Contes secrets Russes/Texte entier

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Contes secrets Russes (Rousskiia Zavetnia Skazki)
Isidore Liseux (p. v-249).

AVERTISSEMENT

DU TRADUCTEUR


Le temps est loin où les produits de l’imagination populaire ne rencontraient que l’indifférence et le mépris des lettrés. Ce n’est pas seulement dans l’ordre politique que se manifestent les tendances libérales et démocratiques de notre époque : non content de rajeunir les institutions gouvernementales, l’esprit moderne a aussi transformé la curiosité et la critique, rendant l’une moins exclusive et l’autre moins dédaigneuse. Sous cette influence, on s’est mis à rechercher, ― toujours avec sympathie, souvent avec un intérêt passionné, — les documents divers, légendes, traditions, contes, fabliaux, chansons, proverbes, etc., qui témoignent de l’activité intellectuelle des humbles, et toute une littérature ignorée a surgi, pour ainsi dire, de dessous terre.

La Russie n’est pas restée, sous ce rapport, en arrière de l’Europe occidentale. Dans ces cinquante dernières années, mais surtout depuis l’abolition du servage, l’étude du moujik au point de vue littéraire est devenue une des branches les plus cultivées de la science Russe. Nos grands érudits Français, les Caylus, les Legrand d’Aussy, les Sainte-Palaye, les Méon, les Barbazan, ont trouvé de dignes émules à Saint-Pétersbourg et à Moscou dans les Grigorovitch, les Varentzof, les Bouslaïef, les Mordovtzef, les Popof, etc.

Les ouvrages de MM. Rambaud, Léger, Sichler, ont déjà fait connaître en France un certain nombre de contes Slaves. Ceux que nous avons traduits sont à peu près inédits, — et pour cause, — dans leur pays natal. L’original du présent Recueil, tiré à quelques exemplaires seulement, « pour les archéologues et les bibliophiles » a été imprimé clandestinement, comme l’auteur lui-même nous l’apprend dans sa préface. L’avertissement, du reste, était inutile, car il suffit de jeter les yeux sur la couverture du livre pour être fixé sur le caractère interlope de cette publication. L’exemplaire dont nous nous sommes servis pour notre travail, appartient à la Bibliothèque Nationale de Paris. C’est un petit in-8o de 200 pages, intitulé : Rousskiia zavetniia skazti (Contes secrets Russes). Point de nom d’auteur naturellement, et, pour tous renseignements bibliographiques, cette mention aussi énigmatique que fantaisiste :

BALAAM
PAR L’ART TYPOGRAPHIQUE DE LA CONFRÉRIE
MONACALE
ANNÉE DE LA DIABLERIE DES TÉNÈBRES

Le folkloriste anonyme, à qui nous devons ce recueil, avait mille bonnes raisons pour ne pas le soumettre à la censure. La pudeur officielle, toujours si prompte à s’émouvoir, se fût, à coup sûr, gendarmée dès la première page. Dans notre conviction, toutefois, si ces contes offensent quelque chose de respectable, c’est plutôt le goût que les mœurs. Leur obscénité même leur confère une sorte d’innocuité morale : ils sont trop cyniques pour être voluptueux. De même que le spectacle de l’ivresse enseigne la sobriété, rien n’est plus propre à refroidir l’ardeur des sens que l’étalage brutal des choses de l’amour. Certes, nous ne voudrions pas conseiller cette lecture à la virginité ignorante, mais peut-être la recommanderions-nous moins encore à la caducité en quête d’excitations érotiques. Les vieillards qui demandent à une littérature spéciale le stimulus Veneris, ne trouveraient pas ici ce qu’ils cherchent.

Dans son beau livre : La Russie en 1839, le marquis de Custine insiste à plusieurs reprises sur la délicatesse innée, la distinction native du peuple Russe. Lorsqu’on a lu les Contes secrets, on est disposé à rabattre quelque peu de ces éloges. Gardons-nous pourtant de tomber dans l’exagération contraire et ne prenons pas texte de quelques gaudrioles excessives pour accuser les Russes de grossièreté, car ils pourraient trop aisément nous renvoyer ce reproche. De fait, l’indécence des conteurs Moscovites ne dépasse guère celle de nos vieux trouvères. Aucun peuple, aucune langue n’a le monopole du cynisme, et si « le Latin dans les mots brave l’honnêteté, » on peut en dire autant de tous les idiomes modernes, quand ils sont maniés par des populations primitives.

Les lecteurs de notre Recueil croiront plus d’une fois avoir sous les yeux quelque volume de la Bibliothèque Gauloise, tant sont nombreuses et flagrantes les analogies que skazki les présentent avec les contes de notre ancienne littérature. Ainsi le Moujik, l’Ours, le Renard et le Taon fait penser au Diable de Papefiguiére ; les Deux épouses et l’Enterrement du chien rappellent à s’y méprendre deux récits des Cent nouvelles nouvelles ; le Pope et le Moujik semble une réminiscence de Bonaventure des Periers (De celui qui acheva l’oreille de l’enfant à la femme de son voisin).

Ces rapprochements et bien d’autres qu’il serait facile de noter soulèvent un curieux problème d’origine. On est invinciblement amené à se demander si les skazki sont des productions réellement autochtones, ou s’il ne faut pas plutôt y voir des emprunts faits à l’Occident. Autant qu’il est permis de se prononcer dans une matière si obscure, la vérité se trouve, croyons-nous, entre ces deux hypothèses extrêmes. De plagiat au sens propre du mot, d’imitation consciente et directe, il ne saurait en être question ici : par quelle voie, en effet, les œuvres de Boccace, de Rabelais, de Des Periers ou de La Fontaine seraient-elles arrivées à la connaissance de paysans totalement illettrés, vivant dans quelque coin perdu de la Russie ? Les ressemblances signalées plus haut s’expliquent mieux, suivant nous, d’après une théorie à laquelle les découvertes des Orientalistes contemporains ont donné un grand caractère de probabilité. Si les contes des diverses nations Européennes nous frappent par un certain air de famille, cela vient, selon toute apparence, de ce que ces récits ont été puisés pour la plupart à une source commune, savoir, les antiques traditions Hindoues apportées en Europe par la race Aryenne, lorsque celle-ci abandonna les plateaux de la haute Asie.

D’autre part, il est assez naturel que des peuples différents, arrivés au même stade de développement social, se rencontrent dans l’expression d’idées et de sentiments identiques. Or, ce que nos ancêtres furent dans les temps féodaux, les Russes l’ont été, à peu de chose près, jusqu’à ces dernières années. Quoi d’étonnant si les uns et les autres, opprimés par l’autorité ecclésiastique et séculière, ont également criblé de leurs moqueries vengeresses le prêtre et le seigneur ? Quant à la malice féminine qui, dans les skazki comme dans nos vieux fabliaux, joue un rôle si considérable, n’est-ce pas, depuis l’Ève séduisante et perverse de la Bible, l’éternel sujet autour duquel évoluent toutes les littératures ?

À supposer même que des éléments étrangers soient entrés dans la composition de ces contes, ils n’en reflètent pas moins l’image intellectuelle du peuple qui les a élaborés en totalité ou en partie. Si nous faisions ici œuvre de critique, nous montrerions sans peine que le génie Russe, avec ses qualités et ses lacunes caractéristiques, se révèle — à l’état d’ébauche, si l’on veut, mais très visiblement — dans les naïfs récits des conteurs de l’izba. Il ne faut pas y chercher ce feu d’imagination que possèdent les novellieri Italiens et qui chez eux purifie jusqu’à l’ordure. Médiocrement doué sous le rapport de la fantaisie, l’esprit Grand-Russien ne s’élève pas au-dessus du terre-à-terre le plus prosaïque. En revanche, ces paysans voient juste, et ils décrivent avec beaucoup de vérité ce qu’ils ont vu : le monde rural, les relations du moujik avec le milieu qui l’entoure, bêtes et gens, — tout cela est très fidèlement retracé par eux dans de petits tableaux dont l’exactitude un peu sèche n’est cependant pas dénuée de pittoresque. Toutes proportions gardées, bien entendu, on peut affirmer que le don de l’observation, par où se distinguent les grands romanciers Russes de notre époque, n’a pas été refusé à leurs rustiques prédécesseurs.

Ajoutons-y l’humour, autre produit naturel de la terre Slave. « Gdié narod, tam i ston[1] », a dit Nékrasof. N’en déplaise au poète, il y a dans ces contes populaires beaucoup plus de rires que de gémissements. Mais leur enjouement ne ressemble pas à la joie cordiale et sans arrière-pensée des populations heureuses de vivre. C’est une gaieté maligne, aiguisée d’ironie et de sarcasme, telle, en un mot, qu’on doit s’attendre à la trouver dans le pays classique du pessimisme, chez le peuple qui a donné des armées à Stenka Razine et à Pougatchef. Quand ces gens-là rient, c’est d’ordinaire aux dépens du barine qui les bat et du pope qui les vole. Le véritable héros des skazki, le personnage préféré de nos conteurs, celui en qui ils semblent avoir mis toutes leurs complaisances, c’est le moujik retors et madré, toujours prêt à jouer quelque bon tour à son seigneur, — un Figaro Russe, peut-être lui aussi l’avant-coureur d’une révolution !

Paris, Octobre 1891.



CONTES SECRETS
RUSSES













INDEX DES MOTS RUSSES

NON EXPLIQUÉS EN NOTE

Altar. — Sanctuaire.
Barine. — Seigneur.
Barinia. — Femme d’un seigneur.
Batko. — Père (dans le langage populaire).
Batouchka. — Petit père, nom souvent donné aux ecclésiastiques.
Chtchi. — Soupe aux choux.
Dessiatine. — Mesure de superficie : environ 109 ares.
Diadiouchka. — Petit oncle.
Douchenka. — Petite âme, terme de tendresse.
Izba. — Habitation du paysan Russe.
Kacha. — Gruau.
Matouchka. — Petite mère.
Popadia. — Femme d’un pope.
Popovna. — Fille d’un pope.
Verchok. — Mesure équivalant à un peu plus de 4 centimètres.
Vodka. — Eau-de-vie.



