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Contes du lit-clos/Bonheur manqué

La bibliothèque libre.
Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 231-232).


BONHEUR MANQUÉ




Quand je quittai les paysans
Qui veillaient sur mes premiers ans
Dans une bourgade endormie,
Je ne pleurai pas les bons vieux
Mais Lison, l’enfant aux beaux yeux
Que j’appelais « ma bonne amie ! »

Je l’emmenai, le dernier soir,
À travers les champs de blé noir
Promener, dans le clair de lune,
Et lui jurai dans un baiser,
De m’en revenir l’épouser
Quand j’aurais trouvé la Fortune !

Mais, à la chercher, comme un fou,
De ci, de là… je ne sais où,
Mon existence s’est passée ;
Et ce n’est que de loin en loin
Que je songeais au petit coin
Où m’ « espérait » ma fiancée.

Enfin, par un beau jour d’été
Vieilli sans m’en être douté,
Je revins dans notre village :
Une petite fille en deuil
Jouait au soleil sur un seuil,
Près d’une vieille au doux visage.


Et la fillette, trait pour trait,
Me parut le vivant portrait
De ma camarade d’enfance :
C’était bien l’azur de ses yeux
Et l’or de ses cheveux soyeux,
Et son sourire d’innocence !

« Ta maman, lui dis-je tout bas,
« Se nomme Lison, n’est-ce pas ?
— Maman ? Elle est au cimetière.
« Mais, si Lison, certainement,
« N’était pas le nom de maman…
« C’est celui de bonne Grand’mère ! »

Et, le cœur empli de remords,
Je me penchai vers les yeux morts
De l’aïeule assise à sa porte
Où, comme dans un vieux miroir,
Un court instant je crus revoir
Notre Jeunesse à jamais morte !

Puis j’embrassai, comme jadis,
Un front d’enfant, et je partis,
Très vite, sans tourner la tête…
Mais, seul, au bout du grand chemin,
Très longtemps, le front dans la main,
J’ai sangloté… comme une bête !…








(Musique de Théodore Botrel. — G. Ondet, éditeur.)