Contes du Sénégal et du Niger/Texte entier

La bibliothèque libre.
Ernest Leroux (p. i-249).


INTRODUCTION



Les récits qu’on va lire ont été recueillis par moi entre 1904 et 1912 dans la Colonie du Haut Sénégal-Niger et dans le territoire militaire de l’Afrique Occidentale française, au cours de missions qui m’ont été confiées par le ministère de l’Instruction publique et le gouvernement local. Mes recherches devaient porter surtout sur l’archéologie et l’anthropologie de ces régions et se complétaient naturellement par l’étude du folklore. Mes informateurs appartenaient à deux catégories bien distinctes : tantôt c’étaient des indigènes de races et de professions diverses, qui consentaient à me raconter avec détails une histoire dont s’étaient régalés mes hommes quelques instants auparavant : tantôt au contraire, ils appartenaient au groupe si peu connu et si diversement apprécié des griots. Dans ce cas, il me fallait souvent déployer quelqu’insistance pour obtenir un récit un peu circonstancié, le narrateur abrégeant volontairement certains épisodes. C’est ainsi que l’histoire de Soundiata a exigé près de deux mois de travail, le griot Kassonké de qui je la tiens m’en ayant donné d’abord une editio expurgata, puis sur de nouvelles et pressantes sollicitations, une version complète, les deux récits ne différant d’ailleurs que par l’abondance des détails.

Quant à la manière dont j’ai recueilli ces contes, je n’ignore pas que j’encours deux graves reproches. En premier lieu j’ai eu le tort grave de n’en point prendre le texte indigène. Le Kassonké et le Sarakolé, qui furent les dialectes de mes premiers informateurs, sont d’une réelle difficulté, et la connaissance imparfaite que j’en avais m’exposait à rapporter un texte inutilisable, De plus j’ai eu constamment recours à un interprète et c’est là un second défaut. J’espère toutefois l’avoir compensé par le soin avec lequel j’ai recoupé tous les récits, les redites que j’ai imposées aux conteurs et surtout l’habitude que j’avais du français particulier parlé par chacun de mes interprètes. De plus je me suis efforcé de conserver à la narration le caractère qu’elle avait dans la bouche de l’indigène, en gardant ses courtes phrases, ses tournures un peu gauches, ses répétitions, ses images, ses longueurs, en un mot tout ce qui lui donne sa physionomie propre.

Dans ces conditions, j’ai pensé que mon travail valait d’être publié, car malgré ses imperfections il conservera quelques uns de ces récits qui tendent à disparaître, et qui sont peut-être ce que la race noire a produit de plus caractéristique. Il m’a paru bon d’indiquer lesquels de ces récits ont des analogues dans d’autres recueils, mais je n’ai pas cru devoir aborder leur recherche dans le folk-lore général, une telle étude sortant complètement de mon cadre. Je devrais terminer ces lignes en remerciant suivant l’usage tous ceux qui d’une façon ou d’une autre ont facilité ma tâche en Afrique ou à Paris, mais la liste en serait bien longue, et je me contenterai d’exprimer à Monsieur le Gouverneur Clozel ma double gratitude pour la constante bienveillance avec laquelle il a favorisé mes diverses recherches, et pour la généreuse intervention qui permet au présent travail de voir le jour.


Franz de Zeltner

LA LÉGENDE DE SOUNDIATA


Sangaran Madiba Konté, roi du Sangaran, avait neuf filles très jolies appelées Sougoulongkoutoukononto, et une dixième, très laide, appelée Sougouloukotouma, qui avait partout des Koutou (maladie de peau).

Il avait aussi une sœur, qui allait dans la brousse, se transformait en buffle et tuait les cultivateurs : aussi pendant sept ans on n’avait plus cultivé les champs. Sangaran Madiba Konté appelle un jour tous les chasseurs du pays et promet une de ses jolies filles à choisir à celui qui tuerait le buffle, sans exiger de dot. Tous les chasseurs sont venus : un jour le buffle en tue cinquante, un autre jour soixante.

Deux frères entendent parler de l’affaire : l’aîné s’appelait Oualanmansa Ouolimba Dembelé et son frère Oualanmansa Ouolindi ; c’étaient de bons chasseurs. Quand ils annoncent à leur mère qu’ils veulent aller tuer le buffle, celle-ci, qui était sorcière, leur dit : « Avant d’entrer dans le Sangaran, vous verrez un champ à côté de la route, et une vieille femme : il faut demeurer chez elle ». Elle leur donne des kortémoungou (charmes) et dit : « Tout le gibier que vous tuerez, vous lui enlèverez le foie et le cœur, vous les ferez sécher et les mettrez séparément avec du kortémoungou dans des peaux de bouc. Avec la viande du gibier, vous achèterez des œufs, que vous ferez cuire durs, et mélangerez de kortémoungou, puis vous les mettrez dans une peau de bouc. Quand vous aurez tué le buffle, le roi vous offrira une de ses jolies filles, refusez-la et prenez la dixième, car celle-ci aura un fils qui commandera le Manding. »

Ils s’en vont et trouvent la vieille femme dans son champ et lui disent : « Bonjour, mère ! nous venons loger chez toi, à cause des nouvelles qui sont venues du Sangaran : nous voulons que tu nous aides à tuer le buffle. »

Elle leur dit : « Logez chez moi. » Ils lui donnent les trois peaux de bouc : celle avec le cœur, celle avec le foie, celle avec les œufs, le tout mélangé de kortémoungou. Elle a goûté à toutes les trois.

Le plus jeune donne son arc et ses flèches à son frère et va chercher du bois pour la vieille. Le kortémoungou force la personne qui l’a avalé à dire tout ce qu’elle pense. La vieille se rassasie et ne peut rien cacher. Les frères partent chez Sangaran Madiba Konté et lui demandent si c’est vrai ce qu’on raconte. Le roi dit : « C’est vrai : si vous tuez le buffle vous choisirez une femme ». Ils disent : « Nous ne voulons pas des jolies filles, donne-nous la dixième si nous tuons la bête ». Le roi dit : « Ne parlez pas de la dixième ! j’ai envie de la tuer tant elle est laide ». Ils insistent : le roi accède à leur désir.

La vieille leur dit : « Demain, partez de bonne heure dans le Dendiennafouroto ». C’était une brousse sans arbres. Elle donne aux deux frères trois œufs sur lesquels elles avait fait des grigri. « Le matin quand vous regarderez le soleil levant, si vous voyez un tourbillon tout noir, ne croyez pas que c’est une tornade, c’est le buffle qui fait çà, ne tirez pas. Quand le tourbillon sera rouge en haut, ne vous pressez pas de tirer vos flèches. Tirez seulement quand il y aura du blanc entre le noir et le rouge. Vous pouvez tirer trois flèches mais si vous le manquez le buffle vous tuera. Un seul de vous peut tirer. Quand il viendra sur vous jetez un œuf par terre, trois fois de suite ».

Ils remercient et partent de bonne heure. L’aîné tire deux flèches quand le tourbillon est noir et quand le haut devient rouge : mais il a peur et manque les deux flèches. Le cadet prend la flèche restante et tire dans le blanc : il touche. C’était la préparation du changement de la vieille femme en buffle. Le buffle, alors complètement formé, leur court sus : il saigne beaucoup.

Ses yeux sont rouges comme le soleil couchant. Le grand frère a peur : le petit prend un œuf et le jette à terre ; il en sort sept montagnes qui les séparent du buffle (siguidango). Le buffle brise les montagnes avec ses dents, et les attaque. Le petit frère jette un œuf, qui fait sept fleuves. Le buffle boit les sept fleuves, voit les frères et leur dit : « Je ne cherche que vous ». Le petit frère jette le troisième œuf, qui forme sept sibi ou rôniers qui ont leurs sommets réunis, sur lesquels les frères se trouvent assis. Le buffle les regarde avec ses yeux rouges. Le grand frère a peur : le petit l’attache avec son turban à l’arbre. Le buffle essaye de renverser les palmiers l’un après l’autre, mais comme il heurte le septième il tombe mort, sa corne droite devient de l’or, la gauche de l’argent. Les sabots de droite deviennent de l’or, ceux de gauche de l’argent. La queue est mélangée d’or et d’argent.

Les frères coupent les cornes, les sabots et la queue, et laissent la viande. Le roi Sangaran Madiba Konté a rêvé qu’on tuait le buffle. Les frères rentrent dans le Sangaran, et chacun d’eux pendant la nuit met un de ses souliers devant la porte du roi, qui les trouve et les garde. Il fait jouer du simbingo (guitare que jouent les griots des chasseurs) et rassemble les chasseurs. Un chasseur vient, danse, brandit son arc, et dit qu’il a tué le buffle. « D’abord c’était une antilope, puis un rat, enfin un buffle et c’est alors que je l’ai tué ». Sangaran Madiba Konté lui dit : « Ce n’est pas toi qui l’as tué ». Les deux frères étaient assis à côté. Un autre vient et dit : « C’est moi qui l’ai tué, d’abord c’était un bœuf, puis un chat, et je l’ai tué ».

Le roi lui dit : « Ce n’est pas toi qui l’as tué ! ». En tous dix hommes viennent se vanter, de six heures à onze heures du soir.

Sangaran Madiba Konté tire les souliers et dit : « Celui qui peut mettre ces souliers est celui qui a tué le siguidango : il faudra qu’il me montre les cornes, les sabots et la queue ». Les hommes mesurent leurs pieds dans les souliers, cinquante d’entre eux les essayent, mais les souliers ne leur vont pas.

Les frères viennent, prennent chacun leur soulier, le mettent et donnent les cornes, les sabots, la queue du buffle au roi qui leur dit : « C’est bien vous qui avez tué le buffle. Demain, je vous amènerai mes neuf jolies filles et vous en choisirez une ». Les frères répondent : « Nous voulons la dixième ». Le roi dit « Demain nous verrons ! »

Le lendemain, il amène les neuf jolies filles, couvertes d’or : les frères les refusent et veulent la dixième. Le roi répond : « Je ne veux pas vous donner la dixième, elle est trop laide ». Enfin il consent la leur donner.

Cette fille a les poils du pubis comme des piquants de porc-épic.

Les deux frères, pour rentrer chez eux, devaient traverser le Manding. Dans le premier village où ils couchent, le cadet dit à l’aîné. « Cette fille est pour toi. » Le grand frère veut coucher avec elle, mais les poils de son pubis se redressent et le blessent.

Le roi du Manding, Nareng Mahan Keïta, était gardé par deux diables, Manding Koubélo (celui qui connaît tout), et Manding Koumabéfo (le bavard). Simangourou Kanté, le forgeron, avait déjà tué cinquante rois du Manding, mais quand il s’attaquait à Nareng Mahan, Manding Koumabéfo l’avalait, en sorte que Simangourou ne le trouvait pas : ensuite il le rendait.

Les deux diables disent au roi Nareng Mahan : « Ne laisse pas passer cette fille, qui accompagne les deux frères : épouse-là ». Il tue un bœuf pour leur donner à manger, et en buvant le dolo[1] il leur dit : « Voulez-vous me céder cette fille ?» L’aîné accepte, le petit refuse en disant : « Si tu as vu cette femme, moi aussi je l’ai vue ».

L’aîné dit : « Moi je te la donne parce qu’elle ne vaut rien ; je ne pourrai coucher avec puisqu’elle m’a blessé. Combien m’en donnes-tu ? ». « Cinq captifs », dit le roi Nareng Mahan. Le petit trouve que c’est trop peu. Le roi en offre dix. Le petit ne veut pas du marché. Le roi en donne vingt et ajoute : « Si vous ne voulez pas je vais tabalé (tamtam de guerre), je rassemblerai mes guerriers et la prendrai de force ». L’ainé dit : « Inutile de faire agir la force : prends la femme et donne-moi mes captifs ». Le roi les donne, l’aîné les prend et s’en va : le petit est très mécontent.

Nareng Mahan avait une femme, Koutouyoro Boula: « Si tu épouses Sougoulong Kotouma, dit-elle, je ne veux pas rester avec elle, elle est trop laide : fais faire une maison à part pour elle. » On lui fait une grande case derrière le village. Il veut l’épouser un jeudi. La femme Koutouyoro Boula dit au roi : « Quand tu auras couché avec Sougoulong Kotouma, va te baigner sept fois avant de rentrer chez moi ». Le roi : « Je coucherai tout de même avec elle ce soir ». Il a couché avec elle, et la rend enceinte. Il revient chez Koutouyoro, se baigne sept fois, et la rend enceinte dans la même nuit.

Le roi dit ensuite : « Je n’ai jamais eu de garçon : la première personne qui m’annonce la naissance d’un fils, je lui donne dix captifs, dix vaches et dix moutons ». Sougoulong Kotouma accouche la première d’un fils : on envoie un homme, Moussa Kamara, annoncer la nouvelle au roi : celui-ci mangeait avec dix personnes. Il attend pour l’annoncer qu’ils aient fini de manger. Koutouyoro accouche aussi d’un garçon. On envoie Fodé Sissokho l’annoncer, qui dit : « bonjour » ; le roi dit : « Viens manger avec nous ». Fodé répond : « D’abord je vais te donner une nouvelle puis nous mangerons ». « Quelle nouvelle ? » dit le roi. « Ta femme Koutouyoro est accouchée d’un garçon ». « Non ! dit Moussa Kamara : c’est Sougoulong Kotouma qui est accouchée la première ». « Pourquoi ne l’avoir pas dit ? dit le roi : puisque c’est la nouvelle de Koutouyoro que j’ai entendu la première c’est son fils qui est mon premier fils ». Il donne à Fodé ce qu’il avait promis. Moussa est fâché et dit : « C’est le fils de Sougoulong Kotouma qui me paiera quand il sera grand ».

Quand Sougoulong Kotouma a accouché, sept vieilles femmes l’assistaient : le fils était si grand que toutes s’écrièrent « Ah ! » Le nouveau-né, Soundiata, se met en colère, écrase les vieilles femmes et n’en fait plus qu’une.

Le diable Manding Koumabéfo arrive et lui dit : « Tu viens de naître et tu fais déjà de pareilles choses ? » Soundiata répond : « Pourquoi ont-elles fait : Ah ! quand je suis né ». Le diable dit : « Il ne faut pas faire de pareilles choses sans quoi tu ruineras le pays et personne ne t’aimera ». Soundiata dit « Puisque tu me dis ça, je vais réparer le dégat ». Alors il sépare chacune des sept vieilles femmes, qui sont comme avant.

Nareng Mahan prend dix taureaux et ordonne d’aller les tuer devant la porte de Koutouyoro. Il prend neuf taureaux avec un mouton pour tuer devant la porte de Sougoulong Kotouma, et ajoute « Tuez ces bêtes pour celui-là aussi !»

Soundiata entend ces mots et se fâche : « Pourquoi a-t-il dit ça ? »

Quinze vieilles femmes viennent pour laver l’enfant. Soundiata se fâche devant elles ; il devient très grand : elles se sauvent.

Manding Koumabéfo parle à Soundiata : « Il ne faut pas se mettre ainsi en colère ». Celui-ci répond : « Pourquoi mon père a-t-il dit : pour lui aussi ; ne suis-je pas son premier fils ? » Le diable lui dit : « Calme-toi ». L’enfant s’apaise, on vient le laver.

Nareng Mahan dit : « Jeudi, je vais raser la tête de mes deux fils et leur donner un nom ». Tous les gens du Manding viennent ce jour-là pour voir l’enfant de Sougoulong Kotouma, même les aveugles et les estropiés.

Le roi donne douze taureaux pour tuer à la fête du fils de Koutouyoro et le nomme Mansadangarasouma : il donne onze taureaux et un mouton pour faire fête au fils de Sougoulong Kotouma, « Je l’appelle Sougoulongbouréma » dit-il. Le petit l’entend et se fâche devant toute la foule. Une femme de forgeron, Niarhalé Mbomou, vient lui raser la tête : il se fâche et dit : « Pourquoi vient-elle me raser sans m’avoir dit mon nom ». Les rasoirs se cassent sans qu’on puisse le raser. Manding Koumabéfo lui dit : « Ne fais pas cela ». Le petit répond : « Pourquoi n’a-t-elle pas dit mon nom ? » Le diable dit : « Tu es né jeudi et tu fais déjà cela ? tu vas faire peur aux gens. Manding Koubélo et moi sommes les seuls à te connaître : il ne faut pas que les gens te connaissent ». Il se laisse raser.

La vieille Niarhalé se penche à son oreille pour lui dire son nom, mais elle ne le lui dit pas : alors il mélange son nez et sa bouche à son oreille et la vieille ne peut respirer.

La vieille se débat mais ne peut s’en aller : la foule rit : elle fait ses excréments dans son pagne.

Les deux diables arrivent et lui disent : « Il faut lui pardonner . Pour qu’on ne te connaisse pas. Tu dois nous écouter parce que nous avons bien conseillé ton père ». Le petit laisse aller la femme, qui se sauve.

La sœur de la vieille femme vient pour lui dire son nom, et dit : « Tu es un solide gars, Keïta ! Je vais crier ton nom pour que tout le monde le connaisse ». Elle crie Sougoulongbouréma, dans son oreille.

Le roi Nareng Mahan passe avec quinze hommes pour voir la fête du fils de Koutoyoro : il n’y avait que sept vieilles femmes avec elle. Il dit : « Où sont les gens du Manding ?» « Nous n’avons vu personne », disent les vieilles. Il va à la maison de Sougoulong Kotouma, et dit : « Je viens voir aussi Sougoulong Kotouma ». Le petit l’entend et se fâche : « Pourquoi mon père dit-il aussi ? » On le couvre avec une couverture. Le roi vient : le petit, fâché, a grandi beaucoup. Le roi veut voir sa figure et lève la couverture : le petit le regarde en colère, et le père a peur et fait trois pets devant la foule, qui rit. Le roi rentre chez lui, honteux. Le petit se fâche parce qu’on se moque de son père, et il leur fait un sortilège qui les empêche de lever leur séant du sol. Avant midi, personne n’a pu bouger, depuis sept heures du matin. Quand une personne avait envie de partir, elle disait à son voisin : « Je ne peux soulever mon séant » : le voisin disait : « Moi non plus, » et tout le monde parlait ainsi doucement.

Les deux diables lui disent : « Ne fais pas peur aux gens ». « Bon, dit-il, pourquoi ont-ils ri de mon père ? » Il les laisse partir.

Il est reste dix-neuf ans sans marcher : son frère Mansa marchait bien, lui marchait à quatre pattes. Il était grand comme un grand taureau.

Tous les malheureux, les mendiants, et les jeunes gens de son âge le suivaient : il y en avait soixante en tout. La nuit il courait à quatre pattes voler du bétail et le donnait à sa suite. Personne n’osait se plaindre. Il allait aussi voler l’or et les bijoux que les gens avaient et les donnaient aux gens qui le suivaient. Après qu’il eut fait beaucoup de choses pareilles, au lieu de l’appeler Sougoulongbouréma, on l’a appelé Soundiata (voleur comme un lion).

Un jour Sougoulong Kotouma envoie un messager à Koutoyoro Boula pour lui demander des feuilles de baobab pour le couscous. Soundiata envoie un messager chez son père pour qu’on le circoncise : Koutouyoro répond : « Mon fils marche bien, c’est lui qui va me chercher des feuilles de baobab : dis à ton fils d’en faire autant ». Le roi répond à l’envoyé de Soundiata : « Il sera circoncis quand il pourra marcher ».

Les messagers rapportent la réponse. Soundiata est fâché et dit à sa mère : « Ne dis rien ». Il envoie un messager à son père pour qu’il lui fasse faire par les forgerons une canne en fer, afin qu’il puisse se tenir droit. Le père fait appeler les forgerons et leur commande la canne.

Ils la font : quinze personnes ne la soulevaient pas. On l’a roulée jusque chez Soundiata : il la prend d’une main, la frappe contre le sol, et la casse. Il dit : « Il n’y a donc plus de forgerons dans le Manding : allez dire à mon père que je veux une vraie canne ». Une autre est faite : trente hommes ne la soulevaient pas : il la casse. Une troisième, trois fois plus forte que la deuxième : cent hommes la roulent jusqu’à lui. Il s’appuie dessus, elle se courbe, mais avant qu’elle soit pliée, il était debout.

Au moment où il se lève il y avait un baobab, à l’orient du village qui portait en haut un seul fruit et les devins avaient prédit que celui qui le cueillerait serait roi du pays. Tous les hommes avaient cherché à le prendre. Soundiata le cueille, et l’avale sans l’éplucher. Sa taille était de sept empans pour le pied, sept pour la jambe, sept pour la cuisse, sept pour la main, l’avant-bras, le bras. Nareng Mahan était le plus grand homme du pays et Soundiata avait deux coudées de plus que lui. Il casse les branches du baobab, les porte à sa mère et lui dit : « Fait piler ces feuilles par tes esclaves, et n’en demande plus jamais à personne ».

Il commence à chasser avec l’arc et les flèches. Un jour il tue douze éléphants : il en met dix attachés sur son épaule : les deux autres, il les fait cuire, les attache à son arc et pendant qu’il marchait dans la brousse il en mangeait des morceaux. Il donne à sa mère les dix éléphants et dit : « Maintenant tu ne manqueras de rien, et tu ne demanderas rien à personne ». Pendant un an il tue des éléphants tous les jours, il les donne à sa mère et n’en garde que deux. Tout le monde parle de lui. Les fils des anciens rois tués par Simangourou et son frère Mansa sont jaloux de lui. Ils appellent toutes les sorcières, une trentaine, pour tuer Soundiata. Elles prennent un taureau et elles mettent en lui la respiration[2] de Soundiata ; elles le tuent à l’occident du village : on le coupe en trente morceaux. Soundiata était dans la brousse à chasser : il savait ce qu’il se passait, mais ne faisait pas semblant. Il tue quinze éléphants, en fait cuire trois, et les mange sur la route. Il revient et trouve les sorcières avec les trente morceaux du taureau. Il les salue : les sorcières ne répondent pas.

Une vieille femme de griot était de ces sorcières et s’appelait Dialimoussoundi Toumbou Mania. Elle dit aux autres : « Pourquoi ne répondez-vous pas à un bon gaillard comme Soundiata ? » Celui-ci dit : « Les sorcières ne répondent pas parce qu’elles n’ont pas assez de viande : voici cinq éléphants que je leur donne pour ajouter. Si elles veulent de la viande, elles n’ont qu’à m’en demander chaque jour ». Diali dit aux sorcières : « Croyez vous qu’il y ait quelqu’un d’autre qui puisse donner autant de viande que Soundiata ?» « Certes non », disent les sorcières. « Alors pourquoi le tuer pour faire plaisir à ses gens qui sont méchants envers lui ? » dit Diali. Vous n’êtes pas des sorcières très fortes puisque, après avoir tué le taureau vous ne pouvez pas le ressusciter ». L’une des sorcières dit : « Tous les os qui ont été cassés, je me charge de les remettre en place ». Une autre : « Je remettrai en place tous les nerfs ». Une autres : « Toute la viande coupée, je la remettrai en place ». Une autre : « Je mettrai la peau en place ». Une autres : « Je mettrai la respiration en place ». Diali chante un chant de sorcier. On frappe le taureau : il se lève, court jusqu’au baobab et mugit trois fois. La mère de Soundiata était enceinte, elle accouche d’une fille Kilidioumasourho, qui était sorcière : elle s’en va retrouver son frère Soundiata qui était encore avec les sorcières, et lui dit : « Les sorcières vont te dire trois choses : il ne faut pas les leur refuser ». Elle retourne chez sa mère.

Les sorcières lui disent : « Personne de ta famille ne t’aime. Il faut quitter le Manding ». Soundiata dit : « Je veux bien, mais il faut que j’aille chercher ma mère ». « Inutile de l’aller chercher, disent les sorcières, nous allons l’appeler avec une tabatière de bambou[3]».

La mère vient. Soundiata dit : « Et ma petite sœur, je veux aller la chercher ». « Non, disent les sorcières, nous allons la faire venir ». Kili vient. « Et mon chien Ouloubandio, qui a mal aux pieds ? » dit Soundiata. On l’appelle aussi et il vient. « Et mon petit esclave Dionfisico qui porte toujours ma calebasse Bathacagnarathi, dans laquelle je mets l’hydromel ? ». On fait venir le tout par la tabatière. « Il me manque mes quatre marabouts qui sont à mes côtés, Touré, Cissé, Bahayoro, Silla ». On les appelle avec la tabatière et ils viennent. « Il me manque mes quatre forgerons Bomou, Sambahé, Diombana, Mangara ». On les appelle aussi : ils viennent. Soundiata dit aux sorcières : « Maintenant, je pars ». Elles lui disent : « Nous voulons te dire trois choses. Il y a trois choses dont tu ne dois pas te venger si on te les fait. Si tu ne te venges pas, tu seras plus tard roi du Manding : si non tu ne le seras pas ». Il part avec tous ses gens.

Il trouve deux routes qui bifurquaient. Il demande à l’une où elle va : Elle dit : « Je vais chez Sangaran Madiba Ivonté ». « Je n’y vais pas, dit-il, parce que c’est mon grand-père : si mes oncles disent du mal de ma mère je ne pourrai y faire la guerre, puisque c’est son pays ». Il demande à l’autre route : « Où vas tu ?» « Je vais chez Setta Magadiondinkia ». (C’est le premier de la famille des Dabo, son pays s’appelait Tabou). « J’y vais », dit Soundiata.

Tous ceux des Dabo qui n’ont jamais eu peur faisaient tam-tam. On avait mis au milieu de la place un grand canari plein de bouse de vache et d’eau qu’on a fait bouillir. On a jeté dedans un bracelet d’argent. Ceux qui le peuvent prendre sans être brûlés sont les gens qui n’ont jamais eu peur.

Un homme s’avance et dit : « Quand ma mère était enceinte de moi, elle n’a jamais eu peur, ni du diable (djiné), ni des lions, ni du tonnerre. Depuis que je suis né, je n’ai jamais eu peur, même de cinquante hommes armés ». Il plonge son bras dans l’eau bouillante et sort le bracelet : son bras n’a pas de brûlure. Quatre autres l’imitent.

Soundiata dit : « Me permettez vous d’essayer ?» « Oui », disent les Dabo. Il dit : « Ma mère n’a eu peur ni des lions, ni du diable, ni du tonnerre ». Il plonge sa main dans l’eau et ressort, mais une petite place était brûlée : il se tourne vers sa mère et lui dit : « Que signifie cela ? » La mère dit : « Pourquoi ne m’as tu pas prévenue ? Un jour ton père m’a appelée en criant : en même temps, il tonnait : je ne sais pour lequel des deux j’ai eu peur ». Il demande aux Dabo : « Est-il vrai que toutes les femmes ont peur de leur mari ?» « Oui », lui répondent-ils.

Il refait l’épreuve, en mettant à part cette peur de sa mère, et ressort son bras non brûlé.

Mais les Dabo ont peur et veulent se débarrasser de Soundiata : on apporte cinq vases contenant de l’hydromel mélangé de poison et on les lui donne pour boire. La petite Kili dit « Permets moi d’essayer l’hydromel je te dirai s’il est assez fort ». « Bien », dit Soundiata. La petite boit tout et lui dit : « C’est de l’hydromel pour les femmes : ce n’est pas assez fort pour lui ».

Soundiata dit à Dionfisico. « Apporte-moi ma calebasse Bathacagnarathi ». Quand on l’ouvre, cela sent mauvais : tous les Dabo qui l’ont senti voient leurs testicules enfler.

Soundiata dit : « Votre hydromel ne vaut rien : le mien est bon, voulez-vous y goûter ? » Le roi du pays Tamagadiondikia dit : « Je ne goûterai pas parce que cela sent mauvais ». Soundiata dit : « Il ne sent pas mauvais, il est seulement trop fort pour vous ». Le roi se fâche et dit : « Il sent mauvais ». Soundiata se fâche, et un grand fromager qui était là manqua tomber par terre : le roi crie et le fromager se redresse. Les deux crient ensemble l’arbre plie, et le bout casse. Le roi donne à Soundiata un coup de poing et lui casse une dent.

Celui-ci met sa main sur la tête du roi pour l’écraser mais la vieille sorcière Diali lui dit : « Rappelle-toi que les sorciers t’ont recommandé de ne pas te venger de trois choses ». Soundiata dit au roi : « Si Diali ne m’avait pas dit cela, je t’aurais écrasé : tes os mêmes n’auraient servi à rien. » Alors les griots disent : « Tamaga est le plus fort, il casse une dent à un homme comme celui-là qui ne lui répond pas ». Mais à la place de la main de Soundiata chez aucun Dabo pur les cheveux n’ont poussé.

Soundiata dit : « Je veux aller plus loin. » Il demande à une route « Où vas-tu ? » La route dit : « Je vais jusqu’au bord du fleuve ». Soundiata dit : « De l’autre côté y a-t-il une route ? » Il arrive au fleuve. Un crocodile faisait passer le monde sur son dos, pour de l’argent, Soundiata lui demande : « Fais moi passer avec mes gens ». « Oui, dit le crocodile, mais il faut que tu me donnes un de tes gens à manger. » « Quoi, dit Soundiata un de mes gens ?» « Ou bien ton chien », dit le crocodile. « Mon chien ? Jamais ! »

Il étend une couverture, y met sa mère, sa sœur, son esclave, son chien, ses marabouts, ses forgerons, la vieille sorcière et attache le tout, puis avec une corde il attache le crocodile et le met sur une épaule, sur l’autre la couverture. Il traverse l’eau, et sort les gens de la couverture.

Il voulait faire sept pas avec le crocodile, c’est la distance entre Kayes et Médine[4] : alors le crocodile aurait été loin de l’eau. Mais la vieille sorcière lui dit : « Rappelle-toi que tu ne dois pas te venger de trois choses. » Le crocodile dit : « Je te demande pardon et je promets de ne pas boire d’eau ». Il le remet dans le fleuve et lui défend de boire de l’eau.