CONTES SECRETS RUSSES

I

LA RENARDE ET LE LIÈVRE


Le printemps était arrivé et fouettait le sang d’un lièvre qui, bien que peu vaillant, se donnait des airs gaillards. Il alla dans un bois et s’avisa de faire visite à une renarde. Celle-ci, au moment où il s’approchait de son terrier, se trouvait sur le poêle et ses enfants étaient près de la fenêtre. Apercevant le lièvre, elle leur dit : « Allons, mes enfants, si le louche vient me demander, répondez que je ne suis pas chez moi. Voyez-vous, c’est le diable qui l’amène ! Il y a longtemps que j’en veux à ce drôle ; à présent peut-être je le pincerai de façon ou d’autre. » Là-dessus, la renarde se cache. Le lièvre arrive et frappe à la porte. « Qui est là ? » demandent les renardeaux. — « C’est moi, » dit le visiteur ; « bonjour, chers petits ! Votre mère est-elle à la maison ? — Elle n’y est pas ! — C’est dommage ! Moi qui venais pour la besogner… et elle n’est pas chez elle ! » reprit le lièvre ; sur ce, il s’élança dans le bois.

La renarde avait tout entendu : « Ah ! fils de chienne, diable louche, » vociféra-t-elle, « attends un peu, effronté, je te ferai payer cher ton impudence ! » Elle descendit du poêle et se mit aux aguets derrière la porte, pensant que le lièvre ferait peut-être une nouvelle apparition. En effet, il ne tarda pas à revenir. « Bonjour, petits ; votre mère est-elle chez elle ? » demande-t-il aux renardeaux. — « Elle n’y est pas ! — Tant pis, » reprend le lièvre ; « je l’aurais régalée à ma façon ! » Soudain la renarde surgit devant lui : « Bonjour, mon cher ! » Le lièvre détale au plus vite, il court à perdre haleine, semant des crottes sur son chemin. La renarde le poursuit. « Non, diable louche, tu ne m’échapperas pas ! » Voilà qu’elle va l’atteindre ! Le lièvre fait un bond et saute au travers de deux bouleaux très rapprochés l’un de l’autre. La renarde veut l’imiter, mais elle reste prise entre les deux arbres, il ne lui est plus possible ni d’avancer ni de reculer, vainement elle s’épuise en efforts pour reconquérir sa liberté. Le louche regarde derrière lui, il voit ses affaires en bon train, revient vivement sur ses pas et prend son plaisir avec la renarde. « Voilà notre genre à nous autres, voilà notre manière », répète-t-il. Après avoir bien besogné, il se remet précipitamment en route.

Non loin de là se trouvait une fosse à charbon : un paysan y avait fait du feu. Le lièvre court se vautrer dans la poussière noire, ce qui lui donne l’air d’un vrai moine. Ensuite il va rejoindre la route et se tient coi, l’oreille basse. Sur ces entrefaites, la renarde, qui avait enfin réussi à se dégager, s’était mise à la recherche du lièvre ; en l’apercevant, elle le prit pour un religieux : « Bonjour, saint père, » dit-elle, « n’as-tu pas vu quelque part un lièvre louche ? — Lequel ? celui qui t’a φουτυε tantôt ? » La renarde rougit de honte et retourna chez elle à la hâte. « Ah ! le coquin, » se disait-elle, « il a déjà répandu la chose dans tous les monastères ! » Quelque rusée que fût la renarde, le lièvre lui dama le pion !



II

LE MOINEAU ET LA JUMENT


Dans la cour d’un paysan se trouvait toute une bande de moineaux ; l’un d’eux commença à se vanter devant ses camarades : « La jument grise, » dit-il, « est amoureuse de moi ; elle m’adresse de fréquentes œillades ; voulez-vous que je la βαισε devant toute notre honorable réunion ? — Voyons un peu ! » répondirent ses camarades. Le moineau vole vers la jument et lui dit : « Bonjour, chère petite jument ! — Bonjour, chanteur ! qu’est-ce que tu me veux ? — Voici : je voudrais te demander… — C’est très bien, » reprit la jument ; « chez nous, à la campagne, quand un garçon commence à en tenir pour une jeune fille, c’est l’usage qu’il lui fasse des cadeaux, qu’il lui achète des noix et du pain d’épices. Mais toi, qu’est-ce que tu me donneras ? — Dis seulement ce que tu veux. — Eh bien ! va me chercher, grain par grain, un tchetvérik[2] d’avoine ; et alors nous ferons l’amour. »

Le moineau se mit à l’œuvre ; après de longs efforts il réussit enfin à charrier tout un tchetvérik d’avoine. Ensuite il accourut à tire d’aile auprès de la jument : « Allons, ma chère, l’avoine est prête ! » En prononçant ces mots, le moineau ne se sentait pas d’impatience. — « Bien, » répondit la jument ; « il est inutile de remettre l’affaire ; je ne puis pas rester honnête toute ma vie et l’amour d’un gaillard comme toi n’a rien de déshonorant ! Apporte l’avoine et appelle tes camarades : je ne rougirai pas de t’appartenir ! Pose-toi sur ma queue, tout près de mon κυλ, et attends que je lève la queue. »

La jument se mit à manger l’avoine, le moineau se plaça sur sa queue ; les camarades regardant ce qui va se passer, la jument dévora, dévora, puis leva la queue et le moineau s’introduisit brusquement dans son derrière. La jument le serra avec sa queue et il se trouva horriblement mal. Cependant, après avoir mangé, elle se mit à péter ; le moineau sortit précipitamment du lieu où il était et se mit à dire avec jactance à ses compagnons : « Voilà comme nous sommes, nous autres ! la jument n’a pas pu y tenir : vous avez entendu comme elle a pété. »



III

L’OURS ET LA PAYSANNE


Une paysanne labourait dans un champ ; un ours la vit et se dit : « Penser que pas une fois je n’ai engagé la lutte avec les femmes ! Sont-elles ou non plus fortes que les hommes ? J’ai déjà démoli assez de paysans, et je n’ai pas encore eu l’occasion d’avoir affaire aux femmes. » Il s’approche donc de la paysanne et lui dit : « Laisse-moi lutter avec toi ! — Et si tu me déchires quelque chose, Michel Ivanovitch ? — Eh bien ! en ce cas, je t’apporterai une ruche de miel. — Soit, luttons ! » L’ours saisit la femme dans ses pattes et la jette sur le sol. Elle lève ses jambes en l’air, les écarte et lui dit : « Qu’est-ce que tu as fait ? Comment maintenant me montrerai-je à la maison ? Que dirai-je à mon mari ? » L’ours regarde, il aperçoit une grande fente. Voilà son œuvre ! Il ne sait que faire. Soudain un lièvre passe en courant. « Attends un peu, » lui » crie l’ours, « attends, viens ici ! » Le lièvre obéit. L’ours, prenant la femme par les lèvres du κον, les allonge en tirant dessus et ordonne au lièvre de les tenir un moment pendant que lui-même ira en toute hâte chercher des tilles au bois. Il en rapporte un faisceau si gros qu’il peut à peine le traîner. Il veut recoudre la fente faite à la femme. Il jette les tilles par terre ; la femme a peur, elle pète, ce qui fait faire au lièvre un bond de deux archines. « Eh bien ! Michel Ivanovitch, ça craque partout ! — À présent elle se lézarde de tous les côtés ! » dit l’ours, et il s’enfuit aussi vite que possible.



IV

LE LOUP


Un paysan possédait une truie qui venait d’avoir douze petits ; il l’enferma dans une étable dont les murs étaient faits de broussailles entrelacées. Le lendemain, le paysan vint voir les jeunes cochons, il les compta et s’aperçut qu’il en manquait un. Le surlendemain il constata encore la disparition d’un marcassin. Qui les vole ? Le vieillard alla passer la nuit dans l’étable, où il se mit en observation. Du bois arriva précipitamment un loup qui, s’étant rendu droit à l’étable, tourna le dos à la porte, introduisit sa queue dans une ouverture et commença à la frotter contre le sol de l’étable. Attirés par le bruit, les petits cochons quittèrent leur mère et s’approchèrent de la porte pour flairer la queue du loup. Aussitôt celui-ci fit volte-face, fourra sa gueule dans le trou d’où il venait de retirer sa queue, et, saisissant un des jeunes cochons, l’emporta dans le bois.

Le soir suivant, le paysan revint à l’étable et s’assit tout près de la porte. Quand l’obscurité fut devenue épaisse, le loup accourut de nouveau et se livra au même manège que précédemment ; mais, dès qu’il eut introduit sa queue dans l’étable, le paysan la saisit des deux mains et, se tenant solidement appuyé contre la porte, se mit à crier de toutes ses forces : « Tu ! Tu ! Tu ! » Le loup fit des efforts désespérés pour se dégager, il se démena avec violence, tant qu’à la fin sa queue se détacha. L’animal s’enfuit, mais il perdait beaucoup de sang ; après avoir fait vingt pas, il cessa de courir, s’affaissa sur le sol et expira. Le paysan l’écorcha et vendit sa peau.


V

LE PAYSAN, L’OURS, LE RENARD ET LE TAON


Le paysan ne savait comment faire pour échapper à ses ennemis. Tout à coup une idée lui vient : il saisit sa femme dans ses bras et la jette par terre ; elle crie. « Tais-toi ! » lui dit son mari qui, sans désemparer, la dépouille de sa robe et de sa chemise ; ensuite il lui lève les jambes en l’air aussi haut qu’il peut. L’ours voit que le paysan moleste une femme. « Non, renard, » dit-il, « toi et le taon vous aurez beau dire, pour rien au monde je ne m’approcherai de ce paysan. — Pourquoi ? — Mais regardez donc, voyez un peu comme il maltraite cette personne. » Alors le renard regarda et dit : — « Tu as raison : le fait est qu’il brise les jambes à quelqu’un. » À son tour, le taon regarda : — « Ce n’est pas cela du tout, » dit-il ensuite ; « il introduit une paille dans le κυλ de quelqu’un ! » Chacun comprenait que mal leur en prendrait de s’attaquer à l’homme, mais le taon avait mieux deviné qu’aucun autre. L’ours et le renard s’enfuirent dans le bois, et le paysan resta sain et sauf.


