Contes du lit-clos/La Lettre de la fauvette

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Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 261-264).


LA LETTRE DE LA FAUVETTE




Hier, dans l’écorce béante
D’un vieux chêne fleuri de houx
— Primitive poste-restante —
J’ai découvert ce billet doux :


« Monsieur Pinson, propriétaire,
Professeur de chant, demeurant
Dans le grand jardin du notaire
Sur le troisième arbre, en entrant.

Monsieur, j’ai reçu votre lettre
Toute palpitante d’amour ;
Je suis imprudente, peut-être,
En y répondant à mon tour,

Car bien des jaloux, à la ronde,
Nous observent d’un œil furtif…
Que nous veut donc ce méchant monde,
Puisque c’est pour le bon motif ?

Puis, si maman savait la chose,
Tout serait bel et bien fini !
Sans examiner notre cause
Elle me chasserait du nid.


Et je ne veux pas qu’elle pleure
Surtout, surtout en ce moment !
Songez !… je ne suis pas majeure
Il nous faut son consentement !

Je vous écris donc, en cachette,
Sur la feuille d’un romarin :
La crainte me trouble la tête ;
C’est pourquoi je griffonne un brin.

Et, tandis que ma plume folle
Cause gaîment de l’avenir,
Auprès de vous mon cœur s’envole
Sur les ailes du souvenir.


Nous nous vîmes, à la vendange,
Tous deux, pour la première fois,
À la noce d’une mésange
Avec un rossignol des bois.

Vous escortiez une hirondelle
Qui n’y voyait plus que d’un œil ;
Pour moi, je m’appuyais sur l’aile
D’un vieux galantin de bouvreuil.

D’un commun accord, nous quittâmes
Nos compagnons laids et quinteux,
Et, côte à côte, nous marchâmes
Sans plus nous inquiéter d’eux.


Un merle, aussi noir qu’un diable,
Consacra vile l’union ;
Un vieux capucin vénérable
Donna sa bénédiction :

Puis, ensuite, au bal, sur la mousse,
Vous n’avez dansé qu’avec moi,
Me parlant d’une voix si douce
Que je croyais mourir d’émoi.

Mais ce ne fut pas sans murmures
Que nous quittâmes le festin :
En avons-nous mangé des mûres
Et picoré du bon raisin !

Pour finir, vous m’avez grisée
Sans pitié, monsieur l’enjôleur,
En versant l’exquise rosée
Dans le calice d’une fleur.

Si bien que je perdais la tête,
Chancelant comme les roseaux…
C’est joli pour une fauvette
Qui sort du Couvent des Oiseaux !

Comme, la nuit, je suis peureuse,
Tous deux nous prîmes notre vol,
Pendant que la mésange, heureuse,
Fuyait avec son rossignol.

Et, ma foi, puisque j’entends dire
Que j’atteins l’âge de l’amour,
Comme eux deux je voudrais construire
Un beau petit nid, à mon tour.


À nous aimer tout nous invite ;
Notre avenir sera charmant !
Allons, monsieur, venez bien vite
Demander ma patte à maman.

J’aurais bien des choses à mettre ;
Mais, vraiment, c’est assez jaser…
Je termine donc cette lettre
Et cacheté avec un baiser.

Et, tandis que mon cœur en fête
De l’espoir chante la chanson,
Je signe encor : Mimi Fauvette,
En attendant : Mimi Pinson !








(Musique de Georges Hamel. — G. Ondet. éditeur.)