Contes populaires/Les trois Souhaits

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G. E. Desbarats (p. 193-198).

XII

LES TROIS SOUHAITS


Nous n’avons, le plus souvent, de nos projets et de nos souhaits que la peine de les avoir formés, et l’inquiétude inséparable de l’attente d’un succès qui ne doit pas venir.
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D’où vient-il qu’ici bas peu de gens soient contents
De leur lot ? Notez bien, ô lecteur bénévole,
Que si je vous dis peu, je mens et je vous vole,
C’est aucuns qu’il faut dire et point ne me démens.
D’un conte, à ce sujet, j’ai l’âme encor joyeuse
Et vous le baillerai, si d’entendre, il vous plaît,
Cette aventure merveilleuse ;
Or, sans plus dégoiser, j’arrive droit au fait.

Vous saurez donc qu’un soir, peu nous importe l’heure,
Deux époux se chauffaient en causant comme trois,
Dans leur humble cabane, au milieu d’un grand bois.
Ces gens-là, ne logeant point d’or en leur demeure.
Étaient plus heureux que des rois,
Car rois, de ce temps-ci, ne s’amusent, je pense.
J’ai donc dit que ce couple était heureux ; eh bien !
Qui croirait cependant que leur douce existence
Faillit être troublée, — et ce, pour presque rien ?
Tant il est vrai que sur la terre
Le chagrin, de fort près, suit toujours le bonheur.
D’ami constant, il n’est, je crois, que le malheur,
Celui-là seul nous aime en frère.
S’il nous tient une fois, il nous tient comme il faut.
Tel que le lierre à l’arbre, après vous il s’attache,
Ici, là-bas, partout, même jusqu’au tombeau.

Je n’ai pas encor, que je sache,
Nommé mes deux héros ; faisons le donc, et tôt.
L’époux s’appelait Pierre, et la femme Josette.
Tous deux, vivant de peu, travaillaient rudement :
L’un guidait la cognée et l’autre la navette.
Leurs travaux réunis donnaient, bon an, mal an,
De quoi vivre et bien juste. Or, cette fois, la femme
Disait à son mari : je voudrais être dame,
Que nous serions heureux ! Nous aurions des écus,
Tu ferais le Monsieur, tu ne bûcherais plus.
Moi je pourrais porter une ample crinoline
Et des robes de soie, et des jupons piqués.
Comme alors, cher ami, je ferais bonne mine !
Partout où l’on irait, nous serions remarqués.
Qu’en dis-tu, mon mari ?……

— Que veux-tu que j’en dise ?
T’en aimerai-je plus quand tu serais mieux mise ?
Que nous font, après tout, ces superbes souhaits !

Ça ne sert plus de rien aujourd’hui ; mais naguères,
Dans ce cher bon vieux temps, — le temps de nos grands-pères,
Ils auraient pu servir, si tu les avais faits.
Alors, vois-tu, ma femme, on rencontrait des fées
Au cœur d’or, au bras long, qui parfois visitaient
Les pauvres gens dans leurs chaumières enfumées,
Et leur donnaient souvent tout ce qu’ils souhaitaient.
C’était plaisir de vivre en ces bonnes années.

— Mais le bon temps passé pourrait bien revenir ?

— Oh ! que non !… N’en crois rien… Nous avons eu, ma chère,
Trop de maux à la fois : l’Anglais après la guerre,
La politique, et puis… c’est à n’en pas finir.
Dimanche, le curé n’a-t-il pas dit au prône,
Que les gens d’aujourd’hui se damnent sans retour,
Par leur impiété qui s’accroît chaque jour,
Par leur luxe insolent, leur cœur froid à l’aumône ?…

— Sainte Mère de Dieu ! dans quel temps vivons-nous ?

Il se fit un silence, et les pauvres époux
Regardaient tristement brûler le feu dans l’âtre
Reflétant, sur leurs traits, une clarté rougeâtre,
Quand soudain apparut, à leurs yeux étonnés
Une fée à l’œil doux et qui leur dit : tenez,
Braves gens, j’ai surpris votre simple langage,
Je l’aime et je vous aime ; or, que souhaitez-vous ?
Formulez trois souhaits, je les exauce tous,
Car vous avez encor les vertus d’un autre âge.
Ainsi donc trois souhaits, mais rien que trois… Bonsoir !

Quand la fée eut quitté la demeure de Pierre,
L’embarras des époux faisait plaisir à voir.
Pour moi, disait Josette, en parlant la première,
Je voudrais être riche et belle, avec cela
On se passe aisément du reste.

