Contes populaires de la Gascogne/La Gardeuse de dindons

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Contes populaires de la GascogneMaisonneuve frères et Ch. Leclerctome 1 (p. 251-266).

VI

la gardeuse de dindons



Il y avait, une fois, un roi qui aimait beaucoup le sel. Ce roi était veuf, et avait trois filles à marier. Il avait aussi un valet, avisé comme il n’y en a guère.

Un jour que ce valet était occupé à pétrir, dans le fournil, le roi vint le trouver, et lui dit :

« — Valet, tu es un homme de sens. Je veux te consulter sur une affaire fort secrète.

— Maître, je n’aime pas les secrets. Si vous devez parler de votre affaire à un autre qu’à moi, ne m’en dites pas un mot. Vous croiriez que je vous ai trahi, et vous me chasseriez de chez vous.

— Valet, je n’en parlerai qu’à toi.

— Alors, j’écoute.

— Valet, j’ai trois filles à marier. Je suis vieux, et je ne veux plus être roi. Quand tu auras fini de pétrir, va me quérir le notaire. Je veux me réduire à une pension, et partager mon bien entre mes trois filles.

— Maître, à votre place je ne ferais pas cela.

— Pourquoi, valet ?

— Maître, celui qui n’a plus rien est bien vite méprisé. À votre place, je garderais ma terre, et je doterais mes filles raisonnablement, le jour de leur mariage.

— Valet, mes filles m’aiment. Je ne crains rien.

— Maître, mettez-les à l’épreuve, avant de vous décider. »

Le roi monta dans sa chambre, et commanda qu’on y fit venir ses trois filles.

« — M’aimes-tu ? dit-il à l’aînée.

— Père, je vous aime plus que tout au monde.

— Bien. Et toi, ma cadette, m’aimes-tu ?

— Père, je vous aime plus que tout au monde.

— Bien. Et toi, ma dernière, m’aimes-tu ?

— Père, je vous aime autant que vous aimez le sel.

— Méchante langue ! Tu insultes ton père. Rentre dans ta chambre, et attends-y que j’aie décidé ce qu’il faut faire de toi. »

La fille dernière rentra dans sa chambre. Alors, ses deux sœurs dirent à leur père :

« — Notre sœur vous a insulté. Elle mérite la mort.

— Mes filles elle mourra. Mais vous autres, vous m’aimez, et vous ne tarderez pas à recevoir votre récompense. Attendez-moi ici. »

Le roi redescendit au fournil, où le valet pétrissait toujours, et lui conta ce qui venait de se passer.

« — Maintenant, valet, l’épreuve est faite. Va me quérir le notaire, pour qu’il partage ma terre entre mes deux filles aînées, et le bourreau pour qu’il fasse mourir ma dernière.

— Maître, les paroles sont des femelles ; mais les actes sont des mâles. Votre épreuve n’est pas bonne. À votre place, je jugerais mes filles sur ce qu’elles feront, et non pas sur ce qu’elles ont dit.

— Tais-toi, valet. Tu ne sais pas ce que tu dis. Tais-toi, ou je t’assomme de coups de bâton. »

Quand le valet vit le roi brandir son bâton, il fit semblant de changer d’avis.

« — Eh bien, maître, j’ai tort. Vous parlez comme un livre. Faites à votre volonté. Je vais aller quérir le notaire, et je veux servir moi-même de bourreau à votre dernière fille. Je la mènerai dans un bois, je la tuerai, et je vous rapporterai sa langue.

— Tu vois bien, valet, que tu es de mon avis. Va-t-en d’abord quérir le notaire. »

Donc le valet alla quérir le notaire. Le roi maria ses deux filles aînées sur-le-champ, et donna la moitié de sa terre à chacune d’elles.

— « Notaire, dit-il, je me réserve, pendant toute ma vie, d’aller vivre six mois chez ma fille aînée, et six mois chez la seconde. Ne manque pas de marquer cela sur ton papier. »

Mais le notaire était une grande canaille, qui fut condamné, la même année, aux galères pour le restant de sa vie. Il avait reçu secrètement de l’argent des deux filles aînées, et il ne marqua pas sur son papier ce que le roi s’était réservé.