VI

LE CHAT ET LA RENARDE


Un paysan avait chassé de chez lui un chat libidineux, qui s’était retiré dans un bois. Là habitait une renarde très polissonne : tout le temps elle folâtrait avec les loups et les ours. Elle rencontra le chat ; ils causèrent de ceci et de cela. « Kotoféi Ivanovitch, » dit la renarde, « tu es garçon, et moi je ne suis pas mariée ! prends-moi pour toi ! » Le chat consentit. Ils firent ensemble un joyeux repas, après quoi ils en vinrent à l’amoureux déduit. Le chat monta sur la renarde et la caressa moins qu’il ne la déchira avec ses griffes. Cependant il ne cessait de crier : « Encore, encore, encore ! — Quel être ! » dit la renarde, « pour lui ce n’est jamais assez ! »



VII

LE POU ET LA PUCE[3]


Un pou rencontre une puce : « Où vas-tu ? — Je vais passer la nuit dans le κον d’une femme. — Eh bien ! moi, je vais entrer dans le κυλ d’une femme. » Ils se séparèrent. Le lendemain, ils se rencontrèrent de nouveau. « Eh bien ! comment as-tu dormi ? » demanda le pou. — « Ne m’en parle pas ! j’ai eu si peur ! Une espèce de chauve est venu vers moi et a commencé à me donner la chasse, je sautais çà et là, mais il ne cessait de me poursuivre ; ensuite il a craché sur moi et s’est retiré ! — Eh bien ! ma commère, il y en a deux qui cognaient à l’endroit où je me trouvais, je me suis caché, ils ont continué à cogner et à la fin sont partis. »



VIII

LE PIC


Une paysanne prit un pic et le mit en cage. Quand son mari revint à la maison, elle lui apprit la capture qu’elle avait faite. « Où est maintenant ce pic ? Tu ne l’as pas laissé s’envoler ? » demanda-t-il. — « Je l’ai mis en cage, » répondit la femme. — « Très bien ! Je vais lui faire son affaire ! Je vais le dévorer tout vif. » Il ouvrit la cage, mais comme il allait donner un coup de dents au pic, celui-ci vola dans la bouche de l’homme, dont il parcourut tout le corps jusqu’au κυλ, puis, passant sa tête par cet endroit, il se mit à crier : « Je suis vivant ! Je suis vivant ! » Il disparut ensuite, mais pour se montrer de nouveau peu après et répéter la même parole. Il ne laissa pas de repos au paysan qui, se trouvant fort incommodé, dit à sa ménagère : « Prends une bûche, je vais me mettre à quatre pattes ; dès que le pic se montrera, assène-lui un bon coup sur la tête. » Il se mit à quatre pattes, sa femme prit une bûche qu’elle brandit sitôt que le pic passa sa tête ; mais le coup, au lieu d’atteindre l’oiseau, meurtrit le derrière du paysan. Que faire ? Le malheureux ne pouvait se débarrasser du pic, qui continuait à passer la tête hors de son κυλ et à crier : « Je suis vivant ! Je suis vivant ! » « Prends une faux bien aiguisée, » ordonna le moujik à sa femme ; « je vais encore me mettre à quatre pattes, et dès que le pic passera sa tête, tu la lui couperas. » La femme prit la faux et son mari se mit à quatre pattes. L’oiseau n’eut pas plutôt passé sa tête, que la paysanne entreprit de la lui trancher ; mais l’arme, mal dirigée, blessa seulement le κυλ du moujik. L’oiseau s’envola, le paysan perdit tout son sang et mourut.


IX

LE κον ET LE κυλ


Une dispute surgit un jour entre le κον et le κυλ, et Dieu sait quel tapage ils firent ! Le κον dit au κυλ : « Tu ferais mieux de te taire, vaurien ! Tu sais que je reçois chaque nuit un excellent visiteur, et pendant ce temps-là tu ne fais que répandre une odeur infecte. — Ah ! misérable κον ! » répliqua le κυλ. « Quand on te φουτ, les crachats coulent sur moi, et je me tairais ! » — Tout cela est arrivé jadis, dans le temps où on ne connaissait pas encore l’usage des couteaux et où l’on coupait la viande avec le υιτ.



X

LAVE LE κυλ[4]


Il y avait une fois deux époux. Un jour que la femme servait le dîner à son mari, celui-ci commença à la frapper en disant : « Lave le κυλ, lave le κυλ ! » Elle se mit à laver son κυλ, elle le frotta avec du sable, l’essuya avec une natte au point de faire venir le sang. Mais dès qu’elle entreprend de servir le dîner, son mari recommence à la battre et à répéter : « Lave le κυλ, lave le κυλ ! » La femme se plaint à sa tante. « Je n’y comprends rien, ma tante, » dit-elle ; « quand je mets le couvert, mon mari me bat toujours et me crie : « Lave le κυλ, lave le κυλ ! » Pourtant il me semble que je lave assez bien mon κυλ, je le frotte même jusqu’au sang ! — Eh ! que tu es sotte, ce n’est pas ton κυλ qu’il faut laver, c’est celui de la tasse. » Dès que l’épouse se fut mise à laver le cul de la tasse, son mari cessa de la battre.



XI

MAUVAIS, — PAS MAUVAIS


Un chien est assis sur une meule qui flotte à la surface de l’eau ; il a la tête basse, la queue serrée entre les fesses, il pousse de petits cris et lèche sa patte. « Tu as passé devant la maison de l’évêque ? — Oui ; il y a là des chevaux sellés, des hommes à cheval, on joue de la trompette, le diable sait ce qu’on célèbre ! C’est, dit-on, le mariage de l’évêque avec une jument isabelle… — Et as-tu vu l’ours de Rostoff ? — Oui. — Comment est-il ? — Gris. — Est-ce ça un ours ? — Vas-te faire φουτρε ! Ne dis pas de sottises, c’est un loup. — Veux-tu te taire ! Chez nous le loup court dans le bois et agite ses oreilles. — C’est un lièvre. — Μερδε pour toi ! »[5].



XII

L’IMBÉCILE


Un paysan avait un fils qui était fort bête. Le jeune homme eut envie de se marier et de coucher avec une femme ; il se mit à importuner son père : « Marie-moi, papa ! — Attends un peu, mon fils, » lui dit le père, « il est encore trop tôt pour te marier : ton υιτ ne va pas encore jusqu’au κυλ ; quand il l’aura atteint, alors je te marierai. » Voilà le fils qui prend son υιτ dans ses mains et le tire le plus fort qu’il peut, ensuite il regarde et constate la justesse de l’observation faite par son père. « En effet, » dit-il, « il est trop tôt pour que je me marie, mon υιτ n’est pas encore assez grand, il ne va pas jusqu’à mon κυλ ! Il faut attendre un an ou deux. » Le temps se passe, l’imbécile ne s’occupe qu’à allonger son υιτ ; voilà qu’il est parvenu à ses fins : son υιτ non seulement arrive jusqu’au κυλ, mais le dépasse ! « À présent, » dit le jeune homme, « je puis me marier sans déshonneur, j’ai de quoi satisfaire ma femme et elle n’aura pas besoin d’aller avec d’autres ! » Quel jugement attendre d’un imbécile ? pense à part soi le père, et il répond au jeune homme : — « Eh bien, mon fils, puisque ton υιτ a tellement grandi qu’il atteint ton κυλ, tu n’as que faire de te marier ; reste garçon, continue à demeurer ici et φους-toi avec ton υιτ… » Ainsi finit l’histoire.



XIII

LA TÊTE DE BROCHET


Une jeune paysanne alla un jour herser dans le clos de ses parents. Elle travaillait depuis longtemps lorsqu’on l’appela à la maison pour manger des beignets. Elle quitta le clos en y laissant le cheval et la herse. « Puisque je vais revenir, ils peuvent bien rester là, » pense-t-elle. Mais le voisin avait un fils qui était un imbécile. Depuis longtemps ce garçon avait des vues sur la jeune fille et il ne savait comment arriver à ses fins. Ayant aperçu le cheval et la herse, il franchit la haie, détela l’animal et l’emmena dans son clos ; la herse, il la laissa à sa place, mais il prit les limons, les fit passer à travers la haie et remit le cheval au brancard. Grande fut la surprise de la paysanne quand elle revint dans son clos : « Qu’est-ce que cela veut dire ? La herse est d’un côté et le cheval de l’autre ? » Elle commença à allonger des coups de fouet à sa rosse : « Quel diable t’a emmené ? Tu as su sortir du clos, tu sauras bien y rentrer ; allons, allons, arrive ! » Le jeune homme l’écoutait en riant. « Si tu veux, je t’aiderai, » dit-il, « seulement permets-moi… — Soit, » répondit la rusée jeune fille. Elle avait remarqué par terre une vieille tête de brochet qui traînait là avec la bouche béante ; elle la ramassa et la fourra dans sa manche. « Je n’irai pas près de toi, » dit-elle au jeune homme, ne viens pas non plus ici, il ne faut pas qu’on nous voie ; passe-moi plutôt ton affaire à travers la haie et je la mettrai où tu sais. » Le gars s’empressa de faire ce qu’on lui disait ; la jeune fille prit la tête de brochet et, après en avoir écarté les mâchoires, y introduisit l’objet qui lui était présenté. Sentant une douleur cruelle, le jeune homme retira au plus vite son membre ensanglanté et se sauva chez lui, où il s’assit dans un coin. « Ah ! peste soit d’elle ! » se dit-il, « son κον mord d’une façon terrible ! Pourvu seulement que ma blessure se cicatrise ! Désormais je ne rechercherai plus les faveurs d’aucune fille ! »