Il demande à la route : « Où vas-tu ? » « Je vais à Méma, le pays de Farignebirama Tounkara. » Il dit : « Allons-y ». Il y arrive et demande la permission de se reposer dans le pays. Le roi répond : « Tu peux te reposer, mais si quelqu’un de tes gens meurt, tu ne pourras l’enterrer sans me payer ». Soundiata se fâche et veut se disputer avec le roi. La vieille sorcière lui dit : « N’oublie pas les recommandations des Sorcières. » Soundiata se tait. La vieille lui dit : « C’est la troisième chose qu’il fallait pardonner, tu seras roi du Manding » !

Il chasse dans le pays et tue comme au Manding des éléphants, et y reste jusqu’à la mort du Nareng Mahan Keïta.

Nareng Mahan avait un bonnet, un boubou, un pantalon. Le bonnet était fait avec dix-sept pagnes, le pantalon avec cinquante, le boubou avec cent cinquante : tous les gens du Manding avait dit que celui à qui le bonnet du roi ne serait pas trop grand serait roi. Les esclaves du roi disent : « Il faut aller chercher Soundiata qui s’est sauvé dans la brousse ».

On a envoyé un homme le chercher. La petite Kili dit : « Il est sorti ». Le messager dit : « Son père est mort, on ne sait qui sera roi ». « Sa mère est bien malade, » répond Kili.

Kili veut bien traiter le messager : elle va dans la brousse et par sorcellerie, entre dans les éléphants, leur enlève le cœur et le foie et les porte à la maison. Les éléphants restent dans la brousse et Soundiata les tue. En les ouvrant, il ne leur trouve ni foie ni cœur. Il dit aux trois hommes qui l’accompagnait : « Vous ne comprenez pas çà ? » « Non » disent-ils. « C’est ma petite sœur Kili qui l’a fait. Une grave nouvelle est venue ». Il part au village, trouve le messager, et veut partir, mais sa mère est trop malade, et ne peut marcher. Il dit : « Si je ne dois pas être roi du Manding, que ma mère guérisse ! Si je dois être roi, qu’elle meure à l’instant ! » Aussitôt la mère meurt.

Il envoye un messager au roi Faringbirama Tounkara et lui dit que sa mère est morte. Le roi lui dit que sans payer, il ne peut l’enterrer dans son pays. Soundiata dit : « Je payerai ». Il prend une poignée de poudre et la met dans une calebasse, puis dans une autre calebasse il met une poignée de graines de coton, puis dans une autre le fruit rouge de la liane fanto : dans une autre une balle : dans une autre un tesson de poterie : dans une autre une poignée de vieille paille et une poignée de charbon :

Il envoie tout cela au roi en disant que c’est le prix qu’il paye pour enterrer sa mère. Le roi dit : « Que signifie tout çà ? » Il envoie chercher Kémorokoubéhotolon (celui qui connaît les secrets) et lui montre les présents de Soundiata en lui demandant ce que cela signifie. Le vieux répond : « Le fruit rouge du fanto signifie que si tu ne le laisse pas enterrer sa mère, il coupera ton cou et ton sang rouge coulera : la poudre et la balle signifient qu’il te tirera un coup de fusil : la paille et le charbon qu’il brûlera tout le Méma : il ruinera ton village sur lequel pousseront les graines de coton, et on n’y trouvera que des tessons de poterie ».

Le roi s’étonne de voir le nouveau venu parler ainsi et lui fait dire de ne pas enterrer sa mère dans le pays. Soundiata répond : « Fais ce que tu voudras : moi j’enterre ma mère ».

Soundiata était aimé des gens de Méma, car il leur donnait de la viande. Le roi frappe le tabalé : les gens se rassemblent. Soundiata rassemble aussi ses amis, attaque Faringbirama, le tue et détruit le village ; il prend le pays, en détruisant cinquante villages, en coupant le cou aux chefs de village et en prenant leurs fils aînés.

Les esclaves de son père, qui lui avaient envoyé le message, ne voyant pas venir Soundiata, décident d’essayer le bonnet, le pantalon, le boubou à tous les fils du roi. Le vendredi matin à l’aube on commence. On essaye le pantalon à Mansadangaratouma. Il met les deux jambes dans une seule jambe du pantalon, qui monte plus haut que sa tête : On lui dit : « Tu es trop petit ». On lui essaye le boubou qui traînait par terre. Le bonnet pendait jusqu’à la ceinture. On essaye à vingt-trois fils du roi sans succès. Vers huit heures Soundiata frappe son tabalé à l’endroit où les sorcières avaient causé avec lui. Ses amis voulaient le proclamer roi de suite : le chef des esclaves dit : « D’abord essayons lui le pantalon, le boubou, le bonnet ». Quand Soundiata arrive avec sa troupe, il lui dit « Essaye tout cela ». En mettant le pantalon, qui était trop petit pour lui, il déchire sept pagnes sur le devant, sept sur le derrière. De même pour l’autre jambe. Tout le monde crie : « C’est lui le roi ! » Il déchire le boubou devant et derrière en le mettant. Le bonnet également se déchire devant et derrière. Les quatorze chefs d’esclaves commandaient chacun à douze mille esclaves armés de fusils. Soundiata remercie tout le monde : « Si vous ne m’aviez pas choisi comme roi j’aurai pris la royauté, parce que c’est Dieu qui me l’a donnée ».

Il dit encore : « Simangourou a tué déjà cinquante rois du Manding : je vais lui faire la guerre : il ne faut pas en parler dans le village. Je veux marier ma petite sœur avec Simangourou ». Il dit cela à sa petite sœur Kili qui lui dit : « Avant de commencer je vais aller voir comment Simangourou va se défendre ».

Soundiata a un griot Balafaségué Konaté, qui joue du balafon[5] ; il lui dit d’accompagner Kili. Ils partent. Simangourou est content de Kili et du balafon. Balafaségué lui dit : « Soundiata est mécontent de la façon dont tu t’es conduit avec les autres rois : il t’envoie sa sœur pour femme parce qu’il veut vivre en bonne harmonie avec toi ». Kili a beaucoup de parfums, et de colliers et de galli[6]. Simangourou vient coucher avec Kili pendant la nuit. Il met la main sur les gallis, mais Kili lui dit : « Avant de m’avoir il faut me dire comment il faut s’y prendre pour détruire ton armée ». Simangourou lui dit : « Je te le dirai parce que je t’aime beaucoup. Pour mettre mon armée en déroute, il suffit de lui tirer une flèche armée avec un ergot de coq blanc ». Kili retient bien cela ; Simangourou en devient plus pressant.

Soundiata dormait et voit en rêve ce qui allait arriver à sa sœur : il l’envoie chercher par un captif qui s’appelait Tiramahan fils de Oulamansaouolindi. Il lui donne un sifflet de sorcier. Tiramahan souffle près du village dans le sifflet. Kili dit à Simangourou : « Il faut que j’aille satisfaire un besoin pressant ». Elle sort. Tiramahan la met en croupe et l’emporte. Simangourou bat son tabalé.

Il y avait un homme appelé Sakounfoulafarhabarha (celui qui a tué le serpent à deux têtes). Les gens de Simangourou poursuivent Tiramahan.

Il disait à Kili : « Penche-toi de côté » ! et sans arrêter le cheval, tirait une flèche en arrière : il a tué dix hommes ainsi. Kili : « Je n’ai peur que de Sakounfoula : c’est un homme brave ». Sakounfoula selle son cheval, serre bien les sangles, et poursuit Tiramahan. Kili se retourne et s’écrie : « Voilà Sakounfoula ! » Tiramahan lui lance cinquante flèches sans le blesser. Sakounfoula lui envoie cinquante flèches sans le toucher. Tiramahan essaye de lui porter un coup de sabre, mais le sabre se casse en deux. Le sabre de Sakounfoula se casse aussi. Ils mettent pied à terre et s’abordent au couteau, mais ceux-ci se brisent. Ils luttent et se roulent par terre longtemps. Ils sont fatigués et s’assoient et crachent l’un sur l’autre, en se défiant.

Sakounfoula est tellement fatigué qu’il se trompe et monte sur le cheval de Tiramahan, et Tiramahan sur le sien : celui-ci amène Kili à Soundiata.

Kili révèle le secret de la force de Simangourou à son frère. Il frappe le tabalé et dit : « Je fais la guerre à Simangourou ». Ils partent : mais Simangourou a un diable à dix-sept têtes ; c’est Sousoufengoto. Soundiata arrive à Dahadiala. Des quatorze chefs de colonne il y en avait quatre plus forts que les autres : Souroubandémahan Kamara ; Koli Sisorho ; Faganda Kanoté ; Tiramahan Dembélé. Ils sont habillés de peaux de biche. Soundiata leur dit : « Savez-vous pourquoi je suis arrêté ici ? J’ai autant de bons guerriers que Simangourou, mais un seul me manque : je n’ai pas de diable à dix-sept têtes ».

Le premier dit, en colère : « C’est moi qui vais attaquer Sousoufengoto ». Soundiata lui dit : « Tu es brave, mais tu n’es pas assez sorcier ».

Le second vient : il veut attaquer le diable. Soundiata ne veut pas. Le troisième de même.

Enfin Faganda Kanoté pose son arc à terre, et il se met à pousser des racines et du feuillage : il prend une flèche, la met sur l’arc : l’endroit où il a posé les doigts commence à fumer. La pointe de la flèche s’allume. Il dit : « C’est moi qui vais combattre Sousoufengoto ». Soundiata dit : « Oui : tout le monde sait que tu peux le faire ».

Les deux armées se rencontrent à Kankégnan. Faganda lance vers Sousoufengoto une flèche qui n’avait qu’une seule barbelure ; elle s’est séparée en dix-sept flèches qui ont volé chacune vers l’une des têtes de Sousoufengoto. Celui-ci a peur, et rassemble toutes ses têtes en une seule. Aussitôt les flèches se reforment en une seule. Le diable sépare de nouveau ses dix-sept têtes : de nouveau la flèche se divise en dix-sept parties. Ainsi de suite trois fois : la troisième chacune des flèches casse une tête. Sousoufengoto meurt.

Soundiata alors lance une flèche munie d’un ergot de coq blanc sur l’armée de Simangourou, et donne ordre à ses gens de tout tuer. Simangourou se sauve jusqu’à Koulikoro. Il demande à Dieu de le tuer ainsi que les soldats qui l’accompagnaient : ils ont été transformés en pierres.

Quand elle a tué Sousoufengoto la flèche de Faganda passe par un village appelé Mourou, un autre Mourou-Mourou, un autre Niokho : un autre Nioko-Nioko. Elle trouve à Tabou le père de tous les Maures et entre dans son bras : on ne peut l’extraire, et elle continue à trembler. Le Maure pleure et crie. Le griot de Soundiata vient attiré par le bruit et demande au Maure pourquoi il est blessé. Le Maure répond : « Je n’en sais rien mais cette flèche ne veut plus me quitter ». Le griot dit à la flèche « Si c’est le brave guerrier qui s’appelle Souroubandé Mahan Kamara qui t’a lancée, lâche ce Maure ». La flèche remue pour montrer que ce n’est pas lui, le griot dit : « Si c’est Koli Sisorrho, laisse le Maure qui ne t’a rien fait ». La flèche remue encore. « Si c’est Tiramahan Dembelé laisse le Maure ». La flèche refuse. « Si c’est Faganda Kanoté quitte le Maure ». La flèche sort de la blessure et retourne dans le carquois de son maître.

Depuis ce temps les Maures ne s’approchent jamais de gens armés de flèches.

Soundiata est donc roi du Manding : le jour où il entre dans le village, il fait faire un grand trou, le fait remplir d’eau et y jette dix-sept moules d’or[7] et dit aux griots : « Maintenant prenez-en autant que vous voudrez ». Tous les mois il faisait la même chose.

Pendant la guerre tous les chevaux sont morts ; il n’en reste que trente : Soundiata envoie cinquante captifs s’appelant tous Nomorho chez le roi du Diolof, Diolofosoninké manso, lui porter dix-sept moules d’or pour acheter des chevaux. Le roi garde l’or. Au bout de deux mois les envoyés lui disent : « Donne-nous les chevaux pour Soundiata, nous voulons partir ». Le roi leur fait donner à chacun un paquet fait d’une peau de bœuf et dit : « Portez ça à votre maître. Vous lui direz que son or je l’ai mangé, et que je lui envoie non pas des chevaux mais du cuir pour se faire des sandales : c’est bien suffisant pour un Malinké ».

Ils portent cela à Souroubandémahan Kamara, un des chefs de captifs et lui expliquent le message. Celui-ci dit : « Jamais je ne pourrai dire ça à Soundiata. Allez trouver Koli Sisorho ».

Ils vont chez Koli Sisorho et racontent l’affaire : il ne veut pas dire ça à Soundiata. Ils vont chez Faganda Kanoté.

Faganda dit : « Je ne peux dire cela au roi : allez chez Tiramahan Dembélé ». Tiramahan dit : « Je ne veux pas dire cela au roi mais je vais vous montrer quelqu’un qui peut le dire : Allez chez le griot Balafaségué Konaté, et chez Dialimoussoundi Toumbou Mania, la vieille sorcière ».

Le griot prend son balafon, et va trouver Soundiata qui était couché sur un tara[8] en or. Trente jeunes filles se relayaient par groupes de dix pour l’éventer.

Il lui dit : « Soundiata, lève ta grosse tête, tu dors comme une femme : lève ton gros ventre : lève tes grands pieds : lève ta main droite qui est plus grande que la gauche. Tu es un imbécile : tu crois que tu es le seul roi du pays. Mais il y a un roi, Diolofosoninké Manso, qui a pris ton or et t’a envoyé en échange des peaux de bœuf ».

Soundiata se lève furieux : ses yeux sont rouges : il regarde le griot, qui lui dit : « Ne te mets pas en colère contre moi parce que je t’ai dit que tu as une grande tête : une tête comme la tienne ne doit pas porter des paquets de peaux. Ton ventre est grand parce que tu es très malin. Tu as des grands pieds parce que tu ne t’es jamais sauvé. Fâche-toi plutôt sur le roi Diolofosoninké Manso ».

Soundiata fait appeler Souroubandémahan Kamara : « Veux-tu aller saluer le roi Diolofosoninké Manso ? ». « Non, dit-il, c’est un sarakolé et un trop petit adversaire pour moi. Parle à Koli Sisorho ». Il dit la même chose à Koli qui répond : « Il est trop petit pour moi : vois Faganda Kanoté ». Il demande à celui-ci s’il veut y aller. Faganda lui dit : « J’aurais honte de me battre avec des Soninké : demande à Tiramahan Dembélé ». Celui-ci dit : « Je vais aller le saluer de ta part ». Il part, fait la guerre, lui coupe le cou et prend sept mille chevaux, dix-sept mille captifs. Il épouse des femmes dans le pays qui est maintenant à Moussa Molo (près de Sierra Leone), le Tilidjigui. Tous les enfants qui en sont nés s’appellent Ouali, ils sont devenus nobles dans le pays.

Il revient chez Soundiata, lui apporte la tête du roi, les chevaux et les captifs.

Soundiata a été transformé par Dieu en un oiseau, appelé Kiriné Konoba, qui vit au village de Kiriné dans le Manding, entre Bamako et Siguiri. Il demeure dans une case et n’en sort qu’une fois par an. Alors tous les griots se rassemblent et commencent à chanter les louanges de Soundiata : l’oiseau sort de la case et se met à danser. D’abord il est gros comme un moineau, mais il augmente progressivement au point de devenir gros comme une case. Quand le chant est fini, il reprend sa dimension première, rentre dans sa case et n’en sort qu’un an plus tard. Il demeure chez le chef des griots qui lui donne à manger. Quand l’oiseau connaît que celui-ci va mourir, il va se loger chez celui qui doit lui succéder[9].


SUITE À LA LÉGENDE DE SOUNDIATA[10].


Soundiata est un descendant de Bilali Bou Hamama Keïta qui vint de la Mecque et de Missira (el Misr)[11] : Diankouma Doga fils de Bilali eut pour fils ainé Latalakalabi qui eut pour fils aîné Toumbila Oulidjou qui eut pour fils Mansa Kourou, qui eut Mansa Kanda, qui eut Koukoumara qui eut

Dougoutamara qui eut Batan Makhan Bougari, qui eut Kourkani, qui eut Kémoro Niamara, qui eut Koto Simbou, qui a épousé Sougoulong Kanté, qui a eu pour fils Mandi Makhar Soundiata.

Celui-ci a gouverné le pays de Manding : il était infirme, ne pouvait se lever. Il envoie un homme à Sousou Simangourou pour lui dire de lui fabriquer une canne en fer aussi grosse que quarante barres de fer. Simangourou lui fait un bâton avec cent cinquante tiges de fer. Quand Soundiata s’appuie dessus, le fer se plie. Il le renvoie au forgeron pour qu’il fasse un autre bâton, lequel se plie de même. Encore une fois il fait faire un bâton avec deux mille cinq cents tiges, et il peut se lever. Sa mère dit : « C’est un beau jour, Dieu nous a fait du bien aujourd’hui ». Soundiata se lève et va cueillir de l’écorce de baobab pour une autre femme de son père.

Un nommé Mansa Dankorotouma, son frère, est parti pour Méma acheter un taureau blanc et revient pour le donner à neuf sorcières (Niaga) au village Lengué Kotofouga.

La chefesse des sorcières était Dosama Dosa, ensuite venaient Soumousou Niarhalemba, puis Diguiné Ba, puis Soumousou Kandiaba, puis Soumousou Mbadiaba, puis Dougoudiaro Koumerhoto, puis Dialimoussoundi Toumhoumania, puis Bassira Kéni, puis Soumoussou Sountounkou, puis Silarhama Da, puis Dankountolo. Elles ont tué le taureau blanc.

La mère de Mandi Makhan Soundiata lui dit : « Va dans la brousse et fais le chasseur ». Il y va et tue douze buffles (sigui), les donne aux neuf sorcières et leur demande de la chair du taureau : les sorcières refusent en lui disant : « C’est ton frère qui nous l’a donné. Donc tu n’en auras pas ». Soundiata répond : « Le taureau est gras, mais moins que douze buffles ». Il leur donne à chacune un buffle, et en disant : « Remettez-lui son nio[12] et refaites le vivre » (le taureau). Elles lui rendent l’âme, et rattachent les morceaux qu’elles avaient coupé. Alors vient Dosama Dosa avec des bracelets au bras, qui brandit ce bras vers le nord, l’est et l’ouest puis frappe le taureau qui se lève.

Soundiata dit : « Ma mère a un fils puissant » : Et sa mère chante


Sama, Sama, mousso memina sama
Ika barka oulou
Safounata oulou
Kaba oulou menka safounakounta
Ouoté kori koulou tala[13].


(il vaut mieux gagner un seul fort garçon que beaucoup de mauvais : Aujourd’hui c’est un beau jour : il y a des femmes qui gagnent des fils sales : moi j’ai gagné un fils propre comme l’or).

Mansa Dankorotouma retourne à Méma, emportant trois cents gros d’or, et les donne à Farimbougari Tounkara. Soundiata se lève va à Méma avec son arc et ses flèches et se rend chez Sira Tounkara, sœur de Farimbougari qui lui dit : « Quel est ton diamou ? » (nom de famille). Il répond « Keïta ». Le chasseur de Sira lui dit : « Tiens bien ton arc et tes flèches, ou Farimbougari te tuera ». Soundiata entre dans le village avec son arc et ses flèches. Farimbougari lui dit de lancer une flèche dans l’arbre. Il répond : « Je ne veux pas faire de mal dans le pays ». Il ajoute : « Si je fais du mauvais travail dans le pays pour de l’argent, je ne reviendrai pas avec mon âme, dans mon village de Lenguékotofouga ».

Soundiata : « Donne-moi une armée et je ferai la guerre pour toi ». Farimbougari : « Je n’ai pas d’armée à te donner ; depuis que tu es dans le pays avec ta mère, Sousou Simangourou a tué Latalakalabi et Mansa Dankorotouma ».

Soundiata vient avec une armée, se bat avec Simangourou : il a avec lui Sibingananfara Kamara, Tafaradjondingkia, le premier des Dobo, Sangaran Madiba Kanoté, Soro Siramaramba Koïta, Sounfara Moussa, Moussa Moumenina, et son père, Daouda le Diawara, et son fils Koria Mamoudou, père de Damanghilé, père de Silan Kona, père de Farim Silamarha, père de Mokoti ; Kouroupé Makhan Aouali, Télé Kamara, Kama Mamadou, Alioro Moussa Djigui, Nounou Soma, le grand père des Koulibaly, Djouali Filiké Mansa, Diolofo Mansa.

Soundiata se bat contre les villages de Taoubara, Missiriba, Tabou, Kounkagna, Balia, Kankinianfora, Kouroukambia, Darhadiala. Il a envoyé le chef de ses captifs trouver dans le Fouta, Doumba Dioubé pour acheter des chevaux ; il achète trois cents chevaux et les ramène : Diolofo Mansa les prend et lui dit : « Ton maître est un Malinké, et doit marcher à pied, pas à cheval. » Balafasigui Konté le répète à Soundiata et lui dit que beaucoup de ses parents ont été retenus par Diolofo Mansa.

Soundiata fait colonne contre celui-ci, et le met en fuite en lui tuant tous ses hommes : les gens de Tabou viennent le trouver, et ceux de Cibi viennent à Dahadiala. Il s’empare des captifs de Simangourou et devient roi.

Sangaran Madiba Konté a pris son arc, pour se battre avec Simangourou, qui se sauve à Koulikoro : il tue tous les soldats de celui-ci et retourne dans le Manding. Soundiata lui donne une femme, Nahana Tiliba parce qu’il s’est bien battu. Sangaran avait avec lui son captif Vandiaran, Moussa Sissokho, Manding Makan Soundiata, sa sœur Tafesiga, et une femme de griot, Toumbou Mania[14].

Soundiata fait le chasseur : quand il tue un buffle, sa sœur Tafésiga prend le foie, le sang et les fait cuire. Il va à Méma et tue un buffle : il donne la chair aux gens de Méma.

Sa mère Sougouloung Kanté vient à Méma et lui dit : « Allons-nous en dans le Manding ». Soundiata refuse, parce qu’il veut faire campagne contre Méma et Tabou. Alors sa mère se couche et meurt.

Farimbougari Tounkara a dit : « Soundiata, tu dois acheter la terre pour enterrer ta mère, cent gros d’or, cent gros d’argent, cent kola ». Soundiata sort l’or et l’argent. Kémoro Koubélo dit à Farim : « On doit bien préparer la terre pour la tombe de la

mère de Soundiata ». On enterre Soungouloung Kanté.

Soudiata demanda une armée aux gens de Méma, qui refusent. Il va à Tabou et trouve les forgerons qui travaillent le fer. Il fait faire une bague d’argent, la met dans un canari plein de beurre, et le fait chauffer. Alors il prend son arc et dit à ceux de Tabou. « Si je trempe ma main dans ce beurre fondu, j’aurai la main brûlée, à moins que je n’aie pas eu peur depuis mon enfance ». Alors il trempe sa main et elle n’est pas brûlée.

Il met un morceau de fer sur l’arbre et Taboung Nana Farang Kamara prend l’arc ; le fils de Farimbougari, Kounoung Bouré prend l’arc, il met sa main dans le canari et prend la bague : il n’est pas brûlé.

Le grand père de Soundiata s’appelle Toubila Ouali, son fils aîné s’appelait Mama, qui eut Bilali Bou Hamama, qui eut Lâtali Kalabi Doromani, qui eut Tanésimbou, qui eut Kanioro Simbo, qui eut Kabala Simbo, qui eut Diankoumalo Koro Simbo, qui eut Simboumba Marento Niakounkili, qui eut Fataka Makan Kégné, qui eut Soundiata.

Le premier fils de Soundiata est Diouroudi, viennent ensuite Diourouninfi, Mamady, Bélébakou, Bataman Dembougari, Dialimansa Mamadou, Mansa Kourou, Faganda, Niamaga, Dinamakan, Torokou Kanda, Diangou Baraoulé, Tenembakou Makan, Nantaoulé, Sougoulongkori, Niagaléleï, Sérébori, Sérébandiougou, Mansa Karayala, Kinié Mansamakan, Finadougou Komagan, Tankon Bougari, Ouassa Bougari, Koali Mourou Djingouma, Araco Tamba, Sinémakan, Bakama Gaï, Sétigui Kassouma, Leï Komoussa Djigui, Nagou Mansa Kansiamagan, Mourama.

La première expédition de Soundiata fut contre le village de Koukou, la deuxième contre Niani, la troisième contre Aouroma, la quatrième contre Kankinian, la cinquième contre Kétoumania et la sixième contre les Sousou.

À Kankinian, il promit de ne plus faire de colonne.



HISTOIRE DE KAMA[15]


Un petit garçon appelé Kama Kamasoro avait une grande sœur Fatimata Kamasoro ; leur mère avant de mourir dit à la fille : « Quand ton frère te donnera un ordre, obéis lui toujours ». Le père lui dit la même chose au moment de mourir. Kama avait huit ans, Fatimata quinze. Le père n’a laissé qu’une captive. Kama dit à sa sœur : « Fabrique moi un arc et des flèches que j’aille tuer des rats ». Sa sœur lui dit : « Tu es trop petit ». « Notre père ne t’a-t-il pas dit de m’obéir ? » Alors elle lui fabrique un arc et des flèches. Il tue un rat qui va se cacher dans le grenier à mil emportant la flèche. Il appelle sa sœur et lui dit : « Voilà le rat qui s’est caché dans le mil, je vais mettre le feu au grenier pour le prendre ». Sa sœur dit : « Que mangerons-nous, si tu brûles le mil ? » — « Rappelle-toi ce qu’a dit notre père », dit Kama. Il brûle le mil, le rat sort, il le tue. Il fait cuire le rat, le mange et met la tête du rat sur une pierre. La captive voit la tête du rat et la mange. Kama arrive et dit : « Qui a pris ma tête de rat ? » La captive dit : « C’est moi qui l’ai mangée ». Kama dit à sa sœur : « Je vais la tuer pour chercher ma tête de rat dans son estomac ». Elle lui dit : « Si tu tues notre seule captive, qui fera la cuisine ? » — « Tu oublies encore les paroles de notre père ».

Il tue la captive et trouve la tête de rat dans son estomac, il la fait cuire et la mange.

Fatimata avait caché une vache qu’avait laissé le père et le soir allait la traire et apportait le lait à son frère. Il lui demande : « D’où vient ce lait ? » — « C’est mon amie qui me l’a donné ».

Un soir il met de la cendre dans un chiffon et dit à sa sœur : « Tout le monde dans le village a décidé de s’attacher au pied un chiffon tel que celui-là comme gri gri ». Alors la sœur dit : « Attache moi celui-là au pied, petit frère ». Ce qu’il fait : la sœur va chercher le lait, mais la cendre sortait par des petits trous, en sorte que Kama suit sa sœur à la piste jusqu’à l’endroit où était la vache. « Ah ! Ah ! Voilà la vache de mon père, pourquoi l’avoir cachée ? » — « C’est que j’avais peur que tu la tues » — « Non, non, je ne la tuerai pas ».

Au bout de cinq jours, il dit à Fatimata : « Je veux tuer la vache pour faire le repas funèbre de notre père » — « Mais nous n’aurons plus rien », dit la sœur. « Rappelle-toi les paroles de notre père ». Il la tue et la donne à manger aux gens.

Cinq jours après, il dit à sa sœur : « Je veux aller en voyage avec toi ». Elle dit : « Les femmes ne voyagent pas. » — « Notre père ne t’a-t-il pas commandé d’obéir ? ». Elle prend une calebasse. Ils vont dans la brousse, arrivent près d’une montagne et entendent le lion rugir. « Allons voir le lion, dit-il, c’est mon camarade. C’est un bon garçon. » Il va le trouver dans une grotte. Le lion rugit. Il lui dit : « Inutile de crier. Je viens avec ma sœur faire camarade avec toi ». « Bien », dit le lion. Le lion avait quatre petits. Il lui dit : « Kama, je veux aller avec toi à la chasse, pour que nous ayons de quoi manger. Ta sœur gardera mes lionceaux ». Ils partent jusqu’à un marigot où les antilopes vont boire. Il lui dit : « Kama, monte sur un arbre, je vais me cacher près de l’eau, s’il vient des antilopes, ne dis rien, je les tuerai ».

Kama est sur l’arbre : vingt-cinq koba viennent tout près de Kama : Il leur dit : « Pourquoi n’êtes-vous pas venues plus tôt, ô antilopes, depuis longtemps nous vous attendions ici pour en tuer une. Le lion est là qui vous attend ». Les antilopes se sauvent.

Vient une autre bande d’antilopes, puis une troisième, il les fait sauver. Le lion lui dit : « Tu es maladroit, Kama : tu fais sauver les antilopes. Rentrons. Tu vas rester à la maison à garder les petits et je reviendrai avec ta sœur ». Ils rentrent ; le lion dit à Fatimata : « Ton frère a fait sauver les antilopes : aussi je veux aller à la chasse avec toi ».

Il part avec elle : aussitôt Kama tue tous les petits lions : il les écorche et coupe les peaux en lanières et en fait un filet, qu’il tend à la porte.

Fatimata et le lion arrivent au marigot : le lion tue trois antilopes, et les porte chez lui. Kama arrive et le félicite. Quand le lion s’est reposé, il demande ses enfants. Kama dit : ils dorment dans la grotte. Le lion y entre : Kama le prend dans le filet et l’attache en paquet. Puis il appelle sa sœur et lui dit : « Aide-moi à mettre ce paquet sur ma tête ». Fatimata lui dit : « Tu n’as pas honte de faire cela au lion ? il s’est bien conduit avec nous : il a tué des koba pour nous ». « Notre père n’a-t-il pas dit que tu devais obéir ? » dit Kama.