« — Maître, dit le valet, Dieu veuille que ce qui est fait soit bien fait. Maintenant, je vais mener votre dernière fille dans un bois, pour lui faire passer le goût du pain, et vous rapporter sa langue.

— Pars, valet. Quand tu seras revenu, je te récompenserai. »

Le valet alla chercher une chaîne, et la passa au cou de la pauvre fille. Cela fait, il prit son sabre, et siffla sa chienne.

« — Allons, insolente ! Allons, malheureuse ! Tu n’as pas longtemps à vivre. Recommande ton âme au Bon Dieu, à la sainte Vierge Marie et aux saints. »

Ainsi cria le valet, tant qu’il fut à même d’être entendu par le roi. Mais dans le bois, ce fut autre chose.

« — Demoiselle, n’ayez pas peur. J’ai fait tout ceci pour vous sauver du bourreau. Vos chemises et vos plus belles hardes sont dans ma besace. J’y ai mis aussi des habits de paysanne que vous allez revêtir tout de suite. Avant de me louer comme valet chez votre père, j’ai servi dans le château d’un autre roi. Sa femme ne me refusera pas de vous prendre, comme gardeuse de dindons. Là, vous serez bien cachée. »

En effet, le valet amena La fille du roi dans ce château. La reine la prit à son service, comme gardeuse de dindons, et lui donna son logement dans une chambrette, sous un escalier. Cela fait, le valet revint chez son maître. En traversant le bois, il tira son sabre, tua sa chienne, et lui arracha la langue.

« — Maître, j’ai tué votre fille, et je vous rapporte sa langue.

— Valet, je suis content de toi. Voici cent louis d’or pour ta peine.

— Cent louis d’or, maître ! Ce n’est pas assez pour un pareil travail.

— Eh bien, valet, en voilà cent autres.

— Et vous, mesdames, ne me donnerez-vous rien, pour avoir tué votre sœur, et pour vous avoir rapporté sa langue ?

— Valet, nous te donnerons chacune autant que notre père.

— Merci, maître. Merci, mesdames. »

Le lendemain, les deux filles aînées appelèrent chacune son mari, et s’en allèrent trouver le roi.

« — Père, vous n’êtes plus ici chez vous. La partie droite de ce château appartient à votre fille aînée, et la gauche à la cadette. Allez-vous-en.

— Méchantes filles, vous me payez mal tout le bien que je vous ai fait. M’en aller, je ne veux pas. Le papier du notaire me donne droit, pendant toute ma vie, d’aller vivre six mois chez ma fille aînée, et six mois chez la cadette.

— « Parle papier. Tais-toi langue[1]. » — Le notaire n’a pas marqué cela sur son papier.

— Le notaire est aussi canaille que vous.

— Allons, leste ! Dehors, ou gare les chiens. »

Le pauvre roi sortit du château. Sur le pas de la porte, il rencontra le valet.

— « Où allez-vous, maître ?

— Je m’en vais à la volonté de Dieu. Ce château n’est plus le mien. Mes filles et mes gendres m’en ont chassé. Valet, pourquoi m’as-tu si mal conseillé, quand je voulais partager ma terre entre mes filles ?

— Maître, je vous ai dit : « Éprouvez-les. » Vous avez cru aux paroles qui sont des femelles, tandis que les actes sont des mâles, et vous avez agi à votre tête. Mais ce qui est fait est fait, et le regret ne sert de rien. Attendez-moi là. Je reviens. Nous allons partir ensemble. Je veux toujours être votre valet.

— Valet, reste ici, pour ton bien. Je n’ai plus de quoi te payer, ni de quoi te nourrir.

— Maître je vous servirai pour rien, et j’ai de quoi vivre pour nous deux.

— Valet, comme tu voudras. »

Le valet entra dans le château, et revint un moment après, avec une besace pleine sur le dos.