— Oh ! que non… femme, halte-là !
Dans vos souhaits ne soyez pas si preste,
Répondait Pierre en se grattant le front.
Belle et riche est fort beau, mais c’est une folie
De souhaiter ainsi, car si la maladie
Arrive et vous emporte, à quoi vous serviront
Votre beauté, votre richesse ?
Nous montrerons plus de sagesse
En demandant d’abord le bien de la santé,
Et de longs jours. Alors, ma foi, vive la joie !

— Pierre, vous n’êtes pas fin comme de la soie,
Si nous gardons la pauvreté
Pourquoi vivre si vieux ? Ma bonne vérité
La fée aurait bien dû nous donner plus de chance.
Ce n’est pas trois, mais dix souhaits qu’il nous faudrait.

— Tout ce que tu dis là, Josette, est vrai, très-vrais ;
Mais prenons notre temps et que chacun y pense.
Avant le point du jour nous pourrons, à nous deux,
Découvrir aisément ce qu’il faut dire ou taire,
Et nous serons bien malheureux
Si nous ne rencontrons de quoi nous satisfaire
Et nous plaire.

— C’est ça, Pierre, j’y veux songer toute la nuit,
Mais il fait froid, le feu se meurt ;

Josette
Mit alors dans le poêle un quartier d’épinette,
Le feu qui se taisait recommença son bruit

Pétillant comme une fusée.
— Pierre ! si nous avions du boudin maintenant,
Cuirait-il un peu gentiment
Sur cette excellente attisée ?
Dit Josette en parlant sans arrière-pensée.
Mais ne voilà-t-il pas que dans le même instant
Tombe à travers la cheminée
Le plus beau des boudins que tripier fit jamais !
Rien qu’à l’examiner, l’eau venait à la bouche.

— Oh femme sans esprit ! plus bête qu’une souche,
Est-ce ainsi que tu vas gaspiller nos souhaits ?…

— Mais Pierre ?…
— Tais-toi, femme, ou prends garde à ma trique !…
Je souhaite vraiment que cet affreux boudin
Te pende au bout du nez, bel et bien, sans réplique.
Ça t’apprendrait au moins à modérer ta faim,
Tripe de loup !… Gourmande !…

Ô le tableau comique !
Pierre parlait encor que le boudin maudit
S’étalait, cher lecteur, sur le nez de sa femme.
Je vous laisse à penser les fureurs de la dame,
Et si Pierre, à son tour, resta bien interdit.

— La vilaine croix d’homme ! ô quel affreux caprice !
Mon Dieu ! qu’ai-je donc fait pour endurer ces maux ?…
Disait Josette à travers ses sanglots,
En tâchant, mais en vain, d’arracher l’appendice.
Pierre !… Je t’en conjure,… ôte-moi ce supplice…
Voyons, Pierre !… sois bon, je t’en supplie encor…

— Eh ! que puis-je, Bateau !… contre ce maléfice ?
Tiens, je vais souhaiter, cette fois, un trésor,
Et l’on fabriquera, pour cacher la saucisse
Qui t’allonge le nez, un charmant étui d’or.

— Non, Pierre, je ne veux d’étui d’aucune sorte…
Il nous reste un souhait, tu me le laisseras
Ou je me jette à l’eau…
— Vas y donc de ce pas !…

Josette transportée allait gagner la porte,
Quand Pierre, qui l’aimait, la retint par l’habit :
— Fais ton souhait, voyons… fais-le, pauvre Josette !…
— Eh bien ! dit-elle, je souhaite
Que ce boudin me tombe. Aussitôt fait que dit.

Et pleurant de plaisir Josette dit : la fée,
Comme elle l’a voulu, de nous deux s’est moquée.
Mais elle avait raison, et nous seuls avions tort.
À quoi nous serviraient ses superbes largesses ?
Serions-nous plus heureux en changeant notre sort ?
Le bonheur est-il donc dans de vaines richesses ?
Si nous avons véçu, sans pâtir, jusqu’ici,
Nous vivrons bien encore, et que Dieu soit béni !
Soumettons-nous toujours à sa volonté sainte,
Et, quant à l’avenir, ne nous en occupons.
On le prend comme il vient. En attendant, soupons,
Et mangeons le boudin sans crainte.

— Oh ! que tu parles bien, viens, femme, sur mon cœur,
Et pardonne à ton pauvre Pierre,
Il ne veut plus d’autre bonheur
Que d’avoir sa Josette et son humble chaumière.