Contes secrets Russes/La femme du marchand et le commis

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Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. 248-249).


LXXVII

LA FEMME DU MARCHAND ET LE COMMIS


Un marchand, vieux barbon, avait épousé une jeune femme, et il avait plusieurs commis. Son premier employé s’appelait Potap ; c’était un beau gars ; il se mit à faire la cour à sa patronne, à plaisanter avec elle, et il réussit à gagner ses bonnes grâces. On le remarqua, on en parla au marchand. Celui-ci dit à sa femme : « Écoute, mon âme, les gens disent que tu vis avec le commis Potap… — Allons donc, est-ce que je consentirais à cela ? N’en crois pas les gens, crois-en tes yeux ! — On dit qu’il s’est, depuis longtemps, procuré tes faveurs ! Ne pourrait-on pas le mettre à l’épreuve d’une façon quelconque ? — Eh bien ! » reprend la femme, « écoute-moi ; affuble-toi de mes vêtements, va le trouver dans le jardin (tu sais où il loge), et dis-lui à voix basse : J’ai quitté mon mari pour venir chez toi. Tu verras alors ce qu’il dira. — Soit ! » répondit le marchand. La jeune femme, profitant d’un moment propice, fit la leçon au commis : « Quand mon mari viendra, » lui dit-elle, « flanque-lui une bonne tripotée dont le drôle se souvienne longtemps ! « Le marchand attendit la nuit, s’habilla des pieds à la tête avec les vêtements de sa femme et se rendit au jardin du commis. « Qui est là ? » demanda celui-ci. — « C’est moi, mon âme ! » répond tout bas le marchand. — « Pourquoi cette visite ? — J’ai quitté mon mari et je suis venue chez toi. — Ah ! coquine ! On dit déjà que je te fais la cour, et tu veux, paraît-il, que je me rende tout à fait odieux à mon patron ! » Ce disant, il accable le marchand de coups sur les épaules, sur le dos, bref, il lui donne une peignée complète : « Ne viens plus chez moi, gredine, ne me déshonore pas ; pour rien au monde je ne consentirai à de pareilles infamies ! » Le marchand s’échappa tant bien que mal, revint en toute hâte auprès de sa femme et lui dit : « Non, ma chère, à présent on aura beau me dire que tu vis avec le commis, je ne le croirai pas. Il s’est mis à m’injurier, à me vilipender et à me battre ; j’ai eu beaucoup de peine à me débarrasser de lui ! — Vois-tu ! Et tu crois tout ce qu’on te dit ! » reprit la marchande qui, à partir de ce jour, vécut sans aucune crainte avec le commis.

FIN