Contes populaires de Basse-Bretagne/La Princesse de Hongrie

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VII


LA PRINCESSE DE HONGRIE
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Bez a zo brema pell-amzer,
D’ar c’houlz m’ho devoa dennt ar ier.
Il y a de cela bien longtemps,
Quand les poules avaient des dents.


IL y avait une fois un roi en France, qui était bien malade, et aucun remède ne pouvait lui rendre la santé.

Il avait trois fils. Les deux aînés étaient beaux et vigoureux, et le troisième était laid de figure, bossu et boiteux.

Tous les médecins du pays avaient visité le vieux roi, mais en vain, de sorte que l’on disait qu’il n’y avait que la princesse de Hongrie qui eût remède à son mal. Mais, qui irait en Hongrie chercher le remède ? L’aîné des princes dit qu’il était disposé à entreprendre le voyage. On lui donna de l’or à discrétion, avec le plus beau cheval des écuries royales et il partit.

Il arriva dans une ville, où il s’arrêta et perdit tout son argent et même son cheval, au jeu et dans les joyeuses compagnies. Il fit alors des dettes et, comme il ne pouvait pas les payer, il fut mis en prison et condamné à mort.

Au bout d’un an et un jour, comme il ne revenait pas et ne donnait pas de ses nouvelles, on le crut mort.

Le second prince partit alors à la recherche de son frère et du remède qui devait rendre la santé à son père.

Il arrive aussi à la ville où s’était arrêté son aîné et le voit conduire à la mort, au moment même où il arrivait. Il paye ses dettes et il est rendu à la liberté.

Les deux frères menèrent joyeuse vie, pendant que dura leur argent, et ne songèrent plus à leur père malade ni à la princesse de Hongrie.

Un an et un jour s’étaient encore écoulés, depuis le départ du second prince, et, comme il ne revenait pas et qu’on n’en recevait aucune nouvelle, le vieux roi avait le cœur plein de tristesse et il s’écriait dans sa douleur : « Hélas ! il faut donc mourir ! Mais, ce qui me désole le plus, c’est de voir que mes deux fils ne reviennent pas ; ils auront sans doute trouvé la mort, en me cherchant la santé !… »

Son troisième fils, le bossu, pour lequel il n’avait aucune affection, lui dit alors :

— Laissez-moi partir, à mon tour, mon père.

— Partir où ? lui demanda le vieillard.

— A la recherche de mes frères et du remède de la princesse de Hongrie, mon père.

— Toi... fait comme tu l’es... Y songes-tu ?

— Mon père, laissez-moi partir, j’ai confiance et je crois que je réussirai mieux que mes frères.

— Après tout, pars si tu veux, et quand tu ne reviendrais pas, ce ne serait pas un grand mal.

Le bossu se met en route, léger d’argent et à pied. Il ne pouvait pas descendre, comme ses frères, dans les grands hôtels, et il logeait dans les plus modestes auberges ou dans les fermes, où il recevait l’hospitalité gratuitement.

Un jour, vers le coucher du soleil, après avoir marché toute la journée, il entra dans une pauvre hutte de terre, au bord de la route, pour demander à loger. Il y trouva une femme accablée de douleur, et entourée de cinq ou six petits enfants qui criaient : « Mère, du pain ! Mère, du pain ! »

— Que demandez-vous, mon brave homme ? lui dit-elle, car il était resté sur le seuil de la porte, immobile et silencieux, devant un pareil spectacle.

— Je cherche un logement pour la nuit, répondit-il, car je suis bien fatigué.

— Hélas ! je suis bien pauvre, comme vous pouvez le voir ; pourtant, comme vous ne trouverez aucune autre habitation par ici, ni riche ni pauvre, entrez, si vous voulez, pour ne pas passer la nuit dehors ; je partagerai avec vous de bon cœur le peu que j’ai, du pain d’orge avec quelques pommes de terre, et de la fougère et des herbes sèches pour lit.