Voilà qu’au bout d’un certain temps les parents de ce gars s’avisèrent de le marier ; ils le fiancèrent à la fille du voisin et le mariage eut lieu. Un jour, deux jours, trois jours se passent, puis une semaine, deux semaines, trois semaines : le jeune homme n’osait pas toucher à sa femme. Sur ces entrefaites, les époux durent aller voir la mère de la mariée ; ils se mirent en route. Pendant le voyage, la jeune femme dit à son mari : « Écoute, cher Danilouchka ! pourquoi, m’ayant épousée, n’as-tu pas de relations avec moi ? Si tu ne peux pas, quel besoin avais-tu de faire le malheur de ma vie ? — Non, répondit Danilo, « à présent tu ne m’y repinceras plus ! Ton κον mord. Il m’en a cuit dans le temps, et ce n’est pas sans peine que j’ai été guéri. — Tu plaisantes, » reprit-elle, « alors je t’ai fait une farce, mais maintenant n’aie pas peur ! Allons, essaie un peu ici, dans le traîneau, toi-même tu trouveras ça bon. » Excité par ces paroles, le jeune homme retroussa la robe de sa femme : « Attends, Varioukha, » dit-il, « laisse-moi d’abord te lier les jambes ; comme cela, s’il commence à mordre, je pourrai me sauver. » Là-dessus, il détacha les guides et les noua autour des cuisses nues de Varioukha. C’était un mâle vigoureux que ce mari ; il assaillit sa femme avec tant de violence qu’elle jeta les hauts cris. Le cheval était jeune, il prit peur et partit à grand galop ; Danilo roula à terre et Varioukha, emportée à toute vitesse, arriva, les cuisses toujours nues, dans la cour de sa mère. Celle-ci, qui regardait par la fenêtre, reconnut l’équipage de son gendre. « Sans doute, » se dit-elle, « il apporte du bœuf pour la fête. » Elle alla au devant de lui et se trouva en présence de sa fille. « Ah ! ma mère, » cria la jeune femme, « délie-moi vite, que personne ne me voie en cet état. » Quand elle l’eut déliée, la vieille se mit à la questionner : « Et ton mari, où est-il ? — Le cheval l’a jeté en bas du traîneau. »

Entrées dans l’izba, les deux femmes aperçurent par la fenêtre Danilka, qui arrivait. Des enfants jouaient aux osselets dans la cour ; il s’approcha d’eux, puis s’arrêta et regarda autour de lui. La maîtresse de la maison dit à sa fille aînée d’aller le chercher. La jeune fille se rendit auprès de son beau-frère. « Bonjour, Danilo Ivanitch ! » commença-t-elle. — « Bonjour. — Viens à la maison, on n’attend plus que toi. — Varvara est chez vous ? — Oui. — Est-ce qu’elle ne saigne plus ? » La jeune fille lança un jet de salive et s’éloigna. La vieille envoya alors sa bru au devant du visiteur. « Viens, Danilouchka, » fit celle-ci, « il y a longtemps que le sang a cessé de couler. » Elle le conduisit à la maison, où il fut reçu par sa belle-mère, qui lui dit : « Sois le bien venu, mon cher gendre ! — Varvara est chez vous ? » demanda-t-il. — « Oui. — Est-ce qu’elle saigne encore ? — Il y a longtemps que c’est fini. » À ces mots, Danilo sortit son membre de son pantalon et le montra à sa belle-mère en disant : « Voyez-vous, matouchka, je lui ai logé toute cette alène dans le corps ! — Allons, allons, assieds-toi, il est temps de dîner. » On se mit à table et chacun commença à manger et à boire. On servit une omelette ; l’imbécile eut envie de la manger tout entière à lui tout seul et s’avisa pour cela d’un stratagème ingénieux : il exhiba son membre, frappa dessus avec sa cuiller et dit : « L’alène que voici a été tout entière dans le corps de Varioukha ! « ensuite il se mit à tailler l’omelette avec sa cuiller. Naturellement, tous les convives quittèrent la table ; Danilo mangea seul l’omelette, après quoi il remercia sa belle-mère de son hospitalité.



XIV

UN MAUVAIS MARIAGE


Deux époux Cosaques avaient un fils appelé Gritzko ; tandis qu’il gardait les brebis dans la steppe, son père et sa mère s’entretenaient à son sujet : « Vieille, il faut que nous mariions Gritzko. — Soit, marions-le. » Les parents firent chercher leur fils. « Bonjour, panotché[6], » dit à ce dernier le domestique envoyé vers lui, « ton père te demande ». Arrivé à la maison, le jeune homme y trouva les deux vieillards, qui l’accueillirent par les mots : « Bonjour, fils, comment vas-tu ? — Grâce à Dieu, je ne vais pas trop mal, papa et maman ; mais pourquoi donc m’avez-vous fait appeler ? — Vois-tu, » reprit le père, « ta mère et moi nous sommes vieux ; eh bien ! il faut que nous te mariions. — Je ne veux pas ! Je m’en irai dans la steppe. — Attends, n’aie pas peur ; nous consulterons de braves gens, nous verrons ce qu’ils disent. — Alors, c’est bien ». Les braves gens conseillèrent aux parents de donner à leur fils six sacs de grain et de l’envoyer au marché. « Recommandez-lui, » dirent-ils, « de ne les vendre ni aux Juifs, ni aux marchands, ni aux vieilles femmes ; qu’il les cède seulement aux jeunes filles et qu’il réclame une passade pour le prix d’un sac. »

Revenu chez lui, le vieux Cosaque dit à son fils : « Gritzko, prend deux bœufs, attelle-les à la charrette et conduis six sacs de blé au marché ; seulement ne les vends ni aux Juifs, ni aux marchands, ni aux vieilles femmes ; vends-les aux jeunes filles ». Le gars attela les bœufs, mit les six sacs de blé dans la charrette et se rendit à la ville. En approchant du marché, il rencontra un Juif qui lui dit : « Bonjour, panotché, qu’est-ce que tu as à vendre ? — Rien du tout, Juif ! » Le jeune homme fut ensuite accosté par un marchand : « Qu’est-ce que vous vendez, panotché ? — Rien du tout. » Puis une jeune fille vint à passer et lui adressa la même question : « Qu’est-ce que vous vendez ? — Du blé », répondit-il. — « Combien en avez-vous ? — Six sacs. — Et qu’est-ce que vous demandez pour cela ? — Une passade ! — Vous ne pouvez pas prendre moins ? » interrogea la jeune fille, surprise d’une telle exigence. — « Non, c’est le dernier prix : si vous m’accordez une passade, je vous donnerai mon blé. — Conduis tes sacs chez moi. » Ils se mirent en route. Quand on fut arrivé devant la porte de la maison, Gritzko demanda où il fallait déposer les sacs. La fille indiqua un endroit, entra chez elle, prépara une collation, puis appela le jeune homme : « Viens ici, panotché ! » Il se rendit auprès d’elle. « Eh bien ! panotché, fais de moi ce que tu veux ! » Gritzko profita aussitôt de la permission et, quand sa passion fut satisfaite, il remercia la jeune fille de sa complaisance. Elle alors de répondre : « Remercie le Dieu saint ! »

Lorsque le gars arriva chez lui, ses parents lui demandèrent : « As-tu vendu le blé, fils ? — Je l’ai vendu. — À quel prix ? — Pour une passade. — As-tu trouvé cela bon, fils ? — C’est meilleur que je ne saurais le dire. — Eh bien ! fils, marie-toi, et tu auras ce plaisir-là avec ta femme. — S’il en est ainsi, je suis prêt à me marier. — Allons, vieille, » dit le père, « Dieu soit loué ! notre Gritzko consent à se marier. » Les deux époux envoyèrent une marieuse chez un riche paysan. « Que Dieu vous assiste ! » commença cette femme en entrant dans l’izba. — « Bonjour, grand’mère ! Qu’est-ce que tu nous diras de bon ? — J’ai un acheteur pour votre marchandise. » Séance tenante, la marieuse obtint pour Gritzko la main de Gapka, la fille du moujik. On fit choix d’un garçon d’honneur, on invita des amis, on alla à l’église, le mariage fut célébré et le reste de la journée se passa à banqueter. Ensuite les époux furent conduits à la chambre nuptiale. « Attention, Gritzko ! » dit alors le garçon d’honneur au nouveau marié, « sais-tu où on φουτ ? — Comment ne le saurais-je pas ? — Eh bien ! où est-ce ? — C’est sur le lit. — Mais non, tu plaisantes, c’est où il y a des poils. — Bien ! » On laissa les mariés seuls ensemble et on retourna achever la fête. Quand il fut couché de quelque temps avec Gapka, Gritzko eut envie de φουτρε. Il se mit à tâter sur les meubles, sur les rayons, mais il n’y trouva pas ce qu’il cherchait. Dans cette chambre il y avait un sochet au haut duquel était accrochée une brosse. Ayant aperçu cet objet, Gritzko grimpa sur le sochet, allongea le bras, commença à tâter : « Non, » se dit-il, « il n’y a là rien à φουτρε. » Mais il n’osa pas descendre du sochet. Le garçon d’honneur arriva pour faire lever les époux. « Bonjour, jeune Gritzko, » fait-il en cognant à la porte. — « Bonjour ! » répondit l’interpellé, toujours juché sur le sochet. — « Eh bien ! Gritzko, as-tu trouvé les poils ? — Oui. — Et tu es monté ? — Oui, mais le diable c’est que je suis encore là. — Laisse-toi tomber sur le côté. » Le jeune homme suivit ce conseil et, en tombant, se fit à la tête une plaie saignante. « Eh bien ! » reprit le garçon d’honneur, « tu t’es laissé tomber ? — Oui. — Est-ce que cela a saigné ? — Pour sûr ! Ouvrez donc la porte ! » Dès qu’on l’eut ouverte, Gritzko sortit précipitamment de la maison et courut vers la steppe où paissaient ses brebis. Comme il passait devant la cour du pope, des chiens s’élancèrent tout à coup sur lui. Le jeune homme se sauva et chercha un refuge dans l’église, qu’il trouva remplie de monde (c’était un dimanche), « Que de gens ces chiens ont forcés à se réfugier ici ! » pensa Gritzko, surpris de rencontrer là une telle foule. « Ils parlent à voix basse, ils saluent, qu’est-ce que cela signifie ? » Ensuite il aperçut le pope vêtu d’une chasuble dorée ; l’ecclésiastique s’avançait en saluant toujours, accompagné d’un nombreux cortège ; il s’approchait de Gritzko. « Qu’est-ce que c’est ? » fit à part lui ce dernier, « il jette du feu sur les gens ! » Voyant enfin le pope tout près de lui, Gritzko lui dit : « Doucement, batko, ne me brûle pas les yeux. » Le pope ne parut pas avoir entendu ces paroles. Alors le jeune homme le repoussa si vivement que l’ecclésiastique tomba par terre, mais aussitôt cinquante individus assaillirent l’imbécile. Il parvint à se dégager de leurs mains et s’enfuit dans la steppe, fort étonné d’avoir eu à se défendre contre des gens qui tout à l’heure lui prodiguaient les saluts.