— « Allons, partons. »

Au bout de sept jours de voyage, ils arrivèrent dans un pays, où ils trouvèrent en vente une petite métairie, avec une maison de maître. Le valet l’acheta, et la paya comptant avec les louis d’or qu’il avait reçus pour sa peine, quand on croyait qu’il avait fait mourir la dernière fille du roi.

— « Maître, cette petite métairie est la vôtre. Buvez, mangez, chassez, promenez-vous, tandis que je travaillerai les champs et les vignes.

— Merci, valet. Il y a force maîtres qui ne te valent pas. »

Pendant que tout cela se passait, la dernière fille, que son père croyait morte, demeurait toujours, comme gardeuse de dindons, dans le château du roi où le valet l’avait placée. Ce roi avait un fils si fort, si hardi, si beau garçon, que toutes les filles du pays en tombaient amoureuses. La gardeuse de dindons fit comme les autres ; mais il ne la regardait même pas.

— « Mal appris, pensait-elle souvent, je te forcerai bien à me regarder. »

Le temps du carnaval arriva. Chaque soir, après souper, le fils du roi s’habillait de neuf, et montait à cheval, pour s’en aller danser, jusqu’au lendemain matin, dans les châteaux du voisinage. Que fit la gardeuse de dindons ? Pendant la veillée, elle se dit malade, et fit semblant d’aller se coucher. Mais elle descendit secrètement à l’écurie, sella et brida un cheval, et lui donna double picotin d’avoine. Ensuite, elle remonta dans sa chambre, ouvrit la besace où étaient les hardes qu’elle avait rapportées de chez son père. Cela fait, elle se peigna, avec un peigne d’or, se chaussa de bas blancs, et de petits souliers rouges en maroquin de Flandre, mit une belle robe couleur du ciel, redescendit à l’écurie, sauta sur son cheval, et partit au galop pour le château où le fils du roi s’en était allé danser.

Quand elle entra dans le bal, les joueurs de vielle et de violon cessèrent de jouer, les danseurs de danser, et tous les invités disaient :

— « Quelle est cette belle demoiselle ? »

Enfin, les joueurs de vielle et de violon recommencèrent leur musique, et le fils du roi prit la jeune fille par la main, pour la mener à la danse. Mais, au premier coup de minuit, elle laissa son danseur en plan, sauta sur son cheval, et repartit au galop.

Le lendemain, elle s’en alla garder les dindons, comme de coutume, et le fils du roi, qui la rencontra, en allant à la chasse, pensa :

— « C’est étonnant comme cette jeune paysanne ressemble à la belle demoiselle que j’ai vue au bal, la nuit passée. »

Le soir même, après souper, il s’habilla de neuf, monta à cheval, et partit encore pour le bal. Que fit alors la gardeuse de dindons ? Pendant la veillée, elle se dit malade, et fit semblant d’aller se coucher. Mais elle descendit secrètement à l’écurie, sella et brida un cheval, et lui donna double picotin d’avoine. Ensuite, elle remonta dans sa chambre, et ouvrit la besace où étaient les hardes qu’elle avait rapportées de chez son père. Cela fait, elle se peigna, avec un peigne d’or, se chaussa de bas blancs, et de petits souliers en maroquin de Flandre, mit une robe couleur de la lune, redescendit à l’écurie, sauta sur son cheval, et partit au galop pour le château où le fils du roi était allé danser.

Quand elle entra dans le bal, les joueurs de vielle et de violon cessèrent de jouer, les danseurs de danser, et tous les invités disaient :

— « Quelle est cette belle demoiselle ? »

Enfin, les joueurs de vielle et de violon recommencèrent leur musique, et le fils du roi prit la jeune fille par la main, pour la mener à la danse. Mais, au premier coup de minuit, elle laissa son danseur en plan, sauta sur son cheval et repartit au galop. Le lendemain, elle s’en alla garder les dindons, comme de coutume ; et le fils du roi qui la rencontra, en allant à la chasse, pensa :

— « C’est étonnant comme cette jeune paysanne ressemble à la belle demoiselle que j’ai vue au bal la nuit passée. »