Il emporte le lion sur sa tête. Fatimata croyait qu’il rentrait dans son village, mais lui voulait continuer son voyage.

Ils rencontrent cent dioulas[16]. Kama salue leur chef et lui dit : « J’ai là quelque chose à vendre, veux tu l’acheter ? » Les dioulas avaient beaucoup de marchandises. Il dit encore au chef : « Ce paquet est un mouton trop gras pour marcher : je l’ai attaché et je voudrais le changer pour quatre pagnes, des bijoux d’or et des bracelets pour ma sœur, quatre boubous de soie et quatre boubous de mbassan (cotonnade) pour moi. Seulement ne le mangez pas maintenant, il est trop gras, mangez-le dans trois jours, sinon vous aurez mal au ventre ». Le dioula emporte le lion, et donne ce qui était convenu.

Ils marchent pendant deux jours. Le troisième, le dioula ouvre le ballot et veut prendre le mouton : le lion sort et rugit. Les dioulas se sauvent. Le lion leur dit : « N’ayez pas peur, revenez prendre vos ballots : mais le petit garçon qui m’a mis là, je l’arrangerai bien ». En un jour le lion fait les deux jours de marche que Kama avait faits. Vers midi, il voit Kama sur la route. Il lui dit : « Tu es honteux, maintenant. Tu croyais que je ne te trouverais pas ».

Fatimata a peur : il la rassure et continue à marcher. Le lion arrive tout près et lui dit : « Kama, nous allons régler nos comptes maintenant ». Un grand oiseau appelé guimé volait à ce moment, il voit que le lion voulait tuer Kama. Il se dit : « J’empêcherai le lion de tuer ce petit garçon et sa sœur ».

Le lion bondit sur Kama : l’oiseau le saisit avec sa sœur et met chacun d’eux sous une de ses ailes. Le lion dit : « Tu as de la chance, Kama, car sans cela je te mangeais ».

Kama dit à Fatimata : « Ça sent mauvais, l’aisselle de cet oiseau ». Fatimata dit : « Je ne trouve pas ». Kama : « Eh bien ! je vais aller de ton côté puisque ça ne sent pas mauvais » : Il passe de l’autre côté et dit : « C’est pareil des deux côtés ». Fatimata : « Ne dis pas ça à l’oiseau, car sans lui le lion nous mangeait ». Kama. « Je voudrais bien lui casser les deux ailes ». Fatimata : « Si tu fais cela nous tombons et nous sommes morts ». « As-tu oublié l’ordre de notre père ? ». Il casse les ailes de l’oiseau. Tous trois tombent à terre et se tuent.

La tortue se promenait dans la brousse et voit les trois cadavres : elle dit : « Voilà un un bon garçon qui est mort ici ! Si rien ne contrarie, je vais le ressusciter ». Alors elle prend une amulette et la met sous le nez de Fatimata qui éternue, redevient vivante et qui la remercie bien. La tortue dit : « Maintenant au tour de ton frère ! » Fatimata lui saisit le bras et lui dit : « N’en fais rien : une fois vivant il te tuera ». « Il ne pourra pas me tuer », dit la tortue.

« Avant de ressusciter mon frère, ressuscite cet oiseau qui nous a sauvé la vie ». La tortue met son amulette sous le nez de Kama, qui éternue et revient à la vie en s’écriant : « Voilà que j’ai trouvé une tortue ! Fatimata, garde la moi, je vais chercher du bois pour la faire cuire ». Fatimata lui représente qu’elle leur a rendu la vie. « Que t’a dit mon père ? » Il part chercher du bois.

La jeune fille dit à la tortue : « Que t’avais-je dit ? Sauve toi par là et cache toi bien ». La tortue dit : « Je vais au devant de lui parce que je ne crois pas qu’il puisse me tuer ». Quand ils se rencontrent Kama prend la tortue et la rapporte à l’endroit où il l’avait laissée. Il dit à sa sœur : « Voilà une autre tortue que j’ai trouvée ». « Non, dit Fatimata, c’est la même ». « Oui, tu dis ça parce que tu l’as laissé échapper ». Il fait du feu, cuit la tortue et dit à sa sœur : « Mange ! » mais elle ne veut pas. « Eh bien, continuons le voyage », dit Kama.

Ils arrivent dans un pays dont le roi s’appelait Ouali : ils trouvent un village où il faisait toujours sombre : le soleil n’y brillait pas, parce que dans le village il y avait un grand oiseau et quand le soleil voulait se lever, il disait trois mots et le soleil ne pouvait se lever. Ils entrent dans la maison d’une vieille qui s’appelait Lountandi Noumoro, et il lui dit : « Je viens loger chez toi ». « Très bien », dit la vieille : elle fait du tau[17] et en apporte un grand plat. Kama dit à sa sœur : « Est-elle folle, cette vieille ? elle m’apporte simplement du tau ! Je veux lui casser le plat sur sa tête ». — « Ne te fâche pas, dit Fatimata, nous sommes dans la nuit ». « Rappelle-toi l’ordre de notre père. Cette femme a des poulets et des moutons, et ne veut pas en tuer pour moi ! ». Il va trouver la femme, l’insulte, lui fait des reproches et lui casse le plat sur la tête. « Pardon, dit la femme, je vais te tuer deux coqs ». « Bien, dit Kama, tu ne me connais pas : si tu ne le fais pas, tu me connaîtras ». Elle tue deux coqs et les fait cuire. Kama se couche et dort : il se réveille et dit : « Il ne va donc pas faire jour ? » La vieille dit : « Non, un oiseau est là qui empêche le soleil de se lever ». Kama : « Eh bien ! je ne dormirai plus : je veux entendre les mots qu’il dit ». « Fais attention ! dit la vieille. Le roi du pays a dit qu’il donnerait la moitié du royaume à celui qui tuerait l’oiseau. Mais tout le monde a peur, car au moment où l’oiseau crie, si quelqu’un lui répond, il le mange ». « Eh bien ! je veux voir cela, dit Kama ». L’oiseau crie une fois. « Ah ! c’est cela ! dit Kama s’il crie encore, je lui répondrai ».

L’oiseau crie encore une fois. Kama crie : « Soleil ! n’écoute pas l’oiseau ! moque toi de ce sale oiseau qui nous ennuie ! c’est moi Kama Kamasoro qui parle ». L’oiseau : « Est-ce Dieu qui parle ou un homme ? » « C’est moi, Kama Kamasoro ».

La vieille a peur et dit : « Kama, sors de chez moi ! je ne veux pas risquer d’être mangée avec toi ». « Tais-toi », dit Kama. Fatimata lui dit : « Tu es trop petit pour lutter avec cet oiseau ». « Que t’a dit notre père ? »

L’oiseau crie encore, Kama l’insulte : « Paresseux ! Poltron ! c’est moi Kama Kamasoro qui te réponds ! »

L’oiseau arrive pour chercher Kama ; la vieille femme de peur urine dans son lit. L’oiseau vient dans le milieu de la cour. Kama ouvre la porte de la case : « Si c’est moi que tu cherches, me voilà ! Je te cherche aussi précisément ». Il se jette sur l’oiseau, lui tord le cou et lui coupe la tête. Fatimata pleure car elle n’avait rien vu. « Ah ! l’oiseau va manger mon frère ».

Tout le village court se sauver dans la brousse, en entendant le bruit que fait l’oiseau en mourant. Kama dit : « Fatimata, plume moi vivement cet oiseau, je vais chercher du bois dans la brousse pour le faire cuire ». Il va chercher du bois. Fatimata, essaye de plumer l’oiseau mais elle ne peut arracher une plume tant elles sont grosses. Kama revient avec le bois, plume l’oiseau, le fait cuire et appelle sa sœur et la vieille pour manger.

La vieille femme avait fait des ordures dans son pagne de peur.

Fatimata dit : « Je ne peux rester ici, ça sent trop mauvais ».

Elle ajoute. « Je ne peux pas manger de cet oiseau »

L’oiseau mort, le soleil se lève.

Kama dit à la vieille : « Si tu dis mon nom aux gens du village, je te tue. Les vieilles femmes sont toutes menteuses. Comme tu pourrais me tromper, viens ici ». La vieille vient : il lui coupe une oreille et dit : « Tu vois qu’aussi bien je pourrais te couper la tête ». La vieille femme prend son pagne, sa calebasse et court du côté du marigot : « Ah ! le grand homme qui a tué l’oiseau ! » Le roi du pays frappe le tabalé[18] : tous les hommes accourent en armes. Il dit à son griot : « Dis que celui qui a tué le grand oiseau vienne ici et danse devant tout le monde : je lui donnerai la moitié du pays en récompense. Seulement il faut qu’il me montre la tête de l’oiseau ».

Un homme arrive, tirant des coups de fusil, danse au son du tam tam et dit : « C’est moi qui l’ai tué : voici ses plumes ». « Non, dit le roi, tout le monde peut ramasser les plumes d’un oiseau : c’est la tête qu’il me faut ». Cinquante hommes viennent répéter les mêmes choses. Le roi les renvoie.

Kama dit à sa sœur : « Je veux aussi aller danser devant les femmes ». Fatimata lui dit : « Non, tu es trop petit ». « Rappelle-toi l’ordre de mon père ». Il rentre dans le cercle. L’homme qui était entré le dernier se met en colère, s’appelle Sambou : Il lui dit : « Tu es trop petit pour danser avec moi : assieds toi, tu danseras quand j’aurai fini ». « Je n’écoute pas un grand imbécile comme toi : je danse ». Sambou lui donne une gifle. Le roi dit : « Ne le frappe pas : ce tam tam, c’est pour tout le monde ». Kama dit : « Laissez-moi faire, je ne le crains pas ». Il donne une gifle et un coup de pied à Sambou.

Sambou, tombe sans pouvoir se relever. Kama continue à danser. Après il parle à Sambou : « Tu vois qu’il ne faut pas se moquer de moi ». Il lui donne un coup de pied, Sambou s’en va. Trois griots viennent lui dire des louanges. Il va avec l’un auprès du roi, et dit : « C’est moi qui ai tué l’oiseau, et j’ai sa tête ». Il sort la tête de sa poche et la lève en l’air pour la montrer à la foule : mais le soleil disparaît et on reste dans la nuit, il était trois heures l’après-midi. Tout le monde crie : « Kama : mets la tête dans ta poche ». Il le fait et la lumière revient. Il dit : « L’avez-vous bien vue, la tête de l’oiseau ? ». « Oui, oui », dit la foule : « Non, vous ne l’avez pas bien vue ». Encore deux fois il la sort, le soleil s’éteint et reparaît quand il la rentre. Enfin il la jette au roi en disant : « Je n’en ai pas besoin ». Le roi dit : « Merci, Kama, je te donnerai la moitié du pays ». Kama dit à Fatimata : « Que puis-je faire avec un demi royaume ? Je n’en veux pas ». La fille dit : « Une moitié de royaume te suffit », « Notre père t’a dit de ne pas me contrarier ». Kama dit au roi : « Je ne veux pas de ta moitié de royaume : garde la. J’ai agi en brave homme et je continue mon voyage ». Alors le roi dit : « J’ai neuf jolies filles : tu pourras y prendre quatre femmes ». Kama dit à Fatimata : « Je n’ai pas besoin de quatre femmes : je n’en veux qu’une ». Fatimata dit : « Moi j’en prendrai une aussi qui me servira ». Ils prennent deux filles et Kama dit au roi : « Je vais continuer mon voyage ». Fatimata dit : « Je suis fatiguée je ne peux marcher ». « Rappelle-toi l’ordre de notre père ». Ils partent. Il va vite : les filles du roi marchent lentement : il leur dit : « Il faut marcher vite : je ne me moque pas mal que vous soyez filles de roi ». « Nous ne pouvons pas », disent-elles.

« Je vais les tuer ces filles de roi ». Fatimata : « Non, ne les tue pas ». « Est-ce que notre père ne t’a pas dit de m’obéir ? ». Il ramasse à terre un œuf et dit : « D’où vient cet œuf ? je le garde » Il tue les filles. Un chasseur était sur un arbre, guettant des antilopes : il voit Kama tuer les filles. Il va dire au roi : « Kama a tué tes filles ». Le roi frappe le tabalé. Il envoie cent cavaliers chercher Kama. Ils le rattrapent et lui disent : « Viens devant le roi ». Kama prend son œuf le jette à terre : il pousse un arbre bantingo très haut. Kama et sa sœur sont en haut. Cinq cavaliers vont le dire au roi, qui accourt : « Kama, je te couperai le cou, parce que tu as tué mes filles ». Il rassemble tous les forgerons avec les haches, et tue trois taureaux pour eux et trois moutons pour lui. Quand ils sont en train de manger, Kama dit : « Tu ne vois pas ce beau plat de viande que ce grand idiot de roi va manger ? » Il se tient à une branche et son autre bras s’allonge au point qu’il va prendre le plat à terre ; il le donne à sa sœur, en disant : « Garde moi tous les os ». Il jette un os sur la tête du roi qui se sauve en disant aux forgerons de couper l’arbre. Sur l’arbre il y avait une gueule tapée[19]. Quand les forgerons avaient fait une entaille d’un côté, la gueule tapée frappait l’endroit avec sa queue et le bois repoussait comme avant. Trois fois de suite. Kama ne le voit que la troisième fois. Il dit à sa sœur : « Vois-tu cette gueule tapée ? je vais la tuer ! » « Comment, dit la sœur, mais elle nous sauve la vie en empêchant l’arbre d’être coupé ? ». Enfin il lance une branche à la gueule tapée et la tue. Les forgerons coupent l’arbre, qui tombe. Une corde et une chaîne en fer descendent du ciel : Kama prend la corde et monte : sa sœur prend la chaîne et monte : ils disparaissent : on ne les a jamais revus.





HISTOIRE DE KOLI


Un garçon s’appelait Koli ; son père Nambara-madi (Madi le mystificateur) était mort en laissant un couteau, un gros d’or, un taureau, un petit âne. La mère pleure et dit : « C’est tout ce que ton père a laissé ». « Ne pleure pas, dit-il, je me débrouillerai avec ce que j’ai ». Arrivent des marchands ; Il va trouver leur chef et demande la permission de mettre pour la nuit son âne avec les leurs. Ils acceptent et Koli attache son bourricot avec les autres. Il demande à sa mère le gros d’or. Au matin, il va trouver les Dioulas et leur dit : « N’avez-vous pas ramassé le crottin de mon bourricot ? Si jamais j’apprends que vous avez touché son crottin pour voir ce qu’il y a dedans, vous aurez de mes nouvelles ». « Que pourrions nous faire avec du crottin ? ». « Vous n’en savez rien, mais moi je sais ce qu’il y a dedans ». Il dit à sa mère d’apporter une calebasse avec de l’eau. Il met le crottin de son âne dedans et tous les dioulas viennent voir : il remue bien et met sans qu’on le voie un gros d’or dedans. Il lave et trouve un gros d’or au fond de la calebasse. Il dit à sa mère : « Tu as mal nourri mon bourricot : je n’ai trouvé qu’un gros d’or dans son crottin, tandis que du temps de mon père j’en avais cent chaque jour ».

Les dioulas s’entendent avec leur chef pour acheter le bourricot. Koli ne veut pas le vendre. « Pouvez-vous acheter une bête qui fait cent gros d’or par jour ? » dit-il, aux dioulas. Enfin il cède aux instances des négociants et dit : « Chacun des trois chefs me donnera dix captifs ».

Ils les lui donnent et s’en vont avec l’âne. La première journée, le crottin de l’âne est réservé au premier chef, qui l’a bien nourri. Au matin, il fait apporter des calebasses pleines d’eau, se met à laver le crottin et ne trouve rien. Le deuxième chef s’approche et lui dit : « Ne prends pas tout l’or : c’est mon tour maintenant ». Le premier ne dit rien de sa mésaventure. Le deuxième nourrit bien le bourricot et appelle au matin les gens pour qu’on apporte de l’eau et des calebasses, mais il ne trouve rien. De même pour le troisième chef, qui ne trouve rien et se figure que les autres ont tout pris. Il va se plaindre aux autres de ce qu’ils ont pris tout l’or. Ceux-ci déclarent qu’ils n’ont rient trouvé dans le crottin et tous tombent d’accord pour penser que Koli les a trompés, et ils vont le trouver ; leurs mères se moquent d’eux et les insultent[20].

Koli se doutait qu’ils arriveraient ce jour là : il tue son taureau et le distribue aux gens du village en signe de joie du bon marché qu’il a fait. Il recueille le sang, le met dans la poche à fiel et l’attache au cou de sa mère. Il lui dit : « Quand les dioulas seront là et que nous causerons sur la place, tu viendras et tu voudras prendre la parole. Alors je te jetterai par terre, je ferai semblant de te tuer, et quand j’aurai crevé la poche pleine de sang, tu feras comme si tu étais morte ».

Les trois dioulas arrivent et disent au chef de village : « Nous venons à cause de Koli : nous voulons qu’il nous rende nos captifs, car il nous a trompés avec son bourricot qui devait faire de l’or ». Alors la mère de Koli arrive sur la place et se dispute avec les dioulas. Koli fait semblant de se mettre en colère : il jette sa mère à terre et la frappe avec son couteau à trois reprises : la poche se crève : le sang coule. Les assistants s’écrient : « Il est fou, il a tué sa mère ». Koli dit : « Je ne suis pas fou ; j’ai tué ma mère, je peux aussi bien la ressusciter ». Les gens disent : « Ressuscite-la d’abord, après nous causerons ». Avec le couteau de son père, il frappe trois fois sa mère qui éternue et se lève. Il lui dit : « Maintenant, ma mère, pars chez toi ». Elle s’en va.

Il se tourne vers les dioulas et dit : « Continuons à parler ». Les trois chefs disent : « Nous ne pensons plus à l’histoire du bourricot : garde tes captifs. Ce que nous voulons c’est ton couteau parce que nous avons des mères insupportables ». Il se met à pleurer et dit : « C’est l’héritage de mon père : avec lui je peux tuer tous ceux qui me font du mal. Mais êtes-vous capables de me donner chacun quinze esclaves pour ce couteau ? ». « Oui », disent les dioulas. Ils vont les chercher, les lui donnent, et partent avec le couteau.

Koli avait donc soixante-quinze captifs : il en prend soixante, va trouver le roi du pays et lui dit : « Mon père m’a laissé cent captifs mais ils sont méchants et ont voulu me tuer : veux-tu prendre ces soixante là chez toi pour me les dresser ? ». Le roi accepte.

Il revient chez lui, et fait une fosse comme pour un enterrement, seulement il la recouvre de branchages et ne laisse qu’un petit trou à une extrémité, fermé avec un morceau de calebasse. À côté il fait bâtir une case, avec un passage souterrain allant à la fosse. Après quoi il se repose chez lui. Il dit à sa mère : « Demain, tu viendras voir ce que j’ai fait ». Ils partent ensemble. Il lui dit : « Quand les dioulas seront venus, tu entreras dans la case et tu te mettras dans la fosse. Quand je t’adresserai la parole, tu ne diras rien, mais si un dioula met son oreille près du trou pour écouter, coupe la lui ». Ensuite ils rentrent chez eux.

Le premier dioula qui avait sur lui le couteau, rentre chez lui : sa mère lui dit : « Qu’y a-t-il de neuf ? Comme Koli s’est bien moqué de toi ! Quel malin tu fais ! ». Il la jette à terre, lui coupe le cou et la tue. Tout le monde s’écrie : « Es-tu fou ? tu as tué ta mère ! ». Il répond : « Je ne l’ai pas tuée : ma mère est méchante : quand je voudrai je la ressusciterai ». « Fais cela devant nous », disent les gens. Il frappe trois fois sa mère, mais elle ne revit pas. Il dit à ses gens : « N’en dites rien », et cache le cadavre.

Le second dioula vient lui dire : « Prête moi le couteau » ; il lui arrive comme au premier, de même au troisième.

Ils sont en colère et disent : « Nous allons tuer Koli, car il s’est trop moqué de nous ». Ils prennent leurs fusils et vont trouver le chef de son village : ils racontent l’affaire en ajoutant : « Il faut qu’il ressuscite nos mères, ou nous le tuons. Le couteau est une plaisanterie ». Le chef du village l’envoie chercher.

Koli dit à sa mère : « Va te cacher dans la fosse ». Il va auprès des dioulas. Le chef lui expose la plainte des dioulas qui ont tué leurs mères. Il répond : « Vous savez pourtant bien que c’est mon père qui m’a légué ce couteau et que devant vous j’ai tué et ressuscité ma mère ». « Cela est vrai », dit le chef. « Eh bien ! dit Koli, allons sur la tombe de mon père : nous l’interrogerons et nous verrons si j’ai menti ». Les dioulas disent : « Tu n’es pas fou ? Ton père est mort il y a six mois et tu veux qu’il parle ? ». « Oui, dit Koli, mon père répondra ».

Ils vont sur la fosse qu’avait faite Koli avec cinquante personnes, pas davantage. Tous s’assoient : il leur montre la place où son père était soi-disant enterré. Il tire son bonnet, entre dans la cave avec son couteau et parle avec sa mère : « C’est moi qui parlerai le premier : celui qui parlera le second, coupe-lui l’oreille ». Il ressort de la cave avec quatre cailloux à la main. Il en jette un aux quatre points cardinaux. « Le chef dit : « Qu’est-ce que tu fais dans cette cave ? » « C’est là que j’ai mis mes gri-gri, et comme tous les mercredis une hyène vient pour déterrer mon père j’ai construit la cave pour me mettre à l’affût ».

Il dit au chef de village : « Je veux tuer ces trois hommes : si tu me laisses faire tu auras cinq captifs ». « Bon, dit le chef, je t’aiderai ».

Koli s’approche du petit trou de la fosse, enlève le morceau de calebasse qui le bouchait et dit : « Mon père Nambaramadi ! ». Une voix dit : « Que dis-tu, mon fils Koli ? » « Il y a des brigands de dioulas qui me veulent du mal. Quand tu fus mort, combien d’objets m’as tu laissés ? » : « Je t’ai laissé un bourricot dans le crottin duquel on trouvait cent gros d’or tous les jours ». Koli se retourne vers le chef du village et lui dit : « Avez-vous entendu ? » « Oui » dit le chef. « Après ? » dit Koli. « Je t’ai laissé un taureau et un couteau, avec lequel tu peux tuer celui qui t’a fait du mal, et tu peux le ressusciter en le touchant trois fois ». « Avez-vous entendu ? » dit Koli « Oui », dit le chef.

Koli dit : « Ces dioulas disent que ce n’est pas vrai ».

La voix dit : « Approche, je te donnerai de bonnes nouvelles de l’ardjiana (Paradis) ». Un dioula dit aux autres : « Je vais m’approcher pour entendre les bonnes nouvelles de l’ardjiana ». Koli le laisse s’approcher : les autres disent : « Moi aussi », et s’approchent. Le premier vient, demande des nouvelles et s’approche. La mère saisit l’oreille et la lui coupe. Il met la main sur la blessure et cache le sang en s’écriant : « Quelles bonnes nouvelles ! » De même pour les deux autres. Le troisième dit aux autres : « Vous a-t-il coupé une oreille ? ». « Oui », disent-ils. « Alors il faut le tuer ». Ils prennent leurs fusils. Koli se sauve, les dioulas le poursuivent jusqu’au village du roi en tirant des coups de fusil : il entre le premier et dit aux sofas : « Le roi est-il là ? ». « Oui ». Il entre et lui dit : « Que t’avais-je dit ? voilà mes captifs qui veulent me tuer et qui me poursuivent à coups de fusil ! Fais-les tuer, s’il viennent ici. Tu les reconnaîtras bien, car je leur ai coupé une oreille à chacun. Surtout ne les laisse pas causer, fais les tuer vite, et je te donnerai dix captifs ».

Les dioulas arrivent et veulent parler au roi : les soldats préviennent le roi qui les fait entrer. Ils ont des bonnets qui leur couvrent les oreilles et disent au roi : « Nous venons chercher ce misérable Koli qui s’est joué de nous ». « Avant tout, dit le roi, enlevez vos bonnets ». Ils s’exécutent en disant : « Ce coquin-là nous a coupé à chacun une oreille ». Le roi dit : « Vous êtes ses captifs : vous avez voulu le tuer. « Soldats, menez-les dehors et tuez-les ». Koli dit : « Ce sont les trois seuls mauvais captifs que j’ai : si tu leur fais couper le cou, les autres seront mâtés ». Alors on leur a coupé le cou à tous les trois. Koli a donné dix captifs au roi, emmené les cinquante autres chez lui, et en donne cinq au chef de son village. Il dit à sa mère : « Ne t’avais-je pas dit que je me débrouillerais avec ce que mon père avait laissé ? »




LA CUISSE DE POULET


Un homme avait un fils appelé Sara et était très malheureux : ce fils âgé de quinze ans, trouve une aiguille dans la rue du village : il la porte à sa mère en disant : « Vois, j’ai trouvé une aiguille ». Il avait sept grands frères. Il dit au père : « Je vais changer mon aiguille pour un poulet ». Il va dans le village en criant : « qui veut changer un poulet contre une aiguille ». La femme du chef du village ne pouvait pas coudre depuis trois jours faute d’aiguille[21]. Elle l’appelle et lui dit : « Une aiguille ne vaut pas un poulet ». « Je n’accepte pas moins », dit-il.

Elle lui donne le poulet, il le porte à son père. Les grands frères lui disent : « Comment, on t’a donné un poulet pour une aiguille ? » Il dit à son père : « Voilà ! fais cuire le poulet, mange-le, seulement garde-moi une cuisse, je la mangerai demain matin ». En se réveillant il réclame sa cuisse de poulet : le père la lui donne, et il lui dit : « Mon père avec cette cuisse de poulet cuit, je vais acheter un cheval ». Tout le monde rit et se moque de lui.

Il avait entendu qu’il y avait un roi, Mahandian, qui va passer avec son armée. Il va l’attendre sur la route et il criait : « Qui veut changer une cuisse de poulet cuit contre un cheval ? » Personne de l’armée ne l’écoute, un seul l’écoute, un homme monté sur un cheval blanc, qui demande à voir la jambe, la mange, et lui dit : « Maintenant tu n’auras pas de cheval ». Le petit réclame. L’homme coupe une branche pour le frapper et le bat : le petit pleure. L’homme éperonne son cheval et rejoint les autres cavaliers. Le petit lui court après jusqu’à l’étape. Le roi se reposait, il lui dit : « Mahandian, tu agis mal avec moi : tu as pris ma cuisse de poulet tu ne me l’as pas payée avec un cheval, comme je demandais et tu m’as battu ».

Les soldats du roi voulaient le chasser : le roi les empêche et dit : « Comment ai-je mangé ta cuisse de poulet ? je t’ai entendu crier, mais je n’y ai pas touché ! ». « Si tu veux, je te le dirai, dit le petit. C’est un de tes hommes qui l’a prise et m’a frappé. Et je réclame ! ». « Le reconnaitrais-tu, si tu le voyais ? », dit le roi. Il lui a donné trois soldats pour l’accompagner dans le camp, afin de retrouver l’homme. Il le retrouve, et on le mène devant le roi, avec son cheval blanc. Le roi lui dit : « Pourquoi as-tu fait cela ? » Il répond : « Parce que je croyais qu’il ne pourrait jamais me rejoindre ». « Eh bien, dit le roi, descends de ton cheval, tu feras la guerre à pied : ton cheval appartient au petit garçon Sara ».

Sara monte sur son cheval et vient retrouver son père, en lui disant : « Avec ma cuisse de poulet, j’ai acheté un cheval ». Les grands frères disent : « Quelle chance il a ! » Le père est content et lui dit : « Va attacher ton cheval ». Pendant huit jours, les sept grands frères montent à cheval. Au bout de huit jours, il dit à son père : « Je vais changer mon cheval contre un petit chat ». Les frères sont mécontents, mais le père dit : « Fais à ton idée, et que Dieu t’aide ! »

Il monte à cheval et va trouver une femme, Koumba, qui était avec son mari, Moussa. Elle avait sept chats. Son mari était dans la brousse. Il lui dit : « Veux-tu changer ce cheval contre les sept chats ? »

Pendant qu’il était à causer, un homme qui avait entendu dire de Sara qu’il avait un bon cheval, amène neuf captifs dans la maison du père et lui propose l’échange.

Les grands frères étaient d’avis de faire l’échange, mais le père dit : « Je le laisse libre de faire l’échange ». Le fils ainé va dire à Sara qu’un marché avantageux lui est offert. Sara demande : « Qu’a dit mon père ? » Le grand frère dit : « Notre père te laisse libre ». « Et toi, mon frère, que dis-tu ? » « Prends les esclaves ! » Sara dit : « Tu ne sais pas ce que je cherche : mon père seul le sait : je vais changer le cheval contre les chats ».

Koumba lui dit : « Jamais on n’a vu changer des chats contre un cheval ». « Qu’importe ; dit Sara, moi je veux ! » Elle lui donne les sept chats dans un panier : il les porte à son père, qui lui dit : « Ça va bien, garde tes chats ». Les grands frères sont mécontents.

Il se repose pendant huit jours, après lesquels il dit à son père : « Je vais porter mes chats dans un pays où je changerai chacun d’eux pour sept esclaves ». « Bien, dit le père que Dieu t’aide ».

