Contes du lit-clos/La Rencontre

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Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 237-240).


LA RENCONTRE




En ce temps-là, Jésus parcourait la Judée
Suivi de Jacques et Jean, les fils de Zébédée.

Or, comme le soleil incendiait leur front,
Ils entrèrent tous trois dans la forêt d’Ebron.

Et Jacques dit : « Seigneur, voyez ce sycomore,
Couchons-nous à son pied !… » Jésus dit : « Pas encore ! »

Plus loin, Jean s’écria : « Maître, entendez-vous pas
Une source qui chante et soupire tout bas ?
Écoutons sa Chanson en buvant son eau fraîche. »
Et Jésus répondit : « La Loi que je vous prêche
« Défend de s’attarder aux sources du Chemin
« Avant d’avoir fini sa tâche, car Demain,
« En vérité je vous le dis, n’est qu’à mon Père :
« Un homme est en péril en ce bois ; il espère
« Que quelqu’un surgira, soudain, pour le sauver ;
« Cet homme est ici-près : l’entendez-vous pleurer ?
« Hâtons-nous, hâtons-nous ! la Source de la Vie
« Plus que celle des Bois est vivement tarie…
« Tristes bergers, mauvais pasteurs, en vérité,
« Ceux que lassent la Soif et le Soleil d’Été ! »

Et Jésus s’éloigna, suivi de ses Disciples.

On entendait, au loin, de longs appels multiples,
Si terribles, si las et si désespérés
Que les oiseaux des bois se taisaient, effarés,

Et que les grandes fleurs et les petits brins d’herbe
Que frôlait le Seigneur radieux et superbe
En oubliaient, du coup, de saluer leur Dieu.

La Clairière s’ouvrit et, soudain, en un lieu
Lugubre, plein de rocs, de lianes, d’épines,
Propice à l’embuscade et propice aux rapines,
Un lieu dont l’Apreté, la Désolation
Semblaient faites pour l’antre horrible d’un lion,
Ils virent un Voleur au sinistre visage,
À la bouche tordue, à l’œil torve et sauvage,
Souple comme un chacal, velu comme les loups,
Qui tenait un passant dans ses épais genoux,
Et menaçait déjà sa victime abattue
De son poing lourd, armé d’une lame pointue.

Jésus tendit la main en disant : « Sois sauvé ! »
Et le bras que levait l’homme… resta levé !
— On eût dit la statue, en granit roux, du Crime —

Jacques et Jean, de sous lui, tirèrent sa victime.

C’était, dit l’Évangile, un marchand de Kérioth ;
Il venait du marché d’Ebron, et son chariot,
Demi-vide déjà de ses pièces de laine,
Était là, renversé : — mais sa poche était pleine
(Le Voleur le savait) de beaux deniers d’argent.
« Adore ton Sauveur, lui dirent Jacques et Jean,
« Et suis-nous sur les pas du Christ à barbe blonde,
« Car il est le Messie et le Sauveur du Monde ! »

Et l’homme répondit : « Certes, je le suivrai ;
« Mais… plus tard… dans un mois… aussitôt que j’aurai

 
« Bien placé mes deniers, bien cédé mon Commerce. »
Puis, redressant son char gisant à la renverse,
Pressé de rattraper ces longs instants perdus,
Il salua Jésus, Jacques et Jean confondus,
Et s’en fut à grands pas, vers le Sud, vite, vite…
…Comme si le Voleur était à sa poursuite.

Jean, montrant celui-là qui volait et tuait,
Toujours au même endroit, paralysé, muet,
Cria : « Que ferons-nous de ce brigand, Ô Maître ?
« Il mérite la Mort, ce voleur et ce traître !
« Si vous le permettiez, Jacques et moi nous irions
« À la Ville chercher quelques centurions. »

Et Jésus répondit : « Non, cet homme doit vivre :
« Après avoir jeté son long couteau de cuivre,
« Qu’il aille vers le Nord et marche jour et nuit
« Jusqu’à l’heure où mon Père aura besoin de lui. »

Et le bandit sinistre et roux comme une bête
Baissa, baissa plus bas encor sa lourde tête,
Se traîna jusqu’au Christ et, d’un geste câlin,
Baisa, les yeux en pleurs, sa tunique de lin…
Puis il s’en fut plus triste en la forêt plus sombre,
Suivi par son Remords comme on l’est par son Ombre.

Jacques et Jean, stupéfaits, regardaient Jésus-Christ.

Et Jésus murmura : « Vraiment, c’était écrit :
« L’un et l’autre il fallait qu’aujourd’hui je les sauve. »


Et Jean dit : « Quels sont donc cet Ingrat et ce Fauve ? »

Et Jésus répondit en soupirant tout bas :
« L’un se nomme Judas et l’autre Bar-Abbas ! »








(Cette poésie est éditée séparément. — G. Ondet, éditeur.)