Contes populaires de Basse-Bretagne/Les Deux Bossus et les Nains

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François-Marie Luzel
Contes populaires de Basse-Bretagne
PERSONNAGES ET ANIMAUX FABULEUX ET APOCRYPHES



I


LES DEUX BOSSUS ET LES NAINS
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IL y avait une fois deux bossus, Nonnic et Gabic, deux amis.

Ils étaient tailleurs de leur état, et, chaque matin, ils allaient en journée, chacun de son côté, dans les fermes et les manoirs du pays. Un soir que Nonnic revenait, seul, de son travail, comme il passait sur la lande de Penn-an-Roc’hou, non loin du bourg de Plouaret, il entendit de petites voix grêles qui chantaient :


Lundi, mardi et mercredi....


— Qui est-ce qui chante donc de la sorte ? se demanda-t-il.

Et il s’approcha, tout doucement. Il faisait un beau clair de lune, et il vit les Danseurs de nuit, — qui sont des nains, — qui dansaient en rond et chantaient, en se tenant les mains. Un d’eux chantait le premier :


Lundi, mardi et mercredi....


Puis les autres reprenaient ensemble :


Lundi, mardi et mercredi....


Et c’était tout. Nonnic avait souvent entendu parler des Danseurs de nuit, mais, il ne les avait jamais vus, et il se cacha derrière un rocher, pour les observer. Il fut vite découvert et pris au milieu du cercle. Et les nains de danser de plus belle, en tournant autour de lui et en chantant toujours :


Lundi, mardi et mercredi....


Et ils disaient au bossu : — Danse et chante aussi avec nous.

Nonnic n’était pas timide, et il entra dans la danse et chanta avec eux :


Lundi, mardi et mercredi....


Mais, comme ils répétaient toujours ces trois mots, sans plus, il dit :

— Et après ? Votre chanson est bien courte.

— C’est tout, répondirent-ils.

— Comment, c’est tout ? Pourquoi n’ajoutez-vous pas :


Et jeudi et puis vendredi ?


— C’est vrai, répondirent-ils, c’est très joli. Et ils chantèrent, en sautant et en trépignant de joie :


Lundi, mardi et mercredi,
Et jeudi et puis vendredi !...


Et de tourner avec un entrain du diable. Quand Nonnic, n’en pouvant plus, voulut se retirer, les nains se demandèrent :

— Que donnerons-nous bien à Nonnic, pour nous avoir allongé et embelli notre chanson ?

— Ce qu’il voudra : de l’argent et de l’or, à discrétion, ou le débarrasser de sa bosse, s’il le préfère.

— Ah ! oui, dit Nonnic, si vous voulez me soulager de ce fardeau, que je porte depuis si longtemps, je vous laisserai et l’or et l’argent.

— C’est cela, enlevons-lui sa bosse !

Et ils lui frottèrent le dos avec un onguent merveilleux, qui fit disparaître sa bosse, par enchantement, et il s’en retourna chez lui, droit et léger, et même joli garçon.

Le lendemain, quand son ami et confrère en bosse le vit, il fut bien étonné, et c’est à peine s’il le reconnut.

— Comment ! disait-il en tournant autour de lui, et... et ta bosse ?

— Disparue, comme tu vois.

— Et comment donc cela s’est-il fait ? Et Nonnic lui conta tout.

— Ah ! j’irai aussi, moi, voir les Danseurs de nuit, à Penn-an-Roc’hou, et pas plus tard que ce soir !

Et il fit comme il l’avait dit. Quand il arriva sur la lande, les nains y dansaient déjà, en chantant :


Lundi, mardi, mercredi....


chantait une voix seule, et les autres continuaient toutes ensemble :


Et jeudi et puis vendredi !...


Et ils tournaient et gambadaient et cabriolaient !...

Gabic s’approcha et ils lui crièrent :

— Viens danser avec nous !

Et le voilà dans la ronde et de danser et de chanter comme eux :


Lundi, mardi et mercredi,
Et jeudi et puis vendredi !...


— Et ensuite ?… dit-il.

— C’est tout : est-ce que vous en savez plus long ?

— Oui donc !

— Oh ! dites alors ? dites alors ?… Et il ajouta :


Et samedi et dimanche !


— Oh ! ce n’est pas bon ! Cela ne rime pas ! Il nous a gâté notre chanson, qui était si jolie ! Il faut l’en punir ; que lui ferons-nous ? crièrent tous les petits hommes, à la fois, en se remuant et s’agitant autour de Gabic, comme une fourmilière.

— Il faut ajouter la bosse de Nonnic à la sienne ! dit quelqu’un.

— Oui, c’est cela ! ajoutons la bosse de Nonnic à la sienne.

Ce qui fut fait, sur-le-champ ; et le pauvre Gabic s’en retourna chez lui, tout honteux et ployant sous le faix, et il lui fallut porter, le reste de sa vie, la bosse de son camarade avec la sienne !


Plouaret, 1859.


Dans la version de ce conte publiée par M. Corentin Tranois, dans la Revue de Bretagne (1833, t. II, p. 109), sous le titre de : Histoire de Coulommer et de Guilchand, le second tailleur bossu, Guilchand, demande le trésor laissé par son confrère qui, dédaignant l’argent qu’on lui offrait, avait préféré se voir enlever sa bosse. Les nains ajoutent la bosse de Coulommer à la sienne.

Selon la tradition rapportée par M. Tranois : « Ces malins démons (les Kornikaned, qu’on appelle Kornandoned dans le pays de Tréguier) sont condamnés par une puissance inconnue à une longue pénitence. Un mot de plus de la bouche de Guilcband allait y mettre un pour toujours. En ajoutant à la chanson de Coulommer : Disadorn ha disul, il aurait dû dire tout de suite : Setu echu ar zun. Un autre, plus heureux, proféra ces paroles, par hasard sans doute, et aussitôt la danse infernale cessa, et depuis ce temps, les Kornicaned n’ont pas reparu dans la vallée de Gaël. »

Dans notre version, il semble que ce soit pour avoir péché contre les règles de la versification, le rythme et la rime, que le second bossu a été puni, à moins pourtant que ce ne soit pour avoir prononcé le mot disul, dimanche, jour spécialement consacré par le christianisme. Les nains, en effet, appartenant à la mythologie payenne, et plus particulièrement au druidisme, devaient détester ce jour.