Il part, marche vingt jours et arrive dans un autre pays et va trouver le roi Fimma, mais pendant la nuit les rats l’avaient mangé, car il y en avait beaucoup. Au matin il vient avec ses chats. Tout le monde s’écrie : « Quelle chance voici des chats ! » On tue un taureau en son honneur, et pendant trois jours il reste là, on lui demande combien il vend les chats : « Je veux sept esclaves pour chacun d’eux ». Les gens disent : « Ce n’est pas cher ! Nous les achetons tous ! » On lui donne quarante-neuf esclaves, qu’il emmène chez son père. « Voilà, mon père : Dieu m’a aidé : j’ai gagné sept esclaves par chat ». Tout le monde est content.

Il se repose trois mois et dit à son père : « Je vais changer mes esclaves contre un homme mort ». Le père dit : « Que Dieu t’aide ». Les frères sont furieux, car ils s’étaient fait servir par les esclaves. Il marche un mois, il arrive chez le roi Mahan Oulé ; en entrant dans le village il apprend qu’il était mort. Il loge chez Diali Moussa, griot du roi. On frappe le tabalé, tout le monde se rassemble. Sara dit à Diali Moussa : « Je veux changer tous mes esclaves contre un homme mort : demande au fils du roi de faire l’échange ». Le fils du roi accepte en disant : « Quand un homme est mort il n’est plus rien : c’est de la viande. On peut faire l’échange ».

Sara dit : « Avant de faire l’échange je veux qu’on fasse venir comme témoins quatre marabouts ». On les fait venir : il prend le mort et donne les captifs. Il prend le cadavre par un pied et le traîne jusqu’à la grande place. Il demande trois hommes pour garder le mort pendant qu’il s’absente un moment et dit : « Je donnerai à chacun un gros d’or quand je reviendrai ». Trois hommes musulmans acceptent. Il sort du village coupe beaucoup de baguettes, et les apporte sur la grande place.

Pendant ce temps les fils du roi viennent trouver les gardiens et leur demandent de laisser enterrer le roi pendant l’absence de Sara : « Quand il reviendra, on lui dira que le diable a enlevé le corps ».

Les gardiens refusent. Sara revient, leur donne à chacun un gros d’or, prend les baguettes et se met à frapper le cadavre, en lui disant : « Tu as mis beaucoup de gens aux fers, tu as fait battre beaucoup de gens : aujourd’hui c’est moi qui te frappe ». Il lui fait des reproches et l’insulte : il lui donne des coups de pied. Les fils du roi sont fâchés, et veulent s’opposer à ce qu’on frappe leur père. « Ce mort m’appartient, dit Sara, j’en fais ce que je veux ». Il frappe encore. Les fils veulent défaire la vente. Il refuse et dit : « Allons devant le Cadi ». Le Cadi après avoir entendu l’affaire fait venir les quatre Marabouts témoins, et dit : « Sara a raison. Vous êtes des imbéciles d’avoir vendu un cadavre contre quarante-neuf esclaves ». Il demande alors à Sara combien il veut vendre le cadavre. Celui-ci répond : « Il est à moi, si on le veut, je ferai mes conditions. Pour chacun de mes quarante-neuf esclaves, il me faut sept esclaves ». Les fils acceptent et les lui donnent. Il leur dit : « Permettez que je demeure près de vous ». Il fait un village à côté du leur. Une petite rivière était à côté : il entend une nuit parler un grand serpent qui s’appelait Samano : il va le trouver et ils causent. Le serpent lui dit : « Il y a de l’or à l’endroit où tu as fait ton village. Si tu me donnes sept taureaux je te montrerai l’endroit ». Sara lui donne sept taureaux. Pendant la nuit le serpent lui montre un endroit où il y avait des cailloux ronds et dit : « Là dedans, il y a un grand canari plein d’or ». Au matin Sara appelle les esclaves et leur fait creuser à l’endroit indiqué.

Il sort le canari et donne de l’or à tous les chefs d’esclaves. Il fait des libéralités à tout le monde. Enfin il réunit tout le monde et attaque le village du roi et le prend. Il devient roi du pays et envoie cent cinquante cavaliers chercher sa famille. Il dit à son père : « Je suis ton fils et tu seras roi de ce pays : mes frères auront de bonnes situations, et on verra que j’ai gagné un royaume avec une aiguille ».




LE CHASSEUR, LE CROCODILE ET LE LIÈVRE[22]


Pendant l’inondation un crocodile s’était beaucoup éloigné du fleuve. Il avait été si loin dans la brousse qu’il ne peut plus retrouver l’eau et qu’il n’avait rien à boire ni à manger. Il maigrit considérablement.

Un chasseur qui cherchait des biches le rencontre et lui dit : « Que fais-tu là ? ». Le crocodile raconte son histoire et le chasseur lui dit : « Si tu me promets de ne pas me faire de mal, je te ramènerai au fleuve ». Le crocodile promet, le chasseur l’attache avec des cordes, le met sur sa tête et le porte au bord du fleuve.

Le crocodile lui dit : « Puisque tu as tant fait que de venir jusqu’ici tu peux bien entrer dans l’eau ». Le chasseur, portant le crocodile, y entre jusqu’au genou. « Pour me faire plaisir, va plus loin », lui dit celui-ci. Il va jusqu’à ce qu’il ait de l’eau jusqu’à la poitrine. Le crocodile le prie de nouveau et le chasseur marche jusqu’à ce qu’il ait de l’eau jusqu’au cou, défait les cordes et met le crocodile à l’eau en lui disant : « Maintenant tu peux t’en aller ».

Le crocodile répond : « Moi je ne peux te laisser aller : il faut que je te mange ». « Est-ce là ma récompense pour t’avoir porté de si loin et t’avoir sauvé la vie » ? dit le chasseur. « Je ne te mangerai pas avant d’avoir trouvé quelqu’un qui fasse la justice entre nous », répond le crocodile.

Arrive un cheval pour boire. Le crocodile lui dit : « Ne bois pas avant d’avoir servi d’arbitre entre nous ». Il lui explique l’affaire.

Le cheval répond : « Tu dois le manger, car l’homme est méchant. Depuis que je suis petit, on me monte, on me fait travailler, on voyage sur mon dos, on me maltraite : maintenant que je suis vieux on ne me donne plus rien à manger ».

Le crocodile dit : « Voyons un second juge ».

C’est une vache qui dit, une fois qu’on lui a expliqué l’affaire : « Mange cet homme ! On me trait, on boit mon lait, on me délaisse parce que je suis vieille ». « Attendons le troisième juge », dit le crocodile. Le bourriquot arrive et dit : « Mange vite cet homme ! On m’a toujours fait travailler, en me maltraitant, et en me nourrissant mal : maintenant on m’abandonne parce que je suis vieux ! »

Enfin arrive un lièvre : pris comme juge il dit au crocodile : « Comment un homme a-t-il pu te porter ici, toi qui es si gros ? » « C’est pourtant lui », dit-il. « Comment a-t-il pu faire ? » dit le lièvre. « En me liant avec des cordes et en me portant sur sa tête ». Le lièvre dit au chasseur d’aller chercher des cordes et de lui montrer comment il a attaché le caïman. Quand une fois c’est fait, le chasseur le charge sur sa tête et l’emporte à l’endroit où il l’avait trouvé.

Le lièvre lui dit : « Manges-tu du crocodile ? ». « Oui », répond le chasseur. « Eh bien, mange celui-ci, puisqu’il a voulu te faire du mal ».

Le chasseur l’emporte, le lièvre suit : Arrivé dans son village, on dit au chasseur que sa fille est très malade et que le seul remède est du poil de lièvre. « Justement, j’ai là un lièvre », dit-il, et il sort avec des chiens pour le prendre. Mais le lièvre qui l’a vu venir s’écrie : « Est-ce là ma récompense de t’avoir délivré du crocodile ». Et il s’enfuit.




LA VIEILLE JUMENT[23]


Un roi avait une fille d’une grande beauté et beaucoup de jeunes gens la demandaient en mariage, mais elle avait décidé de n’épouser qu’un homme n’ayant aucune ouverture, même pas un anus. Aussi quand un garçon l’avait demandé à son père et que celui-ci la consultait elle envoyait sa petite sœur visiter le prétendant. Celle-ci se transformait en mouche, pénétrait dans les vêtements et rendait compte à sa sœur qui refusait le jeune homme.

Un jour le Boa entend parler de cette fille et veut l’épouser : il se transforme en homme, s’habille avec recherche et va voir le roi. La fille qui l’avait vu dit à son père :

« Voilà le mari que je veux : qu’il ait ou non des ouvertures, je l’épouse ». Le roi répond simplement : « Nous verrons ». Le Boa lui demande sa fille. La petite sœur se transforme en mouche, et l’inspecte sans trouver aucune ouverture, même pas d’anus. La fille du roi déclare à son père qu’elle veut épouser le prétendant. Le roi y consent, tout en disant : « Je me méfie de cet homme : je crois qu’il n’est pas pareil aux autres ».

Le Boa resta donc trois jours chez le roi : chaque jour la fille lui fait à manger et c’est la petite sœur qui l’apporte. Mais le Boa ne mange rien en réalité : quand il est seul, il donne une partie de la nourriture au chien ou au chat ou bien l’enterre dans un coin. Après quoi il dit à la petite sœur d’emporter la calebasse : elle lui dit : « Tu n’as pas tout mangé ». Le Boa répond : « C’est que je n’ai plus faim ».

Au bout de trois jours le Boa veut emmener sa femme chez lui et lui dit : « Si ton père veut que tu emmènes des captifs, des chevaux, une escorte, n’accepte rien, et dis que tu as tout cela chez moi ». Le lendemain il dit au roi qu’il voulait retourner dans son pays avec sa femme : le beau-père y consentit et veut lui donner une escorte : il la refuse. Le roi dit la même chose à sa fille qui déclare ne rien vouloir, ni captifs, ni chevaux, ni escorte. Or le roi avait un troupeau de plus de cinquante chevaux tous fils de la même jument.

Le roi dit à sa fille : « Je veux absolument que tu ailles te choisir une monture dans le troupeau de chevaux : mets du mil dans une musette ; va la secouer à la porte du parc où sont les bêtes, et prends le premier cheval qui se présentera ». La fille obéit et qu’est-ce qui arriva ? la vieille jument. Elle se met à pleurer et s’en va se plaindre au roi qui lui dit : « Cette bête sera ta monture, si tu n’en veux pas, tu resteras ici ».

La fille fait laver et panser la jument, lui fait donner à manger et à boire, puis se met en selle. Son père et sa mère parlent à la jument et lui recommandent leur fille. La petite sœur veut partir, mais on la force à rester.

Le Boa part donc avec sa femme. Au bout de quelque temps, il lui dit : « Connais-tu cet endroit ci ? ». « Comment ne le connaîtrais-je pas, répond la fille, ce sont les champs de mon père ».

Plus loin il lui demande encore : « Connais-tu cet endroit-ci ? ». « C’est ici que les captifs de mon père viennent chercher du bois », dit-elle.

Une troisième fois il lui dit : « Et cet endroit-ci, le connais-tu ? ». Elle lui répond : « Je ne connais rien et je t’ai menti, car jamais je ne suis sortie de la case de mon père ».

Ils vont plus loin encore, et le Boa dit à la fille : « Attends-moi ici, je vais satisfaire un besoin et je reviens ».

La fille met pied à terre et aussitôt la jument se met à parler et dit : « Tu as de la chance que j’appartienne à ton père depuis si longtemps et qu’il m’ait toujours bien traité et qu’il t’ait confié à moi ainsi que ta mère. Tu as voulu un homme sans ouverture et pourtant tu sais bien qu’un homme n’arrive pas à l’âge du mariage sans cicatrices, et tu sais aussi qu’il faut une ouverture pour pouvoir satisfaire les besoins naturels. Ton mari n’est pas un homme, c’est un boa, il est allé reprendre sa forme naturelle et va te manger. Quand tu le verras venir monte sur moi et rappelle-toi de ne me donner sous aucun prétexte des coups d’éperon, même si le Boa va t’attraper, car alors je m’envolerai avec toi et jamais tu ne reverras tes parents. Prends aussi ces trois cailloux ».

À ce moment elles voient s’élever une grande poussière, la fille se met en selle et la jument part de toute sa vitesse. Le Boa ne la trouvant plus se met à la poursuite de sa femme. Au moment où il allait l’atteindre, la jument dit : « Jette à terre un caillou ». La fille obéit, et aussitôt il y a derrière elle un grand fleuve que le Boa a de la peine à traverser. Il y arrive néanmoins et reprend la poursuite : au moment d’atteindre sa femme, elle jette le second caillou, et il se forme derrière elle une grande montagne.

La jument dit alors : « Surtout rappelle-toi de ne pas m’éperonner ». Le Boa se rapproche encore. La fille jette le dernier caillou, et il pousse une brousse si épaisse qu’un homme n’eut pas pu la traverser, mais le serpent y arrive. La jument allait vite et déjà on voyait la maison du roi, mais voyant qu’elle n’avait pas de caillou à jeter, la fille a peur : la jument lui répète : « Surtout pas de coup d’éperon, sinon je m’en vais, et tu ne verras plus tes parents ». Mais le serpent arrive si près que la fille affolée, éperonne la jument, qui s’envole en l’air avec elle.

Quand elle redescend elle se trouve dans un pays où règne un roi qui fait tuer les femmes étrangères qui viennent dans la région.

La jument s’en va en un endroit où il y avait des grosses fourmis qui vivaient dans la terre et dit à leur chef : « Je me confie à toi ». Le chef lui dit : « Qui as-tu là avec toi ». « C’est une femme ». « Tu sais que notre roi n’en veut pas dans le pays : je te donnerai des vêtements d’homme pour l’habiller ».

Alors on lui donne un pantalon, un petit boubou, un grand boubou, des souliers, un turban, et même un sabre. Quant à la vieille jument, le chef la transforme en une jolie jument de deux ans, bien grasse et bien propre.

La jument dit à la fille : « Allons au village où est le roi de ce pays : dans ce moment, il est assis sous un arbre sur la place. Quand nous approcherons, lâche-moi la bride, j’arriverai au galop, je danserai, tu passeras pour un bon cavalier, le roi te donnera une maison ».

Les choses se passent comme il était dit, tous les gens admirent le cavalier. La fille va trouver le roi et lui dit : « Je suis venu auprès de toi parce que j’ai entendu parler de toi ». Le roi dit à un de ses hommes : « Conduis ce cavalier dans telle maison ».

On mène donc la fille dans une case, on lui apporte de la nourriture, et de l’eau pour se laver. La jument est attachée devant la porte et on lui donne de l’herbe et de l’eau. La fille se lave dans la cour qui n’était séparée que par un paillasson de la cour voisine, où vivait une vieille femme.

La jument appelle la fille : « Sale putain » ! La fille dit : « Que dis-tu, ma petite jument ? » La jument répond. « Ne m’appelle pas comme ça, sale putain ! Écoute, le chef du pays va t’envoyer un bœuf, ne le garde pas, tue-le, distribue la viande aux gens du village et donne une grosse part à la vieille femme de la cour voisine ». Elle exécute la prescription de la jument : la vieille femme vient la remercier, et lui dit « Le roi donne toujours un bœuf comme présent aux voyageurs, mais jamais personne ne m’a donné autant de viande ».

La fille mange et se couche. Pendant la nuit, la jument crie. La fille demande : « Qu’as-tu, ma petite jument ? » « Ne m’appelle pas comme cela, sale putain ! Fais attention au paillasson : derrière il y a une vieille femme : quand tu iras uriner demain matin, elle verra que tu n’es pas un homme ».

La fille dort, elle oublie la recommandation de la jument : la vieille la voit uriner, oublie la viande qu’elle lui a donnée et va dire au roi que celui qu’il prend pour un homme est une femme. Elle avait un petit-fils qui demeurait chez elle : elle le prend en passant.

La vieille demande : « Le roi est-il réveillé ? » On lui dit que oui, et elle pénètre auprès de lui pour lui annoncer la nouvelle. Le roi dit : « C’est impossible ». La vieille dit : « Si je mens, casse-moi la tête ainsi qu’à mon petit-fils ». Mais celui s’écrie : « Je ne veux rien avoir à faire dans cette histoire : parle seulement pour ta tête ».

Alors la vieille dit au chef : « Fais donner à tous les hommes du village, même aux étrangers, l’ordre d’aller demain matin te chercher une pintade dans la brousse : comme les femmes ne peuvent pas en prendre, tu verras bien si c’est un homme ».

La jument entend cela et appelle la fille qui dit : « Qu’y a-t-il, ma petite jument » ? « Ne m’appelle pas ainsi, sale putain ! Tu n’as pas écouté mon conseil, tu as uriné sans te méfier de la vieille qui a été prévenir le roi : maintenant il va te faire casser la tête ». Alors la fille pleure.

Le roi la fait appeler et lui ordonne d’aller chercher des pintades. Quand elle rentre la jument lui dit : « Sale putain ! demain matin, selle-moi de bonne heure et lâche-moi les rênes ».

La fille, le lendemain, fait comme il était dit et arrive à un endroit où sur un arbre se trouvaient prises deux pintades. Elle les prend, et les porte au roi. Les gens du pays n’en avaient pas encore pris une seule. Le roi la remercie, fait appeler la vieille et lui dit : « Il m’a apporté deux pintades ». La vieille dit : « Si ce n’est pas une femme, fais-moi casser la tête ainsi qu’à mon petit-fils ». « Je ne suis pas dans l’affaire », dit celui-ci. Alors la vieille dit au roi : « Dis à tous les hommes d’aller te chercher du poisson dans le marigot ; comme tout le monde enlève son pantalon et se couvre d’un chiffon seulement, on verra bien si c’est un homme ».

Les gens du village rentrent : aucun n’avait pris de pintades. Le roi donne l’ordre d’aller chercher du poisson dans le marigot.

Comme la fille rentre, la jument lui dit : « Sale putain ! selle-moi demain matin : prends un grand chiffon : quand nous serons arrivé au rendez-vous des pêcheurs, laisse-moi et écarte toi en disant que tu vas te couvrir avec ton chiffon : alors moi je courrai sur les chevaux des gens du pays, je les mordrai et leur donnerai des coups de pied. Pendant que tout le monde s’occupera à nous séparer, cours jusqu’à un grand arbre qui est dans l’eau. Un poisson est pris dedans, et ne peut en sortir. Tu reviendras avec lui et tu m’appelleras, je me calmerai et tu t’en iras ».

Les choses se passent ainsi. La fille donne le poisson au roi, qui fait appeler la vieille et lui montre le poisson. Elle répond : « Si ce n’est pas une femme, casse-moi la tête ainsi qu’à mon petit-fils ». Celui-ci s’écrie : « Ne me mets pas là-dedans ».

La vieille dit au roi : « Il y a encore un moyen : tu as une fille : donne-la lui en mariage : une femme ne peut en déflorer une autre, alors tu seras fixé ».

Le roi fait appeler la fille et lui dit qu’il lui donne sa fille en mariage. La fille rentre chez elle et la jument lui dit : « Sale putain ! maintenant tu es perdue, parce ce que je ne peux faire de toi un homme ». La fille pleure toute la journée. Le mariage est fixé pour le surlendemain.

Le soir où on amène la fiancée, la jument appelle la fille : « Sale putain ! voici ce qu’il faut faire quand on amènera la fiancée, je me changerai en serpent cracheur[24], je la mordrai et elle mourra ».

Les gens du village font tam-tam, tirent des coups de fusil, crient et chantent. La fiancée est amenée : quand elle est entrée dans la case, le serpent cracheur la mord et disparait.

La fiancée meurt : tout le monde se lamente.

Le matin, la jument dit : « Sale putain ! Je vais te donner un médicament, tu vas aller trouver le roi et lui dire : « Ta fille est morte mais c’est moi que cela regarde puisque c’est ma femme. Je vais montrer à tous que je ne suis pas un imbécile. J’ai fait un médicament qui va guérir ta fille, mais il me manque pour le terminer un ingrédient que tu peux me donner : c’est de la cervelle de vieille femme ».

La fille exécute l’ordre : le roi est bien étonné mais il dit : « Si tu n’as besoin que de la cervelle d’une vieille femme ce sera vite fait. C’est justement une vieille qui a mis en train cette affaire » Il envoie chercher la vieille et on lui casse la tête : le roi veut faire casser aussi la tête du petit-fils, mais celui-ci proteste et dit : « Toutes les fois que ma grand’mère a voulu me mêler à cette affaire, j’ai protesté : tu ne peux pas me faire casser la tête ». « C’est juste », dit le roi.

Alors la fille fait un médicament avec la cervelle, le met sur sa fiancée qui se réveille et dit : « Qui m’a porté là » ?

Tout le monde est très content : le roi donne des présents à la fille, qui rentre très contente dans sa case. La jument lui dit : « Sale putain ! Il faut absolument que tu partes d’ici avant jeudi. Va trouver le roi et dis-lui que tu retournes chez toi et que tu enverras chercher ta femme ».

Le roi consent. La fille selle la jument qui la mène chez les fourmis et dit à leur chef : « Nous voici ». Le chef s’étonne que le roi n’ait pas reconnu l’artifice. La fille rend les vêtements et le sabre qu’on lui avait prêtés et reprend ses vêtements féminins. La jument redevient une vieille jument. Elles disent au revoir aux fourmis et les remercient.

La fille va pour rentrer chez elle, mais c’est loin : il y a plus de trente ans de marche, et au milieu de la route un désert infesté de toute sorte de bêtes féroces et qu’il faut traverser.

Voilà que les lions, les panthères, les hyènes arrivent sur eux. La vieille jument s’arrête au milieu de la brousse. La fille la presse de marcher, mais elle répond : « Ton père et ta mère t’ont confiée à moi : seulement je ne puis pas aller plus loin : je vais mourir ici ».

La fille pleure et lui dit : « Mieux valait me laisser dans le village plutôt que de me laisser manger par des bêtes féroces ». La jument lui répond : « Quand je serai morte, ouvre-moi le ventre avec ton sabre. Tu y trouveras un vase rempli d’eau : lave-toi les yeux avec cette eau ».

Les bêtes féroces se rapprochent. La fille pleure et dit : « Ma petite jument ». Mais la jument meurt. Elle n’a pas le courage de lui ouvrir le ventre.

Enfin les bêtes sont si près qu’elle éventre la jument, trouve le pot, l’ouvre vite et se lave les yeux. Quand elle les ouvre, elle est assise sur le lit de sa mère.

Elle est toute étonnée et court voir dans le troupeau si la vieille jument y est toujours. La vieille jument s’y trouve et vient au devant d’elle : la fille l’emmène dans la case de ses parents à qui elle raconte tout. Tout le monde est content. La vieille jument reste avec la fille : elle est traitée comme une personne et toutes les fois qu’on mange quelque chose, on lui en donne.




LA HYÈNE, LE LIÈVRE ET LA LIONNE[25]


La hyène, le chien, le bouc vont pêcher du poisson dans une mare et entrent dans l’eau. La hyène dit en voyant le chien et le bouc dans l’eau : « Que je trouve ou non du poisson, j’aurai à manger ». Le chien l’entend et dit au bouc : « Tu n’as pas entendu ce qu’à dit la hyène : ce qu’elle espère manger c’est nous ! » Le chien dit au bouc : « Casse les bâtons de ton filet ». Le bouc les casse, et la hyène demande : « Qui a cassé les bâtons ? » « Ce sont les poissons », dit le bouc. « Va vite en couper d’autres, et reviens pêcher » dit la hyène. Le chien dit au bouc : « Va-t-en vite jusqu’à la ville, car elle veut te manger : moi elle ne m’aura pas ». Le bouc se sauve.

Peu de temps après la hyène répète : « Même si je ne prends pas de poisson j’ai quelque chose pour manger ». Le chien dit : « Je veux aller chercher quelque chose pour manger, puisque tu as de quoi manger ». « Non, dit la hyène, il faut que je me rassasie avant toi ». « Je pars, » dit le chien. Et il se sauve. La hyène le poursuit pour le manger. Ils arrivent près du village où ils rencontrent le bouc. Le chien lui crie : « Que te disais-je, de te sauver ? Voilà la hyène qui va te manger ». La hyène dit au bouc : « Tu as voulu me tromper ». Elle lui donne un coup de patte : le bouc pleure et dit : Mée ! Elle poursuit le chien, jusqu’au village, mais il rentre dans sa maison. Le bouc court à la mare, prend de la boue, et s’en recouvre, seuls les yeux n’en avaient pas. La hyène arrive, a peur et dit : « Voilà mon grand frère qui est devenu roi : comment vas-tu ? » Le bouc : « Je viens de me promener. » La hyène : « Dis, mon grand frère, comment t’appelles-tu ? » Le bouc répond : « Je m’appelle Koba Maha : celui qui me regarde avec ses yeux meurt : celui qui m’entend parler meurt ». La hyène : « Mais si je ne te vois qu’une fois, aurais-je du mal ? » « Non dit le bouc, si c’est la dernière ». « Adieu mon grand frère Koba Maha », dit la hyène.

La hyène se sauve dans la forêt et se demande si ce ne serait pas le bouc. Elle va encore au-devant de lui et elle le rencontre. Elle dit : « Voilà mon grand frère ». Elle avait déjà peur. Elle lui dit : « bonjour comment t’appelles-tu ? ». « Kobamaha est mon nom : celui qui me voit ou m’entend, meurt ! » La hyène s’en va. Pour la troisième fois, elle va rencontrer le bouc : mais la boue avait séchée. « Voilà mon grand frère, dit-elle : bonjour, d’où viens-tu : » « Je viens de me promener, » dit-il. « Comment t’appelles-tu ? » dit la hyène. Le bouc répond : « Toi, la hyène, tu m’ennuies à la fin : voilà la troisième fois que tu me rencontres : les deux premières je ne t’ai rien fait, mais cette fois-ci, tu vas voir ». « Mais, dit la hyène, je t’ai suivi, j’ai trouvé des petits morceaux de boue que tu as perdus, sur lesquels sont restés des poils qui ressemblent à ceux de mon bouc ». « Quoi, tu penses que je suis un bouc, dit le bouc. À présent tu vas voir la force de mon gri-gri ». La hyène dit : « Quoi tu as des gri-gri ? Moi je ne pense pas que tu es Kobamaha, mais un bouc ». Elle s’approche de lui, le bouc a peur et s’écrie : Mée ! La hyène lui saute dessus et lui dit : « Voilà comment tu m’as trompé ! tu veux que je te prenne pour un animal terrible et tu n’es qu’un bouc. Pourquoi as-tu fait cela ? ». « Parce que j’avais peur, » répond le bouc.

Arrive un lièvre : la hyène dit : « Voilà mon petit frère. Je veux te donner une giffle : Comment, nous avons même père et même mère : je gagne ce bouc pour que nous le mangions ensemble et tu te caches de moi ? Je veux le manger dans un endroit où il n’y a pas de mouches ». Le lièvre dit « Allons-y ». La hyène attache le bouc par le cou avec une corde et l’emmène : le lièvre suit. Ils arrivent à une forêt : la hyène dit : « Voyons si dans cette forêt il n’y a pas de mouches ». Elle pète trois fois. Les mouches viennent. Elle dit : « Allons plus loin ». Dans une deuxième forêt, elle fait la même chose. Dans une troisième forêt, la lionne était couchée avec ses quatre fils. La hyène qui ne l’avait pas vue dit : « Voilà un bon endroit pour manger le bouc ». La lionne entend, lève la tête et rugit : La hyène dit à la lionne : « J’ai le même père et la même mère que toi : depuis un mois je te cherche pour te donner ce bouc, parce que j’ai entendu que tu avais mis bas quatre petits. « Merci, dit la lionne. Reste-là : malheureusement mes quatre fils sont malades. » La hyène dit : « Explique au lièvre ce qu’ils ont, car il est très malin ». Le lièvre dit : « Dis-le plutôt au bouc, car il vit avec les hommes et ils connaissent beaucoup de remèdes ». « Tu as raison, dit la hyène, parce que le bouc a beaucoup de gri-gri ». Le bouc dit : « Apportez un peu de terre sèche. » Quand elle est là, il fait la bonne aventure avec les doigts, puis il efface tout. La hyène s’écrie : « Mais dis-nous donc ce que tu as vu ! » Le bouc dit : « C’est que la chose peut guérir mais elle est très difficile à trouver ». « Dis tout de même », dit la hyène. Le bouc : « Une vieille peau de hyène suffit pour guérir les quatre lionceaux ». La hyène dit : « Mais une peau fraiche de hyène peut-elle faire l’affaire ? ». « Certainement » dit le bouc. « Eh bien ! va chercher un couteau et coupe un morceau de la mienne ».

Le lièvre dit : « J’ai sur moi un grand couteau ». Il le donne au bouc qui dit : « Il faudrait aussi un peu de chair avec la peau ». « Coupe ce qu’il faudra, dit la hyène, pourvu que mes neveux soient guéris ». Le bouc coupe un morceau. « Doucement », dit la hyène. « Coupe hardiment » , dit la lionne.

Le morceau coupé, le bouc le donne au lièvre qui le fait griller au feu : le bouc le coupe en morceau, le mélange de sel et de poivre (qu’il avait emportés avec lui à la mare pour manger avec le poisson), et le donne aux lionceaux. Ceux-ci y prennent goût et se mettent à dire à leur mère : « Miaou ! Donne-nous de la peau de hyène ! » La hyène dit : « Coupe-moi encore un morceau pour donner à mes neveux ». Le bouc coupe encore un bon morceau. « Doucement ! » dit la hyène. Il fait griller le morceau, y met du sel et du poivre, et le donne aux lionceaux, qui en réclament davantage. En tout, il coupe huit morceaux. La hyène avait bien mal et dit : « Maintenant tuons le bouc et mangeons-le ».

La lionne dit : « Non ! on ne tuera pas le bouc, qui a guéri mes enfants ! Je vais le reconduire jusqu’au village ». La hyène : « Je vais l’accompagner ». « Non, dit le bouc, je ne veux pas que la hyène m’accompagne, parce que je lui ai coupe la peau ». La lionne dit : « Le lièvre l’accompagnera ».