Il entra et s’assit sur un galet, auprès du feu. De l’eau chauffait dans un pot, pour tremper la soupe. Une odeur si puante infectait l’habitation, qu’il fut obligé de se boucher le nez et ne put s’empêcher de dire : — Comme ça sent mauvais ici !

— Hélas ! répondit la femme, c’est le corps de mon pauvre homme qui pue de la sorte. Voilà plus de quinze jours qu’il est mort, et il est toujours là, au bas de la maison.

— Pourquoi donc ne le faites-vous pas enterrer ?

— Je n’ai pas d’argent, et le recteur (curé) dit qu’il ne l’enterra pas, sans être payé.

— Ah ! l’homme sans cœur !... Combien lui faut-il donc ?

— Cinq écus, hélas ! et je n’ai pas cinq sous !

— Eh bien ! ma pauvre femme, que cela ne vous inquiète plus ; demain matin, j’irai moi-même trouver votre recteur et je le paierai pour rendre les derniers devoirs à votre mari.

Et il se leva et alla s’agenouiller devant le mort et dire une prière pour lui.

Le lendemain matin, de bonne heure, il alla trouver le recteur et lui donna cinq écus pour enterrer le mort, et autant pour dire une messe à son intention. Il assista à la messe et à l’enterrement, donna encore quelque argent à la pauvre veuve, en prenant congé d’elle, et se remit ensuite en route, la bourse plus légère, mais, le cœur content.

Il arriva bientôt à un carrefour et se trouva embarrassé de savoir quel chemin il devait prendre. Il y avait là une croix de pierre, comme on en voit dans presque tous les carrefours, et il s’assit sur la première marche, pour se reposer un peu et manger une galette de sarrasin que lui avait donnée la pauvre veuve. Un renard à queue blanche s’approcha familièrement de lui et dit :

— Donne-moi aussi un morceau.

— Oui, chère bête du bon Dieu, tu auras aussi ta part.

Et il donna un morceau de sa galette au renard, qui le mangea avec avidité, comme s’il n’avait rien mangé depuis plusieurs jours, et dit ensuite :

— Merci ! fils du roi de France, car je sais qui tu es et où tu vas : tu es le fils cadet du roi de France ; ton père est depuis longtemps malade, et on lui a dit que la princesse de Hongrie, seule, possède un remède contre son mal. Tes deux frères aînés sont partis, l’un après l’autre, à la recherche de ce remède, mais, aucun d’eux n’est allé jusqu’en Hongrie. Tu sauras, plus tard, où ils sont, car ils vivent encore. Tu ne sais quel chemin tu dois prendre, au sortir de ce carrefour ; suis-moi et je te conduirai jusqu’au château de la reine de Hongrie. Obéis-moi et fais exactement tout ce que je te dirai, et tu réussiras dans ton entreprise.

Et le renard marche ensuite dans la direction du soleil levant, et le prince le suit. Ils vont, ils vont, loin, toujours plus loin, et rien ne les arrête. Quand ils rencontrent de grandes landes ou des bois touffus et sans route tracée, le renard, avec sa queue, renverse les ajoncs et les broussailles, abat les arbres et trace un chemin praticable : quand ils rencontrent un bras de mer, un fleuve ou une rivière, le renard se jette à l’eau et nage, le prince lui prend la queue et ils abordent sans encombre à la rive opposée. Enfin, à force d’aller toujours droit devant eux, ils aperçoivent un jour, dans le lointain, un beau château.

— Tu vois là-haut, devant nous, un château où tu passeras la nuit, dit le renard au prince, et là on te dira ce que tu devras faire, pour te procurer le remède de la princesse de Hongrie. Tu iras, seul, à ce château, où il ne t’arrivera pas de mal, et moi je vais te quitter, à présent. Mais, si tu as encore besoin de moi, — et tu en auras besoin, — en quelque lieu que tu te trouves, appelle-moi et j’arriverai aussitôt.

— Merci ! dit le prince, mais, avant de nous séparer, dites-moi encore qui vous êtes et ce qui me vaut votre protection.

— Je te le dirai plus tard ; au revoir !... Et le renard s’en alla.