Le soir même, après souper il s’habilla de neuf, monta à cheval, et partit encore pour le bal. Que fit alors la gardeuse de dindons ? Pendant la veillée, elle se dit malade, et fit semblant d’aller se coucher. Mais elle descendit secrètement à l’écurie, sella et brida un cheval, et lui donna double picotin d’avoine. Ensuite, elle remonta dans sa chambre, et ouvrit la besace où étaient les hardes qu’elle avait rapportées de chez son père. Cela fait, elle se peigna avec un peigne d’or, se chaussa de bas blancs, et de petits souliers rouges en maroquin de Flandre, mit une robe couleur du soleil, redescendit à l’écurie, sauta sur son cheval, et partit au galop pour le château où le fils du roi s’en était allé danser.

Quand elle entra dans le bal, les joueurs de vielle et de violon cessèrent de jouer, les danseurs de danser, et tous les invités disaient :

— « Quelle est cette belle demoiselle ? »

Enfin, les joueurs de vielle et de violon recommencèrent leur musique, et le fils du roi prit la jeune fille par la main pour la mener à la danse. Mais, au premier coup de minuit, elle laissa son danseur en plan, sauta sur son cheval, et repartit au galop. En s’échappant, elle perdit, dans le bal, son petit soulier rouge du pied droit.

Depuis le premier jour où la jeune fille avait paru dans le bal, le fils du roi en était devenu si amoureux, si amoureux, qu’il en avait perdu le boire et le manger. Il ramassa le petit soulier rouge, et le fit essayer aux demoiselles du bal. Mais toutes avaient le pied trop grand pour le chausser. Alors, il mit le petit soulier rouge dans sa poche, et s’en revint au château de son père.

— « Père, je suis tombé amoureux d’une jeune fille qui a perdu ce petit soulier rouge dans le bal. Si vous ne me la donnez pas en mariage, vous serez cause d’un grand malheur. Je m’en irai loin, bien loin, me rendre moine, dans un pays d’où je ne reviendrai jamais, jamais.

— Mon fils, je ne veux pas que tu te rendes moine. Dis-moi où cette jeune fille demeure, et nous monterons tous deux à cheval, pour aller la demander en mariage à son père.

— Père, je ne sais pas où elle demeure.

— Eh bien, va me chercher le tambour de la commune. »

Le jeune homme obéit.

— « Tambour, voici cent pistoles. Va-t-en crier partout que la demoiselle qui pourra chausser ce petit soulier rouge sera la femme de mon fils. »

Le tambour partit, et cria partout, comme il en avait reçu l’ordre. Pendant trois jours, le château du roi fut plein de demoiselles, qui venaient pour essayer le petit soulier rouge. Mais aucune ne pouvait le chausser. La gardeuse de dindons les regardait faire, et riait de tout son cœur.

— « À ton tour, gardeuse de dindons, dit le fils du roi.

— Vous n’y pensez pas, monsieur. Je ne suis qu’une pauvre petite paysanne. Comment voulez-vous que je fasse ce que n’ont pu faire toutes ces belles demoiselles ?

— Allons ! Allons ! criaient les demoiselles. Faites approcher cette insolente qui se moquait de nous tout-à-l’heure. Si elle ne peut chausser le petit soulier rouge, qu’elle soit fouettée jusqu’au sang. »

La gardeuse de dindons s’approcha, en faisant semblant d’avoir peur et de pleurer. Du premier coup, elle chaussa le petit soulier rouge.

— « Et maintenant, dit-elle, attendez-moi tous. »

Elle alla s’enfermer dans sa chambrette, et revint, un moment après, chaussée de rouge des deux pieds, vêtue de sa robe couleur du soleil.

— « Mie, dit le roi, il faut que tu épouses mon fils.

— Roi, je l’épouserai quand il aura le consentement de mon père. En attendant, je veux toujours garder vos dindons. »

Alors, le roi et son fils se trouvèrent bien embarrassés.