Cependant Gapka, sans son petit homme, s’ennuie et pleure. On lui conseille d’aller retrouver Gritzko dans la steppe où il garde son troupeau à côté d’un étang : « Tu lui demanderas : « Peut-on se baigner là, mon petit homme ? » Il te répondra : « Pourquoi pas ? On le peut très bien. » Tu répliqueras : « Mais l’eau est peut-être bien profonde, descends-y toi-même le premier, » et l’affaire se fera ainsi. » Gapka se rendit dans la steppe. « Bonjour, panotché ! » dit-elle en apercevant Gritzko qui se trouvait près d’un étang. — « Bonjour ! » répondit-il. — « Est-ce qu’on peut se baigner ici, mon petit homme ? » reprit-elle. — « Pourquoi donc ne le pourrait-on pas ? — Mais l’étang est peut-être profond. Donne-moi l’exemple. » À ces mots, ôtant sa chemise et son pantalon, Gritzko entra dans l’eau. « Tu vois, » dit-il, « je n’en ai que jusqu’aux genoux. » À son tour, Gapka descendit dans l’étang. « Qu’est-ce que cela ? » questionna-t-elle en fixant ses yeux sur le υιτ du jeune homme. — « C’est du tabac, » répondit-il. — « À quoi sert-il ? Que fais-tu avec cela ? — Je πισσε. — Et qu’est-ce que tu lui donnes à manger ? — Mais rien. — Voilà pourquoi il est si maigre. » De son côté, Gritzko, ayant remarqué le κον de Gapka, demanda : « Et ce que tu as là, qu’est-ce que c’est ? — Une poche. — À quoi te sert-elle ? — C’est pour mettre du tabac. Mets-y un peu le tien. — Eh ! pour qu’elle me morde ! J’en ai peur ! — Non, elle ne te mordra pas. » Après un moment d’hésitation, le gars consentit à mettre son tabac dans la poche de Gapka, ce à quoi celle-ci l’aida de son mieux. La chose plut à Gritzko, il quitta aussitôt la steppe, et revint chez lui en courant. « Papa, maman ! » cria-t-il dès qu’il fut rentré à la maison, « où est ma femme ? — Pourquoi te la faut-il ? — Je veux φουτρε ! — Elle va venir. » La jeune femme fut fort contente, néanmoins elle dit à son mari : « Attends jusqu’au dîner, ma mère a fait des beignets. — Non, je n’ai pas faim, » répondit Gritzko, « allons mettre du tabac dans ta poche. » Et il se hâta de passer des paroles aux actes.

Mais peu après Gapka se plaignit d’être souffrante. « Que faire ? » demanda le jeune homme ; — « De braves gens m’ont dit, » reprit-elle, « que si le bœuf de notre voisin me léchait le κυλ, cela me guérirait peut-être ; va le prier de nous le prêter. » Gritzko se rendit à la maison voisine : « Votre bœuf peut-il venir lécher le κυλ de ma femme ? — Certainement. » Il revint chez lui et dit à Gapka : « Le voisin amène son bœuf. » La jeune femme se retrousse, tend son derrière devant la fenêtre et, pendant que son mari la tient, Ivachka, le fils du voisin, avec qui elle s’était entendue d’avance, lui fait passer sa fièvre grâce à un remède qu’on devine. « Eh bien ! comment cela va-t-il ? » interrogea Gritzko. — « Je me sens un peu soulagée. »

À quelque temps de là, Gritzko lui-même tomba malade. « Femme, » dit-il, « va demander le bœuf du voisin, qu’il vienne me lécher le κυλ. » Bientôt Gapka revint avec l’animal : « Allons, va te mettre en position devant la fenêtre. » Gritzko ôta son pantalon, mais au moment où il présentait son postérieur au bœuf, celui-ci, d’un coup de corne, le lança en l’air.



XV

UNE JEUNE FILLE PEUREUSE


Deux jeunes paysannes causaient ensemble. « … Comme toi, ma chère, je ne me marierai pas ! — Et quelle nécessité de nous marier ? Nous sommes nos maîtresses, après tout ! — As-tu déjà vu, ma chère, l’instrument avec lequel on nous traverse ? — Oui. — Eh bien, est-ce qu’il est gros ? — Ah ! ma fille, il y en a qui l’ont positivement de la grosseur du poing. — Mais cela doit vous tuer ! — Veux-tu, pour avoir une idée de la chose, que je te passe là seulement un fétu de paille ? » Celle à qui cette proposition était faite se coucha par terre, et son amie lui introduisit un brin de paille dans les parties génitales. « Oh, cela fait mal ! »

À quelque temps de là, le père d’une des deux jeunes filles l’obligea à prendre un époux. Quand elle eut passé deux nuits dans le lit conjugal, la nouvelle mariée vint voir son amie : « Bonjour, ma chère ! » L’autre se mit aussitôt à l’accabler de questions. « Eh bien ! » répondit la visiteuse, « si j’avais su ce que c’était, je n’aurais obéi ni à mon père, ni à ma mère. J’ai bien pensé que j’allais mourir, je t’assure que je n’en menais pas large ! » Ces paroles de la jeune femme effrayèrent tellement son interlocutrice, que celle-ci se jura de rester fille. « Je ne me marierai pas, » dit-elle, « à moins que mon père ne m’y contraigne en employant la force, et encore, dans ce cas, je ne me marierai que pour la forme, j’épouserai un homme incomplet ».

Or, il y avait dans ce village un gars extrêmement pauvre ; il était trop gueux pour pouvoir prétendre à un beau parti et néanmoins il ne voulait pas se mal marier. Ayant surpris la conversation qu’on vient de lire, ce jeune homme résolut d’en profiter : « Quand j’aurai l’occasion de parler à cette sotte, je lui dirai que je n’ai pas de υιτ, » décida-t-il. Justement, tandis que la jeune fille allait à la messe, elle aperçut le gars qui menait sa maigre rosse à l’abreuvoir ; la pauvre bête bronchait à chaque pas, si bien que la paysanne riait à se tordre. Au moment où le cheval commençait à gravir une colline escarpée, il s’abattit et roula en bas de la montée. Furieux, le gars saisit l’animal par la queue et se mit à le battre impitoyablement : « Relève-toi, que je t’écorche ! » vociférait-il. — « Pourquoi maltraites-tu ainsi ta jument, scélérat ? » demanda la jeune fille. Il leva la queue de son cheval et, les yeux fixés sur l’endroit qu’il venait de découvrir, répondit : « Que faire avec elle ? Je la φουτραις bien, mais je n’ai pas de υιτ ! » En entendant ces mots, la paysanne pissa de joie et se dit : « Voilà l’époux que le Seigneur me destine en récompense de ma simplicité ! » Elle revint chez elle, alla s’asseoir dans le coin le plus éloigné de la porte et ne desserra pas les lèvres. Tout le monde se mit à table pour dîner, on l’appela, elle répondit d’un ton fâché : « Je n’ai pas faim ! — Qu’est-ce que tu as, Douniouchka ? » demanda la mère. — « Allons, pourquoi boudes-tu ainsi ? Tu veux peut-être te marier ? » fit à son tour le père. La jeune fille n’avait en tête que d’épouser le gars privé de υιτ. — « Si je me marie avec quelqu’un, ce ne sera qu’avec Ivan ; que vous consentiez ou non à me le laisser épouser, je ne serai jamais la femme d’un autre, » déclara-t-elle à ses parents. — « À quoi penses-tu, sotte ? Est-ce que tu as perdu l’esprit ? Avec lui, tu seras réduite à la mendicité ! — Sans doute, c’est ma destinée ! Si vous ne voulez pas me le choisir pour époux, j’irai me jeter à l’eau ou je me pendrai. »

Que faire ? Le vieillard qui, jusqu’alors, n’avait jamais admis en sa présence ce pauvre diable d’Ivan, alla lui-même lui offrir la main de sa fille. En entrant, il trouva le jeune homme occupé à raccommoder une vieille chaussure de tille. « Bonjour, Ivanouchka ! — « Bonjour, vieux ! — Qu’est-ce que tu fais-là ? — Je suis en train de raccommoder mes chaussures. — Des chaussures de tille ? tu devrais mettre des bottes neuves. — C’est à grand peine que j’ai pu réunir quinze kopeks pour acheter de la tille : comment me procurerais-je des bottes ? — Mais pourquoi ne te maries-tu pas, Vania ? — Qui est-ce qui me donnerait sa fille en mariage ? — Si tu veux, je te donnerai la mienne. Embrasse-moi sur la bouche ! »

Ce fut une affaire conclue. La noce fut célébrée en grande pompe et, après un plantureux repas, le garçon d’honneur conduisit les deux époux à la chambre nuptiale où il les laissa. Ivan montra aussitôt à sa femme que rien ne lui manquait. « Sotte, bête que je suis ! » pensa Dounia, quand elle eut reçu des preuves sensibles de la virilité de son mari ; « j’en ai fait une belle ! Puisque cela devait m’arriver, autant valait épouser un homme riche ! Mais où s’est-il procuré un υιτ ? Il but que je le sache ! » Et s’adressant à son époux : « Écoute,

Ivanouchka, » lui dit-elle, « où as-tu pris ce υιτ ? — Je l’ai emprunté pour une nuit à mon oncle. — Ah ! chéri, prie-le de te le prêter encore pour une petite nuit ! »

La nuit suivante, la jeune femme remit la conversation sur ce sujet : « Ah ! chéri, demande à ton oncle s’il ne pourrait pas te vendre son υιτ ; mais marchande bien. — Soit, j’essaierai de l’acheter. » Il alla chez son oncle, lui donna le mot et revint trouver sa femme. « Eh bien ? » interrogea-t-elle. « — Qu’est-ce que je te dirai ? je n’ai pas pu m’arranger avec lui ; il ne veut pas s’en défaire à moins de trois cents roubles, et c’est un prix qui dépasse mes moyens ; où prendre une pareille somme ? — Eh bien, va lui demander de te le prêter encore pour une nuit ; demain, je me ferai donner de l’argent par mon père, et nous achèterons cela. — Non, vas-y toi-même ; moi, vraiment, ça me gênerait ! » Dounia se rendit chez l’oncle ; en entrant dans l’izba, elle pria Dieu, et fit une révérence. « Bonjour, mon petit oncle ! — Bonjour ! Quelle bonne nouvelle ? — Je suis honteuse, mon petit oncle, de la démarche que je fais auprès de vous, mais, il n’y a pas à le cacher, je suis venue vous prier de prêter encore votre υιτ à Ivan pour une petite nuit. »

L’oncle réfléchit, inclina la tête et répondit : Je puis le prêter, seulement il faut avoir soin d’un objet qui ne vous appartient pas. — Nous en aurons soin, mon petit oncle ; tiens, voici ma croix ! Et demain, sans faute, nous te l’achèterons. — Eh bien, tu m’enverras Ivan ! » Elle le salua alors jusqu’à terre et retourna chez elle. Le lendemain elle alla trouver son père, se fit donner par lui trois cents roubles et s’acheta un υιτ sérieux.