Le prince se dirigea, de son côté, vers le château, arriva facilement sous ses hautes murailles et frappa à la porte. Celle-ci s’ouvrit aussitôt et il se trouva en présence d’une belle princesse, qui lui dit :

— Bonjour, fils cadet du roi de France.

— Je vous salue, belle princesse ; vous me connaissez donc ?

— Oui, je vous connais, et je sais aussi ce que vous venez chercher ici ; vous venez chercher un remède pour votre père, qui est malade. Ce n’est pas moi qui possède le remède, mais, ma sœur, qui demeure dans un autre château, à cinq cents lieues d’ici. Vous logerez, cette nuit, dans mon château, et demain matin, vous vous mettrez en route pour le château de ma sœur : entrez, et soyez le bienvenu, prince.

Le prince entra et soupa avec la princesse.

Elle était fort belle et lui plaisait beaucoup. Après le repas, ils jouèrent aux cartes, auprès du feu. Vers minuit, le prince témoigna le désir de se coucher. La princesse le conduisit à sa chambre, et, quand il fut dans son lit, elle le regarda tendrement et lui dit : — Comme vous êtes bien là, fils du roi de France, et que je vous trouve beau ! Je voudrais être couchée près de vous !

— Ne vous moquez pas de moi, princesse, lui répondit le bossu, car je sais bien que je ne suis pas beau ; je suis fatigué et j’ai envie de dormir.

— Oui, vous me préférez sans doute ma sœur, avant de l’avoir vue.

Et elle s’en alla, d’assez mauvaise humeur, et en fermant bruyamment la porte.

Le prince dormit bien et se leva, le lendemain, avec le soleil. Il déjeûna avec la princesse, qui lui dit, au moment de partir :

— Comme je vous l’ai déjà dit, il y a cinq cents lieues d’ici au château de ma sœur puînée, et le chemin n’est pas facile. Mais, voici une boule d’or qui vous conduira ; vous n’aurez qu’à la suivre et vous arriverez sans encombre auprès de ma sœur.

— Merci ! princesse, dit le prince, et il partit. Quand il fut sorti de la cour, il posa sa boule à terre, et elle se mit à rouler d’elle-même et il la suivit. Ils vont, ils vont, toujours droit devant eux, sans être arrêtés par aucun obstacle, et, à force d’aller, ils arrivent à un second château, plus beau que le premier. La boule heurta violemment à la porte. Une princesse d’une beauté merveilleuse paraît aussitôt à une fenêtre et dit trois fois : — Salut, petite boule de ma sœur aînée, je suis heureuse de te revoir ; quelle nouvelle m’apportes-tu ? Et, apercevant le prince, elle lui dit aussi :

— Bonjour, fils cadet du roi de France ; soyez le bienvenu.

— Vous me connaissez donc, princesse ? demanda le prince.

— Oui, je vous connais et je sais aussi ce qui vous amène : vous venez chercher un remède pour votre père, qui est malade ; mais, ce n’est pas encore ici que vous trouverez ce remède, mais bien chez ma sœur cadette, qui demeure, à cinq cents lieues d’ici, dans un autre château, plus beau que le mien. Vous passerez la nuit ici, avec moi, et demain matin, vous vous remettrez en route vers le château de ma jeune sœur. Entrez, prince.

Le prince entra, sans se faire prier, et soupa avec la princesse, comme il l’avait fait avec sa sœur aînée. Après souper, ils jouèrent aussi aux cartes, près du feu, et, vers minuit, le prince demanda à aller se coucher. La princesse le conduisit à sa chambre, et, quand il fut dans son lit, elle lui dit, en le regardant tendrement : — Que vous êtes beau, jeune fils du roi de France, et que je voudrais être là, à vos côtés !

— Ne vous moquez pas de moi, princesse, lui dit le bossu, car je sais bien que je ne suis pas beau, et laissez-moi dormir tranquille, car je suis fatigué.

— Oui, répondit-elle avec dépit, vous me préférez ma jeune sœur, qui est plus belle que moi.

