Contes du lit-clos/Péri en mer

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Contes du Lit-ClosGeorges Ondet, Éditeur (p. 169-173).


PÉRI EN MER !…




… Hélas ! dans les vingt ans que j’ai fait la Grand’Pêche
J’en ai-t-il vu mourir des Terneuvas ! — N’empêche
Que s’il est une mort que je n’oublierai pas
C’est celle du premier de mes quatre grands gâs !

Je vas en quelques mots vous en conter l’histoire :

Nous étions tous plongés dans la nuit la plus noire
Quand, mon quart achevé, très las, je m’endormis,
Vautré dans l’entrepont à côté des amis ;
Il faisait cependant un bien rude tangage :
Le Vent, dans nos deux mâts, hurlait, faisait tapage ;
Et, vraiment, pour dormir ainsi que nous dormions
Il fallait être morts à demi : nous l’étions !

Une main, tout à coup, me pousse ; et je me lève,
Croyant que c’est déjà l’équipe de relève
Et que mon gâs s’en vient se coucher à son tour ;
Comme il faisait toujours aussi noir qu’en un four
Je demande : « Est-ce toi, mon petit ? »… Mais, dans l’ombre,
Une voix nous cria : « Debout, les gâs ! On sombre :
« Huit hommes à la pompe et le reste là-haut ! »
J’attrape mon « ciret » puis, ne faisant qu’un saut,
J’arrive sur le pont que la Vague féroce
De bout en bout balaie à chaque instant, la rosse !
Mais, voilà que, sinistre, un cri traverse l’air :
« À l’Avant, par tribord, un homme dans la Mer ! »
Tonnerre ! si le bougre en réchappe, me dis-je,
Ce sera par un coup qui tiendra du prodige !
D’autant que nous avions touché sur un écueil…

J’avançais à tâtons vers l’Arrière et, de l’œil,
Je cherchais mon Yanik, quand, devant moi, très vague,
Je crois apercevoir au sommet d’une vague
Le corps du naufragé dont nul ne sait le nom…
« Peut-on mettre un doris dehors ? » criai-je. « Non !
« Ce serait envoyer vers une mort certaine
« Cinq hommes pour le moins, cria le Capitaine,
« Et je dois les garder pour le salut commun ! »
Je répondis : « Patron ! vous n’en risquerez qu’un :
« Qu’on noue à ma ceinture un bon morceau d’écoute
« Pour que j’aille quérir l’ami qui boit sa goutte ;
« Il ne sera pas dit qu’un Breton, qu’un marin,
« Laisse un être en péril sans le défendre un brin ! »
Et me voilà sautant par-dessus le bordage,
Nageant ferme, vers l’autre, au bout de mon cordage
Et, de loin, lui criant de temps en temps : « Tiens bon ! »
Enfin, à mes appels, au large, un cri répond,
Lugubre, déchirant, plus haut que la Tourmente,
Et, dans la pauvre Voix qui hurle et se lamente,
Je reconnais la Voix de mon gâs… de Yanik
Que je croyais toujours à l’arrière du brick !…
Ce fut un rude coup pour mon vieux cœur de père !
Mais je nageais plus vite en lui criant : « Espère ! »
Enfin, à la lueur d’un éclair aveuglant
J’aperçois, pas très loin, son visage tout blanc,
Aux pauvres yeux hagards, à la bouche tordue
Qui m’appelait toujours d’une Voix éperdue !…
Et je nageais ! et je nageais, l’Espoir au cœur,
Quand, tout à coup, je sens en frissonnant d’horreur
Que, malgré mes efforts, je demeure sur place…

— Vous vous dites, pas vrai, qu’à la longue on se lasse :
Espérez !… car le plus terrible n’est pas dit ! —

Si je n’avançais plus c’est qu’un filin maudit
Qu’à ma ceinture avait noué le capitaine

Était trop court, hélas ! de trois mètres à peine ;
Quelques brasses de plus et j’empoignais mon gâs !…
Je voulus détacher l’écoute… et ne pus pas,
La couper… encor moins… et je hurlais de rage ;
Et mon pauvre Yanik, emporté par l’orage,
Disparut à ma vue et sombra sans recours
En poussant un long cri… que j’entendrai toujours !…

Ah ! la Mée ! Ah ! la Mée ! Ah ! la gueuse des gueuses !
Elle en fait-il des malheureux, des malheureuses !
À croire que tant plus on est à l’adorer…
Tant plus Elle a plaisir à nous faire pleurer !…




Cette poésie est éditée séparément. — G. Ondet, éditeur