Contes et légendes des Bretons armoricains/Le linceul des morts

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Texte établi par Anatole Le BrazHenri Gautier Editeur (p. 337-343).


LE LINCEUL DES MORTS

Il y avait une fois un métayer, veuf, nommé Job Kervran, qui n’avait pas payé son seigneur depuis sept ans. Il avait aussi sept enfants, et tous les sept trop jeunes pour pouvoir travailler la terre et gagner quelque chose.

Son seigneur, en passant devant le cimetière de la paroisse, la nuit, voyait souvent des processions faisant le tour de l’église, et il croyait que c’étaient des morts faisant pénitence ; mais il était assez peureux, et il n’osait pas approcher, pour voir (s’en assurer). Et lui d’aller trouver son métayer et de lui dire que, s’il voulait aller passer une nuit dans l’église, il lui donnerait quittance des sept années qu’il lui devait.

Le métayer était pauvre et inquiet, et il promit d’aller. Il se rend donc à l’église, quand le sacristain va sonner l’Angelus du soir. Quand il fut seul dans l’église, les portes fermées à clef sur lui, il s’agenouilla devant l’autel, pour prier ; et il se rendit ensuite à la chambre de l’horloge, dans le clocher, d’où il voyait bien, par une fenêtre, tout ce qui était dans l’église, car la lune était claire. « À la volonté de Dieu ! » dit-il, et il attendit.

Quand sonna minuit, il entendit un grand bruit, dans le cimetière, comme d’un carrosse venant au galop sur les pierres tombales. — « Savoir, dit-il, qu’est-ce qui fait ce bruit, dans le cimetière ? »

Et il vit alors un homme, qu’il ne connaissait pas, venir de la sacristie, tenant une clef à la main ; et cet homme ouvrit la porte principale (de l’église), et aussitôt entra dans l’église un carrosse attelé de trois chevaux. Quand ils (les chevaux) furent au milieu de l’église, ils s’arrêtèrent. Alors le postillon et l’homme qui était venu de la sacristie ouvrirent le carrosse et en retirèrent un cercueil. Job Kervran, en voyant cela, se signa et les cheveux se dressaient sur sa tête, de peur.

Ils déposèrent le cercueil sur le pavé de l’église et l’ouvrirent. Il y avait dedans un corps mort, le corps d’une femme. Ils le retirèrent du cercueil et le tinrent debout. La femme enlève alors le linceul blanc qui l’enveloppait, et le jette sur le pavé de l’église. Aussitôt deux grandes dalles se lèvent avec bruit du pavé et découvrent un trou noir et profond. La femme y descend, toute nue, et son linceul reste sur le pavé de l’église. Alors les deux dalles retombent sur le trou et le recouvrent. Le postillon s’en va, avec son carrosse, et en faisant le même bruit qu’à son arrivée, et l’autre ferme la porte et retourne à la sacristie. Mais le cercueil et le linceul étaient restés au milieu de l’église.

Job Kervran était près de mourir de frayeur ; il continue de prier Dieu de lui faire la grâce d’aller jusqu’au jour, sans mal.

Aussitôt que trois heures furent sonnées, il entendit encore le carrosse qui venait au galop rouge des chevaux par-dessus les tombes du cimetière, si bien qu’il croyait que toutes les pierres tombales devaient être brisées et réduites en poussière.

― Jésus ! s’écria-t-il, ce n’est donc pas fini ? Qu’est-ce qu’il y a encore, mon Dieu ?…

Et il vit encore un homme, le même, venir de la sacristie, avec une clef à la main, pour ouvrir la porte principale ; et le carrosse, attelé de trois chevaux, s’avança encore jusqu’au milieu de l’église. Il s’arrête là, près du cercueil. Et les deux dalles se lèvent encore, avec fracas, du pavé de l’église ; la femme morte sort, toute nue, du trou, prend son linceul et s’en enveloppe le corps. Les deux hommes la couchent alors dans le cercueil, et mettent le cercueil dans le carrosse, qui part encore, avec un bruit épouvantable. L’homme qui était venu de la sacristie ferme la porte à clef et retourne à la sacristie. Job priait Dieu toujours, et trouvait le temps long, et avait hâte de voir venir le jour.