Et elle s’en alla aussi, de mauvaise humeur, et en fermant la porte bruyamment.

Le lendemain matin, le prince était encore sur pied, aussitôt le lever du soleil. Il déjeûna avec la princesse, qui lui donna, comme sa sœur aînée, une boule d’or pour le conduire jusqu’au château de sa sœur cadette, celle qui possédait le remède.

Il arriva au château de la troisième princesse, après une marche longue et pénible. Celle-ci était plus belle encore que ses deux sœurs, belle comme un soleil printanier, et elle dit à la boule d’or de sa sœur, en la voyant arriver, et jusqu’à trois fois :

— Salut, boule d’or de ma sœur puînée, quelles nouvelles m’apportez-vous ?

Puis, se tournant vers le prince :

— Soyez-le bienvenu, fils cadet du roi de France ; je sais ce que vous venez faire ici ; vous venez chercher un remède pour votre père, qui est malade.

— Vous dites vrai, princesse, répondit le prince ; c’est pour cela même que je viens.

— Eh bien ! vous êtes ici au but de votre voyage, car c’est moi qui possède le remède ; entrez et soyez le bienvenu.

Le prince entra dans le château, lequel était bien plus beau que les deux autres, comme la maîtresse en était aussi plus belle que ses deux sœurs. Il soupa avec la princesse, joua aussi aux cartes avec elle, après le repas, et, à minuit, elle le conduisit, sur sa demande, à sa chambre à coucher. Quand il fut au lit, elle lui dit comme ses sœurs :

— Comme vous êtes beau, prince, et que vous êtes bien là ! Je voudrais être à vos côtés !...

— Ne vous moquez pas de moi, princesse, répondit le bossu, car je sais que je ne suis pas beau.

— Je ne me moque pas de vous, prince, et je veux vous le prouver.

Et elle se coucha à côté de lui, et le prince, considérant qu’il était au terme de son voyage, la laissa faire.

Le bossu se trouvait si bien dans ce château, où l’on avait pour lui toutes les attentions possibles, et il était si amoureux de la princesse, qu’il ne songeait plus ni au remède ni au retour. Au bout de huit jours, il dit pourtant à la princesse :

— Si vous vouliez me donner le remède, à présent, princesse, je le porterais à mon père, qui l’attend avec impatience, et si vous ne voulez pas venir avec moi, je retournerai auprès de vous, dès que je le pourrai.

— Je n’irai pas avec vous dans votre pays, à présent, répondit la princesse, mais, je vous donnerai le remède ; allez vite le porter à votre père, et, au bout d’un an et un jour, vous me verrez arriver aussi et nous serons mariés et je resterai avec vous, dans votre pays. Vos deux frères aînés ne sont pas encore de retour à la maison ; vous les rencontrerez, sur votre route, dans une ville où ils mènent une vie désordonnée et ne songent plus à leur père. Quand vous arriverez dans cette ville, vous les verrez qui marchent à la potence, la corde au cou, car ils ont été condamnés à mort, à cause de leurs dettes et de leur conduite. Voici une épée enchantée (et elle lui présenta une épée) et quand vous en lèverez la pointe en l’air en criant : Qui vive ? tous ceux qui la verront tomberont aussitôt à terre, sans vie. Vous délivrerez vos frères, avec cette épée, mais, pendant que vous voyagerez avec eux, pour retourner à la maison, ils vous trahiront, par jalousie. Ils vous enlèveront le remède, vous jetteront dans un puits, où ils vous abandonneront, et iront dire à leur père et au vôtre qu’ils ont été en Hongrie, et qu’ils en rapportent le remède qui doit lui rendre la santé. Après leur départ, quand vous serez dans le puits, vous appellerez à votre secours le renard à queue blanche, qui déjà vous a été utile. Il arrivera aussitôt et vous retirera du puits. Vous reprendrez alors la route de votre pays, et, quand vous arriverez chez votre père, vous le trouverez en bonne santé et très satisfait de ses deux fils aînés, parce qu’il sera convaincu que ce sont eux qui ont été en Hongrie. Vous ne lui direz pas encore comment les choses se seront passées, c’est moi qui lui révélerai tout, quand j’arriverai.

