Contes secrets Russes/La dame pudique

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Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 79-81).

XXXVI

LA DAME PUDIQUE


Il y avait une jeune dame qui changeait souvent de laquais ; elle les trouvait toujours mal embouchés et les mettait à la porte. Voilà qu’un jeune homme vient chez elle s’offrir comme domestique. « Fais attention, mon cher, » dit la dame, « je ne regarde pas à l’argent, je tiens seulement à ce que tu ne prononces aucune parole indécente. — Comment peut-on dire des indécences ! »

Quelque temps après, la dame se rendit dans ses terres. En approchant d’un village, elle aperçut un troupeau de porcs ; un verrat était monté sur une truie et s’adonnait à sa besogne avec une telle ardeur que l’écume lui sortait de la bouche. « Écoute ! » fit la dame, s’adressant au laquais. — « Que voulez-vous, madame ? — Qu’est-ce que c’est que cela ? » Le laquais, dans la circonstance, ne manqua pas de tact. — « Cela, » répondit-il, « voici ce que c’est : par-dessous ce doit être quelque parente, une sœur ou une tante, et par-dessus, un frère ou un neveu : il est malade et elle le ramène chez elle. — Oui, oui, c’est cela ! » dit la dame, et elle se mit à rire. Chemin faisant, on rencontra un autre troupeau, celui-ci composé de bêtes à cornes ; un taureau était en train de saillir une vache. « Eh bien ! et cela, qu’est-ce que c’est ? » demanda la dame. — « Cela, voici ce que c’est : la vache n’est pas forte et elle ne trouve plus à manger, ayant tout brouté autour d’elle ; c’est pourquoi, comme vous voyez, le taureau la pousse vers l’herbe fraîche. — C’est bien cela ! » observa de nouveau en riant la dame. Ensuite passa un troupeau de chevaux ; un étalon s’accoupla à une jument. « Et cela, qu’est-ce que c’est ? — Voyez-vous, madame, au delà du bois il y a de la fumée ; sans doute le feu est quelque part ; eh bien ! le cheval est monté sur la jument pour apercevoir l’incendie. — Oui, oui, c’est vrai ! » dit la jeune femme qui riait à se tordre. On arriva près d’une rivière. La barinia eut envie de prendre un bain, elle fit arrêter sa voiture, se déshabilla et entra dans l’eau. Le domestique la contemplait sans bouger de place. « Si tu veux te baigner avec moi, déshabille-toi vite ! » Le laquais se dépouilla de ses vêtements et descendit dans la rivière, exhibant sur sa personne l’outil qui sert à faire les hommes. À cette vue, sa maîtresse frémit de joie. « Regarde, qu’est-ce que j’ai là ? » demanda-t-elle en lui montrant son trou. — « C’est un puits, » répondit-il. — « Oui, c’est la vérité ! Et toi, qu’est-ce que tu as là qui pend ? — Cela s’appelle un cheval. — Est-ce qu’il boit, ton cheval ? — Oui, madame ; voulez-vous me permettre de le faire boire à votre puits ? — Allons, soit, mais qu’il boive seulement à l’entrée, ne le laisse pas aller au fond ! » Le laquais s’en tint d’abord aux prescriptions de sa maîtresse, mais, quand celle-ci fut un peu excitée, elle cria : « Fais-le entrer plus avant, plus avant ! Qu’il se désaltère bien ! » Il s’en donna alors à cœur joie et ce ne fut pas sans peine que tous deux sortirent de l’eau[1].


  1. Variante. — « Que fait ce cheval ? — Il cherche des yeux les autres chevaux. — C’est vrai, c’est vrai ! — Si ce n’était pas vrai, madame, je ne le dirais pas. » Voilà qu’un coq couvre une poule. « Qu’est-ce que c’est que cela ? — Il pleut aujourd’hui ; eh bien ! il la protège contre la pluie. — C’est vrai, c’est vrai ! — Si ce n’était pas vrai, je ne le dirais pas. » Le coq et la poule s’accouplent. « Qu’est-ce qu’ils font ? — Demain c’est fête, ils vont en visite, l’un portant l’autre. — C’est vrai, c’est vrai !! »