bookContes du soleil et de la pluieMaurice LeblancL’Auto1903-04-06ParisVLeblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvuLeblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/1477-481
L’Avenir de la Race
Il est vraiment réconfortant de suivre
l’effort admirable par lequel notre pays
s’acharne à reconquérir dans le monde
la place que des malheurs inouïs et la
défaveur du destin lui ont momentanément
fait perdre, et il n’est point de
meilleure réponse à ceux qui désespèrent
que de leur montrer, jusque dans
les plus petites choses, l’obstination et
l’ingéniosité de cet effort. La France en
décadence ! Mais une nation qui déchoit
se plaît en sa torpeur, ne lutte plus, s’abandonne.
Chez nous, au contraire,
partout où le mal apparaît, se manifeste
une tentative de résistance, plus ou
moins vite transformée, d’abord en volonté
de guérir, puis en guérison,
Chacun dans sa sphère agit, des groupements
se forment, les bons esprits
cherchent et trouvent les solutions, les
journaux surtout, organes fidèles de
l’opinion, sont attentifs, fureteurs, indiscrets,
effrontés, débordants de vie et
de passion, merveilleux d’émulation et
de persévérance. Ils signalent, font du
bruit, ils créent des courants, ils brisent
les inerties, ils inventent des mots, ils
lancent des idées, féminisme, éducation
logique des enfants, alimentation plus
rationnelle, colonisation, universités populaires,
diffusion de la langue française.
Que sais-je encore ! C’est une fermentation
miraculeuse qui prouve l’extraordinaire
vivacité de notre cher pays.
Mais peut-être n’y a-t-il rien de comparable
au prodigieux mouvement qui
s’est dessiné depuis plusieurs années en
faveur des exercices du corps, et qui
maintenant nous entraîne tous vers un
idéal de régénération physique qui chaque
jour se précise et devient plus conscient.
Nous avons compris que le salut
était là, dans une défense opiniâtre
contre toutes les causes d’affaiblissement
et de ruine qui se sont attaquées à
nous, et que c’était, à proprement parler,
une question de vie ou de mort.
L’Auto est au premier rang de ceux
qui combattent le bon combat. Sa très
intéressante enquête sur l’efficacité des
sports au point de vue de la tuberculose
et de l’alcoolisme le montre une fois de
plus.
⁂
Sur cette efficacité, je crois que tout le
monde est d’accord et qu’il est inutile
d’en discuter. Mais quels sont les moyens
de réalisation dont nous disposons ?
C’est à ce propos que je voudrais présenter
quelques observations.
Tout d’abord écartons la bicyclette, et
en général toute espèce de sport dont
l’utilité est par trop directe et palpable
pour qu’il soit besoin d’en prôner les
mérites. La bicyclette se suffit à elle-même.
Ce qu’elle a d’immédiatement, je
dirais presque de grossièrement utilitaire,
comme moyen de transport, comme
supplément aux facultés motrices vraiment
incomplètes de l’homme, la destine
à un avenir que le présent peut à
peine faire prévoir.
Mais comment propager des sports
qui n’ont pour les recommander que
leur seul agrément ? Comment imposer à
l’ouvrier, au paysan, au petit bourgeois,
le goût du football, de la course à pied,
ou des haltères ?
N’hésitons pas à le dire nettement :
tout ce que l’on tentera auprès de nos
générations actuelles d’hommes faits,
d’adultes, est d’avance et irrémédiablement
condamné à échouer. L’artisan de
notre époque, l’homme du peuple, ne
jouera ni au football ni à la paume. Il
est trop tard, ses habitudes sont prises.
Vous ne le détournerez pas du cabaret et
des sports de cabaret, jeux de cartes, de
dés ou de dominos, jeux de billard ou de
bouchon, tous les jeux enfin qui ont
pour corollaires et pour stimulant le petit
verre ou la chopine. Abruti de travail,
brisé par une dépense musculaire
trop grande et par des efforts fastidieux,
monotones et sans diversité, il ne désire
que se reposer et boire. Hélas ! qui
lui en voudrait ?
De ce côté donc rien à tenter. Mais tout
est possible au contraire du côté des générations
montantes. Ne l’oublions pas
d’ailleurs, le bien social que l’on essaye
de faire ne se réalise jamais que chez
ceux qui viennent, et c’est à nos enfants,
tout au plus à nos cadets, que profiteront
nos vaillantes entreprises. Qu’importe !
la tâche en est-elle moins belle et
moins séduisante ?
Ainsi l’éducation physique des enfants
et des adolescents, voilà l’unique but.
