Contes et fables indiennes, de Bidpaï et de Lokman, tome 1/Chapitre I

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CHAPITRE I.

Qu’il ne faut pas écouter les diſcours des médiſans.


Le premier enſeignement du teſtament, dit Dabchelim au Bramine, porte que celui qui ſe trouve honoré de la faveur d’un Sultan, devient d’abord l’objet de l’envie, tant des peuples que des courtiſans, & que ceux de ces derniers qui approchent le plus près de la perſonne du Prince, employent toutes les adreſſes & toutes les ruſes imaginables, pour détruire les autres dans ſon eſprit par leurs médiſances : ainſi un Monarque doit être continuellement ſur ſes gardes, afin de ne pas ſe laiſſer ſur prendre par leurs diſcours. C'eſt, d'après ce principe, qu'un Sage a dit : ne donnez pas accès auprès de vous aux médiſans, qui ne ſ'épargnent pas eux-mêmes en dardant leurs aiguillons les uns contre les autres. Ils témoignent de l'amitié en apparence ; dans le fond, ils n'ont d'autre intention que de tromper. Vénérable Philoſophe & ſage Bramine, j'eſpere que, pour me ſervir d'exemple & de modele ſur ce ſujet, vous me ferez l'hiſtoire d'un favori ou d'un Miniſtre que les diſcours empoiſonnés de l'envie auront privé de l'amitié de ſon Maître.

Croyez-moi, puiſſant Roi, répondit le Bramine; il eſt conſtant que le fondement le plus ſolide d'une Monarchie, eſt poſé ſur cette maxime : que si un Monarque prête une fois l'oreille aux discours pernicieux des courtisans animés par envie, contre ceux qu'il a favorisés de sa confiance pour l'administration de ses affaires, il n'aura pas long-temps pour eux la considération qu'il doit avoir, il les éloignera, ou même leur fera perdre la vie. Ce qu'il y a de fâcheux, c'est que l'on ne détruit pas un Ministre, que l'État n'en souffre considérablement. J'ajouterai même que toutes les fois qu'un mal-intentionné trouve le moyen de se mettre entre deux amis bien unis, il ne manque pas de dissoudre cette union par ses artifices. Un fourbe de renard en donne un bel exemple dans l'amitié qui étoit entre un boeuf & un lion, qu'il détruisit par une méchanceté ſignalée : en voici l’hiſtoire.