Le lièvre va avec lui jusqu’au village, et le bouc lui donne le petit sac où il avait le sel et le poivre. Le lièvre retourne vers la lionne et celle-ci lui dit : « Tu as accompagné le bouc jusque chez lui ? ». « Oui, » dit le lièvre. « Alors, attends-moi ici, je vais chercher une antilope. Garde mes enfants avec la hyène ».

Elle part : la hyène dit : « Regarde comment ils m’ont arrangé ! » Le lièvre dit : « Mais c’est toi qui l’as voulu ». La hyène : « C’est le bouc qui me l’a fait ! » Le lièvre : « Mais c’est toi qui a voulu venir dans un endroit sans mouches ». La hyène dit : « Prenons les lionceaux et sauvons-nous avec ». « Oui », dit le lièvre.

La hyène prend deux lionceaux, le lièvre deux, et ils s’en vont. Il était de bon matin. La lionne tue une antilope et revient à deux heures au logis. Elle ne trouve personne : elle est furieuse, et cherche la trace des fugitifs : la hyène et le lièvre avaient mis les petits lions dans leurs peaux de bouc.

À deux heures, ils s’arrêtent sous un baobab, sur lequel était l’oiseau appelé douga (vautour). Le lièvre prend deux fruits de baobab et en casse un : la hyène l’entend et dit « Comment ? tu casses la tête d’un lionceau ? » « Oui », dit le lièvre. « Eh bien ! j’en fais autant ! » dit la hyène, et elle casse la tête à un lionceau. Alors le lièvre casse une autre boule de baobab et la hyène casse la tête de l’autre lionceau. La hyène met les deux petits morts dans la peau de bouc. Ils cherchent un arbre donnant un bel ombrage.

À ce moment la lionne qui les cherchait arrive sous le baobab. Le vautour dit : « Que cherches-tu ? ». « La hyène avec le lièvre », dit la lionne. « Sous cet arbre là-bas, tu les trouveras », dit le vautour.

La lionne va sous l’arbre et rugit : la hyène lui dit : « Nous te cherchons partout depuis ton départ, parce que tes petits crient tout le temps ». « Donne-les moi, que je leur donne à boire », dit la lionne. Le lièvre sort les deux vivants. La hyène ouvre sa peau de bouc, y met la main, la retire vivement en s’écriant : « Ne me mordez pas, méchants ». Elle fait cela trois fois de suite. Le lièvre et la lionne viennent. À la fin, la lionne attrape la peau de bouc et dit : « Donne-moi, mes enfants » : elle vide la peau pour les faire sortir. La hyène se cache dans un trou de fourmilier.

La lionne voit alors un sanglier, qui a grand peur : elle l’appelle et lui dit : « Tu vas travailler ; ouvre-moi ce trou, pour que je retrouve la hyène qui a tué mes enfants ». Le sanglier fouille la terre, que le lièvre l’enlève.

Le lièvre aurait voulu faire sauver la hyène. Il entre dans le trou en disant : « Je vais voir où va le trou ». Une fois descendu il dit à la hyène : « Tends la main ». Il lui donne un peu de sel et poivre. « Quand viendra le sanglier, avant de travailler il regardera dans le trou, et tu n’as qu’à lui jeter cela dans les yeux ». La hyène dit : « Je veux goûter d’abord : elle trouve le sel et le poivre très bons et dit : imbécile ! tu veux que je jette quelque chose d’aussi bon dans les yeux du sanglier ! » et elle mange le tout. Trois fois le lièvre lui apporte du poivre et du sel en lui demandant : « Pourquoi ne le lances-tu pas dans les yeux du sanglier ? ». « C’est que j’ai goûté cela, et c’est trop bon ». « Écoute, dit le lièvre, le sanglier est déjà tout près de toi, et tu vas être prise. Jette ce qui me reste dans les yeux du sanglier ». Quand celui-ci approche, la hyène lui lance dans les yeux le sel et le poivre.

Le sanglier sort et dit au lièvre : « Mon petit frère, souffle-moi dans les yeux, pour enlever ce qui me pique ». Le lièvre répond : « Mon souffle n’est pas assez fort, va trouver la lionne ». Celle-ci souffle dans les yeux du sanglier le sel et le poivre sautent dans la bouche de la lionne, qui dit au sanglier : « Tes yeux ont très bon goût. Viens, que je souffle encore ». Alors elle lui arrache un œil et le mange ; le sanglier se sauve : elle lui court après. Le lièvre fait sortir la hyène : elle voulait prendre encore deux des petits pour les manger, mais le lièvre dit : « Ne les prends pas, sans quoi la lionne nous rattrapera ». Le lièvre prend une branche d’arbre et balaye avec la route qu’ils avaient prise pour dépister la lionne. Ils se sont sauvés et la lionne ne les a pas atteints.


LA HYÈNE ET LE DOLO


Tous les animaux de la brousse se sont concertés une fois afin de réunir une grande quantité de mil pour en faire du dolo[26]. Le mil apporté, la hyène commence à le peser. À peine avait-elle pesé quelques mesures qu’elle voit une biche, la poursuit et la mange. Quand les autres animaux arrivent, ils lui demandent : « Pourquoi as-tu tué la biche ? ». « Parce que le mil m’a enivré et que je ne savais plus ce que je faisais ». Alors les animaux lui disent : « Laisse le mil tranquille : tu es déjà ivre et le mil n’est seulement pas trempé dans l’eau ? Quand le dolo sera fait, toutes les bêtes de la brousse seront ivres ».


LA HYÈNE, L’HIPPOPOTAME ET L’ÉLÉPHANT[27]


La hyène va trouver l’éléphant et lui emprunte une vache : elle en emprunte une autre à l’hippopotame. Comme elle ne leur a jamais rien rendu ni à l’un ni à l’autre, ils lui réclament sans cesse leur vache, quand elle était dans la brousse ou qu’elle allait boire au fleuve. Un jour elle prend une grande corde et va trouver l’éléphant en lui disant : « Tiens bien le bout de cette corde, car à l’autre bout j’ai attaché une grosse vache. Quand je tirerai sur la corde, tu amèneras la vache à toi. Maintenant je ne te dois plus rien ». Elle fait saisir à l’hippopotame l’autre bout de la corde en lui tenant le même discours. Chacun tire de son côté la corde à lui pendant deux jours : tantôt c’est l’éléphant qui fait sortir l’hippopotame du fleuve, tantôt c’est l’hippopotame qui attire l’éléphant sur le bord de l’eau. Enfin, l’éléphant impatienté tire l’hippopotame de l’eau et ils se rencontrent, se demandent ce que cela signifie et s’expliquent la ruse de la hyène. L’éléphant dit : « Dès maintenant j’interdis à la hyène de venir dans la brousse : toi, empêche-là de venir boire au fleuve ». La hyène qui n’avait plus où demeurer trouve une biche morte dans la brousse et toute pourrie. Elle se glisse dans la peau et va pour boire. L’hippopotame ne la reconnait pas et lui dit : « Eh là, biche ! Qui t’a arrangé la peau de la sorte ?». « C’est la hyène : je lui avais prêté une vache : je l’ai réclamée et elle m’a donné cette maladie ». L’hippopotame dit : « Si tu rencontres la hyène, dis-lui que je la tiens quitte de sa dette ».

Elle monte dans la brousse et va trouver l’éléphant, qui lui demande pourquoi elle a une maladie de peau. Elle explique que c’est la hyène qui la lui a donnée parce qu’elle a réclamé une dette. L’éléphant lui dit : « Si tu rencontres la hyène, dis-lui que je lui remets sa dette et qu’elle pourra se promener tout à son aise dans la brousse ».

Au bout de deux jours, la hyène, qui a jeté sa peau de biche, va trouver l’éléphant qui lui dit : « Où donc étais-tu pendant ces deux jours ? ». La hyène : « J’ai été loin d’ici pour chercher une vache pour te rendre celle que je t’ai empruntée ». « Comment, dit l’éléphant : tu n’as donc pas rencontré une biche malade ? Je l’avais chargée de te dire que je te remets ta dette. »

La hyène va au fleuve trouver l’hippopotame. Même conversation qu’avec l’éléphant. La hyène va alors au village et se loge dans une maison. Les gens ne la connaissaient pas ; elle leur dit : « Je suis un toucouleur : voulez-vous me prendre pour berger ». Bien, disent les gens : tu prendras le troupeau, et avec le samedi tu le ramèneras ». On lui donne le bétail, et elle s’en va. « Vous m’avez dit de ramener le troupeau avec le samedi. J’ai ramené le samedi et c’est pourquoi je suis revenue ». « Va-t-en, disent les gens, nous ne pouvons garder un berger comme toi. Où est le samedi ? » La hyène va à la porte et dit : « Es-tu là, Samedi ? ». Et elle répond : « Oui ! » Alors les gens du village la renvoient.




LE KOBA


Dans la brousse il y avait une mare où venait boire un Koba[28] : un crocodile était dedans qui guettait le Koba : un lion venait aussi attendre le Koba. Un chasseur avait fait un affût pour tuer le Koba. Le Koba vient et commence à boire : le crocodile lui saisit le cou, le lion le saisit par derrière, ils tiraillaient le Koba chacun voulant le manger. Enfin le lion tire avec une telle violence qu’il enlève le Koba et le crocodile, mais en tombant à la renverse, il se brise les reins et meurt : le Koba et le crocodile meurent aussi. Le chasseur sort de son trou, et leur coupe le cou : il raconte cette histoire aux gens du village qui vont chercher la viande.

LES TROIS IMBÉCILES


Il y avait trois hommes que leurs pères avaient mis à la porte, parce qu’ils ne comprenaient rien. Ils se rencontrent sur le même chemin. Ils se racontent leur histoire et se proposent de continuer la route ensemble. Ils trouvent un homme dans son champ, assis par terre. Ils le saluent : l’homme demande où ils vont et ils expliquent que mis à la porte par leurs pères ils cherchent quelqu’un qui les emploie. L’homme leur dit : « Je peux vous employer ». Il les emmène dans sa maison. Un jour il dit à l’un : « Toi va chercher du poisson ». Il prend le Diala (filet) et va chercher le poisson. Au second il dit : « Va chercher de l’écorce dans la brousse pour faire des cordes ». Au troisième : « Va chercher des fruits de baobab ».

Le premier ramasse beaucoup de poisson : après il avait soif, mais il était si bête qu’il n’a pas eu l’idée de boire dans le marigot. Il laisse le poisson sur le bord et va à la maison. Le vieux lui demande : « Tu n’as pas pris de poisson ? » « Si, dit l’imbécile, mais j’ai laissé le poisson sur le bord du marigot parce que j’avais trop soif ». Le vieux dit : « Assieds-toi là ».

Le second ramasse beaucoup d’écorce pour faire les cordes, mais il laisse tout dans la brousse, parce qu’il n’avait pas de morceau de corde pour attacher toutes ces cordes. Le vieux dit : « Pourquoi n’en as-tu pas pris un morceau pour attacher le reste ». « Je n’y ai pas pensé », dit l’idiot.

Celui qui avait été chercher les fruits de baobab revient les mains vides, parce qu’il avait une manière à lui de les recueillir. Il grimpait dans l’arbre jusqu’à toucher le fruit avec sa main, puis il disait au bâton qu’il avait à la main : « Tu vois ce fruit, quand je te jetterai en l’air abats-le moi ». Après il descendait, lançait le bâton et n’abattait rien. À la fin il revient et le vieux lui demande pourquoi il n’a rien rapporté. Il explique pourquoi. Le vieux lui dit : « Quand tu étais si près, pourquoi ne prenais-tu pas le fruit avec ta main ? ». « Je n’y ai pas pensé ».

Le vieux rassemble tout le village, et raconte l’histoire des trois imbéciles et demande quel est le plus stupide. On demande au premier pourquoi il n’a pas bu en pêchant le poisson : il répond : « Je n’y ai pas pensé ».

De même on demande au second pourquoi il n’a pas pris de l’écorce pour lier le tout : il n’y avait pas pensé.

Enfin on demande au troisième pourquoi pouvant prendre les fruits de baobab, il ne les cueillait pas. Il n’y avait pas pensé.

Alors les gens du village déclarent qu’il est impossible de dire quel est le plus stupide, et leur disent de quitter le village. Le vieux leur donne à chacun une femme et ils s’en vont.

Les trois se disent : « Quand bien même nous parcourrions le monde entier, nous ne trouverons jamais quelqu’un avec qui nous puissions demeurer. Maintenant que nous avons des femmes, il vaut mieux nous arrêter et fonder un village ». Ils construisent des cases et ont beaucoup d’enfants : par la suite, leurs enfants se sont mariés avec les autres hommes, et partout où l’on voit un homme ou une femme qui ne peut rien comprendre, on peut être sûr qu’il descend des trois imbéciles.




LA HYÈNE ET LE LIÈVRE[29]


La hyène et le lièvre vont chercher du poisson et en prennent beaucoup. La hyène dit : « Maintenant nous allons faire fumer le poisson. Seulement nous ne nous mettrons pas du même côté du marigot : reste ici, je vais aller sur l’autre rive. » Elle s’en va et chacun fume son poisson. Au moment où le soleil se couche la hyène dit au lièvre : « Il ne faut pas dormir, sinon des voleurs prendront notre poisson ». Le lièvre avait une canne en fer, il la met dans le feu et se couche à côté. Pendant la nuit, la hyène appelle le lièvre à trois reprises : bien qu’éveillé celui-ci ne répond pas. La hyène alors traverse l’eau, arrive tout doucement à l’endroit où était le poisson fumé prend un poisson et le mange : le lièvre ne bouge pas : elle en prend un second et le mange : le lièvre prend sa canne en fer qui était rouge et lui donne un coup sur la tête, puis un autre sur les testicules. La hyène ne dit rien et se remet à sa place. Elle crie au lièvre : « Il est donc venu un voleur chez toi ? » « Oui, dit le lièvre, et je lui ai donné un coup sur la tête et un sur les testicules ». « Oh ! dit la hyène, tu as très bien frappé, car ici j’ai senti les coups : Avec quoi as-tu frappé ? » « Avec une barre en fer rouge » dit le lièvre. Au matin la hyène est morte.




HISTOIRE DU PETIT BALLAH


Un homme était bien malheureux : il avait une femme, un captif et la femme de celui-ci. La première accouche d’un garçon appelé Ballah, la seconde de deux jumeaux. Le garçon quand il voulait saluer son père le matin disait : « Je voudrais devenir roi ». Le père le grondait et le frappait et les gens du village lui disaient : « Qu’a-t-il fait de mal ? » Le père répondait : « Il a dit une mauvaise parole ». Tous les matins, c’était comme cela.

On le circoncit, ainsi que les jumeaux Mahan Founé et Toumané Founé. Un mardi, un grand marabout vient loger chez le père de Ballah, et il faisait des gri-gri à tout le monde pour soulager les maladies. Pendant la nuit, Ballah vient dans la case du grand marabout, frappe à la porte : le marabout dit : « Entre. C’est toi, petit Ballah ? que veux-tu ? ». « Je veux que tu me fasses un gri-gri pour que je devienne roi ». « C’est difficile, dit le marabout, car il faut payer cher ». «Combien», dit Ballah ? « Deux captifs », dit le marabout. « Bon, dit Ballah, fais le gri-gri, tu auras tes deux captifs, seulement, je ne te les remettrai que le jour où tu partiras ». Le marabout fait le gri-gri.

Au bout de vingt un jours, le marabout veut partir. Ballah dit : « Va sur la route jusqu’à ce que tu trouves un carrefour : là, attends-moi ». Le marabout part. Ballah vient trouver son père et lui dit : « Je voudrais bien aller chercher du bois pour ma mère dans la brousse : laisse-moi emmener les jumeaux ». Le père permet, et Ballah rejoint le marabout, le salue et prenant par la main les deux jumeaux lui dit : « Voilà les deux captifs, donne moi mon gri-gri. » Le marabout dit : « N’aie peur de rien, ni des balles, ni des esprits, ni des méchants hommes ». Il lui donne le gri-gri, et s’en va.

Ballah part de son côté et marche quinze jours : il arrive dans le village du roi du pays, appelé Tiémambilé. Au moment de rentrer, il rencontre une jeune femme du roi, qui va chercher du lait et lui dit : « Quoi, tu passes sans me saluer ? » La femme dit : « Qui est tu, petit, pour que je te salue ? » « Puisque tu ne me salues pas, dit Ballah, je te donne une gifle » : et il la lui donne. La femme pleure et crie, les gardes du roi accourent ; ils demandent qui a frappé la femme. « C’est moi », dit Ballah. « Pourquoi ? » disent les gardes. « Parce qu’elle ne m’a pas salué ! » dit Ballah. Les gardes voulaient le frapper : le chef des gardes s’y oppose, et dit : « Il faut le mener chez le roi ».

Arrivé devant le roi, celui-ci dit : « Laissez partir cette petite crapule ». Ballah va près du puits et rencontre une autre femme du roi, très jolie : il lui dit : « Comment t’appelles-tu ? ». « Koumba Sidibé », dit-elle. « Je veux que tu sois ma maîtresse », dit Ballah.

« Comment, dit Koumba, que je sois la maîtresse d’un polisson comme toi ? ». « Oui, dit Ballah si tu ne veux pas, je te battrai. Crois-tu que ton mari est le seul roi, moi aussi je suis roi ». « Alors je veux bien », dit la femme. « Bien, alors finis ce que tu as à faire ici », dit Ballah «  et conduis-moi dans ta maison ». « Oserais-tu bien entrer dans ma case, dans la demeure du roi ? ». « Oui », dit Ballah. Ils partent ensemble. Les gardes le laissent passer, la femme lui montre sa case, et il dit : « Je viendrai coucher ici aujourd’hui ». « Si tu couches ici, dit Koumba, demain on te tuera ». « Ça ne te regarde pas, Koumba », dit Ballah.

Il part, et il revient le soir : le roi était assis sur la place, avec toute sa cour : il s’asseoit aussi : quand le roi rentre chez lui, il en fait autant, et frappe à la porte de Koumba en disant : « C’est moi, Ballah, je viens coucher avec toi ». « Va-t’en, dit la femme, je ne veux pas que tu sois tué à cause de moi ». « Ouvre, sinon je casse la porte », dit Ballah. La femme a peur, ouvre la porte. Ballah entre, et dit : « Donne-moi à manger » : Koumba lui donne du lait, du miel et du couscous, il mange et dit : « Donne moi un pagne pour me couvrir, parce que je vais ôter mon pantalon. Donne-moi cette couverture qui est-là. » « Mais c’est la couverture du roi », dit la femme. « Eh bien ! dit Ballah, ne suis-je pas aussi un roi ? » Il couche avec la femme.

Au premier chant du coq, la femme le réveille et lui dit de s’en aller. « Ne me réveille pas, dit Ballah, est-ce que tu réveilles le roi à cette heure-ci ? Non ? eh bien ! moi aussi je suis un roi ».

Au matin, le roi sort et s’asseoit devant sa porte. Ballah se réveille à huit heures : Koumba est effrayée. Les vêtements du fama, ses harnais, ses armes, se trouvaient dans la chambre de Koumba. Ballah se réveille, demande de l’eau pour se laver la figure. Il se lave, boit du lait. La femme lui dit : « Passe la journée ici, ou bien on te tuera » « Ça ne te regarde pas », dit Ballah. Il prend le pantalon du roi, malgré les cris de Koumba, des boubous, un turban et s’habille : il prend aussi des bottes, le sabre, le fusil du roi, et une selle. Il sort de la case et crie : « Pourquoi n’a-t-on pas sellé mon cheval ? » Les serviteurs ont peur, croyant que c’est le roi qui leur parle, ils sellent le cheval et il monte dessus. Il va jusqu’à la porte : les griots jouaient et chantaient : le cheval passe à côté du roi, Ballah lui dit bonjour et il répond : « Bonjour ! Mais qu’est-ce que cela ? Un homme sort de ma demeure, avec un de mes chevaux, mes vêtements, mes armes ? » Il ordonne aux gardes de le saisir et le tuer derrière le village. On le fait descendre de cheval, et on l’emmène, mais Ballah dit : « Moi, je ne vais pas à pied : vous me porterez ». Ils le portent au lieu de l’exécution. Cinq soldats tirent des coups de feu sur lui, les fusils ne partent pas, à cinq reprises différentes, à cause de son gri-gri.

Or le roi Tiémambilé était en guerre avec Farentoroma, roi voisin : à deux reprises celui-ci avait défait ses troupes. Tiémanbilé a rassemblé les marabouts et les diseurs d’avenir pour savoir s’il y aurait un moyen de détruire le roi Farentoroma. Ceux-ci répondent : « Il faut que le roi donne à un homme brave un petit chat noir, pour le jeter dans le puits que Farentoroma a dans son palais ».

Mais Tiémanbilé n’avait pas trouvé jusqu’alors un homme assez brave pour risquer l’aventure.

Un griot dit au roi : « Pourquoi n’envoies-tu pas le petit Ballah jeter le chat noir dans le puits de Farentoroma, car s’il n’a pas eu peur de te prendre tes vêtements, tes armes et ton cheval dans ta demeure, il n’aura pas peur d’essayer cette aventure ? ». Tiémambilé envoie un garde chercher Ballah s’il n’est pas mort.

L’envoyé arrive et demande si Ballah vit encore.

On lui répond : « Oui ». Le garde dit : « Le roi te demande ». « Eh bien ! Portez moi, dit Ballah, n’êtes-vous pas des gardes ? »

Les gardes le portent devant le roi. « Non, dit-il, pas ici : mettez-moi à côté du roi ; ne suis-je pas roi aussi ? ». Le griot lui dit : « C’est moi qui ai suggéré cette idée au roi de t’envoyer chez Farentoroma : je suis ton griot, car j’ai bien vu que tu es un homme brave ».

Ballah dit : « Je le ferai pour toi, et non pour cet imbécile de roi, qui veut me tuer parce que je lui ai pris une de ses cinquante femmes et un de ses six cents chevaux ».

Il dit au roi : « J’irai porter le petit chat, mais je veux que dix cavaliers m’escortent et me montrent le village de Farentoroma. Le roi dit : « Je te donnerai cent cavaliers ». « J’en veux dix, dit Ballah, seulement pour me montrer la route ». On lui donne un petit chat noir. Il le met dans la sacoche de sa selle et dit : « Apportez-moi le cheval que j’ai fait seller avec le sabre, le fusil, de la poudre et des balles ». On lui apporte le tout : il monte à cheval, et dit au roi : « Je veux que Koumba vienne me dire adieu ». Elle vient : ils se serrent les mains. Il part. Il arrive à une montagne d’où l’on voit le village de Farentoroma ; il parle tout seul et dit aux cavaliers : « Restez là, vous me verrez entrer dans le palais de Farentoroma ».

Il va trouver le roi sur la place, lui donne le bonjour : Farentoroma lui rend son salut : il rentre à cheval dans le tata : les gardes de la porte le laissent entrer, croyant que c’est le roi, à cause de ses vêtements.

Farentoroma avait épousé une fille la veille : Ballah voit cette femme près du puits et lui dit : « C’est bien ici la maison de Farentoroma ? ». « Oui », dit la femme. « Quand t’a-t-il épousée ? » « Hier soir », dit la femme. « Regarde moi bien ». Il sort le chat noir de son sac et le jette dans le puits. « As-tu bien vu ? dit-il, m’aimes-tu biens ? Veux-tu partir avec moi ? ». « Oui », dit la femme. Il la fait monter derrière le cheval, l’attache bien avec son turban.

Il va pour sortir : on savait bien qu’il venait de chez Tiémambilé, on bat le tabalé[30]. Il voit beaucoup de monde à la porte et il prend son fusil, tire dans le tas, et tout le monde se sauve : il sort, dit : « Adieu, Farentoroma », et se sauve sur son bon cheval. Six cents cavaliers le poursuivent.

Il dit à la femme : « Penche-toi à droite » : alors il tire un coup de fusil, tue deux hommes et en blesse seize : les autres se sauvent. Son escorte s’était sauvée en entendant battre le tabalé. Il la rencontre sur le chemin et arrive chez le roi Tiémambilé. Tout le monde est rassemblé. Ballah appelle son griot et lui dit : « J’ai dit que je jetterais le petit chat noir dans le puits de Farentoroma : demande aux dix hommes que voilà si je l’ai fait. » « Oui, disent ceux-ci, il est entré dans le tata nous l’avons vu ». « Demande maintenant à cette femme, qui est celle de Farentoroma, si j’ai jeté le chat dans le puits ». On demande à la femme. « Qui es-tu ? ». « Je suis la femme de Farentoroma ». « Quand t’a-t-il épousée ? » « Hier soir ». « Le petit Ballah qu’a-t-il fait dans le tata ? ». « Il m’a demandé qui était mon mari, si c’était là son tata, il a jeté un petit chat dans le puits : puis il m’a demandé si je l’aimais et si je voulais partir avec lui : j’ai dit : oui ! Et il m’a amené ici, après avoir tué deux hommes, et blessé seize hommes ».

Tiémambilé dit : « Veux-tu m’épouser ? » « Non, dit la femme : je ne veux que le petit Ballah, qui est brave ».

Le roi dit à Ballah : « Je te donne tous les vêtements, les armes, les harnais, le cheval, la femme que tu m’as pris ». « Bien, dit Ballah, mais fais battre le tabalé, pour que nous détruisions le village de Farentoroma ».

Pendant trois jours on prépare la troupe, le quatrième on part ; on attaque le village, on le brûle ainsi que tout le pays. Ballah fait prisonnier Farentoroma, et lui fait couper la tête.

Tiémambilé lui dit : « Je te donne ce pays que tu as conquis, et je veux que tu restes ici ». Le griot et tous les soldats lui disent : « Reste donc dans le village de Farentoroma ».

Toutes les femmes de Tiémambilé viennent pour rejoindre Ballah : le roi les réclame et Ballah dit : «  Je ne les rends pas : elles sont venues librement ! » Les griots se rendent tous chez Ballah.

Tiémambilé a placé des gardes sur les routes avec ordre de tuer les femmes et les captives qui iraient chez Ballah.

Ballah l’apprend et est furieux : « Je lui couperai le cou », dit-il ; il bat le tabalé de Farentoroma, rassemble ses gens, attaque le village de Tiémambilé, le prend, fait couper le cou du roi et règne sur le pays.

Il envoie cinquante cavaliers chercher son père et sa mère et vingt cavaliers porter vingt captifs au marabout qui lui a fait le gri gri, pour qu’il lui rendre les deux captifs jumeaux.

Les cinquante cavaliers demandent le père du petit Ballah : le père vient et dit : « J’avais un fils appelé Ballah, mais il s’est perdu dans la brousse ». Les cavaliers expliquent alors ce qui est arrivé à son fils et l’amènent avec sa femme. Ballah lui dit : « Voilà ! ce que j’ai gagné t’appartient : ces deux pays sont à toi ». Et le père est devenu roi.





LE SERPENT DES DIAOUBÉ[31].


Une femme diaoubé était enceinte : elle accoucha d’un garçon et d’un serpent, Tchamaba. Elle donnait à téter au petit enfant, puis exprimait de son lait dans une calebasse et le donnait au serpent, à qui elle avait fait un petit enclos. Le père plus tard lui apportait du lait dans une calebasse, et lui construisait de temps à autre un enclos plus grand. Quand le père mourut la mère continua à soigner le serpent, et sur le point de mourir elle-même elle appela son fils et lui dit : « N’épouse jamais une femme pauvre, ni une femme bavarde, car elle racontera à tout le monde que ton frère est un serpent ». Il se maria et la femme remarqua qu’il portait toujours du lait dans l’enclos. Elle alla voir et aperçut le serpent. « Ah ! voilà celui à qui mon mari porte le lait, dit-elle : je vais lui parler quand il rentrera ». Le serpent attend son frère et lui dit : « Ta femme veut te reprocher le lait que tu me donnes : je ne veux pas que tu te disputes avec elle ni que tu la battes : je te remercie du lait et de la viande que tu m’as donnés et je m’en irai aujourd’hui. Remplis ta peau de bouc, prends tes sandales et ton bâton, car tu auras à me suivre ».

À minuit le serpent sort, son frère le suit jusqu’à ce que le serpent entre dans le fleuve : il le suit jusqu’à ce que l’eau vienne à la poitrine. « Retourne chez toi, dit le serpent, Tu trouveras chez toi une calebasse et une entrave. Tant que tu garderas ces deux objets, tu ne manqueras pas de vache à qui tirer du lait ». Depuis ce temps les Diaoubé ont toujours eu beaucoup de vaches.

Les Diaoubé ont pour totem le serpent, tchama et le varan, ella.

Le fleuve où s’est jeté Tchamaba c’est le Déboé dans le Macina. Tous les zig-zag qu’il a faits sont devenus des marigots.


LES LAOBÉ[32].


Malao est le père de tous les Laobé : il habitait à Diara, près de Nioro, puis a été se fixer à Horkadiéré dans le Fouta. Il avait pour frères Bambado, père des mabé ou tisserands, et Poullo, père des bergers : ils avaient même père et même mère, qui sont morts quand ils étaient petits. Ils sont partis chacun de leur côté pour chercher leur nourriture. Un jour que Malao se baignait, et se jetait de l’eau sur la figure, il a trouvé dans l’eau une saouta (herminette) avec laquelle il s’est appris à tailler le bois pour les autres.

Poullo avait une vache qui chaque année lui donnait un veau, et il est parti avec son bétail à travers le monde.

Voici l’origine du tana (animal protecteur) de deux familles de Laobé :

Le premier Kébé errait dans la brousse, souffrant de la faim. Il trouve un trou creusé par un oryctérope et y descend pour capturer l’animal. Le terrier se bifurque : il prend à gauche et trouve une place pleine de mil : il en enlève. Rentré chez lui, il rassemble les hommes et les femmes et emporte tout le mil chez lui. Alors il n’a plus faim et déclare à toute sa famille que l’oryctérope (iendou en toucouleur) est sacré pour eux : celui qui y touchera mourra.