Pour cela je vois deux auxiliaires précieux…
ou plutôt je voyais, car Henri
Desgrange avec son intelligence éminemment
pratique et son sens très juste
de ce qu’il y à d’immédiatement réalisable
dans une idée, Henri Desgrange
m’a « coupé l’herbe sous le pied » en
préconisant dès l’abord la pratique des
jeux sportifs chez le soldat. Je n’y insisterai
donc pas, me réservant, si la question
intéresse le public, de développer
dans un autre article l’excellente idée de
notre directeur, et d’étudier plus spécialement
le rôle, tout indiqué en cette occasion,
de l’officier, premier auxiliaire
que je proposais.
Reste le second, qui est peut-être le
plus important, l’instituteur.
⁂
Oui, c’est à l’instituteur que nous devons
nous adresser, c’est par son intermédiaire
que nous devons parler aux
enfants et répandre parmi eux l’habitude
des exercices athlétiques. Et comme sa
parole sera vite comprise, et ses conseils
rapidement exécutés ! L’enfant n’est-il pas, par excellence et tout naturellement,
un être sportif, c’est-à-dire un être à
forces croissantes et chez qui l’effervescence
chaque jour plus grande de la vie
provoque un débordement d’énergie utilisable ?
Pensez que chaque jour l’enfant
gagne en poids, en taille, en muscles.
Quel motif d’ivresse physique ! Quel beau
terrain de culture sportive !
Sans compter que l’enfant a le goût
inné, l’intuition, la passion du sport,
que tous ses amusements sont sportifs,
qu’il court en jouant plus volontiers
qu’il ne marche, et que l’exercice rationnel
que nous lui demandons ne sera pas
un devoir, mais une distraction, une
récréation, une partie de plaisir.
Plaisir qui nécessite quelques dépenses,
dira-t-on.
En effet, mais outre que ces frais peuvent
être couverts par de très minimes
cotisations, n’est-il pas facile de trouver,
dans chaque quartier comme dans chaque
village, quelque fervent de nos idées
qui Sera trop heureux d’aider à leur application
en fournissant un ballon de
football ou des raquettes de tennis, ou
bien en dotant de quelques pièces blanches
telle course disputée le long des
routes ou à travers champs ?
Que l’instituteur cherche et il trouvera.
Qu’il agisse et il réussira. Qu’il prêche
d’exemple, qu’il convainque ses collègues,
qu’après avoir entraîné son école,
il organise de village à village des luttes
et des matches, qu’il exige de la commune
l’attribution de terrains spéciaux,
la place ne manque pas, qu’il frappe à
toutes les portes, qu’il sollicite les souscriptions,
qu’il forme des jurys, des comités
de patronage, des réunions de
compétences (pour avoir l’air de compétents,
que de gens dénoueraient les cordons
de leur bourse ! et n’est-ce pas l’essentiel ?)
S’il a besoin de conseils, qu’il nous
les demande. L’U.S.F.S.A. a publié, si
je ne me trompe, les règles des différents
jeux athlétiques. En tout cas,
l’Auto, j’en suis sûr, ne se lasserait pas
d’en répéter l’explication, et même, au
besoin, se chargerait d’éditer de petites
brochures auxquelles souscriraient et
que distribueraient tous ceux qui s’intéressent
à la question.
⁂
Ah ! si chacun de nous, vieux et jeunes
initiés, littérateurs avides d’échapper à
la littérature, artistes épris de beauté et
de force, hommes de cercle, habitués
des hippodromes et des vélodromes, fervents
de la pédale, du fleuret, de l’aviron,
du fusil, du patin, ou même oisifs
désireux de trouver un aliment à leurs
loisirs, si chacun de nous voulait s’engager,
au cours de sa villégiature estivale,
à faire un peu de propagande,
comme il lui serait aisé de sortir du château
ou de la chambre d’auberge qu’il
habite, pour aller voir ce qui se passe
dans l’école voisine ! Comme il parviendrait
sans peine à convaincre l’instituteur
que parmi tous les devoirs qui lui
sont dévolus (pour mille francs par an,
hélas !) il n’en est pas de plus noble, de
plus utile et de plus attrayant, que de
travailler au perfectionnement physique
de ses élèves et, par là, au relèvement de
la race.
Ensemble ils feraient les premières
démarches. Ensemble ils choisiraient le
terrain, élaboreraient un programme
simple et logique, en un mot mettraient
la chose sur pied.
Et dans vingt ans nous aurions un
pays régénéré, guéri de ses deux grandes
tares : la tuberculose et l’alcoolisme.
Quelle serait ma fierté si cet article
pouvait provoquer, parmi ceux qui le
liront, au moins quelques tentatives isolées…
ne fut-ce qu’une seule… ne fût-ce
que la mienne !
Ces tentatives, l’Auto se ferait un plaisir
d’en publier le compte rendu, d’en
suivre le progrès, et surtout d’en constater
la réussite.