Alors la princesse donna le remède au prince, et il prit congé d’elle et se mit en route.

Quand il arriva dans la ville où s’étaient arrêtés ses deux frères, il les vit qui allaient à la potence, en chemise, la corde au cou et les yeux bandés, au milieu d’une grande affluence de la population. Il les reconnut bien, fendit la foule pour arriver jusqu’à eux, et, dégainant son épée enchantée, en leva la pointe en l’air en criant : Qui vive ? À ces mots, tout le monde se détourna, vit l’épée et tomba mort à terre. Ses deux frères, seuls, restèrent debout et en vie, parce que, ayant les yeux bandés, ils n’avaient pas vu l’épée. Le prince alla à eux, leur débanda les yeux et ils furent bien étonnés de le voir là, en vie, pendant que tout était mort autour d’eux.

— Retournons vite à la maison, leur dit-il, car notre père est bien inquiet de nous.

Pendant qu’ils cheminaient tous les trois ensemble, les deux aînés demandèrent au cadet :

— Où donc as-tu été ?

— En Hongrie, répondit-il.

— Et tu rapportes le remède qui doit rendre la santé à notre père ?

— Oui, j’ai le remède.

— Ce n’est pas vrai, ou, si tu l’as, fais-le voir.

— Le voici !

Et il tira de sa poche et leur fit voir une petite fiole de verre bleu remplie d’une liqueur limpide et claire.

Ils devinrent jaloux de leur cadet et conçurent le projet de lui enlever le remède et de se défaire de sa personne. Ils n’avaient qu’un cheval pour eux trois et ils le montaient, chacun à son tour. Comme le cadet était sur le cheval, les deux autres marchaient à quelque distance derrière et combinaient l’exécution de leur projet criminel. Ils arrivèrent à un puits, au bord de la route, et s’y arrêtèrent, pour se désaltérer et se reposer un peu. Les deux frères aînés se penchèrent sur l’ouverture du puits et s’écrièrent : — Oh ! le beau diamant qui est au fond du puits ! Viens voir, frère, jamais tu n’as rien vu d’aussi beau.

Le cadet se pencha aussi sur l’ouverture du puits et ses deux aînés le précipitèrent dedans, après lui avoir enlevé la fiole qui renfermait l’eau merveilleuse. Ils montèrent alors tous les deux sur le cheval, et partirent au galop.

Mais laissons-les, pour un moment, nous les retrouverons plus tard.

Heureusement que l’eau n’était pas profonde dans le puits et le prince n’eut pas grand mal. Il ne perdit pas la tête et se rappela la recommandation du renard à queue blanche. Il l’appela par trois fois :


      Renard à la queue blanche, accours,
      J’ai grand besoin de ton secours.


Et presque aussitôt il entendit, à l’ouverture du puits, une voix qui lui demandait :

— Que puis-je faire pour vous, fils cadet du roi de France ?

— Au nom de Dieu, répondit-il, retirez-moi de ce puits, où j’ai été jeté par mes frères.

— Soyez sans inquiétude, dit le renard, je vais vous faire sortir de là.

Et il descendit dans le puits sa queue, qui s’allongea jusqu’au prince, et dit :

— Prenez ma queue, prince, et tenez bon.

Le prince prit la queue, et fut ainsi retiré du puits.

Le renard lui parla alors de la sorte : — A présent, vous ne me reverrez plus, mais aussi vous n’aurez plus besoin de mon secours. Je suis l’âme du pauvre mort que le recteur de sa paroisse refusait d’enterrer, parce que ma femme n’avait pas d’argent à lui donner. Vous avez payé pour me faire rendre les derniers devoirs et m’avez ainsi délivré, et c’est pour reconnaître ce service que je vous suis venu en aide, quand vous vous êtes trouvé en danger. Au revoir, à présent, jusques aux joies éternelles.