À six heures, le sacristain vient sonner l’Angelus du matin, et il s’empresse de sortir de l’église, heureux de s’en tirer sans mal et d’être quitte des sept années qu’il devait à son seigneur. Il va visiter les pierres tombales du cimetière, croyant les trouver toutes brisées et réduites en poussière. Mais elles étaient comme devant, et il ne vit traces ni de roues ni de pieds de chevaux, ce qui l’étonna. — « C’est la volonté de Dieu ! » se dit-il seulement, et il retourna à la maison. Son seigneur était là, qui l’attendait et qui lui demanda, dès qu’il l’aperçut

— Eh bien, Job, te voilà ?

— Me voici, monseigneur.

— Et sans mal aucun ?

— Oui, grâce à Dieu, monseigneur.

— Dis-moi ce que tu as vu, cette nuit, dans l’église

— Je n’ai rien vu (d’extraordinaire), monseigneur.

— Vraiment ?

— Vraiment (il ne voulait pas dire).

— Eh bien alors, tu as fait une bonne nuit et gagné aisément ce que tu me devais.

— Oui, sûrement, monseigneur, et pourtant, je ne voudrais pas y passer une autre nuit.

— Pourquoi donc ? Tu as eu peur ?

— Un peu ; je ne voudrais pas faire la même chose par curiosité ; mais, comme c’était pour gagner du pain à mes enfants, Dieu n’a pas trouvé mauvais ce que j’ai fait.

— C’est bien ! voilà quittance des sept années que tu me devais.

— Merci, monseigneur.

Et le seigneur s’en alla.

Durant la journée, Kervran ne fit que songer à ce qu’il avait vu dans l’église. Le lendemain matin, il va trouver un des vicaires (il y avait trois prêtres dans la paroisse), pendant que curé disait sa messe, et il lui raconte tout. Le vicaire, de son côté, le dit au curé. Celui-ci va trouver Kervran, chez lui, et lui demande si ce que le vicaire lui avait rapporté est vrai.

— Oui, Monsieur le curé, c’est vrai.

Alors le curé dit au vicaire :

— Ce soir, il vous faudra aller aussi passer la nuit dans l’église, pour voir si c’est vrai ce que dit Kervran, qui, peut-être, n’a fait que rêver ; et si c’est vrai, et si vous voyez aussi la morte qu’il dit avoir vue, demandez-lui ce qu’elle veut.

— C’est bien ! J’irai, Monsieur le curé, et je lui parlerai, si je la vois.

Le vicaire accompagna donc le sacristain, quand celui-ci va sonner l’Angelus du soir. Les portes sont fermées à clef sur lui, et il se met en prière devant le grand autel. Il s’asseoit ensuite sur un siège, le dos tourné à l’autel et le visage vers le bas de l’église. Quand sonna minuit, voilà qu’il entend aussi, dans le cimetière, le même bruit qu’avait entendu Kervran. Et aussitôt il voit aussi un homme venir de la sacristie pour ouvrir la porte principale. Et quand elle est ouverte, un carrosse attelé de trois chevaux noirs entre dans l’église, s’avance jusqu’au milieu et s’y arrête. Le postillon et l’autre, celui qui était venu de la sacristie, retirent un cercueil du carrosse et le déposent sur le pavé. Ils l’ouvrent et en retirent un corps mort, enveloppé d’un linceul blanc. Deux dalles du pavé se lèvent avec bruit et découvrent un trou noir et profond. La morte jette son linceul sur le pavé de l’église et descend dans le gouffre, toute nue ; et aussitôt les deux dalles retombent avec bruit, et couvrent le trou. Le carrosse part alors au galop rouge, le feu jaillit des pieds des chevaux, et l’homme venu de la sacristie ferme la porte et retourne à la sacristie ; puis un profond silence.

Le vicaire ne bougea pas de son siège, où il était comme une statue de pierre, et il n’osa souffler mot. Le lendemain matin il raconta à son curé ce qu’il avait vu et entendu.

