Contes du Sénégal et du Niger/Introduction

La bibliothèque libre.
Ernest Leroux (p. i-iv).


INTRODUCTION



Les récits qu’on va lire ont été recueillis par moi entre 1904 et 1912 dans la Colonie du Haut Sénégal-Niger et dans le territoire militaire de l’Afrique Occidentale française, au cours de missions qui m’ont été confiées par le ministère de l’Instruction publique et le gouvernement local. Mes recherches devaient porter surtout sur l’archéologie et l’anthropologie de ces régions et se complétaient naturellement par l’étude du folklore. Mes informateurs appartenaient à deux catégories bien distinctes : tantôt c’étaient des indigènes de races et de professions diverses, qui consentaient à me raconter avec détails une histoire dont s’étaient régalés mes hommes quelques instants auparavant : tantôt au contraire, ils appartenaient au groupe si peu connu et si diversement apprécié des griots. Dans ce cas, il me fallait souvent déployer quelqu’insistance pour obtenir un récit un peu circonstancié, le narrateur abrégeant volontairement certains épisodes. C’est ainsi que l’histoire de Soundiata a exigé près de deux mois de travail, le griot Kassonké de qui je la tiens m’en ayant donné d’abord une editio expurgata, puis sur de nouvelles et pressantes sollicitations, une version complète, les deux récits ne différant d’ailleurs que par l’abondance des détails.

Quant à la manière dont j’ai recueilli ces contes, je n’ignore pas que j’encours deux graves reproches. En premier lieu j’ai eu le tort grave de n’en point prendre le texte indigène. Le Kassonké et le Sarakolé, qui furent les dialectes de mes premiers informateurs, sont d’une réelle difficulté, et la connaissance imparfaite que j’en avais m’exposait à rapporter un texte inutilisable, De plus j’ai eu constamment recours à un interprète et c’est là un second défaut. J’espère toutefois l’avoir compensé par le soin avec lequel j’ai recoupé tous les récits, les redites que j’ai imposées aux conteurs et surtout l’habitude que j’avais du français particulier parlé par chacun de mes interprètes. De plus je me suis efforcé de conserver à la narration le caractère qu’elle avait dans la bouche de l’indigène, en gardant ses courtes phrases, ses tournures un peu gauches, ses répétitions, ses images, ses longueurs, en un mot tout ce qui lui donne sa physionomie propre.

Dans ces conditions, j’ai pensé que mon travail valait d’être publié, car malgré ses imperfections il conservera quelques uns de ces récits qui tendent à disparaître, et qui sont peut-être ce que la race noire a produit de plus caractéristique. Il m’a paru bon d’indiquer lesquels de ces récits ont des analogues dans d’autres recueils, mais je n’ai pas cru devoir aborder leur recherche dans le folk-lore général, une telle étude sortant complètement de mon cadre. Je devrais terminer ces lignes en remerciant suivant l’usage tous ceux qui d’une façon ou d’une autre ont facilité ma tâche en Afrique ou à Paris, mais la liste en serait bien longue, et je me contenterai d’exprimer à Monsieur le Gouverneur Clozel ma double gratitude pour la constante bienveillance avec laquelle il a favorisé mes diverses recherches, et pour la généreuse intervention qui permet au présent travail de voir le jour.


Franz de Zeltner