Et le renard disparut alors.

Mais, laissons au cadet le temps de revenir chez son père, et, pendant ce temps, occupons-nous un peu de ses deux aînés.

En arrivant au palais de leur père, ils coururent à sa chambre en criant : — Réjouissez-vous, père ! nous vous apportons le remède de la princesse de Hongrie ! Voici la vie et la santé !

Et ils lui remirent entre les mains la fiole qui renfermait l’eau merveilleuse. Le vieux roi s’en frictionna toutes les parties du corps, et se trouva aussitôt guéri et rajeuni. Et le voilà heureux et enchanté de ses deux aînés.

Quant au pauvre bossu, personne ne s’inquiétait de ce qu’il était devenu. Un jour pourtant, le roi demanda à ses deux aînés :

— N’avez-vous pas rencontré aussi, quelque part sur votre chemin, votre frère cadet ?

— Non, père, nous ne l’avons pas vu ; où donc est-il allé ?

— Il a voulu partir aussi pour la Hongrie.

— Voyez donc ! lui !... Nous n’avons entendu parler de lui, nulle part.

Et on ne parla plus du pauvre bossu.

Cependant il continuait patiemment sa route et finit par arriver aussi, quelque jour. Et voilà les deux princes aînés bien embarrassés, car ils espéraient bien ne plus jamais le revoir.

— Bonjour, mon père, me voici de retour, dit-il, en se présentant devant le vieux roi.

— Ah ! te voilà aussi, toi !... Je croyais bien ne plus ne te revoir, car tes deux frères, qui arrivent de la Hongrie, n’ont pu me donner aucune nouvelle de toi.

— Vraiment ?... Mais, je suis heureux de vous retrouver en bonne santé, mon père.

— Oui, me voici aujourd’hui aussi bien portant que je le fus jamais, grâce au dévouement de tes deux aines, qui, au prix de beaucoup de mal et d’épreuves de toute sorte, m’ont rapporté le remède merveilleux de la princesse de Hongrie. Voilà deux fiers hommes, ceux-là ! S’il m’avait fallu attendre ce service de toi, j’aurais attendu longtemps encore.

— Peut-être, mon père ; mais, peu importe à qui vous devez votre rétablissement, je suis heureux de vous voir dans cet état.

Le pauvre cadet retourna, comme devant, à la cuisine avec les domestiques, et on ne parla plus de lui.

Ses deux frères étaient tous les jours à la chasse et en partie de plaisir, et passaient leurs nuits au jeu ou à courir la ville, en joyeuse compagnie, insultant et rossant les habitants, et les plaintes pleuvaient contre eux au palais ; mais, le roi n’y faisait aucune attention.

Un jour, arriva à la cour, dans un carrosse tout doré, une belle princesse que personne ne connaissait, et qui demanda à parler au roi.

Le vieux monarque s’empressa de venir la recevoir.

— Salut, lui dit-elle, roi de France.

— Salut, jeune et charmante princesse, répondit-il, je suis votre humble serviteur.

— Je suis la princesse de Hongrie, et je viens, comme je l’avais promis, au bout de l’an et jour, pour épouser celui de vos fils qui est venu jusqu’à chez moi, chercher le remède à qui vous devez la santé, et qui m’a rendue mère, avant de partir.

— Je vous suis très obligé, princesse, dit le roi en saluant profondément, et grande est ma reconnaissance pour le précieux service que vous m’avez rendu. Tout ce que je possède est à votre disposition, et je suis très honoré que vous consentiez à épouser un de mes fils, deux princes remarquables par la beauté, l’esprit, le courage et mainte autre qualité.

— Mais, n’avez-vous pas trois fils, sire ?

— Non, princesse, je n’en ai que deux.

— Dites-moi bien la vérité, je vous prie.

— J’ai trois fils, si vous voulez, car vous devez tout connaître ; mais, un d’eux ne compte pas ; c’est un pauvre enfant laid, contrefait, peu intelligent, et je n’oserais le présenter à une princesse aussi belle et spirituelle que vous l’êtes.