— Il disait donc vrai, Kervran, dit le curé ; mais je pensais qu’un prêtre devait être plus hardi dans son église qu’un fermier sans instruction qui devait sept années (de loyer) à son seigneur. Et vous n’avez dit mot ? Vous ne lui avez pas demandé, à cette femme, ce qu’elle veut, comme je vous avais dit (de le faire) ?

— Je n’ai pas osé, et vous-même, Monsieur le curé, si vous aviez été là, vous ne l’auriez pas fait non plus.

— Si ! je l’aurais fait ; je ne suis pas si peureux que cela.

J’irai moi-même, cette nuit, à l’église, et je saurai ce que c’est que tout cela ; c’est peut-être une âme en peine, qui ne demande qu’une messe ou une prière pour être délivrée.

Mais le curé, bien qu’il dit qu’il n’était pas peureux, n’osait pas aller, seul, passer une nuit dans l’église, et il demanda à ses deux vicaires de l’accompagner.

Ils vont tous les trois, et ils sont étonnés de voir les tréteaux funèbres au milieu de l’église, ornés comme pour un riche enterrement ou un anniversaire.

— Comment ! dit le curé. Qui est décédé dans la paroisse, s’il y a un grand enterrement, demain, ou un anniversaire ?

— Nous ne savons pas, répondirent les vicaires, nous n’en avons rien entendu.

— Ni moi non plus ; allez demander au sacristain.

Et l’un des vicaires va demander au sacristain. Mais le sacristain aussi n’avait aucune nouvelle (connaissance) que quelqu’un fût nouvellement décédé, dans la paroisse, ni aussi qu’il y eut un anniversaire le lendemain. Il fut lui-même étonné en apprenant que les tréteaux funèbres étaient au milieu de l’église, car il ne les y avait pas placés.

Voilà donc les trois prêtres dans l’église, priant Dieu, en attendant que minuit sonnât.

Aussitôt que fut frappé le dernier coup (de minuit), voilà encore un grand bruit, dans le cimetière, (produit) par le carrosse et les Chevaux à travers les pierres tombales, et un homme vient de la sacristie, passe auprès des trois prêtres, sans faire semblant de les voir, et va ouvrir la porte principale. Aussitôt le carrosse entre dans l’église, avec les trois chevaux noirs, et s’arrête près des tréteaux funèbres. Le postillon et l’autre retirent alors un cercueil du carrosse, l’ouvrent et en retirent le corps d’une femme morte, enveloppé dans son linceul. Les deux dalles se lèvent avec fracas et découvrent un trou noir et profond, dans lequel la femme descend, toute nue, après avoir jeté son linceul sur le pavé de l’église. Alors les deux dalles retombent sur le trou, bruyamment, le carrosse part, l’homme venu de la sacristie ferme la porte et retourne à la sacristie ; et plus aucun bruit…

Le curé, un peu plus hardi que ses vicaires, s’avance alors jusqu’aux tréteaux funèbres, s’empare du linceul, l’emporte et retourne au pied du grand autel.

— Vous auriez dû faire comme moi, dit-il ; à présent, je ne lui rendrai son linceul que quand elle aura dit ce qu’il lui faut.

Un personnage ressemblant à un prêtre, si ce n’est qu’il est tout habillé en blanc, vient alors de la sacristie, tenant un cierge dans chaque main. Il en pose un de chaque côté des tréteaux funèbres, et retourne à la sacristie. À trois heures, le carrosse arrive encore dans l’église, pour prendre la morte. Celle-ci sort de la terre, et se met à rire, en voyant les deux cierges, un de chaque côté du catafalque. Elle cherche son linceul et, ne le trouvant pas, elle crie :

— Où est mon linceul ? Il me faut mon linceul !

Les trois prêtres, en entendant cette voix, sont saisis d’épouvante et voudraient être loin de là.

— Où est mon linceul ? Il me faut mon linceul ! crie encore la femme d’une voix plus forte, et, en faisant le tour du catafalque, comme un chien enragé.

— Où est mon linceul ? Il me faut mon linceul ! crie-t-elle pour la troisième fois.