Il y a une brousse appelée Dior, entre le Cayor et le Fouta Toro, où l’on reste trois jours sans voir ni un village ni un point d’eau. La famille laobé Dioum s’y était engagée et allait mourir de soif : elle s’était couchée sous un arbre. Un hippopotame était perché dessus et il a voulu crier : l’eau est sortie de sa bouche et a formé un marigot où tous ont bu. Maintenant l’hippopotame (gadad en toucouleur) est sacré pour les Dioum.


LA PERDRIX[33].


Les Sankaré ne peuvent manger de la perdrix (ouolo du bambara). Voici pourquoi :

Au temps des premiers hommes, un djiné avait entraîné un Sankaré dans son trou qui était sur le bord de l’eau[34]. Au dessus de la rive, une perdrix avait fait son nid depuis longtemps et elle le creusait tous les jours davantage. Le prisonnier s’en étant aperçu, a creusé un trou vertical et a pu sortir. Depuis, il a défendu à toute sa famille de manger de la perdrix, sous peine de devenir aveugle. Quand un Sankaré trouve une perdrix captive, il la rachète et lui rend la liberté. S’il touche une perdrix, il se lave soigneusement.




LA BOSSE DE VACHE[35]


Les Peulh Ouorbé ne peuvent manger de la bosse de vache. En voici la raison :

Un homme a une vache, qui vient à mourir : il en donne la bosse à sa belle-mère, mais sa mère va la lui prendre. Il va trouver sa mère et lui dit : « Tu as beaucoup de viande ». Puis il se suicide ainsi que ses deux frères. Alors les gens de la famille se réunissent et disent : « Que celui qui mange la bosse de la vache, Dieu le tue ».




LES MABO[36]


Toutes les familles de Mabo (tisserands) descendent de Diounté : c’est un homme du Cayor (Sénégal), qui gagnait sa vie en tissant et changeait de pays suivant les nécessités. Il avait deux fils, Ké Diam Diounté et Boukar Diounté, mais pas de filles.

C’est un djinn qui lui appris le tissage. Il se promenait dans la brousse quand il a rencontré un djinn qui tissait : il s’est approché sans être vu et a observé comment il s’y prenait. Tout à coup le djinn s’est retourné et s’apercevant que Diounté le surveillait, s’est enfui avec son métier. Diounté a passé la nuit dans la brousse : au matin il est rentré chez lui et a imité exactement ce qu’avait fait le djinn. C’est ainsi qu’il s’est mis à tisser le coton.


Le totem (ouada en toucouleur) de la famille mabo des Sangor (ou Sangott ou Sangoss) est l’oiseau Laral, qu’ils peuvent toucher mais non tuer : même s’ils en trouvent un mort, ils n’y doivent pas toucher. Voici l’origine de cette défense. Beaucoup de mabo souffraient de la faim : ils partent dans la brousse chercher de la nourriture : ils ne trouvent rien et marchent jusqu’à ce que, épuisés, ils s’arrêtent sous un arbre. Sur celui-ci était perché un laral : sa queue était mouillée et une goutte d’eau tombe à terre. Le haut de l’arbre était creux et l’oiseau y buvait. Les mabo y sont montés et ont bu, ce qui leur a permis de continuer leur route. Le chef a défendu à tous les gens de sa famille de faire du mal au laral. Si l’un des Sangor trouve un laral captif, il doit le racheter et lui rendre sa liberté.


Un homme autrefois était endormi. Pendant la nuit vint un djinn, qui dessina par terre un marteau, des tenailles et un fer de houe (daba). En se réveillant l’homme a fait fondre un caillou et a fait un marteau, des tenailles, une hache, un fer de houe et bien d’autres choses. Ce fut le premier forgeron.


Dans la Fouta Toro il y a un village appelé Lobali, dont le chef s’appelait Moudo Ardo. À côté du village, se trouvait le marigot Borkoli ; la permission du chef était nécessaire pour y pêcher. Un jour, un homme du village est allé pêcher sans permission et a fait des sortilèges. Les poissons sont rentrés en terre et on n’a plus pêché que des crapeaux et des petites bêtes. Alors les gens du village ont donné deux cents pièces de guinée pour obtenir le pardon de Moudo Ardo. Il leur a pardonné et leur a dit de venir le lendemain. Il a pris des allumettes, a été dans la brousse et a mis le feu à l’herbe sèche. Le lendemain il a été au marigot et tout le monde a pris du poisson. Seulement, encore aujourd’hui, chaque poisson a la queue brûlée.


L’ARBRE CREUX


Dans un village appelé Godo, vivait avec toute sa famille un Foutanké appelé Kalidou. Il va demeurer dans le Fouta, devient très malheureux, et déclare qu’il veut partir pour Saint-Louis. Un traitant appelé Niondé le prend comme travailleur, le met dans le chemin de fer avec d’autres travailleurs qui le prennent pour chef et l’envoie à Guedgi : le wagon se brise et tous tombent à l’eau. Kalidou se sauve à la nage et atteint un grand arbre creux, dont le haut était percé. Il y entre et tombe au fond. Il y trouve beaucoup d’hommes qui d’abord se sauvent puis reviennent. Quand il leur parle, ils répondent, mais ils ne se comprennent pas. Les hommes apportent un coran et un papier : ils écrivent en arabe pour lui demander comment il s’appelle et d’où il vient. Il écrit : « Je viens de Godo, je suis fatigué et malheureux, je cherche du travail », et il raconte son histoire. Les hommes lisent le papier et écrivent : « Tu veux retourner chez toi ? ». « Oui », dit-il. Ils lui donnent quelque chose pour manger, et lui disent de remonter par le trou où il était descendu. « Quand tu seras sorti du trou, tu attendras qu’un grand oiseau vienne s’y percher : tu te tiendras à ses plumes et il t’emportera ». Il le fait et l’oiseau l’emmène vers le nord. Cet oiseau (en peul liouré) prenait tous les jours un chameau dans le nord et venait le manger sur l’arbre creux du fleuve. Au moment où il prenait un chameau, Kalidou lâche les plumes et saute à terre : le berger le saisit et il lui raconte son histoire. Le berger lui dit : « Repose-toi ici et attends qu’il passe une caravane, qui t’emmènera dans ton pays ». Le berger le nourrit et un jour lui montre la route de son pays. Il part seul : les Maures le font prisonnier et lui attachent une corde au cou : il se sauve la nuit et arrive au fleuve sans pouvoir traverser. Il se met à l’eau, un caïman l’attrape et le fait entrer dans son trou sans le tuer. Un autre caïman vient pour le tuer, mais le premier s’y oppose et l’empêche d’entrer dans le trou. Kalidou creuse la terre avec ses mains pour sortir. Le lendemain, un berger vient abreuver son troupeau : une vache met le pied à l’endroit où Kalidou a creusé et y fait un trou.

Kalidou sort par là. Il arrive dans un village et demande comment il s’appelle : on lui dit : Fôri. Puis les gens lui montrent le chemin et il arrive dans son village de Fouta où il écrit tout ce qui lui est arrivé. Il va à Saint-Louis et raconte tout à Niondé, car il est le seul des travailleurs qui se soit sauvé lors de l’accident. Niondé réunit tous ses amis pour entendre le récit. L’absence de Kalidou avait duré quatre ans : Niondé lui paye tout à raison de trente francs par mois.



HISTOIRE DE SAMBA GUÉLADJIÉ[37]


Gueladjiegui était un roi du Fouta Toro, et des Denianké qui y demeurent. Il a fait campagne dans le Ouolof, dans le Sine, le Gabo : il faisait des prisonniers et prenait des bestiaux, qu’il distribuait aux guerriers. Quand il est mort, son fils Samba Gueladjié, lui a succédé, étant tout jeune encore. Il n’avait peur de rien. La femme d’un Djinn lui a donné un gri-gri : il l’a rencontré dans la brousse près d’un marigot et lui demandé de lui faire un gri-gri par charité. Elle a pris un fil blanc et lui a dit de le mettre dans sa bouche. Il l’avale et le fil sort de lui en traînant par terre. La femme du djinn le ramasse et lui dit « As-tu vu cela ? » « Oui », dit Samba. Une seconde fois il avale le fil qui ne ressort pas. Elle lui dit : « Samba ! il ne faut avoir peur de rien ». Samba prend son fusil et tire sur la femme du djinn qui lui dit : « Comment ? je te donne un gri-gri, et tu me tires un coup de fusil ? » « Il ne fallait pas me donner un gri-gri, dit-il, maintenant je n’ai peur de rien ». Il rentre à son village et trouve un campement de Maures : il dit au chef : « Montre-moi ton fusil » : le chef le lui donne et Samba le tue d’un coup de feu. Tous les Maures vont dire à son oncle qu’il a assassiné un Maure, leur chef. L’oncle le frappe avec une corde. Il attend dix jours puis s’en va en guerre et laisse Samba à la maison en lui disant : « Je te défends devenir avec moi ». Il tombe sur le Ouolof, mais il est battu. Quand il rentre dans le village, Samba monte à cheval avec son griot, Sévimalal Laya, et un tisserand, Hamasigna. Il va dans le pays où son oncle a échoué : il appelle les chefs des Ouolofs et leur dit : « Amenez-moi ici toutes les vaches du pays. Vous avez vaincu mon oncle parce que je n’étais pas là : « mais personne ne peut frapper mon oncle »[38]. « Oui, j’ai vaincu ton oncle », dit le Chef. Samba prend son fusil et le tue. Tous les Ouolofs se rassemblent et l’attaquent, Samba répond à coups de fusil, ses deux compagnons dansent. Il tue beaucoup d’ennemis, les autres se sauvent et il prend beaucoup de vaches.

Malgré sa victoire l’oncle ne veut pas voir Samba.

Samba Gueladjiegui se dispute avec son oncle et va demander au roi du Macina de lui donner des troupes pour le battre.

Il avait une jument appelée Oumoulatoma. Il part dans le Sahel. Arrivé dans un village dont le chef s’appelle Kombi Kombi, qui lui donne deux bœufs pour cadeau, mais lui n’en veut pas disant que c’est trop peu, Kombi ne veut pas lui en donner plus Samba lui tire un coup de fusil. Il ramasse tous les bœufs et les vaches et part avec.

Il va dans un autre pays et vend tout ce bétail pour de l’or. Il y avait sept villages dont le chef était Founébé Lalia : son pays était plus fort que tous les autres. Samba tombe sur lui, le tue et prend tout le bétail. Il arrive dans un village dont le chef s’appelait Elleri, et lui demande des troupes. Elleri lui dit : « Il faut me faire deux choses d’abord tuer un caïman appelé Niébardé Dallol[39] qui dort dans ce marigot, qui empêche de prendre l’eau et qui mange un homme tous les ans ». Samba le tue, et le village peut aller chercher de l’eau tant qu’il veut. Samba réclame des soldats à Elleri qui dit : « Il faut aller au village du chef Birama Gourouri et le vaincre, sans cela je ne peux te donner mes guerriers. »

Samba y va, tue Birama, pille le village et vient demander à Elleri des soldats. Elleri dit : « Je vais t’en donner ». Un homme vient dire : « Cet homme est plus fort que tous les chefs : si tu lui donnes des guerriers, il ne te les rendra pas. Comment se fait-il que dans son pays il ne soit pas le plus fort ? ». Mais Elleri dit : « Comme il a fait tout ce que je lui ai prescrit, je vais lui donner des troupes ». Il lui donne des soldats avec lesquels Samba vient jusque dans son pays. Il se bat avec ses parents, et les fait prisonniers, avec seulement la moitié de ses troupes. Il va habiter Diéol dans le Fouta et beaucoup de gens viennent habiter avec lui : ses parents viennent un à un lui demander pardon et demeurer avec lui. Il fait de nombreuses campagnes et devient un grand roi.

Tous les ans Samba faisait une expédition contre ses parents. Hamaniandou, un Koliadjio a rassemblé des guerriers et attaqué Samba. Un de ses amis Gorrel Birri, qui était très brave, accompagnait Hamaniandou : Birama Hamatchiangourou, Fouibo Tako, Lamini Olé, étaient chefs sous ses ordres : Maoudé Gali était avec Samba ainsi que Sévi, son griot, et Siré Djiagui. Les deux troupes se rencontrent. Hamaniandou vient tout seul et tire un coup de fusil sur Samba ; il le touche, mais la balle n’entre pas. Avec son sabre il essaye de le percer mais la pointe n’entre pas : il lui tire ensuite un coup de pistolet, mais la balle n’entre pas. Avec son sabre il essaye de le percer mais la pointe n’entre pas : ni un coup de couteau. Samba le regarde sans rien dire, en fumant sa pipe. Hamaniandou alors se croise les bras et dit : « Samba, mon travail est fini : c’est à ton tour ». Samba lui dit : « Eh bien ! je vais commencer, prépare-toi ». Il lui tire un coup de fusil : la balle n’entre pas : il tire sur le cheval, qui tombe. Hamaniandou retourne auprès des siens. Birama Hamatchiangourou vient aussi trouver Samba sur son cheval. Samba lui tire deux coups de fusil sans succès. Il tire sur le cheval et il tombe. Birama s’en va.

Lamini Olé le remplace : Samba tire deux coups de fusil sur lui : les balles n’entrent pas : le troisième coup il lui tue son cheval, il s’en va. Fouibo Tako le remplace. La même chose arrive. Il s’en va. Hamaniandou se sauve avec ses amis, et ses hommes sont faits prisonniers. Pendant toute cette action Sévi, le griot, dansait. Il disait : « Si Samba monte à cheval, le soleil ne se lève pas » (ce qui veut dire que son armée est si nombreuse que la poussière qu’elle fait cache le soleil). Samba part un jour avec Sévi et sa jument vierge Oumoulatoma ; ils prennent un village, Nanabadiol, dans le Sahel. Il a vaincu Founébé Lalia. Nul ne peut vaincre Samba ! »

Samba rentre dans son village. Un noble peulh, Ardo Ouali, attaque Samba avec ses soldats : il est tué et ses hommes sont faits prisonniers.

Samba part dans un autre pays : le chef du pays lui tire un coup de fusil : la balle n’entre pas, mais Samba vomit du sang. Il aurait fallu pour le guérir du Gossibigué[40]. Mais un de ses hommes dit à Samba que c’est Ouada, c’est-à-dire tabou pour lui. Un autre lui dit : « Il faut boire du gossibigué, sans quoi le sang entrera dans ton ventre. » Alors Samba boit et il meurt aussitôt.




LES TROIS FRÈRES


Il y avait un Peulh qui demeurait dans le Macina et s’appelait Harnadi Diallo : il avait avec lui un Torodo[41], Mamadou, un captif, Malal, et un tisserand, Malal Horégouyi. Il avait envie d’épouser une femme qui vivait dans son village : il va et lui parle, ils sont d’accord et elle va se loger dans son village. Il attend jusqu’à minuit, il entre seul chez la femme, et la trouve couchée avec un autre homme. Il allume une allumette, voit l’homme, prend son couteau et tue la femme : l’homme dort ; Hamadi pose son couteau sur son estomac et sort. Les parents de la femme viennent la trouver le lendemain et poussent des cris. Quelqu’un dit : « C’est l’homme qui couchait avec elle qui l’a tué ». Le père de la femme vient demander à l’homme : « Pourquoi as-tu tué ma fille ? » L’homme dit : « Elle ne m’a rien fait et je l’aurais tuée ? ». Le grand frère de la femme vient lui dire : « Puisque tu as tué ma sœur, je vais te tuer ». Il fait deux trous : l’un pour mettre sa sœur, l’autre pour l’homme qui l’avait tuée et qu’il voulait faire tuer aussi. Hamadi vient trouver les parents de la femme, et demande : « Pourquoi avez-vous attaché cet homme ? ». « Parce qu’il a tué cette femme ». Hamadi demande à l’homme : « C’est toi qui as tué la femme ? ». « Peut-être », dit l’homme. « Pourquoi ne t’es-tu pas sauvé ? ». « Parce que je n’ai pas voulu. Je n’ai pas peur de ce que la femme soit morte pendant que j’étais avec elle ». Hamadi dit aux parents de la femme : « Ne tuez pas cet homme j’ai quelque chose à vous dire ». Tout le monde s’asseoit. Hamadi dit au père de la femme : « Il faut laisser cet homme : il n’a pas tué la femme. C’est moi que l’ai tuée. Cette femme est très jolie, c’est une fille noble : elle plait à tout le monde : moi aussi je suis fils d’un noble et je plais à tout le monde. Je l’avais demandée en mariage, nous étions d’accord : je suis venu pendant la nuit : je l’ai trouvée couchée avec un autre : elle le faisait exprès : je l’ai tuée parce qu’elle a brûlé mon cœur. J’ai mis mon couteau sur le ventre de l’homme. Il faut me tuer et laisser partir cet homme ». Alors on l’a attaché et on a laissé aller l’autre homme.

Hamadi dit aux parents de la femme : « Il faut que j’aille payer une dette dans mon pays : après quoi vous me tuerez ». Le Torodo, Mamadou, dit à la famille : « Gardez-moi en otage, s’il ne revient pas, vous me tuerez ». Le captif dit aussi la même chose, et le tisserand. Hamadi s’en va, on lui accorde jusqu’au lendemain deux heures, sinon les trois hommes seront tués. Hamadi revient avant deux heures le lendemain. Pendant qu’on l’attachait un homme vient dire au père de la femme : « Ne le tuez pas encore : les Maures viennent de voler votre troupeau ». Le père laisse Hamadi pour courir après son troupeau. Les Maures lui tuent beaucoup de monde et il revient au village. Hamadi lui dit : « Je vais aller me battre avec les Maures ». « Mais, dit le père, si je te laisse aller, tu ne reviendras pas ». Hamadi répond qu’il reviendra. Le père le laisse partir en disant : « Si tu reviens, tant mieux, si tu ne reviens pas, ça ne fait rien ». Le père lui donne trois chevaux et trois fusils, pour son tisserand, son captif et pour lui. Il tombe sur le campement des Maures et reprend le troupeau volé. Il attache les Maures et les amène avec lui. Le père lui dit : « Puisque tu as fait une telle chose, je ne veux pas te tuer, mais tu ne retourneras pas chez toi. Tu resteras avec moi : j’ai une autre femme à te donner ». Il lui donne trois femmes. Tous les jours elles se disputaient. Hamadi leur dit : « La première qui aura un enfant sera ma première femme ». Pendant trois mois elles se tiennent tranquilles, après quoi elles recommencent à se disputer. Hamadi dit : « La première qui aura un garçon sera ma première femme ». De nouveau elles s’apaisent. Toutes les trois ont un petit garçon. Le premier garçon s’appelle Mamadou, le second Hamidou, le troisième Saïdou. Pour chacun il tue un bœuf. Les femmes sont d’accord. Les enfants grandissent, commencent à se battre. Le père leur dit : « Si vous ne pouvez pas vivre d’accord, allez dans la brousse on verra bien qui sera le chef ». Ils s’en vont dans la brousse et marchent jusqu’à un village dont le chef, Faré, les appelle, et leur dit : « Dites-moi ce que vous désirez : je ferai tout ce que vous voudrez ». Il demande à chacun : « Ta mère est-elle libre ou captive ? ». Hamidou dit : « Ma mère est une Torodo ». Le chef le loge parmi les Torodo du village. Il interroge Mamadou, qui répond : « Ma mère est une Peulh ». Il le fait loger avec les Peulh. Il demande à Saïdou, qui dit : « Ma mère est une Mauresque ». Il fait loger Saïdou chez les Maures. Il recommande à chaque groupe de bien faire ce que l’enfant demande.

Au bout d’un certain temps, il rassemble le village avec les trois enfants, et leur demande. « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? ». Hamidou dit : « Je veux apprendre le Coran ». Mamadou dit : « Qu’il veut des vaches », parce qu’il est Peulh. Saïdou dit : « Qu’il veut seulement un bon cheval et un bon fusil ». Il leur donne à chacun ce qu’ils demandent et les garde un an dans sa maison.

Hamidou apprend le Coran et le récite à Faré : Mamadou raconte aussi à Faré tout ce qui concerne le bétail : il sait le soigner et comprend leurs cris. Faré demande à Saïdou ce qu’il a à lui dire. Saïdou lui dit d’attendre, et il fait courir son cheval : il tire des coups de fusil sur tous les gens de Faré et sur Faré, et les tue tous. Il prend tout ce qu’il y avait dans la maison de Faré et ses captifs. Il appelle les gens du village qui viennent avec leurs troupeaux. Il rappelle aussi ses frères et dit : « Mamadou, tu vas passer devant et emporter les troupeaux et le butin ». Il dit à Hamidou : « Tu iras après les troupeaux ». Saïdou marche le dernier. Il vient trouver son père, qui demande : « Quel est le chef ? ». Mamadou dit : « Regarde quel est le plus fort de nous tous ». Alors le père voit que c’est Saïdou.



LES PREMIERS HOMMES[42]


D’après une légende conservée chez les Ouassoulonkés et les Peulh, les premiers hommes ne connaissaient ni le fer ni le feu : ils étaient pasteurs et s’appelaient les Ntonou. Ils vivaient dans le Doro Dougou à trois jours de Sikasso. Une fois, ils ont constaté que les herbes brûlaient, ce qu’ils ne s’expliquaient pas. Ils ont envoyé un des leurs pour voir la cause de l’incendie, et cet émissaire a trouvé dans un trou un petit homme : malgré qu’il l’ait salué et appelé, ce dernier n’a pas répondu. Alors le Ntonou est revenu avec une calebasse pleine de lait et l’a posée à terre, en disposant autour une corde à nœud coulant, puis il s’est caché. Quand le petit homme est sorti de son trou et a voulu boire, le Ntonou l’a pris avec son lasso, et a constaté qu’il avait une queue comme un singe. Il lui a demandé pourquoi il ne lui avait pas répondu, quand il l’avait salué ; le petit homme a déclaré que, ayant une queue, il avait honte. Alors le Ntonou lui a coupé la queue et l’a ammené dans son village ainsi que son frère. Depuis, tous les nains qui demeuraient dans la montagne, et qui tous avaient une queue, hommes et femmes, sont venus habiter avec les Ntonou. C’était eux qui à l’origine, allumaient le feu, mais depuis ils ont appris aux hommes qui descendent des Ntonou à l’allumer avec un caillou et un morceau de fer. Ces deux premiers forgerons s’appelaient Noumara et Noumori leurs descendants s’appellent encore Noumou.





LES MAITRES DE L’EAU


Au temps des premiers hommes le pays de Diafounou (région Ouest du cercle de Nioro) a vu arriver du Nord les Touré, qui avaient avec eux des crocodiles et des hippopotames : c’était leur bétail et ils vivaient avec eux. À la même époque la famille des Gannera, de la race des Dogoré, avait le pouvoir sur les mares de la région. Les Touré leur demandèrent la permission de mettre leurs crocodiles et leurs hippopotames dans les mares, mais les Gannera refusèrent, disant qu’ils ne pourraient plus pêcher de poisson. Les nouveaux arrivants les tranquillisèrent, affirmant qu’ils avaient le pouvoir d’empêcher leur animaux de mal faire. La permission une fois octroyée, ils les mirent dans les eaux et depuis cette époque, ils les commandent à leur gré, bien que les Gannera restent maîtres de l’eau. Lorsque les habitants du Diafounou veulent pêcher, ils doivent s’assurer le concours des Gannera et des Touré.


À l’origine des temps les vallées et la plaine du Guidioumé (canton limitrophe du Diafounou, à l’Ouest de Nioro), étaient remplies de feu, en sorte que les habitants étaient confinés sur le haut des montagnes. Mais un homme appelé Moussa Soma réussit à éteindre le feu par ses incantations, et les hommes s’établirent dans la vallée sous la conduite de leurs chefs. Moussa Soma se fixa à Guéréou, Djeri Komé, son frère à Tangadonga, Mamadou Djami à Niogoméra. Le premier de ces patriarches devint le maître du pays et le maître de l’eau, car le même charme qui domptait le feu donnait le pouvoir sur l’eau. Ses descendants, les Tarahoré, ont perdu la puissance temporelle, mais ils ont gardé le pouvoir mystérieux de commander aux esprits de l’eau, aux djidouho, aussi les appelle-t-on Djigoumé. Lorsque les indigènes désirent pêcher dans la mare très poissonneuse de Diompo, ils en demandent l’autorisation aux Tarahoré, qui font les incantations nécessaires. Il en coûte cher de se passer d’eux : une fois, au temps des premiers hommes, cent personnes partirent de Tangadonga, village de Guidioumé, pour pêcher dans la mare de Diompo, sans l’autorisation des maîtres de l’eau. Quatre-vingt-dix-neuf d’entre eux entrèrent dans l’eau pour jeter leurs filets : un seul resta sur le bord. Ce fut son salut, car ses compagnons furent engloutis et il dut se sauver précipitamment. Un poisson armé d’un sabre le poursuivit jusqu’à Tangadonga[43] et ne pouvant l’atteindre, asséna sur le sol un si formidable coup de sabre, que dans l’entaille qu’il fit coule aujourd’hui une grosse rivière.




LA MARIÉE DÉSOBÉISSANTE


Les Sarakolé du Guidioumé ont d’autres souvenirs se rattachant au temps où les premiers hommes vivaient encore sur les montagnes : ils disent qu’une jeune fille ayant été mariée à un homme d’un autre village, avant de l’envoyer dans la maison du fiancé, sa mère qui, suivant l’usage, ne l’accompagnait pas, lui donna un conseil : « Si tu éprouves un besoin naturel avant d’arriver à la maison de ton époux, garde-toi bien de le satisfaire sur une branche d’arbre ». C’était alors un usage. Mais une femme qui accompagnait la jeune mariée lui donna le conseil contraire, qu’elle suivit. Après avoir replié jusqu’à terre une branche d’arbre, elle satisfit dessus ce pressant besoin, mais celle-ci se releva et elle fut couverte d’excréments. Sa honte fut telle qu’elle fut changée en pierre, et on la voit encore, près de Makana, avec sa calebasse à la main, suivant l’usage des épousées.




LES DJIDÉ DE DJENNÉ[44]


À Djenné il y a un marigot appelé Boloumboloum Koumba : les gens de Djenné peuvent s’y baigner, puiser de l’eau, pêcher sans que le djidé[45] leur fasse mal.

Un marabout, Alfamoué Niaté, envoya un de ses élèves puiser de l’eau : il fut emporté par le djidé, mais sa calebasse resta sur le bord de l’eau. Les gens coururent prévenir Alfamoué qui vint sur le bord du marigot, et frappa de son bâton l’eau qui s’ouvrit en deux : le marabout descendit dans le fleuve et vit au fond le djidé. Il lui dit qu’il allait le tuer. Le djidé lui demanda grâce et lui rendit son élève. Le marabout déclara que cela ne suffisait pas, et qu’il voulait le tuer. Alors le djidé implora les vieillards qui étaient avec Alfamoué et leur dit d’empêcher le marabout de le tuer. Les vieillards ont imploré Alfamoué, qui refusa. Le djidé se mit à pleurer. Le marabout, ému, lui a dit : « Je te laisse la vie si tu me promets que tu ne feras aucun mal aux bêtes, aux gens, aux pirogues de mon quartier. Je ne veux pas qu’un caïman prenne jamais quelqu’un, ni qu’un poisson puisse piquer quelqu’un (avec les épines de son dos). Même si les gens n’ont passé qu’une journée dans mon quartier, tu ne les tueras pas. » Le djidé accepta et promit que ni lui, ni ses descendants ne feraient jamais de mal aux gens du quartier. Le marabout accepta et lui permit de rester dans le fleuve.

Le fait s’est passé lorsque les blancs ont pris Djenné.


Dans le marigot de Tintinka à côté de Djenné il y a un djidé, Tintinka nialé, qui attrape les enfants et les emporte dans le fond de l’eau. Pour cela il fait flotter sur l’eau une calebasse, ou un joli canari. L’enfant se met dans l’eau pour l’atteindre et se noie.

Les étrangers ne peuvent entrer dans Tintinka : ils peuvent puiser de l’eau dans leurs mains pour boire et se laver, mais ensuite il faut qu’ils fuient. S’ils entrent dans l’eau le djidé leur arrache le nez et le nombril.


Il y avait un vieillard Amil Dagnéré[46] à Djenné, qui était cul-de-jatte. Il entra une fois dans le Bambana[47] et resta deux mois dans le fond. Quand il ressortit, il alla trouver le chef de Djenné et lui déclara que le djidé exigeait que l’on lui donne de la crème, du riz, du petit mil, du gros mil, du coton, des cauris, sinon il serait méchant dans le cours de l’année. Il donna le tout au djidé et tout alla bien.

Depuis qu’il est mort, le Bambana a été méchant et a noyé des personnes.


LES GÉANTS TOUAREG[48]


Anegoura était l’un des premiers hommes : c’était un géant. Dans l’Adrar Tadelaza, près de la rivière Tiloa se trouve une excavation (ekazem en tamacheq) formée de grands blocs éboulés, qu’on dit avoir été sa maison. Non loin de là se trouve une marmite de géants qui est l’empreinte de son genou, une fois qu’il a lancé sa lance. Il dit alors à ses gens : « Regardez-bien ! là où elle tombe, là sera fondé Agadez ». Cette excavation a un mètre de diamètre.

À Talebdak une dalle horizontale porte des sillons profonds, tracés par les pieds du cheval d’Anegoura, lorsqu’il l’arrêtait en pleine course.

Aux environs se trouvent des grafitis sur roche, tracés par lui et portant son nom.