XVI

LE υιτ BRÛLANT


Un moujik avait une fille qui lui dit un jour : « Batouchka, Vanka m’a priée de me laisser βαισερ par lui. — Eh, vilaine, » répondit le père, « pourquoi te laisser βαισερ par un étranger ? Je puis te faire cela moi-même ! » Il prit un clou, le fit rougir dans le poêle et le fourra ensuite dans le κον de sa fille, si bien que celle-ci fut trois mois sans pouvoir pisser ! Plus tard, Vanka, rencontrant de nouveau cette paysanne, lui renouvela sa demande : « Laisse-moi te βαισερ ! — Tu plaisantes, diable de Vanka ! Mon père m’a baisée et il m’a tellement brûlé le κον que je n’ai plus pu pisser pendant trois mois ! » — « N’aie pas peur, sotte ! moi, mon υιτ est froid. — Tu mens, diable de Vanka ! Donne un peu, que je le tâte. — Tiens, tâte-le. » Elle prit le υιτ du jeune homme et s’écria : « Ah, quel diable tu es ! Il est chaud, mets-le dans l’eau. » Vanka obéit, mais en ce moment il fut pris d’un mal de ventre et lâcha une pétarade. « Comme il siffle au contact de l’eau ! » observa la paysanne ; « je le disais bien qu’il était brûlant ! Et tu veux encore m’attraper, vaurien ! » C’est ainsi que Vanka vit repousser sa requête amoureuse.



XVII

(Sous ce numéro se trouve non pas un récit, mais une suite de dictons dont tout le piquant consiste dans des assonances qu’une traduction ne peut reproduire.)


XVIII

(Ici figure dans le texte une chanson de mendiants absolument dépourvue de tout intérêt ; nous avons cru inutile de la traduire.)


XIX

CONVERSATIONS DE FAMILLE


Un moujik avait une femme, une fille et deux fils encore en bas âge. La mère, étant un jour allée au bain avec les enfants, rassembla le linge sale et se mit à le laver ; penchée au-dessus de l’auge, elle tournait le dos à ses mioches. Ils regardaient en riant ce qu’elle leur montrait. « Eh ! Andriouchka, vois un peu, maman a deux κονς. — Qu’est-ce que tu chantes ? Il n’y en a qu’un, seulement il est divisé en deux. — Ah ! diables morveux, » gronda la paysanne, « voyez un peu de quoi ils se sont avisés ! » Elle revint chez elle, se coucha sur le poêle avec sa fille et une conversation s’engagea entre les deux femmes. « Eh bien, fillette, » commença la mère, « le moment approche où tu te marieras ; alors c’est avec ton mari que tu demeureras et non avec nous… — S’il en est ainsi, je ne veux pas me marier ! — Allons donc, que tu es bête ! Mais de quoi as-tu peur ? Loin d’effrayer les braves filles, le mariage leur fait même plaisir. — Pourquoi leur fait-il plaisir ? — Comment, pourquoi ? Quand tu auras passé une nuit avec ton mari, tu ne regretteras pas d’avoir quitté père et mère pour lui, il te paraîtra meilleur que le miel et le sucre. — Que trouverai-je donc de si bon en lui, matouchka ? — Ah, que tu es bête ! Voyons, lorsque tu étais petite, tu as été au bain avec ton père ? — Oui, » répondit la jeune fille. — « Tu as remarqué ce que ton père porte au bas du ventre ? — Oui, mère. — Eh bien, c’est cela qui est bon ! — Alors, » observa la fille, « si on coupait cette cheville de façon à en faire cinq, ce serait encore meilleur ! »

En entendant, ces mots, le père, qui était couché dans la soupente, ne put se contenir : « Ah, brigandes ! » s’écria-t-il, « qu’est-ce qu’elles disent ! Je ne peux pas couper mon υιτ en petits morceaux pour vous faire plaisir ! » Cependant la jeune paysanne se mit à réfléchir profondément sur la question : « Un υιτ, ce n’est pas assez, et deux n’entreraient pas ; le mieux est de les entortiller ensemble, comme cela ils pourront être introduits tous les deux à la fois. »



XX

PREMIERS RAPPORTS D’UN PRÉTENDU AVEC SA
FUTURE


Un vieillard avait un fils arrivé à l’âge adulte, un autre avait une fille nubile. Et ils s’avisèrent de les marier ensemble. « Allons, Ivanouchka, » dit le père du jeune homme, « je veux te faire épouser la fille du voisin, tâche de la rencontrer, aborde-la gentiment et accorde-toi avec elle. » De son côté, l’autre vieillard dit à sa fille : Allons, Machourka, je veux te donner en mariage au fils du voisin ; quand tu le verras, parle-lui gentiment et établis de bons rapports avec lui. » Les deux jeunes gens se rencontrèrent dans la rue et se souhaitèrent le bonjour. « Mon père m’a ordonné, Ivanouchka, de faire ta connaissance, » commença la jeune fille. — « Et le mien m’a aussi donné le même ordre, » répondit le gars. — Comment donc faire ? Où couches-tu, Ivanouchka ? — Dans le vestibule. — Et moi dans l’ambar[7] ; viens me trouver la nuit, nous serons mieux pour causer. » Ivanouchka fut exact au rendez-vous et se coucha près de Machourka. « Tu as passé à côté du goumno ?[8] » — lui demanda-t-elle. — « Oui. — Eh bien ! tu as vu un tas de μερδε ? — Oui. — C’est moi qui l’ai χιέε. — Il n’y a pas à dire, il est gros ! — Comment donc faire pour nous mettre d’accord ? Il faut voir si tu as un bon instrument. — Tiens, regarde, » dit-il en déboutonnant son caleçon, « sous ce rapport je suis riche ! — Mais il est trop grand pour moi ! Vois un peu comme je l’ai étroit ! — Laisse, je vais essayer si cela ira. »

L’effet suivit aussitôt les paroles. Dans le premier moment, la jeune fille se mit à crier de toutes ses forces : « Oh ! qu’il me fait mal, comme il mord ! — N’aie pas peur, il n’a pas assez de place, voilà pourquoi il est fâché. — Vois-tu ! je te le disais bien qu’il n’y avait pas de place pour lui ! — Attends un peu, tout à l’heure il sera plus au large. » Quand elle commença à jouir, Machourka s’écria : « Ah ! mon âme, avec ton trésor on pourrait gagner de l’argent ! » À la fin ils s’endormirent ; elle s’éveilla la nuit et baisa le derrière de son amant, croyant l’embrasser sur le visage. Le jeune homme, qui avait trop bien soupé, lâcha un vent. « Eh ! Vania, » dit Machourka, « tu as l’haleine d’un scorbutique ! »



XXI

LES MOUJIKS ET LE BARINE


Un barine était allé un dimanche à la messe. Pendant qu’il priait Dieu, un moujik vint tout à coup se placer devant lui, et ce fils de chien lâcha un vent des plus fétides. « Quel drôle ! Comme il pue ! » pensa le barine et, s’approchant du paysan, il lui dit après avoir tiré de sa poche un rouble d’argent : « Écoute, moujik ! C’est toi qui as si bien vessé ? » Le moujik, voyant un rouble dans la main du gentilhomme, n’hésita pas à répondre : « Oui, barine. — Eh bien ! à la bonne heure, mon ami. Tiens, voici un rouble pour toi ! » Le moujik prit l’argent et se dit : « Pour sûr, le barine aime beaucoup cette odeur-là ; il faudra que j’aille à l’église tous les dimanches et que je me mette à côté de lui, chaque fois il me donnera un rouble. » La messe finie, les fidèles regagnèrent leurs logis. Le paysan alla chez son voisin et lui raconta son aventure. « Eh bien ! mon ami, » fit l’autre, « dimanche prochain, j’irai à l’église avec toi ; à deux, nous puerons encore plus fort et il nous donnera de l’argent à tous deux. »

Le dimanche suivant, ils allèrent ensemble à la messe, se placèrent devant le barine, et l’église se trouva bientôt remplie d’une odeur infecte. « Écoutez, mes enfants, » leur dit le barine en s’approchant d’eux, « c’est vous qui avez si bien vessé ? — Oui, monsieur. — Eh bien ! je vous remercie ; je regrette de n’avoir pas d’argent sur moi en ce moment, mais vous n’y perdrez rien, mes enfants. Quand la messe sera finie, dînez copieusement et venez ensuite vesser chez moi : je vous payerai alors le tout ensemble. — C’est bien, barine ; tout à l’heure nous irons tous deux chez Votre Grâce. »

L’office terminé, les moujiks allèrent dîner et, après s’être empiffrés, se rendirent chez le barine. Mais celui-ci leur réservait pour cadeau des verges et des bâtons. En voyant paraître les deux paysans, il leur dit : « Eh bien ! mes enfants, vous venez vesser ? — Précisément, monsieur. — Merci, merci ! Mais auparavant, mes gaillards, il faut vous déshabiller, car vous êtes fort couverts et vos vêtements pourraient intercepter l’odeur. » Les moujiks se dépouillèrent de tout ce qu’ils avaient sur le corps : sarrau, gilet, pantalon, chemise. Puis le barine fit un signe à ses domestiques : ils saisirent les visiteurs, les couchèrent sur le parquet et administrèrent à chacun d’eux cinq cents coups de baguette sur le dos. Ce ne fut pas sans peine que les deux paysans purent retourner chez eux ; ils déguerpirent avec tant de précipitation qu’ils ne pensèrent même pas à reprendre leurs vêtements.