— Je veux les voir tous les trois, sire, et voici comment je désire que vous me les présentiez : faites préparer un grand repas et invitez-y toute la cour, les principales autorités du royaume et aussi quelques personnes du peuple. Vos trois fils y seront aussi, bien entendu, et vous me les présenterez, à la fin du festin, devant tous les convives, et je ferai alors mon choix.

On prépara donc un festin magnifique, et des invitations nombreuses furent envoyées dans tous les rangs de la société. Les deux princes aînés furent placés à table vis-à-vis de la princesse, tout brillants de beaux habits et de riches parures, tandis que le cadet était relégué au plus bas de la table, vêtu comme un valet.

Vers la fin du repas, le vieux roi prit la parole et dit :

— Maintenant, princesse, avant de quitter la table, je vais faire passer mes fils devant vous, afin que vous fassiez votre choix.

Le prince aîné passa le premier, infatué de sa personne, fier de ses beaux habits et en se dandinant et souriant gracieusement à la princesse.

La princesse le laissa passer, sans faire attention à lui.

Son désappointement fut grand.

— La princesse ne l’a pas retenu, se dit le puîné, tout joyeux, c’est qu’elle ne veut pas de lui : c’est donc moi qui serai son mari.

Et il passa, à son tour, mais, sans plus de succès que son frère, ce qui étonna fort tous les assistants.

— Eh bien ! princesse, votre choix est-il arrêté ? demanda le roi.

— Faites passer aussi votre troisième fils, sire, répondit-elle.

— A quoi bon, princesse, car celui-là n’a aucune chance de vous plaire, laid et contrefait comme il est ?

— Qu’importe ? Je tiens à le voir, sire.

Et le bossu passa aussi, et tous les assistants riaient de sa tournure et de sa triste mine. Mais, ils ne riaient et ne plaisantaient plus, quand ils virent que la princesse le retint et lui tendit la main en disant :

— Voici, sire, celui de vos trois fils qui a été en Hongrie et vous en a rapporté le remède à qui vous devez la vie et la santé ; c’est lui que je veux pour époux, et non aucun autre. Apportez l’enfant, afin que son grand-père puisse le voir et l’admirer, dit-elle ensuite, en s’adressant à la nourrice, qui était venue avec elle de la Hongrie.

Et la nourrice disparut un instant et revint aussitôt avec un enfant mâle, superbe et tout souriant. La princesse le prit dans ses bras et le présenta au roi, en disant :

— Voici votre petit-fils, sire ; qu’en dites-vous ?

Le roi embrassa l’enfant, qui lui tendait les bras, et le trouva superbe, comme tout le monde.

La princesse prit alors un couteau sur la table et le plongea dans le cœur du prince cadet, qui tomba mort à ses pieds. Tous les assistants poussèrent un cri d’horreur.

Elle découpa le corps en menus morceaux, qu’elle rassembla dans un tas et arrosa de quelques gouttes de son eau merveilleuse.

Aussitôt, on vit apparaître sur la place un beau et vigoureux jeune homme, qui n’était ni bossu ni boiteux.

— Voici votre fils cadet, sire, mon mari, — dit la princesse, en le prenant par la main et le présentant au roi, stupéfait de ce qu’il voyait.

Le mariage de la princesse de Hongrie avec le prince cadet, ainsi transformé, fut célébré, dans les huit jours, et il y eut à cette occasion de grands festins et des fêtes magnifiques.

Le vieux roi mourut peu après, et le cadet lui succéda sur le trône.

Et les deux princes aînés, que devinrent-ils ?

Je n’en sais rien. Les uns disent qu’ils furent jetés dans une fournaise ardente, et d’autres prétendent qu’on ne leur fit pas de mal et que le cadet et la princesse leur pardonnèrent et leur donnèrent même de hautes charges à la cour.


Conté par Droniou, meunier au moulin de la Haye,
en Plouaret. — Décembre 1868.


Ce conte pourrait aussi bien entrer dans le cycle de la Recherche de la Princesse aux cheveux d’or.