Le curé, craignant qu’elle ne vint à l’apercevoir et à le mettre en pièces, tant elle était courroucée, s’avance alors jusqu’au milieu de l’église, et lui jette son linceul ; mais il n’ose prononcer une seule parole. La femme prend son linceul et s’en enveloppe le corps. Elle saisit ensuite une poignée de terre du trou d’où elle était sortie et la jette à la figure du curé ; puis elle souffle les deux cierges allumés de chaque côté du catafalque, et part alors, dans son carrosse, avec un bruit épouvantable, si bien que les prêtres pensaient que l’église allait s’écrouler sur eux mais ils n’ont eu aucun mal.

Le lendemain matin, le curé va, seul, trouver Job Kervran dans sa maison, et lui demande s’il était vrai qu’il eût eu de son seigneur quittance de sept années de loyer de sa ferme, qu’il lui devait, pour passer une nuit entière dans l’église ?

— C’est vrai, Monsieur le curé, répondit Job.

— Eh bien ! Je paierai septante années d’avance à ton seigneur, si tu veux passer encore une nuit dans l’église.

— Je ne suis pas assez hardi pour aller ainsi, la nuit, dans les églises ; j’irai cependant encore, au nom de Dieu, et pour gagner quelque chose pour mes enfants.

— Mais, il te faudra demander à la morte ce qu’il lui faut, et me rapporter sa réponse.

— C’est bien, Monsieur le curé, je le ferai.

Job Kervran se rend donc encore à l’église, quand le sacristain va sonner l’Angelus, et il s’étonne de voir les tréteaux funèbres au milieu de l’église, parés comme pour un enterrement riche Il monte encore à la chambre de l’horloge et se met à prier Dieu pour attendre minuit. Pour abréger, il entend et voit comme la première nuit qu’il passa dans l’église. Mais, quand la femme fut descendue, toute nue, dans la terre, il vit un personnage tout vêtu en blanc, comme un ange, venir de la sacristie, tenant un cierge dans chaque main. Il en plaça un de chaque côté du catafalque.

Kervran, en voyant cela, pense qu’un enterrement doit avoir lieu, cette nuit, et il descend de la chambre de l’horloge et vient s’agenouiller auprès du catafalque et prier pour le défunt. Étonné de voir qu’on n’avait allumé que deux des cierges qui étaient autour du catafalque, il se met à allumer aussi les autres. Mais, comme il ne voyait personne venir ni prêtre ni autre, il est surpris et pense :

— Il faut que ce soit une âme en peine qui est dans ce cercueil ! Si c’était la volonté de Dieu que je pusse la délivrer, je suis content de mourir, et quand ce devrait-être sur-le-champ.

Il aperçoit le linceul resté sur le pavé de l’église, le met sous son bras, et va se remettre à prier Dieu, devant l’autel.

À trois heures, la morte, comme chaque fois, sort de terre, et ne voyant pas son linceul, elle se mit à crier :

— Où est mon linceul ! Il me faut mon linceul !

— Il est ici, avec moi, dit Kervran, et je vais vous le rendre, tout de suite, et (je vous donnerai) même ma veste, si vous voulez, car vous devez avoir froid, comme cela, toute nue.

Et il lui rend son linceul.

Merci ! mon brave homme, dit-elle, et Dieu vous le rende, car vous m’avez délivrée ! Depuis cent quarante ans je suis ici à faire pénitence, et j’étais condamnée à rester en cet état jusqu’à ce que j’eusse rencontré quelqu’un qui priât pour moi et me présentât mon linceul comme vous l’avez fait. Beaucoup de gens sont venus dans cette église, depuis que j’y suis à faire pénitence, et tous étaient saisis de frayeur et s’enfuyaient, quand je leur demandais mon linceul, parce qu’ils n’osaient pas le prendre et me le présenter. Quelques-uns le prenaient bien, mais me le jetaient comme à un chien. Toutes les nuits, depuis cent quarante ans, il me fallait passer trois heures au sein de la terre, toute nue, de minuit à trois heures. Je vais vous dire le péché pour lequel je faisais si grande pénitence : quand je vivais dans le monde, je dépouillais les morts, dans leurs tombeaux. Quand mourait quelque riche, dans le pays, sous prétexte de prier pour son âme, je me rendais à sa maison, pour le voir ensevelir et observer ce que l’on mettait avec lui dans son cercueil. Et la nuit qui suivait l’enterrement, je me rendais au cimetière, pour exhumer le mort, j’emportais les bagues, les croix d’or ou d’argent et les linceuls et je laissais les cadavres nus ; et c’est pourquoi j’ai été condamnée à passer, chaque nuit, trois heures dans la terre, toute nue, depuis cent quarante ans. Vous m’avez délivrée, et Dieu vous bénisse ! À présent, vous irez trouver votre curé, et vous lui direz de faire mon enterrement, demain matin à dix heures. Alors j’irai au paradis, et vous-même vous y viendrez aussi, quel que soit le moment où vous mourrez.

