Contes du lit-clos/La Chanson du sabotier

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Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 291-292).


LA CHANSON DU SABOTIER






Vire, vire, ma terrière !
Vole, vole, mon paroir !
Au mitan de la clairière
Trimez du matin au soir !

Dans la forêt solitaire,
Virez, volez sans repos :
Faites voltiger à terre
L’or et l’argent des copeaux !

Ohé ! fouillez dans vos poches !
Ohé ! les riches fermiers !
Faut des sabots pour vos mioches
Ils sont nus leurs petits pieds !

Faut des sabots pour vos mères
Afin d’aller aux pardons ;
Des sabots pour vos commères
Pour danser les rigodons.

Pour les jeunes, pour les vieilles,
Pour toutes faut des sabots ;
J’en ai qui sont des merveilles
Tant ils sont légers et beaux !

J’en ai de lourds, tout en chêne,
Des coquets en merisier ;
J’en ai des petits en frêne,
Et des gros en châtaignier !


Venez me voir dans mon antre
De hêtres et de bouleaux :
Chez moi sans frapper on entre,
Car mon huis n’est jamais clos.

Venez ! Jamais je ne triche !
Mes clients s’aident entre eux :
Cinq sous de plus pour le riche,
Cinq sous de moins pour le gueux.

Qu’elle est belle ma boutique,
La boutique au sabotier !
C’est comme une église antique
Que j’aurais pour atelier :

Les peupliers, par centaines,
En sont les rudes piliers ;
Les étangs et les fontaines
En sont les grands bénitiers,

Chaque soir, devant ma hutte,
J’écoute chanter, là-bas,
Le grand Vent dans une flûte
D’un orgue… qu’on ne voit pas !…

Ah ! les heureux que nous sommes,
Si libres sous le ciel bleu :
D’être loin, si loin des hommes
On est près, plus près de Dieu !








(Musique de Théodore Botrel. — G. Ondet, éditeur.)