Pendant que tout cela se passait, l’autre roi, chassé par ses deux filles, demeurait toujours, avec son valet, dans sa petite métairie. Vingt fois par jour, il disait :

— « Mes deux filles aînées sont des carognes, et mes gendres de mauvais sujets. Si j’avais ma dernière enfant, elle me tiendrait compagnie, tout en me filant des chemises, et en rapiéçant mes habits. Valet, pourquoi l’as-tu tuée ? Pourquoi m’as-tu rapporté sa langue ?

— Maître, c’est vous qui me l’avez commandé.

— Alors, valet, j’ai eu tort de te le commander. Toi, tu as eu tort de m’obéir.

— Excusez, maître. Je n’ai pas eu tort, parce que je ne vous ai pas obéi. Votre dernière fille n’est pas morte. Je l’ai placée dans le château d’un autre roi, comme gardeuse de dindons. Ce que vous avez pris pour sa langue, était la langue de ma chienne.

— Tant mieux, valet. Nous allons partir sur-le-champ, pour chercher la pauvrette, et la ramener ici. »

Ils partirent tous deux sur-le-champ, et sept jours après ils arrivèrent au château du roi.

— « Bonjour, roi.

— Bonjour mes amis. Qu’y a-t-il pour votre service ?

— Roi, j’ai été roi moi-même, et j’avais un château aussi beau que le tien. Mes deux filles aînées m’ont chassé, et ma dernière est chez toi, comme gardeuse de dindons. Il faut que tu me la rendes.

— Mon ami, je ne peux pas. Mon fils est tombé amoureux de ta fille, au point qu’il en a perdu le boire et le manger. Je te la demande en mariage pour lui.

— Roi, fais venir ma fille, pour qu’elle parle librement. Je ne veux pas la marier par force. »

On alla chercher la gardeuse de dindons.

— « Bonjour père, et la compagnie.

— Bonjour, ma fille. Parle librement. Veux-tu épouser ce jeune homme ? »

Le jeune homme était blanc comme farine, et tremblait comme une queue de vache.

— « Ma fille, parle librement.

— Père, j’épouserai ce jeune homme préférablement à tout autre. Mais je veux auparavant que son père et lui vous aident à reprendre le château d’où vous ont chassé mes sœurs aînées. »

Alors, le roi et son fils firent assembler aussitôt tous les hommes du pays, et les armèrent de sabres et de fusils. Tout ce monde se mit en chemin pendant la nuit, et se rendit maître du château des deux sœurs aînées, qui ne s’attendaient à rien. Ces deux carognes furent pendues avec leurs maris, et leurs corps ne furent pas portés en terre sainte. On les abandonna dans un champ, et les chiens, les corbeaux et les pies, les rongèrent jusqu’aux os.

Voilà ce qui fut fait. Alors, le roi dit au père de la gardeuse de dindons :

— « Mon ami, reprends ton château, et redeviens roi comme au temps passé. Maintenant, il faut songer à la noce de mon fils et de ta fille. »

Jamais les gens du pays ne virent une si belle noce. Cent foudres de vin vieux furent mis en perce. On tua je ne sais combien de veaux et de moutons. Pendant trois jours et trois nuits, cent femmes furent occupées, nuit et jour, à plumer les dindons, les chapons et les canards. Mangeait et buvait qui voulait. Le valet, tout habillé de neuf, et luisant comme un calice, se tenait debout, derrière la chaise de la mariée, et ne la laissait manquer de rien.

— « Valet, lui dit son maître, c’est la dernière fois que tu sers à table. Je veux te marier aujourd’hui même.

— Maître, vous êtes bien honnête.

— Valet, nous ne manquons pas ici de jolies filles. Choisis celle que tu voudras. »

Le valet choisit une fille jolie comme le jour, et sage comme une image.

— « Maître, voici ma femme.

— Valet, je veux l’embrasser. Maintenant, mettez-vous tous deux à table avec nous, et ne vous laissez manquer de rien. Le curé vous mariera demain matin. Je veux être ton parrain. Ma fille sera ta marraine[2]. »

  1. En gascon : Parlo papè : Caro-te lengo. Proverbe gascon, usité quand on invoque des actes écrits.
  2. Dictée par Marianne Bense, du Passage-d’Agen (Lot-et-Garonne).