XXII

LA MÉNAGÈRE INTELLIGENTE


Une vieille femme avait une fille qui était la négligence et la saleté même. Il se trouva un imbécile pour la demander en mariage et l’épouser. Après avoir vécu un an au plus avec elle, il en eut un fils. Un jour, elle alla faire visite à sa mère, qui se mit à la régaler. « Ah ! matouchka, que ton pain est bon ! » dit, tout en mangeant, la jeune femme ; « moi, c’est à peine si on peut manger le mien, il est vraiment comme de la brique. — Écoute, ma fille, » répondit la vieille, « assurément tu ne pétris pas bien la pâte, voilà pourquoi ton pain n’est pas bon ; essaie un peu de pétrir de telle sorte que tu aies le κυλ trempé, et tu réussiras ton pain. » La femme revint chez elle, ouvrit le pétrin et commença son travail. Après avoir longtemps pétri, elle retroussa sa robe et tâta si son κυλ était trempé ; puis elle se remit à la besogne. Pendant deux heures elle pétrit et se barbouilla le derrière, mais elle ne pouvait s’assurer, si, oui ou non, son κυλ était trempé. Finalement elle releva sa robe et dit à son petit garçon en lui présentant son postérieur : « Regarde un peu si mon κυλ est trempé ! » L’enfant regarda : — « Eh ! mère, » fit-il, « tu as deux trous à côté l’un de l’autre et ils sont tous les deux dans la pâte ! » La femme cessa de pétrir et fit avec cette pâte du pain si bon que, si on avait su comment il avait été pétri, personne n’y aurait touché.



XXIII

NON


Un vieux barine était marié à une femme jeune et belle. Il arriva que ce gentilhomme eut à faire un long voyage ; craignant que son épouse ne paillardât avec quelqu’un, il lui dit : « Écoute, ma chère ! Je vais m’absenter pour longtemps, ne reçois chez toi aucun monsieur ; comme cela, ils ne t’ennuieront pas. Voici ce qu’il y a de mieux à faire : qui que ce soit qui te parle et quoi qu’on te dise, réponds toujours : Non ! Ne sors pas de là ! »

Là-dessus le mari se mit en route et la dame alla se promener au jardin. Tandis qu’elle en longeait la grille, vint à passer un officier à cheval. Voyant une si belle barinia, il lui adressa la parole : « Dites-moi, s’il vous plaît, comment s’appelle ce village ? » demanda-t-il. — « Non, » répondit-elle. Qu’est-ce que cela veut dire ? pensa l’officier. À toutes les questions qui lui furent posées, la dame s’obstina à répondre : « Non » ; mais son interlocuteur ne perdit point la carte. « Si, » dit-il, « je mets pied à terre et si j’attache mon cheval à la grille, cela ne vous fera rien ? — Non, » répondit la dame. — « Et si j’entre dans votre jardin, vous ne le trouverez pas mauvais ? — Non. » Il entra dans le jardin. « Et si je me promène avec vous, vous ne vous fâcherez pas ? — Non. » Il se mit à marcher à côté d’elle. — « Et si je vous prends le bras, cela ne vous irritera pas ? — Non. » Il lui prit le bras. — « Et si je vous conduis au kiosque, vous n’en serez pas mécontente ? — Non. » Il la mena au kiosque. — « Et si je vous couche par terre et que je m’étende moi-même à côté de vous, vous ne vous y opposerez pas ? — Non. » L’officier usa aussitôt de la permission, ensuite il reprit : « Et si je vous retrousse les jupons, cela, sans doute, ne vous mettra pas en colère ? — Non. » Il la retroussa, lui releva les jambes et poursuivit : — « Et si je vous βαισε, cela ne vous sera pas désagréable ? — Non. » Là-dessus il la besogna convenablement, puis il se coucha à côté d’elle et, un moment après, lui demanda : — « Maintenant, vous êtes contente ? — Non. — Eh bien ! si vous n’êtes pas contente, il faut recommencer. » Il la βαισα de nouveau et renouvela sa question : « Maintenant, vous êtes contente ? — Non. » Cette fois l’officier lança un jet de salive et s’en alla ; la dame se leva et regagna sa demeure.

Quand le barine revint de voyage, il demanda à sa femme : « Tout va bien chez toi ? — Non. » — Mais qu’est-ce qu’il y a ? Quelqu’un t’aurait-il βαισέε ? — Non. » Il eut beau l’interroger, il n’obtint jamais d’autre réponse que « non ». Force fut alors au barine de regretter les instructions qu’il avait données à sa femme.



XXIV

LE MARI QUI COUVE


Un paysan paresseux était marié à une femme laborieuse. Le premier restait couché sur le poêle, tandis que la seconde labourait la terre. Un jour, la paysanne alla travailler aux champs, son mari demeura à la maison pour préparer le repas et donner à manger aux petits poulets, mais il n’en fit rien ; il se coucha et, pendant qu’il dormait, une corneille rafla tous les poussins ; leur mère remplit la basse-cour de ses cris désolés, le moujik la laissa s’égosiller. Quand la paysanne revint à la maison, elle demanda : « Où sont les poulets ? Qu’en as-tu fait ? — Ah, ma petite femme, il m’est arrivé un malheur ! Je me suis endormi et pendant ce temps-là une corneille a enlevé tous les poussins. — Ah, quel chien tu es ! Eh bien, fils de putain, mets-toi sur des œufs et couve-les toi-même. »

Le lendemain, la femme alla aux champs, le moujik prit une corbeille contenant des œufs, la plaça sur la soupente, ôta son pantalon et se mit sur les œufs. La paysanne, qui était une rusée commère, s’affubla d’un manteau et d’un bonnet empruntés à un ancien soldat, puis, sous ce déguisement, elle arriva à la maison et cria à plein gosier : « Eh, patron ! Où es-tu ? » Le paysan sauta à bas de la soupente et en même temps fit choir les œufs sur le parquet. « Qu’est-ce que tu fais ? — Monsieur le militaire, je garde la maison. — Mais est-ce que tu n’as pas de femme ? — Si, mais elle travaille dans les champs. — Et toi, pourquoi restes-tu au logis ? — Je couve des œufs. — Ah, fils de chien que tu es ! » Et les coups de fouet de pleuvoir sur la personne du moujik. « Ne reste pas à la maison, » continua le prétendu militaire, « ne couve pas d’œufs, mais travaille et laboure la terre ! — C’est ce que je ferai, batouchka, je travaillerai et je labourerai, je vous l’assure ! — Tu mens, drôle ! » et la femme se remit à battre son mari, après quoi, levant la jambe : « Regarde, fils de chien, » dit-elle, « j’ai été à la guerre et on m’a blessé, tu vois ; eh bien, est-ce que ma blessure pourra être guérie ? » Le moujik considéra le κον de sa femme et répondit : — « Elle se cicatrisera, batouchka. »

La paysanne sortit, alla reprendre les vêtements de son sexe et revint à la maison, où elle trouva son mari en train de gémir. — « Pourquoi geins-tu ? — Un soldat est venu tantôt et il m’a déchiré tout le corps à coups de fouet. — À cause ? — Il veut que je travaille. — Il y a longtemps que tu aurais dû être fouetté ! Je regrette de n’avoir pas été ici, je l’aurais prié de continuer. — Cela lui aurait été difficile, il est au plus bas ! — Comment cela ? — Il a été à la bataille et il a reçu une blessure entre les jambes… il me l’a montrée en me demandant si elle pourrait guérir. J’ai répondu : elle se cicatrisera, mais la plaie est fort rouge et il a poussé du poil tout autour ! » À partir de ce moment, le moujik se mit à cultiver la terre, et la femme garda la maison.



XXV

LE CHASSEUR ET LE SATYRE


Un chasseur, ayant longtemps battu le bois sans rien tuer, se mit à cueillir et à manger des noisettes. Survint un satyre qui lui en demanda. Le chasseur lui donna une balle de fusil. Le satyre la porta à la bouche, mais ses dents ne purent y mordre. « Je ne sais pas la casser, » dit-il. — Est-ce que tu es châtré ? » fit le chasseur. — « Non. — Eh bien, c’est à cause de cela ! Si tu veux, je vais te châtrer, et alors tu sauras casser des noisettes. » Le satyre y consentit ; le chasseur le prit et lui serra les parties génitales entre deux branches de tremble. « Lâche-moi, lâche-moi ! Je n’ai que faire de tes noisettes ! » commença à crier le satyre. — « Tu plaisantes, tu sauras les casser ! » Le chasseur lui fit l’ablation des testicules, puis il le lâcha et lui offrit cette fois une noisette pour de bon. Le satyre la cassa avec ses dents. — « Eh bien, quand je te le disais, que tu réussirais à les croquer ! » Ensuite chacun d’eux tira de son côté ; mais, avant de s’éloigner, le satyre dit d’un ton de menace au chasseur : « Allons, c’est bien ! quand tu iras chauffer ton séchoir, je te jouerai un tour ! »

Rentré chez lui, le chasseur s’assit sur un banc. « Oh, femme, » dit-il, « je n’en puis plus ! Va donc chauffer le séchoir ! » La femme y alla, alluma du feu et se coucha le long du mur. Arrivèrent deux satyres qui se mirent à causer ensemble. « Brûlons le séchoir ! » dit l’un d’eux. — « Non, regardons d’abord s’il a une blessure comme celle qu’il t’a faite. » Ils regardèrent. « Eh bien, mon ami, la sienne est encore plus grande que la tienne ; vois donc comme elle est large, on y ferait entrer un bonnet ! Et qu’elle est rouge ! » Cela dit, ils se séparèrent pour retourner chacun dans son bois.


XXVI

LE PAYSAN ET LE DIABLE


Un paysan avait semé des navets. Quand il jugea venu le moment de les arracher, il se rendit dans son champ, mais les navets n’étaient pas encore levés. « Que le diable vous emporte ! » s’écria dans sa colère le moujik, et il retourna chez lui. Un mois après, sa femme lui dit : « Va donc voir s’il s’est pas temps de tirer les navets. » Le paysan alla de nouveau visiter son terrain, qu’il trouva cette fois couvert de navets superbes ; mais, au moment où il se disposait à les arracher, un petit vieillard s’élança tout à coup vers lui en criant : « Pourquoi voles-tu mes navets ? — Comment, tes navets ? — Mais sans doute ! Est-ce que tu ne me les as pas donnés avant qu’ils fussent levés ? J’en ai eu soin, je les ai arrosés. — Et moi je les ai semés. — Soit, » reprit le diable, « tu les as semés, je ne dis pas le contraire, mais c’est moi qui les ai arrosés. Tiens, voici ce que nous allons faire : rendons-nous ici, toi et moi, chacun en tel équipage qu’ils nous plaira. Si tu devines quelle est ma monture, les navets seront à toi, et ils m’appartiendront si je reconnais sur quoi tu es monté. » Le moujik accepta cet arrangement.

