chez moi ».

Le lendemain, le jeune homme tira le Koba et le blessa. La gennia accourut furieuse et cria : « Quel est le méchant qui a blessé mon bœuf ? Ce ne peut être que le fils du vieux chasseur ». Elle courut pour le prendre, mais il grimpa dans un arbre : la gennia ne le vit pas et rentra chez elle. Le jeune homme revint chez lui, mais la gennia l’aperçut et se mit à sa poursuite. Ils coururent toute une journée.

Comme il passait à côté d’une troupe de jeunes filles qui dansaient dans la brousse, elles lui crièrent : « Pourquoi cours-tu ? ». Il répondit : « Une diablesse me poursuit, plus grande que tout ». Les jeunes filles lui dirent : « Reste avec nous : qui est plus fort que nous ? » Il continua sa course.

La gennia survint et leur demanda : « Vous n’avez pas vu le jeune homme qui a blessé mon bœuf ? » « Oui, dirent les filles, mais il est passé ». « Puisque vous ne l’avez pas arrêté, dit la gennia, vous aurez chacune une maladie différente ». Les unes eurent les mains contractées, d’autres devinrent fourmis, serpents. La gennia continue à courir.

Le garçon toujours courant passe près d’un célèbre forgeron, qui était assis avec d’autres forgerons. Un de ceux-ci lui dit : « Regarde ce jeune homme qui court ». On lui demande alors qu’est-ce qu’il fait, et il raconte pourquoi il se sauve. « Reste avec moi ? dit le grand forgeron ; qui est plus fort que moi. Regarde mon travail. Quand je dors, il faut pour me réveiller qu’on m’enfonce un fer rouge dans l’anus ». Il cache le garçon, mais quand il voit arriver la gennia, il lui dit : « Sauve-toi elle est trop forte pour nous ». Le jeune homme reprend sa course.

Arrive la gennia qui demande si on n’a pas vu le fils du vieux chasseur. « Il est passé », dit le forgeron. La gennia dit : « Puisque vous ne l’avez pas retenu, vous serez transformés en animaux ». Puis elle passe.

Le garçon rencontre des tisserands. L’un d’eux lui dit : « Quel est ce garçon qui court ? ». Un autre lui demande pourquoi il court. Il répond : « Une gennia me poursuit ». Comment, disent les tisserands, n’as-tu donc pas vu notre chef ? Dans chaque cuillerée il mange un mouton. » Ils gardent le jeune homme.

La gennia arrive : « Avez-vous vu le fils du vieux chasseur ? ». « Il est là », dit le chef des tisserands. Il met le garçon dans un sac, après lui avoir demandé s’il voulait être mis dans un grand ou un petit sac. Le garçon dit : « Dans un grand ». « Si je te mets dans un grand sac, répond le chef, tu seras perdu ». Il le met dans un petit sac. Une fois dedans, il marche sept jours sans trouver le milieu.

Le chef cause avec la gennia qui lui dit : « Si tu ne me donnes pas le garçon, nous ferons la guerre ». « Tu ne l’auras pas », dit le chef. Alors elle mange le chef. Il ressort par son anus. Elle le mange à nouveau : il ressort. Une troisième fois elle le mange et il ressort. Les tisserands regardent : le chef leur dit : « Faites votre travail ». Il prend un mouton, le mange, puis mange la diablesse, qui ressort par son anus : cela deux fois : à la troisième il s’asseoit, la diablesse ne peut plus sortir.

Le chef dit à un tisserand : « Va me chercher le garçon ». Le tisserand l’appelle pendant trois jours mais le garçon ne l’entend pas. Enfin le chef l’appelle ; le garçon vient et il lui dit : « La gennia est morte. Si tu veux, j’en ferai un bourricot pour toi. » « Non, dit le jeune homme : j’ai peur qu’une fois dessus, il ne m’emporte ». « Veux-tu que j’en fasse un cheval ? ». « Non, je m’en méfie ». « Veux-tu que j’en fasse du vent ? ». « Oui, pourvu que ce soit un vent léger ».

Alors le chef des tisserands la tira de son anus et la gennia devint du vent. C’est pourquoi un vent léger précède toujours la tornade.



  1. Probablement l’antilope addax.