Anegoura se promenait toujours dans la brousse avec son fils et son neveu. Ils se levaient la nuit quand ce dernier était endormi, allaient à un puits que ce dernier ne connaissait pas et mangeaient de la viande. Le neveu ne pouvait découvrir le puits, alors un soir il frotta de graisse les sandales de son oncle et de son cousin, et les fourmis se mirent à la manger. La nuit venue, Anegoura partit avec son fils, mais à chaque pas les fourmis et la graisse tombaient et restaient collés au sol. Ainsi le neveu put suivre leurs traces et trouver le puits.


Anegoura ouït dire un jour que dans un certain pays il était tombé de l’eau et que l’herbe y était belle. Alors il coupa les pieds de tous ses moutons, en cachette de son fils et de son neveu, et il partit pour ce pays. Quand il y fut arrivé, il fit partout des empreintes avec les pieds de ses moutons, qu’il avait emportés. Puis il revint en disant à son fils et à son neveu que l’herbe était belle, mais qu’il y avait de nombreuses traces de moutons. Ils s’y rendirent et virent les empreintes : le fils crut que c’étaient bien de véritables traces, mais le neveu comprit que c’étaient les pieds des moutons coupés par Anegoura.


Anegoura était entouré d’ennemis qui cherchaient à le tuer. Comme il craignait qu’ils n’arrivassent pendant la nuit, il prit du tabac, en fit une médecine et la fit boire à une captive qu’il avait. Celle-ci ne put dormir, et se lamenta toute la nuit en disant : « Qui m’a donné ce tabac ? » Les ennemis, l’entendant parler, crurent qu’Anegoura veillait et repartirent.


Anegoura partit en guerre avec ses hommes. Dans une bataille, il fut vaincu par des ennemis très nombreux et couvert de blessures. Il arracha son collier d’argent, le donna à ses gens et leur dit :

« Sauvez-vous ; portez cela à ma femme moi je meurs ». Il resta comme mort par terre les ennemis s’en emparèrent, l’emportèrent chez eux, le soignèrent pendant plusieurs années, le guérirent et le renvoyèrent chez lui. Il arriva de nuit dans son campement et alla droit à la tente d’une femme qui lui faisait d’ordinaire de la musique. Il lui demanda de jouer de l’amzad (violon), mais elle lui dit : « Je ne joue plus depuis la mort d’Anegoura, le chef sans pareil ». Après bien des prières, elle joua, et Anegoura se mit à chanter. Il raconta la bataille où il tomba ainsi que l’histoire du collier. Alors la femme prise d’un soupçon écarta son vêtement, vit qu’il n’a pas de collier et s’écria : « Tu es Anegoura ». Elle se mit à sangloter les gens accoururent et reconnurent Anegoura.


Anegoura était marié : il prit une seconde femme. La première devint folle et fut transformée en pierre avec son enfant, sa griote, et sa captive. On les voit près de la maison d’Anegoura. Il y a auprès le tombeau d’une jument.


Jioulaklak était un des premiers hommes. Une nuit, il rêva que les ennemis allaient venir l’attaquer. Il était seul avec sa mère dont il était le fils unique. Il alla la trouver et lui dit : « Nous allons combattre : tue un mouton blanc : je mangerai la chair et avec la graisse, je me frotterai les bras et les jambes ». Il combattit depuis le lever jusqu’au coucher du soleil et repoussa seul l’ennemi.


Anebda était l’ancêtre d’Anegoura. Il était encore plus grand et plus fort que lui. Quand il était fâché, sa femme se cachait sous son lit, les chevaux ne mangeaient plus, les bœufs et les chameaux ne ruminaient plus. Quand il s’approchait d’un campement, les gens trayaient leurs vaches et les lui abandonnaient sans essayer de les défendre.

[Les Touareg ne savent si Anebda était un dieu, un esprit, ou un homme].


LE BÉTAIL DES DJINN[49]


Un homme avait capturé une gazelle dans la montagne et s’apprêtait à l’égorger, quand arriva un Djinn qui lui demanda ce qu’il faisait. Il répondit qu’il allait tuer la gazelle et aussitôt il reçut un formidable soufflet qui lui tordit la tête à droite, puis aussitôt un autre qui la lui remit d’aplomb le Djinn lui dit : « Que cela t’apprenne à respecter à l’avenir le bétail des Djinn ».

Les antilopes, gazelles et mouflons représentent pour eux les chameaux, bœufs, vaches, moutons, chèvres : aussi en tue-t-on parfois qui ont un anneau dans le nez.


LA DANSE DES DJINN


Un Targui s’était égaré dans le désert : En montant une dune, il entendit de loin de la musique. Il s’approcha, et vit un cercle de jeunes gens et de jeunes filles qui faisaient de la musique, dansaient et chantaient. Il fit accroupir son chameau, en descendit, s’assit à terre et au même instant tout disparut. Il resta là, tout tremblant, n’osant se lever, quand arriva un Djinn qui lui dit : « Tu n’es pas de la race de ces gens-ci viens avec moi, je vais te montrer ton chemin ».

C’était le roi des Djinn qui le tirait d’affaire : les jeunes gens et les jeunes filles qui s’étaient moqués de lui étaient des Djinn.


LE DJINN BLESSÉ


Un homme dormait dans sa tente quand il entendit du bruit près de son troupeau. Il vit un chien tout auprès, lui lança une javeline, le blessa et le chien se sauva emportant la javeline.

Ce chien était un djinn. Quand il fut guéri il revint au campement de l’homme et commença à tourmenter son jeune chameau, qui se mit à crier. L’homme dit à sa femme : va voir ce qu’il y a. La femme alla voir, mais le djinn s’était rendu invisible. Il recommença plusieurs fois à faire crier le chameau, si bien que l’homme sortit : le djinn lui lança la javeline et s’enfuit. L’homme expira au matin, quand on lui eut extrait la javeline.

LES CONSEILS DU DJINN


Un djinn avait été blessé : un enfant, une femme, un forgeron, le soignèrent et le remirent sur pied. Avant de les quitter il leur dit : « Pour vous remercier de vos soins, je vous donnerai à chacun un conseil.

« Toi, l’enfant, quand tu désireras quelque objet dans la maison de ton père, ne le demande pas : mets-toi à pleurer, tu l’auras sûrement ».

« Toi, femme, si ton mari te fait un présent, ne le remercie jamais. »

« Toi, forgeron, ne demande pas non plus ce que tu désires, regarde-le doucement, et on te le donnera doucement. »




LA FEMME AMIE DE LA GENNIA


Une femme des Touareg était dans la brousse quand elle aperçut un foutounkrou[50] elle ramassa une pierre pour la lui jeter, mais la bête lui cria : « Ne me blesse pas, je suis une femme comme toi ». La Targuiat s’approcha et elles causèrent. La bête lui dit : « Je suis la femme d’un djinn[51] et je demeure près d’ici quand je serai sur le point d’accoucher, veux-tu venir m’assister ? ». « Volontiers, répondit la femme, mais il faudra m’envoyer chercher, car je ne sais où est ton campement ». La gennia accepta et, le moment venu, envoya chercher son amie par un djinn qui se transforma en chien et attendit que la femme fut sortie de sa tente. Alors il se changea en enfant et lui fit la commission. La femme lui répondit : « Allons ». Et ils partirent.

À un endroit dans la montagne, ils rencontrent un djinn monté sur un chameau qui dit à la femme : « N’aie pas peur : je suis le mari de ton amie et je suis venu te chercher ». Il la prit en croupe, et ils partirent.

Arrivés à un trou dans la montagne, le djinn dit à la Targuiat : « Ferme les yeux » Ils marchèrent quelque temps, puis il lui dit : « Ouvre les yeux ! » Elle se trouva dans le pays des djinn, où ils étaient nombreux avec leur bétail, qui étaient sans têtes comme eux.

La femme fut trouver son amie et l’aida à mettre au monde sept enfants qui, sitôt nés, coururent se laver eux-mêmes et ceindre une peau de chèvre. Après bien des réjouissances, la femme s’en retourna chez elle ; le mari de son amie lui fit présent de bœufs, de vaches et de chameaux ; il la reconduisit comme à l’aller, et elle arriva chez elle : mais en voyant tout ce bétail sans tête, les Touareg s’enfuirent épouvantés. Elle courut après et les rassura[52].


LE FORGERON


Près de Marandet, à une époque très ancienne, les Touareg étaient en guerre avec les chrétiens. Voulant faire la prière et craignant d’être attaqués par les chrétiens, ils placèrent un forgeron sur le haut d’une colline en lui recommandant de les prévenir de l’arrivée des ennemis. En effet, les chrétiens arrivèrent, le forgeron voulut prévenir les musulmans, mais un des chrétiens lui montra de loin un sac rempli d’or. La bouche du forgeron se ferma et il ne bougea pas. Les chrétiens massacrèrent les musulmans, surpris sans armes pendant la prière. Quant au forgeron, il fut changé en pierre et on le voit encore sur la colline de l’Enad[53].




LE LIÈVRE CULTIVATEUR[54]


Le lièvre avait l’intention de planter du mil. Il va trouver séparément l’éléphant et l’hippopotame et leur demande s’ils veulent cultiver un champ avec lui. Ils acceptent. L’éléphant dit qu’il travaillera pendant la journée ; l’hippopotame préfère travailler la nuit. Le lièvre dit au premier qu’il cultivera pendant la nuit, et au second qu’il cultivera le jour, mais en réalité il ne fait rien. Les deux grands travaillent, et en voyant le travail fait par l’autre, chacun d’eux croit que c’est le lièvre qui l’a fait.

Enfin le mil est mur. Le lièvre dit à l’éléphant : « Nous allons mettre une grande corde par terre et tirer chacun de notre côté : celui qui entraînera l’autre gardera tout le mil ». L’éléphant accepte. Il va dire la même chose à l’hippopotame, qui accepte aussi. Il prend alors une grande corde, en donne un bout à l’hippopotame qui est dans l’eau, et l’autre à l’éléphant qui est dans la brousse : il y a une journée de marche entre les deux. Les deux grands tirent. L’éléphant dit : « Comment un petit animal comme le lièvre peut-il tirer si fort ? ». De son côté l’hippopotame pleure parce qu’il a honte de ne pouvoir entraîner le petit lièvre. Ils tiraillent pendant un jour. Le lièvre est au milieu et les regarde faire.

Les grands s’aperçoivent que ce n’est pas le lièvre qui tire et laissent la corde à terre. Ils se réunissent et se demandent ce que cela signifie : ils voient que le lièvre les a trompés et qu’il n’y a pas de leur faute. L’hippopotame défend au lièvre de boire au fleuve : l’éléphant lui défend d’aller brouter dans la brousse. Le lièvre se cache. Un jour de grand vent, il se couvre d’une peau de bouc et fait semblant de boiter. Il passe sur le bord de l’eau. L’hippopotame l’appelle et lui demande s’il a vu le lièvre : il répond : « C’est le lièvre qui m’a mis dans cet état : il m’a cassé une patte et abîmé le dos : il est comme fou ». L’hippopotame effrayé lui crie : « Dis au lièvre que je lui permets de boire au fleuve et de prendre tout le mil. » Le lièvre va ensuite du côté de l’éléphant, qui lui demande s’il a vu le lièvre. Il lui répond comme à l’hippopotame. L’éléphant lui dit : « Dis au lièvre que je lui permets d’aller manger dans la brousse et qu’il peut prendre toute la récolte ». Le lièvre coupe alors le mil et le met dans son kro-kro[55].




LES RUSES DU LIÈVRE



Le lièvre se trouvait avec tous les autres animaux dans la brousse, près d’un marigot où il était défendu de boire. Il les quitte sans être vu. Les grands animaux décident de boire seulement le soir, et de laisser quelqu’un pour garder le marigot pendant qu’ils seront dans la brousse. Pendant ce temps, le lièvre attache à ses épaules des morceaux de calebasse et des ferrailles. Il rencontre la hyène et lui demande : « Quel est le gardien du marigot ? ». « C’est moi, dit la hyène, il est défendu de boire ». À midi, le lièvre arrive avec son attirail, il salue la hyène, qui ne le reconnaît pas, et lui demande quel est le gardien. La hyène dit que c’est elle. « Ça va bien, dit le lièvre, nous pouvons nous entendre ; si ç’avait été le lion, l’hippopotame, l’éléphant, nous nous serions battus ». La hyène a peur et se sauve : le lièvre boit ; la hyène va trouver les animaux qui lui demandent si quelqu’un a bu. La hyène répond : « Il est venu un être terrible qui m’a fait peur et je me suis sauvée ». « Tu n’es bonne à rien », disent les animaux.

Ils mettent le lendemain l’autruche de garde : elle court autour du marigot. À midi, arrive le lièvre, déguisé comme la veille. Même conversation qu’avec la hyène. L’autruche se sauve, les animaux lui demandent ce qui s’est passé : elle dit : « Un être terrible m’a fait peur ». La biche dit : « Je vais garder le marigot ». Le lion dit : « Je vais moi-même voir ce que c’est, et en arrivant, vous trouverez un mort, moi ou l’être terrible ».

Le lendemain à midi le lièvre arrive : même conversation qu’avec la hyène et l’autruche. Le lièvre descend près de l’eau. Le lion se met près de lui. Le lièvre secoue ses ferrailles et le lion recule jusqu’auprès des arbres qui bordent le marigot. Le lièvre boit, et s’en va. Les animaux reviennent et demandent ce qu’il est arrivé. Le lion dit : « Il est venu un être terrible, qui est plus grand que tout, seul Dieu est plus fort que lui. »

Le lendemain l’éléphant prend la garde, Il arrache tous les arbres. À midi le lièvre vient et salue l’éléphant : même conversation qu’avec les autres animaux. L’éléphant jette à plusieurs reprises un morceau de bois au lièvre, qui saute par dessus chaque fois, et dit : « Je suis venu boire : tu n’es pas assez fort pour m’en empêcher ». Comme l’éléphant avance, le lièvre se sauve en passant dans un arbre, son attirail se détache et tombe. L’éléphant le poursuit, lui jette une branche, l’attrape, le tue, le porte au bord de l’eau. Il appelle tous les animaux et leur dit : « Personne n’a bu de l’eau ».





LA GENNIA TRANSFORMÉE EN VENT


Un vieillard possédait pour tout bien un arc. Il appela son fils unique et le lui donna en lui disant : « Je suis trop vieux pour m’en servir prends-le et sers-t-en ». Il partit à la chasse.

Une gennia faisait paître dans la brousse son bœuf, qui était comme un Koba[56] très grand. Le jeune homme en eut peur. En rentrant il dit à son père : « Je n’ai vu qu’un grand Koba et je n’ai pas osé tirer ». Le père lui dit : « Tu n’es bon à rien ».

Le lendemain, il retourna à la chasse, le vent souffla, la pluie vint, le Koba aussi, mais il n’osa pas tirer. Il le dit à son père qui répondit : « Si demain tu vois le Koba et que tu ne le tires pas, ne rentre pas chez moi ».

Le lendemain, le jeune homme tira le Koba et le blessa. La gennia accourut furieuse et cria : « Quel est le méchant qui a blessé mon bœuf ? Ce ne peut être que le fils du vieux chasseur ». Elle courut pour le prendre, mais il grimpa dans un arbre : la gennia ne le vit pas et rentra chez elle. Le jeune homme revint chez lui, mais la gennia l’aperçut et se mit à sa poursuite. Ils coururent toute une journée.

Comme il passait à côté d’une troupe de jeunes filles qui dansaient dans la brousse, elles lui crièrent : « Pourquoi cours-tu ? ». Il répondit : « Une diablesse me poursuit, plus grande que tout ». Les jeunes filles lui dirent : « Reste avec nous : qui est plus fort que nous ? » Il continua sa course.

La gennia survint et leur demanda : « Vous n’avez pas vu le jeune homme qui a blessé mon bœuf ? » « Oui, dirent les filles, mais il est passé ». « Puisque vous ne l’avez pas arrêté, dit la gennia, vous aurez chacune une maladie différente ». Les unes eurent les mains contractées, d’autres devinrent fourmis, serpents. La gennia continue à courir.

Le garçon toujours courant passe près d’un célèbre forgeron, qui était assis avec d’autres forgerons. Un de ceux-ci lui dit : « Regarde ce jeune homme qui court ». On lui demande alors qu’est-ce qu’il fait, et il raconte pourquoi il se sauve. « Reste avec moi ? dit le grand forgeron ; qui est plus fort que moi. Regarde mon travail. Quand je dors, il faut pour me réveiller qu’on m’enfonce un fer rouge dans l’anus ». Il cache le garçon, mais quand il voit arriver la gennia, il lui dit : « Sauve-toi elle est trop forte pour nous ». Le jeune homme reprend sa course.

Arrive la gennia qui demande si on n’a pas vu le fils du vieux chasseur. « Il est passé », dit le forgeron. La gennia dit : « Puisque vous ne l’avez pas retenu, vous serez transformés en animaux ». Puis elle passe.

Le garçon rencontre des tisserands. L’un d’eux lui dit : « Quel est ce garçon qui court ? ». Un autre lui demande pourquoi il court. Il répond : « Une gennia me poursuit ». Comment, disent les tisserands, n’as-tu donc pas vu notre chef ? Dans chaque cuillerée il mange un mouton. » Ils gardent le jeune homme.

La gennia arrive : « Avez-vous vu le fils du vieux chasseur ? ». « Il est là », dit le chef des tisserands. Il met le garçon dans un sac, après lui avoir demandé s’il voulait être mis dans un grand ou un petit sac. Le garçon dit : « Dans un grand ». « Si je te mets dans un grand sac, répond le chef, tu seras perdu ». Il le met dans un petit sac. Une fois dedans, il marche sept jours sans trouver le milieu.

Le chef cause avec la gennia qui lui dit : « Si tu ne me donnes pas le garçon, nous ferons la guerre ». « Tu ne l’auras pas », dit le chef. Alors elle mange le chef. Il ressort par son anus. Elle le mange à nouveau : il ressort. Une troisième fois elle le mange et il ressort. Les tisserands regardent : le chef leur dit : « Faites votre travail ». Il prend un mouton, le mange, puis mange la diablesse, qui ressort par son anus : cela deux fois : à la troisième il s’asseoit, la diablesse ne peut plus sortir.

Le chef dit à un tisserand : « Va me chercher le garçon ». Le tisserand l’appelle pendant trois jours mais le garçon ne l’entend pas. Enfin le chef l’appelle ; le garçon vient et il lui dit : « La gennia est morte. Si tu veux, j’en ferai un bourricot pour toi. » « Non, dit le jeune homme : j’ai peur qu’une fois dessus, il ne m’emporte ». « Veux-tu que j’en fasse un cheval ? ». « Non, je m’en méfie ». « Veux-tu que j’en fasse du vent ? ». « Oui, pourvu que ce soit un vent léger ».

Alors le chef des tisserands la tira de son anus et la gennia devint du vent. C’est pourquoi un vent léger précède toujours la tornade.




PROVERBES[57]


Ceux qui parlent beaucoup ne pensent pas beaucoup.

Ceux qui ont la bouche pleine de farine ne peuvent parler.

Si tu doutes de la parole de ton ami, tu réjouis tes ennemis.

Si l’on te frappe avec un bâton, ne regarde pas celui qui te frappe, cherche plutôt pourquoi l’on te frappe.

Si tu plantes un arbre et que tu l’arroses chaque jour, tu seras plus tard assis au frais.

Souvent on te dit une petite parole pour te faire faire une chose, et si tu ne la fais pas, beaucoup de grandes paroles en résultent.

Si dans ta jeunesse tu travailles bien, dans ta vieillesse tu te reposeras bien.

Deux choses sont bonnes dans l’homme, la langue et le cœur : si l’une est bonne, l’autre est bon.

Celui qui est brave acquiert des richesses : le poltron reste pauvre.

Celui qui rit parce qu’on lui a raconté une chose plaisante, est un sage. Celui rit sans cause, un fou.

Quand on veut juger une chose, il ne faut pas croire, mais savoir.

Un homme et une femme qui sont pauvres et peu intelligents ne sont rien : mais s’ils ont un fils distingué, ils deviennent quelque chose.

Il y a trois choses qu’il ne faut pas confier : une jolie femme à un beau garçon : une lettre à qui sait lire : un secret à une femme.

Les pieds ne peuvent tuer personne, mais la langue peut tuer tout le monde, en trompant.

Maabiata, roi de l’Afrique, qui demeurait à Cham en Arabie, fit appeler un homme et lui dit : « Donne-moi des nouvelles de toute l’Afrique ». L’homme répondit : « Pourquoi me demander cela ? Si le roi d’Afrique va bien, toute l’Afrique va bien ».




LA PEAU DE BOUC[58]


Un homme vivait dans le pays de la Mecque, gouverné par un roi : il n’aimait que sa cousine et il était malheureux. Il va trouver son oncle qui ne veut pas la donner. Il est malade alors, presque mort. Il aurait voulu pour femme sa cousine. Il cherche une peau de bouc qu’il remplit de pierres, et l’enterre à la tête de son lit, sans que personne le sache. Il dit à la mère de sa cousine : « Je vais mourir. J’ai enterré à la tête de mon lit une peau pleine d’or. Attends que je sois mort, alors tu prendras cet or. Tu partageras en deux : une part pour toi avec mon oncle, ton mari : l’autre, tu en prendras 100 gros et le donneras à un marabout comme aumône : 40 gros pour acheter des linceuls et des parfums. Tu as bien entendu ? ». « Oui », répond la tante.

La tante rapporte à son mari ce que lui a raconté le neveu et lui dit : « Ne veux-tu pas donner ta fille à cet homme qui a tant d’or ? ». L’oncle dit : « S’il est riche, guéris-le et je lui donnerai ma fille ». Elle le soigne, le guérit : et lui offre sa fille en mariage. « Je veux bien, dit le malade ». — « Maintenant elle est à toi, dit la tante. Écris à son père une lettre pour la demander. » Il écrit : le père l’accorde. Le mariage se fait. Il s’arrange pour vivre, sans toucher à la peau de bouc enterrée. Huit jours après le mariage les parents de la fille réclament la dot. Le neveu dit : « Ma tante, va déterrer la peau de bouc pleine d’or, et donnes-en 500 gros à mon oncle. » On sort la peau et on voit qu’il n’y avait que des pierres. L’oncle lui dit : « Quelle est cette supercherie ? il n’y a que des pierres. » Il répond : « Sans ce moyen, je n’aurais jamais eu ma cousine ». L’oncle casse tout ce qu’il y a dans la chambre de son gendre et emmène sa fille. Le neveu sort de sa maison et s’asseoit sur la route jusqu’à minuit.

Le roi du pays, Diadi Yousouf, ne pouvait pas dormir cette nuit : il commande à ses gens de lui amener tous les hommes qu’ils trouveraient sur la route. Ils amènent le neveu devant le roi qui lui dit : « Je ne peux pas dormir : raconte-moi une histoire extraordinaire à laquelle je n’ai jamais pensé, ou je te fais tuer ».

Le neveu raconte toute l’histoire de son mariage. Le roi est enchanté : c’était un méchant. Il lui dit : « Pars ce soir, demain je t’enverrai chercher : tu me raconteras encore une histoire ».

Le neveu va raconter à son oncle : « J’ai été hier soir chez le roi ». L’oncle lui dit : « Es-tu fou ? Toi, un rien du tout, tu as été chez le roi. Tu es fou ! » Alors on le met aux fers.

La nuit venue, le roi renvoie ses gens le chercher : ils le trouvent enchaîné et veulent lui enlever ses fers : il s’y refuse, et dit : « Je veux aller devant le roi avec mes fers ». Il y va avec ses fers. Le roi demande : « Qu’est-ce que ces fers ? » Il lui répond : « Si tu as été content de l’histoire de hier soir, que diras-tu de celle d’aujourd’hui ». Il lui raconte l’histoire : le roi dit : « Apporte-moi la peau de bouc et je te le remplirai d’argent. »

II va chercher la peau, le roi la remplit d’argent et il vit en bonne intelligence avec ses beaux-parents.




LES DEUX ROIS[59]


Un roi puissant et riche, de la famille Sasana, régnait à Sini[60], et dans l’Inde. Il avait deux fils qui étudiaient bien dans les livres, et apprenaient l’art de la guerre. Le roi mourut : le fils ainé régna à Sini, le plus jeune dans l’Inde. L’aîné dit au cadet : « Chaque fête, viens la passer chez moi ». Il accepta. Une fête arrive : l’aîné envoie un officier chercher son frère chez lui. Au matin le jeune frère part avec toute sa suite : il marche un peu, mais il se rappelle qu’il avait oublié son or dans sa maison, il retourne le chercher. Quand il rentre il trouve que la femme qu’il aimait le plus était couchée avec son esclave. Il tue les coupables, et se dit : « Je n’ai marché qu’un peu et quand je rentre je trouve ma femme couchée avec un captif : que sera-ce quand je partirai pour un mois ? »

Il va vers son grand frère avec sa suite et rentre chez lui : le grand frère le salue bien. On fait de grandes fêtes, de grands festins. Le grand frère dit au jeune : « Reste ici un mois ou deux ». Au bout de quinze jours le grand frère dit : « Maintenant, nous allons partir en guerre ». Le jeune n’y veut pas aller parce que pendant ces quinze jours, il avait mal mangé, il était maigre : il pensait bien que ses autres femmes le trompaient, mais il n’en disait rien à personne. Le grand frère dit : « Si tu ne veux pas aller à la guerre, reste ici à garder le palais ». Le grand rassemble son armée et part.

Le petit monte au plus haut du palais et y reste sans que personne le sache. Les soldats que le grand frère avait laissés à la garde du palais rentrent et prennent chacun une femme, et vont coucher avec elles dans les chambres.

Le cadet voit cela et dit : « Je n’ai plus de raison d’être fâché : mon frère est un grand roi, moi un petit, et ses soldats couchent avec ses femmes : pourquoi me plaindrai-je d’être traité comme lui ? ». N’étant plus fâché, il mange et boit bien et engraisse.

Le grand frère prend une ville, la brûle, et rentre chez lui : il trouve son frère bien gras et content : Il lui demande la raison de cette transformation. Il lui répond : « J’ai vu deux choses distinctes : la première m’a fait maigrir, la seconde engraisser. Je puis raconter ce qui m’a fait maigrir mais pas celle qui m’a fait engraisser ». Le grand frère lui dit : « Je veux savoir les deux sans cela je deviendrai maigre ». Le petit lui raconte sa mésaventure, et ajoute : « Je suis resté pour voir si tu serais aussi trompé que moi, mais je vois que ton malheur est plus grand, parce que vingt soldats ont couché avec tes femmes, tandis que une seule des miennes m’a trompé. Aussi je me suis consolé et j’ai engraissé ».

« Est-ce ainsi ? dit le grand frère, ce n’est pas la peine d’être roi ; je ne le serai plus ! » Le petit dit : « Eh bien moi non plus je ne veux plus l’être ». Ils partent ensemble dans la brousse et marchent deux mois. Ils arrivent au bord d’un fleuve, et montent sur un arbre. Un Djinn rentre dans le fleuve, remue l’eau, sort un coffre, le porte sur sa tête et va le déposer au pied de l’arbre où se trouvaient les deux frères. Les deux rois montent le plus haut possible dans l’arbre, et le Djinn ne les voit pas.

Il ouvre le coffre, qui en contient un plus petit, et en sort une femme très jolie : il prend un pagne, l’étale par terre : la femme s’y asseoit, le Djinn pose sa tête sur les genoux de la femme, et peu après s’endort : la femme regarde en l’air, aperçoit les deux frères, et les appelle : ils ne veulent pas descendre. Elle dit : « Si vous ne voulez pas descendre, je réveille le Djinn qui vous mangera ». Ils descendent : la femme pose la tête du Djinn par terre, et leur dit : « Cachez-vous derrière l’arbre ». Elle ajoute « Je suis mariée : au moment de mon mariage le Djinn m’a enlevée et me garde dans ces deux coffres : je veux coucher avec vous deux, sinon je réveille le Djinn ». Tous les deux couchent avec elle, après quoi elle leur demande leurs bagues et ils les donnent. Elle prend une boîte et l’ouvre : elle en sort 30 bagues et explique : « Ces bagues je les ai eues de la même façon que j’ai eues les vôtres. Ceux qui sont jaloux de leurs femmes sont des imbéciles. Remontez dans l’arbre » Elle reprend la tête du Djinn sur ses genoux et le réveille : il la replace dans les deux coffres, les ferme, les remet dans le fleuve et s’en va.

Le grand frère dit au petit : « Rentrons chez nous et continuons à être rois : ceux qui sont jaloux de leurs femmes sont des imbéciles ». Ils rentrent chez eux et continuent à être rois.

Le petit frère rentre dans son palais et ne dit rien à personne.

Le grand frère tue toutes ses femmes, et les soldats. Il dit alors : « Je veux que chaque soir on m’amène une vierge et le matin je la ferai tuer ».

Il avait un ami qui était son général et lui fournissait les vierges : au matin il les tuait. Vint le moment où il n’y en eut plus.

Il se présente devant le roi et dit : « Il n’y a plus de vierges dans le pays ». Le roi répondit : « Si tu viens ce soir sans vierge, apporte ton linceul ». Le général cherche partout sans trouver. Il avait deux filles, mais il ne voulait pas les donner. Il rentre chez lui, triste. La fille ainée Sharizad voit sa tristesse et insiste tant que le père lui dit pourquoi. Elle lui dit « Mène-moi chez lui ». « Plutôt mourir », dit le père. « Ne t’inquiète pas, dit la fille, il ne me tuera pas ».