Elle s’enveloppe alors dans son linceul ; le postillon et l’autre l’étendent dans le cercueil et placent celui-ci sur les tréteaux funèbres. Après avoir fait cela, ils disparaissent, et le carrosse aussi, sans bruit, et on ne sait comment.

Job Kervran va alors trouver son curé.

— Eh bien ! lui dit le curé, qu’as-tu vu dans l’église ?

— J’ai vu, Monsieur le curé, des choses effrayantes : une femme morte, qui fait pénitence depuis cent quarante ans, a été apportée à l’église, dans un carrosse attelé de trois chevaux noirs. On a ouvert le cercueil dans lequel elle était étendue, on l’en a retirée, et alors elle a jeté sur le pavé le linceul dont elle était enveloppée ; la terre s’est ensuite entr’ouverte et l’a engloutie, toute nue. Les tréteaux funèbres étaient au milieu de l’église, parés comme pour un grand enterrement, et un ange est venu de la sacristie, tout vêtu de blanc et portant un cierge dans chaque main ; il a posé ses deux cierges un de chaque côté du catafalque, puis il est retourné à la sacristie. Moi, voyant qu’il n’y avait d’allumés que ces deux cierges, j’ai aussi allumé les autres qui étaient autour du catafalque, et ils y sont toujours allumés. J’ai alors remarqué un linceul sur le pavé de l’église, et je l’ai relevé et emporté sous mon bras. Ensuite je me suis agenouillé auprès du catafalque, pour prier pour l’âme de la défunte. À trois heures, la morte sort de la terre, et, ne voyant pas son linceul à la place où elle l’avait jeté, elle se mit à crier, d’une voix effrayante :

— Où est mon linceul ? Donnez-moi mon linceul ! Donnez-moi mon linceul !

Je ne m’effraye pas, et je dis alors :

— Voici votre linceul ; prenez-le, et, si vous voulez, je vous donnerai aussi ma veste, si vous avez froid.

Elle prend son linceul et me dit :

— Merci, mon brave homme, et Dieu vous le rende ! Depuis cent quarante ans, j’étais ici à faire dure pénitence, et c’est vous qui m’avez délivrée. Au revoir, dans le paradis de Dieu !

Et elle partit. Mais, elle m’a dit encore de vous prier de faire son enterrement, demain matin, à dix heures.

— On le fera, répondit le curé, et venez y assister.

— Oh ! j’y serai.

— N’avez-vous pas revu ensuite l’ange qui avait apporté les deux cierges ?

— Non, Monsieur le curé, je ne l’ai pas revu.

— C’était, sans doute, son bon ange.

L’enterrement est fait avec solennité ; on l’inhume au milieu de l’église, à l’endroit où elle descendait, chaque nuit, dans la terre. Pendant qu’on célébrait la messe, on vit encore l’ange venir de la sacristie, portant un cierge dans chaque main, et il les présenta à Job Kervran. Job les prit et les garda dans ses deux mains, durant la messe et l’enterrement.

La femme (morte) se lève ensuite de son tombeau, enveloppée de son linceul blanc, prend les deux cierges des mains de Kervran, et, devant tous les assistants, elle monte au ciel, en chantant le cantique du Paradis.

Conté par François Thépaut, boulanger, de la paroisse de Botsorhel le 22 du mois de janvier 1890.