C’était une fille instruite : elle pouvait lire mille livres. Le général lui dit : « Je te défends de partir : si tu pars tout de même, nous ferons comme ont fait le taureau, l’âne et le maitre du champ ». « Raconte-moi cela, dit Sharizad, avant que je te réponde ». Le père commence :

« Un marchand était dans un village appelé Lariaf, il comprenait le langage de tous les animaux. Il était riche, et avait beaucoup de fils et de femmes. Un jour il se reposait : il entend l’âne parler au taureau : le taureau disait à l’âne : « Tu n’es pas fatigué : on te nourrit, on te donne à boire, on te change la litière, et moi on me met dans la brousse, je ne mange que de l’herbe. En fait de mil, je ne mange que le son. Je couche dans mes immondices, car personne ne balaye mon étable, et aussi je travaille fort ». L’âne répond : « Demain quand on te ramènera on te donnera de la paille : ne la mange pas. Alors on te donnera bien à manger et tu ne travailleras pas ». Le taureau dit : « Je le ferai ». Il ne travaille pas, le lendemain, ne mange pas la paille, on lui donne du mil.

Le maître dit alors : « Prenez le bourricot et faites-le travailler ». Il travaille toute la journée et avait le dos blessé, les genoux aussi, on le mène à la maison. Le taureau le remercie de son conseil, mais l’âne ne veut pas lui répondre. À la fin il dit : « J’ai trop parlé, alors le malheur m’est tombé dessus ».

Le lendemain, le bourricot recommence à travailler : le soir il dit au taureau : « Le maître causait tout à l’heure au boucher : il lui disait : « Si le taureau ne mange pas bien sa paille demain, je le fais tuer par le boucher ». « C’est vrai, dit le taureau, aussi je vais bien manger pour qu’on ne me tue pas ». Le maître vient le lendemain : du plus loin que le taureau le voit, il pète, croyant que le bourricot avait dit vrai et qu’on venait le chercher pour le tuer. Le maître qui avait tout compris, rit bien fort. Sa femme préférée était à côté de lui et lui dit « Pourquoi ris-tu ? ». « Pour rien », dit le maitre ! ». « C’est de moi que tu ris », dit la femme : si ce n’est pas de moi, dis pourquoi tu as ri ». « Je ne peux le dire, dit le maître, car je mourrais ». Et c’était vrai. « Ça m’est égal, dit la femme, je veux le savoir ». « Je vais mourir si je te le dis, » dit le maître. « Peu m’importe, dit la femme, si tu ne veux pas, je divorce. » Il appelle toute sa famille et dit : « Je vais mourir, mais sachez que c’est cette femme qui me tue : elle me force à raconter un secret mortel pour moi ». Toute la famille supplie la femme de céder. La femme dit : « Peu m’importe : je veux savoir le secret ou je retourne chez moi ». « Ne lui dites rien, dit le maître : je vais faire la prière puis je reviens lui raconter ». Il est entré dans le poulailler et entend un coq parler au chien : le chien dit : « Pourquoi ris-tu, quand notre maître va mourir ! ». « Pourquoi mourir ? dit le coq ? » Le chien explique le cas. Le coq dit : « Il n’est pas malin, le maitre : j’ai cinquante poules : si je suis fâché avec une je passe mon temps avec les autres. Si le maître ne veut pas mourir, il n’a qu’à aller couper quelques bâtons dans la brousse et à battre vigoureusement la femme et elle ne demandera plus le secret. »

Le maître est content, il rosse la femme qui lui jure qu’elle ne demandera plus le secret. Le général dit ensuite à sa fille : « C’est pour te montrer qu’il ne faut pas écouter ce que disent les femmes ». Elle répond : « Je partirai chez le roi, il ne me tuera pas ».

Le général accepte : elle part en disant : « Envoie-moi ma petite sœur pendant la nuit et qu’elle me demande devant le roi de lui raconter une histoire ».

Tout se passe ainsi : la petite Donizad demande à sa sœur une histoire pour réjouir le roi et raccourcir la nuit. « Oui, dit Sharizad, si le roi me le demande. » Le roi dit : « Parle. »

Et elle raconte une histoire et elle en a raconté mille et une et c’est ainsi qu’est né le livre des Mille et une nuits.



L’ÉPREUVE[61]


Un mauvais homme raconte des mensonges : un brave homme fait du bien avant d’en parler.

Il vaut mieux être vivant et entendre dire partout que l’on est un méchant, que d’être mort et entendre dire qu’on est bon.

Il vaut mieux faire une bonne action que d’en parler.

Un roi s’appelait Diésimati Labrach, roi puissant, disant toujours la vérité : il avait un ami, un général, très brave et subtil, qui vint à mourir, laissant un fils. Le roi voulait qu’il remplaçât son père. Les sujets ne voulaient être commandés que par un homme d’une intelligence éprouvée. Le roi décida de faire l’épreuve en public promettant de lui donner la place de son père s’il la subissait avec succès.

Le roi buvait des sorbets avec ses amis et des chats au nombre de douze portaient chacun une lumière. Il appelle le fils du général devant tout le monde et lui demande : « Qu’est-ce qui vaut mieux, un métier que l’on choisit ou un métier qu’on vous impose ? » Le jeune homme répond : « C’est le métier qu’on choisit ». Le roi dit : « C’est faux : le métier qu’on t’a fait apprendre vaut mieux. Vois ces chats qui tiennent chacun une lumière : on leur a appris ce métier et ils le font bien ». « C’est vrai, dit le fils : mais laisse-moi voir si c’est le métier choisi ou le métier appris qui est le meilleur ». « Bien », dit le roi. Le garçon sort, va chercher quinze rats et les met dans un panier fermé avec un chiffon. Quand le roi va sortir il les apporte. Les chats tenaient les lumières : il lâche les rats.

Les chats jettent les lumières à terre et sautent sur les rats. On est dans l’obscurité. Les chats reviennent à leur place, mais les lumières étaient éteintes devant le roi. Le fils du général dit : « Mon père le roi, le métier des chats est d’attraper les rats, et ils ont laissé le métier que vous leur avez appris, sitôt qu’ils ont vu les rats ».

Tous les assistants admirèrent son esprit. Le roi dit : « Je vais lui demander quatre choses devant vous : s’il y répond bien, je lui donnerai la place de son père. » Il demande : « Qu’est-ce qui distingue les bons rois ? » Le fils répond : « Beaucoup de braves guerriers ». « Que faire pour avoir beaucoup de bons guerriers ? ». « Il faut avoir beaucoup de richesse ». « Et comment avoir beaucoup de richesse ? ». « En commandant beaucoup de pays ». « Comment avoir beaucoup de pays ? ». « En étant sérieux. »

Le roi dit : « Tout le monde a bien entendu ces réponses ? » « Oui », répond la foule. Alors il lui a donné la place de son père.



LE ROI ET LE FOU


Toutes les choses se perdent si elles sont en grande abondance. Seule la réflexion n’est jamais trop grande.

Si tu veux éprouver un homme, raconte un mensonge devant lui : s’il est intelligent, il te dira que c’est un mensonge : si c’est un imbécile, il t’approuvera par complaisance.

Un roi s’appelait Noumân, qui avait un fou chez lui. Le roi demande du vin : on l’apporte et il en boit un peu : il en donne un verre au fou. Le fou lui dit : « Je ne peux le boire : je vais te poser une question : si tu y réponds, je boirai, si non, non. » « Parle, » dis le roi. « Si tu bois du vin et que tu t’enivres, dit le fou, tu deviendras comme moi : si je m’enivre, comme quoi deviendrai-je ? ». « Quoi, dit le roi, quand je suis ivre, je te ressemble ? ». « Oui », dit le fou. « Eh bien ! maintenant je ne boirai plus. »

Le roi veut lui faire un présent, mais le fou lui dit : « Ce que tu me donneras, tu l’as pris à quelqu’un ; plutôt que de me le donner, rends-le lui ! ».

Le roi dit : « Combien y a-t-il de fous ? » Le premier fils du roi vient voir le fou, la femme et la fille viennent aussi le voir. Il dit : « Roi, je suis le premier fou : ton fils aîné le second, ta femme la troisième, ta fille la quatrième, et toi le cinquième. » Le roi dit : « Tu es vraiment fou ». Là dessus il part.

Le roi veut lui faire un présent et l’envoie chercher : « Je ne veux pas de son cadeau, dit le fou : Dieu pourvoiera à ma subsistance ».



LES TROIS MALLES[62]


Une femme jolie était recherchée par un roi : le général du roi la recherchait aussi : un forgeron aussi. Elle ne voulait pas se décider. Un joli garçon vivait au village : il était pauvre : c’était lui que la femme aimait. Le roi le met en prison. La femme vient chez le roi, et demande qu’on relâche son amoureux. Le roi dit : « Tu sais bien que je t’aime : si tu veux coucher avec moi, je te rendrai ton amoureux ». La femme accepte et lui dit : « Il faut que tu viennes chez moi. » Le roi dit : « J’écrirai demain au chef de la prison et je ferai mettre ton ami en liberté ; à quelle heure puis-je venir chez toi ? ». « À sept heures du soir », dit la femme. La femme va chez le général : « Je viens te demander de faire délivrer mon ami. » Il répond : « Si tu veux coucher avec moi, je le ferai délivrer ». « Bien, dit la femme. Viens à huit heures du soir. » Elle va chez le forgeron, et lui dit : « Je veux que tu me fabriques trois malles». « Oui, dit le forgeron, si tu couches avec moi ». « Bien, dit la femme. Apporte les à quatre heures, et viens le soir à neuf heures. »

Le forgeron fait les trois malles. À sept heures arrive le roi déguisé pour qu’on ne le reconnaisse pas. Il apporte une lettre portant son cachet et la donne à la femme pour faire sortir de prison l’ami de la femme. Elle prend le papier, le garde, et dit au roi : « Couche ici jusqu’à demain ».

Le général vient à huit heures, il salue, devant la porte le roi dit : « Qui est là ? ». La femme dit « C’est le général ». « Dis-lui de se retirer », dit le roi. « Je ne peux pas le renvoyer.», dit la femme. « N’y a-t-il pas un endroit où me cacher ? », dit le roi « Non, dit la femme, mais si tu veux te mettre dans une malle, il ne te verra pas ». Il se met dedans, elle ferme et fait entrer le général. Celui-ci se repose. Mais le forgeron arrive et salue devant la porte. Le général dit : « Qui est-ce ? ». « Le forgeron », dit la femme. « Défends-lui d’entrer », dit le général. « Je ne peux pas, dit la femme ». « Ne puis-je me cacher quelque part ? », dit le général. « Mets-toi dans cette malle », dit la femme. Il s’y met et elle l’enferme. Le forgeron rentre et cause avec la femme.

Elle lui dit « Tu m’as fait des malles trop petites : on ne peut y faire coucher un homme ». « Si, dit le forgeron, on peut y coucher, vois plutôt ». Il se met dans la malle elle ferme le couvercle, met les trois malles l’une sur l’autre, le roi en bas, et s’en va coucher dans une autre maison.

Le lendemain elle va à la prison et fait sortir son bon ami : elle lui dit : « Quittons cette ville, car j’ai enfermé le roi, le général et le forgeron dans des malles ». Ils se sauvent.

Personne ne voit le roi, le général, ni le forgeron. Tout est sans dessus-dessous en ville : la foule s’amasse devant la porte du roi. Les femmes disent aux curieux : « Depuis hier soir le roi n’a pas couché ici ». La foule va chez le général, on fait la même réponse. De même chez le forgeron. Tous les soldats sont rassemblés et vont dans la ville, demandent si on a vu le roi. Les soldats arrivent devant la maison où la femme avait enfermé le roi, on brise la porte, et on trouve le roi qui sanglotait dans la malle. Le forgeron, qui était à moitié mort, urine dans sa malle, et cela tombe sur le général qui en fait autant ; le tout tombe sur le roi.

Les soldats ouvrent les malles, et délivrent les prisonniers. Le général envoie quelqu’un chez lui pour qu’on lui apporte d’autres vêtements : il s’habille : le roi lui ordonne de se rendre au palais et de faire partir tous les gens qui étaient devant la route, puis d’y faire prendre des habits et de les lui apporter. Il envoie 20 hommes chercher la femme : mais ils ne la trouvent pas. Le roi n’a jamais plus cherché à coucher avec les femmes.



L’ARGENT ET L’OR[63]


Le roi Abdoulmalik, avait un général, Diali ben Yousouf, très méchant, tuant facilement les gens. Il y avait une belle femme qu’il recherchait en mariage, mais elle ne voulait pas de lui. « Si tu ne veux pas m’épouser, je tuerai dix personnes de ta famille, dit le général ». La femme a peur et accepte de l’épouser. Il est méchant avec sa femme, la femme fait un sortilège, de manière qu’il lui dit : « Je ne t’aime plus, va chez toi ». Elle s’en va.

Le roi entend parler de cette femme très belle, et veut l’épouser : il lui écrit une lettre. Elle répond : « Je ne veux pas me marier, parce que j’ai été mariée à un chien. Si un chien met la gueule dans ton plat, il faudra le laver sept fois ».

Le roi dit : « Je t’aime ». Elle dit : « Si tu m’accordes une grâce, je t’épouse ». Le roi l’accorde. «  Alors, dit-elle, je veux que, lorsque je serai montée à chameau, le général à pied conduise le chameau par le licol depuis la Mecque jusqu’à Dimasiga ».

Le roi écrit une lettre au général pour lui dire qu’il lui ordonne de se rendre à la Mecque avec un chameau bien harnaché, pour aller chercher telle femme, lui payer la dot et la mener à Dimasiga en tenant le chameau par la bride. Le général reçoit la lettre et se lève pour la lire.

Il se rend à la Mecque et expose sa mission à la femme, qui accepte : il paye la dot : au matin il fait seller le chameau et l’amène : la femme monte, il tient le licol : les soldats suivent, on marche deux jours jusqu’à la ville du roi. La femme laisse tomber un gros d’or et dit au général : « Regarde j’ai laissé tomber une pièce d’argent ». Le général se baisse, ramasse l’or et dit : « C’est un gros d’or que j’ai trouvé ». « Dieu soit loué dit la femme : je laisse tomber de l’argent et c’est de l’or que je retrouve ! ». C’était pour dire la différence qu’il y avait entre le général, comparé à une pièce d’argent et le roi, qui était comme un gros d’or.

Le général s’est mordu le doigt, et elle a épousé le roi.

LA TRACE DU LION


Un roi monta à cheval avec son général pour chasser : dans la brousse ils avaient soif, ils rentrent dans un village. Le roi s’arrête devant une belle maison et dit à ses gens de pénétrer dans la maison pour chercher de l’eau. Une femme très jolie apporte l’eau : le roi boit et regarde la femme : il lui demande : « Es-tu mariée ? » « Oui », dit la femme. « Moi aussi, et je t’aime, dit le roi. Je veux passer la journée auprès de toi, pour causer avec toi ». La femme dit : « Roi, attends-moi là, je vais revenir ». Elle rentre dans la maison, va prendre le Coran de son mari et l’ouvre à l’endroit où il est dit qu’une femme ne peut appartenir à plusieurs hommes. Elle le donne au roi, qui reconnaît qu’il ne peut prendre cette femme. Il rend le livre et s’en va.

Le mari de la femme revient : elle lui raconte ce qui est arrivé. Le mari reste deux mois sans toucher sa femme, qui va dans sa famille et dit : « Depuis la visite du roi, mon mari ne me touche pas. S’il ne m’aime plus, il n’a qu’à me laisser marier avec un autre ».

Le père de la femme va chez le mari, et lui dit : « Si tu as peur à cause du roi, nous allons de suite, lui demander s’il veut épouser ma fille : s’il n’en veut pas, tu n’as qu’à la reprendre ». Ils vont chez le roi, qui était sur la place avec beaucoup de gens : le père dit, car il avait honte de raconter la vraie affaire : « Cet homme, nous lui avons donné notre terre pour la cultiver : avant il la cultivait, mais voilà deux mois qu’il n’y touche pas. S’il ne veut pas cultiver, qu’il nous rende notre terre ». Le roi dit au mari : « Tu as entendu ? ». Il dit : « C’est vrai on m’a donné une bonne terre que j’ai bien cultivée : mais le lion est entré dans le champ après moi et alors j’ai eu peur de lui : je me suis reposé deux mois pour savoir si le lion reviendrait. Si le lion ne vient pas, je reprends volontiers mon champ ».

Le roi comprend l’allusion et dit : « Reprends ton champ, le lion n’y viendra plus ».


Deux Arabes s’amusaient : l’un dit : « Si on te donnait cent gros d’or pour faire l’imbécile, accepterais-tu ? ». « Non, répond l’autre car si je fais une grosse sottise, le roi m’infligera cent gros d’or d’amende : l’argent sera parti et je resterai un imbécile ».


Il y avait un Arabe appelé Muslimin qui disait : « Il ne faut pas se lier avec un imbécile, parce que s’il veut te faire du bien, il pourra te faire du mal. Si tu es malade, en essayant de te guérir, il te tuera : il te fera ce qui te rend malheureux, seulement par bêtise. L’imbécile fait bien de se taire. Plus il est loin de toi pour causer, et mieux cela vaut ».

Il vaut mieux être d’accord avec un imbécile que en querelle avec un malin.


Un Arabe rasait toujours sa barbe : un autre lui dit : « Il ne faut pas raser sa barbe ». Le premier lui répondit : « Serais-tu heureux de voir pousser dans ton derrière beaucoup de poils comme ceux de ma barbe ? ». « Non », dit l’autre. « Eh bien, pourquoi veux-tu que je laisse sur ma figure ce que tu ne veux pas dans ton derrière ?


Un Arabe achetait des dattes et les mangeait avec les noyaux : un autre le voit et lui dit : « Quoi, tu manges les noyaux ? ». « Oui, dit le premier : celui qui m’a vendu les dattes m’a fait payer les noyaux : pourquoi perdre cet argent en les crachant ? »


Un Arabe était à cheval avec sa femme en croupe ; il part à la chasse il voit beaucoup de gazelles. L’Arabe aime bien sa femme : il lui dit : « Laquelle veux-tu, que je tue ?». La femme dit : « Je veux que tu casses les deux cornes à un mâle, et que tu plantes deux flèches dans la tête d’une femelle à la place des cornes ». Il casse deux cornes à un mâle. Il envoie les deux flèches à une femelle à la place des cornes. Il dit à la femme : « Est-ce bien ? ». « Oui, dit elle, mais je veux maintenant que d’une flèche tu casses le sabot d’une biche et tu déchires son oreille ». Le mari prend une pierre, la jette sur l’oreille d’une biche, qui s’arrête et se gratte l’oreille. Alors d’une flèche il lui perce l’oreille et lui casse le sabot. Il dit à la femme : « Est-ce bien ? ». « Oui » répond-t-elle.




LES RUSES DES FEMMES


Un Arabe voulait écrire un livre sur les femmes : il avait déjà un grand livre écrit quand il va chez le roi, qui l’envoie loger chez une femme qu’il aimait beaucoup. Il tue un taureau pour l’Arabe, et dit à la femme de bien le soigner. L’Arabe est mis en confiance par la femme. Un jour elle causait avec lui et dit : « Quelle affaire t’amène chez le roi ? ». « C’est, dit-il, pour connaître bien les femmes ». « N’est-ce que cela ? » dit-elle. « Oui », répond l’homme.

La femme songe à faire à cet homme un tour qu’il n’ait jamais ni vu ni entendu. Elle lui fait croire qu’elle voulait coucher avec lui, bien que ce fut faux. Un jour elle lui dit : « Je voudrais que tu couches avec moi ». L’Arabe dit : « N’est-ce que cela ? » « Oui », dit-elle. « Eh bien ! nous verrons demain ».

La femme fait cuire du riz avec du poisson. Le lendemain elle dit : « Le repas est prêt, veux-tu coucher avec moi avant ou après manger ? ». « Peu m’importe » dit l’Arabe. « Eh bien ! Mangeons d’abord ». Le repas fini, la femme va se coucher, l’Arabe va la rejoindre, défait la ceinture de son pantalon, et se glisse entre les jambes de la femme : la femme réunit ses jambes sur son dos et lui serre le cou, puis se met à crier et pleurer. Elle appelle les gardes du roi : quand ils sont là, elle repousse l’Arabe et les gardes entrent. Elle leur dit : « Voilà ce que c’est : cet homme m’a été envoyé par le roi avec ordre de bien le soigner : je lui ai fait cuire du riz avec du poisson : mais une arête est resté dans son gosier et il serait mort si je ne lui avais donné un coup de poing sur la nuque ».

Les gardes disent à l’homme : « Maintenant tu peux partir ».

La femme dit à l’Arabe : « Depuis que tu as commencé à écrire les ruses des femmes, as-tu vu celle-là ? ».

L’Arabe dit : « Je ne l’ai jamais vu ». La femme dit : « Sache que les ruses des femmes sont infinies : jamais aucun homme ne les connaîtra toutes ».




Un Arabe très jeune avait pour amie une femme mariée. Il lui dit un jour : « Quand tu sors, où dis-tu à ton mari que tu vas ? ». « Je lui dis que je vais chez ma mère ». Il écrit cela dans ses tablettes. Le lendemain il lui demande la même chose : elle répond : « Je lui dis que je vais chez mon grand frère ». Il l’écrit aussi. Le troisième jour même question : elle dit : « Je dis que j’ai été me baigner au fleuve ». Il l’écrit aussi. Le quatrième jour, la femme dit au mari qu’elle va chez son amie. L’ami écrit aussi cela. Puis il épouse une jeune fille. Quand celle-ci lui dit qu’elle va chez sa mère il lui dit : « Allons ensemble ». De même si, elle veut aller se baigner, ou aller chez son grand frère, ou chez son amie.

La femme lui dit : « Je ne veux pas de cette surveillance, si tu veux me suivre, je demande le divorce. » Elle s’en va chez ses parents. Le père va dire au mari : « Il ne faut pas agir de la sorte ». Le mari dit : « Attends un peu ». Il va chercher ses tablettes et les montre au père. Celui-ci lui dit : « Ce n’est pas là un moyen pour empêcher ta femme de te tromper ». Il dit : « C’est vrai », et ne l’a plus fait.

Un voyageur vient trouver un Arabe dans son pays : il avait fait un mauvais tour à cet homme qui ne l’écoute pas. Il lui dit : « Quoi tu te fâches parce que je t’ai joué un mauvais tour ? Eh bien ! moi aussi j’ai un pays et j’y vais ». « Écoute, dit l’autre : il y avait beaucoup d’abeilles qui vivaient dans un arbre creux : un moustique un jour d’orage se réfugie dans ce trou : les abeilles ne le savaient pas. L’orage fini : il leur dit : « Abeilles, je vais m’en aller, laissez moi sortir ». Elles lui répondent : « Inutile de dire cela ! personne ne t’a vu rentrer ; pars de même ! »

L’Arabe ajoute : « Tu n’as qu’as faire de même et à partir sans prévenir personne ».[64]

  1. Bière de mil.
  2. nio, la respiration, l’âme.
  3. Dans laquelle il suffit de dire le nom d’une personne pour qu’elle vienne.
  4. Douze kilomètres.
  5. Xylophone en usage au Soudan.
  6. Ceintures de perles portées par les femmes sur les hanches.
  7. Trente-quatre kilos environ : la valeur du moule, ou Mouddo, varie dans de grandes proportions suivant les lieux.
  8. Lit de repos en branches, couvert de nattes.
  9. La légende de Soundiata été reproduite, avec plus ou moins de variantes par :

    R. Arnaud : L’Islam et la politique musulmane française. Comité de l’Afrique française, 1912, p. 168.

    G. Adam : Légendes historiques du pays de Nioro. Paris. Challamel, 1904, p. 39.

    M. Delafosse : Haut Sénégal Niger. Paris. E. Larose, 1912.

    Lanrezac : Légendes soudanaises. Bull. Soc. Géogr. Commerc. Oct. 1907, p. 610.

    Elle m’a été dite à Nioro par un griot Kassonké assez réputé, Kandé Kanoté : les versions que j’en ai recueillies plus tard ne m’ont donné que des variantes insignifiantes que je n’ai pas cru utile de reproduire.

  10. Racontée à Nioru par Habibou Sissoko, griot Kassonke.
  11. L’Égypte.
  12. Son âme.
  13. Dialecte Kassonké.
  14. Simangourou est enterré à Koulikoro, à Niania Kourou. Actuellement, si quelqu’un dit près de sa tombe : « Simangourou a été un grand roi », il répond : « Oui, j’ai été un grand roi ». Aussi, on ne chante rien sur Soundiata à Koulikoro. Quand on passe en barque devant le rocher de Niania, il ne faut pas prononcer le nom de Keïta (famille à laquelle appartenait Soundiata), sinon la barque coule. Quand une femme stérile veut avoir des enfants, elle se rend sur le rocher, y sacrifie un mouton, ou bien promet que son enfant s’appellera Nianenkoro, si c’est un garçon, ou Nianamba, si c’est une fille. Alors elle devient féconde.
  15. Cf. une histoire analogue in : Contes populaires de la Vallée du Nil, par Artin Pacha : Paris, Maisonneuve, 1895, intitulée « Frère et Sœur ». Conte nègre du Soudan oriental.
  16. Colporteurs indigènes.
  17. Bouillie épaisse de mil.
  18. Tam tam ou tambour, insigne de pouvoir.
  19. Varan, sorte de grand lézard.
  20. Voir un thème analogue dans le Manuel français bambara, par Travelé.
  21. Détail surprenant, mais que je me suis fait confirmer. D’ordinaire les femmes Soudanaises ignorent la couture.
  22. Landeroin a donné une autre version de ce conte, d’origine haoussa : cf. Documents scientifiques de la Mission Tilho.
  23. M’a été raconté, en français, par un Malinké des environs de Bamako, Zagné Taraoré.
  24. Naja nigricollis, espèce très venimeuse.
  25. Raconté par Kandé Konaté, griot Kassonké.
  26. Bière de mil.
  27. Cf. le conte du lièvre cultivateur, passim, et L’éléphant, l’hippopotame et le lièvre, in : Étude sur les Soninké ou Sarakolé, par F. Daniel : Anthropos : 1910, fasc. 1.
  28. Antilope de grande taille
  29. Rappelle un conte analogue donné par Froger : Étude sur la langue des Mossi : Paris, Leroux, 1910
  30. Tamtam ou tambour qui est l’insigne du pouvoir
  31. Bakary Diawando m’a dit cette légende à Nioro : Non loin de ce centre vivent des Peulh Diaoubé, qui la racontent également.
  32. Recueilli à Kourouté entre Nioro et Goumboubou d’un vieux laobé, Demba Kébé, qui séjournait avec sa famille, composée d’une douzaine de personnes.
  33. Raconté par Bilali Sankaré, de Djenné.
  34. Les indigènes affirment que le trou du crocodile, dans la berge des marigots, a sa partie supérieure au dessus du niveau de l’eau et qu’on y peut respirer ; l’entrée est toujours au fond de l’eau. Le djiné, esprit malfaisant des eaux, se confond souvent avec le crocodile, dont il a les procédés ; cf. le conte de l’arbre creux, passim.
  35. M’a été dit à Nampala (cercle de Sokolo), par Mamadou Ba, chef des Ouorbé, et ancien interprète.
  36. Amadou Sangor, tisserand de Nioro, m’a raconté cette série.
  37. Voir Lanrezac, Légendes soudanaises, qui l’appelle Gueladji, et en raconte des anecdotes assez différentes.
  38. Je ne permets à personne de frapper mon oncle.
  39. Niabardo dans Lanrezac.
  40. Mélange de mil et de graines de coton pilées, que l’on mange avec de l’eau.
  41. Marabout.
  42. Les récits concernant la Dioufounou et le Guidioumé m’ont été dits à Yélimané (cercle de Nioro), par Gagny Niakhaté, chef du canton du Diafounou, et de race Sarajolé. Ils ont paru en 1908, dans l’Anthropologie.
  43. Soit une dizaine de kilomètres.
  44. Dû à Bilali Sankaré, de Djenné.
  45. Esprit des eaux.
  46. En toucouleur : chef du marigot.
  47. Bambana est un quartier de Djenné qui a donné son nom à une partie du marigot qui passe devant.
  48. Entendu à Talebdak, au N. E. d’Agadez (Aïr).
  49. Ces six récits ont été recueillis par moi à Terazerer, dans l’oued Taferrer (Aïr)
  50. Hyrax : Koulibali en bambara.
  51. Alzein — djinn ; talzeint — gennia.
  52. Les Touareg ignorent ce qu’est devenu ce bétail sans tête.
  53. Enad, artisan, en tamacheq.
  54. Ce récit et les deux suivants m’ont été racontés par Oumarou Maïga, laptot du Niger, originaire du Djerma
  55. Grenier à grains
  56. Probablement l’antilope addax.
  57. Cette série m’a été contée à Nioro par un marabout peulh, Amadou ould Hamidou, descendant d’Amadou Cheikou, fils d’El Hadj Omar. Il passait pour détenir de nombreux manuscrits arabes, entre autre ceux des Mille et une Nuits, d’Ila Mounaz, et d’Horo Abou’l Kaïs.
  58. Tirée d’un ouvrage arabe intitule : Ila Mounaz, que possédait le marabout Amadou ould Hamidou.
  59. Tiré des Mille et une nuits.
  60. La Chine.
  61. Tiré de Horo Abou’l Kaïs.
  62. Tiré de Haïatou Haïaouan.
  63. Tiré de Ila Mounaz
  64. Artin pacha in Contes populaires de la vallée du Nil (Paris, Maisonneuve, 1895) conte l’histoire suivante (p. 10) :

    « Un moustique se pose sur les hautes bran- ches du dattier pour se reposer. Une fois reposé il dit au dattier : « Tiens toi bien, je vais m’envoler ». Le dattier lui répondit : « Je ne t’ai pas senti te poser sur moi, et si tu n’étais pas si près de mes oreilles, je ne t’aurais même pas entendu parler : tu peux prendre ton vol sans que je m’en aperçoive ». Le moustique s’en alla tout dépité.