Le lendemain, il prit sa femme avec lui ; quand il fut près du champ, il la fit mettre à quatre pattes, releva ses jupons, lui fourra une carotte dans le κυλ et lui cacha le visage avec ses cheveux dénoués. Pour ce qui est du diable, il attrapa un lièvre, monta dessus et, en arrivant, demanda au moujik : « Sur quoi suis-je venu ? — Qu’est-ce qu’il mange ? » interrogea le paysan. — « Des pousses de tremble. — Alors, c’est un lièvre. » De son côté, le diable essaya de reconnaître la monture du paysan et se mit à tourner autour. « Ces crins, » observa-t-il, « c’est la queue, et voici la tête, mais elle mange une carotte ! » Ce détail dérouta complètement le diable, et il s’avoua vaincu. Le paysan tira les navets, les vendit et commença dès lors à prospérer.



XXVII

LE PAYSAN QUI FAIT LA BESOGNE DE SA FEMME


On était au moment de la moisson ; un paysan et sa femme allaient chaque jour faucher leur blé. Tous les matins, à la première heure, la femme éveillait son mari, il partait travailler dans son champ ; quant à l’épouse, elle restait au logis pour allumer le poêle, faire la cuisine, vaquer aux soins du ménage ; ensuite elle portait à dîner à son homme, et travaillait avec lui jusqu’au soir. À la nuit tombante, les deux époux revenaient chez eux, et le lendemain c’était encore la même chose.

Le paysan finit par se fatiguer de son travail. Un matin, sa femme l’ayant éveillé comme de coutume pour l’envoyer sur la campagne, il refusa de se lever et lui répondit par des injures : « Non, putain ! Désormais c’est toi qui iras moissonner et je resterai à la maison. Pendant que je fauche là-bas, toi tu fais ici la grasse matinée et tu ne viens me donner un coup de main que quand j’ai déjà travaillé tout mon soûl ! » Sa femme eut beau insister, à toutes les observations qu’elle lui adressa le moujik se borna à répliquer : « Je n’irai pas. » — « Aujourd’hui, » dit-elle, « c’est samedi, il y a beaucoup à faire à la maison : il faut laver les chemises, piler le millet pour le gruau, cuire le pain, battre le beurre… — Je ferai cela moi-même ! » répondit le paysan. — « Eh bien, fais-le ! Je vais t’apprêter la besogne. » Alors la femme alla chercher un gros paquet de linge sale, puis elle apporta à son mari la farine pour faire le pain, la crème pour faire le beurre, le millet à piler pour le gruau ; enfin, après lui avoir recommandé d’avoir l’œil sur la poule et les poulets, elle prit une faucille et partit moissonner. « Je vais encore faire un somme, » décida le paysan. Il s’enfonça dans ses couvertures et dormit jusqu’à l’heure du dîner.

En s’éveillant, à midi, il vit devant lui l’ouvrage que sa femme lui avait préparé, et il ne sut par quoi commencer. Finalement il prît les chemises, les porta à la rivière et, quand il les eut mises dans l’eau, retourna chez lui en se disant : « Bah ! je puis bien les laisser tremper un moment, je reviendrai les étendre tout à l’heure et elles sécheront. » Mais la rivière était fort rapide et toutes les chemises furent emportées par le courant. Rentré à la maison, le moujik mit de la farine dans le pétrin et y versa de l’eau. « Je vais laisser la farine s’humecter ! » Ensuite il mit du millet dans le mortier et commença à le piler ; mais, sur ces entrefaites, il aperçut la poule qui vagabondait dans le vestibule, tandis que ses poussins s’étaient dispersés de divers côtés. Aussitôt le paysan s’empara de ces derniers et les attacha tous ensemble, en leur liant les pattes avec un cordon qu’il noua ensuite à la patte de leur mère ; après quoi, il se remit à piler le millet. Mais l’idée lui vint qu’il fallait aussi faire le beurre. Il prit la platole contenant la crème et se l’attacha au κυλ. « Comme cela, » pensa-t-il, « pendant que je broierai le millet, la crème sera secouée et le beurre se fera tout seul. »

Tandis qu’il est en train d’exécuter ce programme, la poule va rôder dans la cour, traînant ses poussins à sa suite ; tout à coup un autour fond sur elle, la saisit dans ses serres et l’enlève avec tous les petits poulets. Aux cris poussés par la malheureuse famille, le moujik s’élance hors de l’izba, mais dans la précipitation de ce mouvement, la platole heurte violemment contre la porte, se brise et toute la crème se répand par terre. Ne songeant qu’à courir au secours de la poule, le paysan oublie de fermer la porte de la maison, les cochons y entrent, culbutent le pétrin, dévorent toute la pâte et en font autant du millet. Après avoir vainement essayé d’arracher la poule et les poussins aux serres de l’autour, le moujik revient chez lui et trouve l’izba pleine de cochons qui l’ont transformée en une étable infecte ; il les chassa non sans peine : « Que faire maintenant ? » se demanda-t-il ; « quand ma femme arrivera, elle sera furieuse ! J’ai fait de bel ouvrage, il n’y a pas à dire ! Allons, je vais rechercher les chemises qui trempent dans l’eau, » Il attela sa jument et se rendit avec sa charrette à la rivière ; mais là, il eut beau promener ses yeux de tous côtés : le linge avait disparu ! « Je vais chercher dans l’eau ! » Il se déshabilla, ôta sa chemise et son pantalon, puis entra dans la rivière, qu’il explora inutilement dans tous les sens. De guerre lasse, il regagna la rive, mais il n’y retrouva plus ni sa chemise, ni son pantalon : quelqu’un les avait pris. Que faire ? Impossible de se rhabiller et pas moyen de retourner tout nu au village ! « Je vais arracher de hautes herbes, » se dit-il, « et j’en couvrirai mon υιτ ; ensuite je remonterai dans la charrette et je reviendrai à la maison : comme cela, ce sera toujours moins indécent ! » Il arracha des herbes et s’en fit une sorte de petit tablier. La vue de cette verdure mit le cheval en appétit : l’animal la happa d’un coup de dent sans même épargner les parties génitales du moujik. Celui-ci commença à pousser des cris épouvantables. Tant bien que mal il arriva à sa demeure et alla s’asseoir dans un coin.

« Eh bien ! tu as fait tout l’ouvrage ? » lui demanda sa ménagère. — « Oui, chère femme. — Où sont donc les chemises ? — Elles ont été emportées au fil de l’eau. — Et la poule, et les poussins ? — Un autour les a pris. — Et la pâte ? Et le millet ? — Les cochons les ont mangés. — Et la crème ? — Je l’ai toute répandue par terre. — Et ton υιτ, où est-il ? — La jument l’a dévoré. — Ah, fils de chien, tu en as fait de belles ! »



XXVIII

LA FEMME DE L’AVEUGLE


Un gentilhomme étant devenu aveugle, son épouse en profita pour nouer une intrigue avec un clerc de chancellerie. L’idée vint au mari que peut-être sa femme le trompait, et dès lors il ne la quitta plus d’une semelle. Que faire ? Un jour que les deux époux étaient allés au jardin, le clerc s’y rendit aussi ; la femme eut envie de faire l’amour et, tandis que le gentilhomme était assis sous un pommier, elle s’abandonna à son amant. Un voisin, dont la fenêtre donnait sur le jardin, fut témoin de cette scène et dit à sa femme : « Regarde un peu, mon âme, ce qui se passe près du pommier. Eh bien ! supposons qu’en ce moment Dieu ouvre les yeux à l’aveugle et qu’il voie cela, qu’arrivera-t-il alors ? Sans doute il la tuera. — Sois tranquille, mon ami, la gaillarde trouvera bien un moyen de se tirer d’affaire. — Quel moyen veux-tu qu’elle trouve ? — Tu le verras, si le cas se produit. » Le Seigneur permit justement que le gentilhomme aveugle recouvrât la vue au moment où son honneur de mari recevait cet accroc. Surprenant les deux coupables en flagrant délit, il se mit à crier : « Ah ! coquine que tu es ! Qu’est-ce que tu fais, maudite putain ! — Ah ! que je suis contente, mon chéri ! » répondit la dame. « Vois-tu, cette nuit j’ai entendu une voix qui me disait : Pèche avec tel clerc de chancellerie, et le Seigneur ouvrira les yeux à ton mari. Voilà que cette parole s’est réalisée ! Grâce à moi, Dieu t’a rendu la vue ! »



XXIX

LE TÉTRAS


Un chasseur avait battu le bois pendant deux jours sans rien tuer. Le troisième jour, il fit un vœu : « Quoi que je tue, je le donnerai pour une passade ! » Ensuite, il retourna au bois, y aperçut un tétras et le tua. Comme le chasseur, chargé de son gibier, regagnait sa demeure, une dame le vit par la fenêtre de sa maison et l’invita à entrer. « Quel est le prix de ce tétras ? » demanda-t-elle. « — Il n’est pas à vendre, j’en ai disposé par un vœu. — Comment cela ? — En allant à la chasse, j’ai promis que je donnerais pour une passade ce que je tuerais. — Je ne sais comment faire, » reprit la dame, « j’ai terriblement envie de ce tétras ! Coûte que coûte, je veux l’avoir. Mais je fais conscience de me mettre sous toi… — Qu’à cela ne tienne, madame, je me coucherai sous toi et je te laisserai le dessus. » Ainsi fut fait. — « Eh bien ! moujik, donne-moi le tétras. — Pourquoi te le donnerais-je ? Ce n’est pas moi qui t’ai βαισέε, c’est toi qui m’as βαισέ. » Renoncer à l’acquisition de l’oiseau était au-dessus des forces de la dame. « Allons, » dit-elle, « monte sur moi. » Le moujik la βαισα une seconde fois. « À présent, » fit-elle, « tu vas me donner le tétras ? — Pourquoi cela ? Nous sommes, quittes, voilà tout. — Eh bien ! monte encore une fois sur moi. » Il besogna de nouveau la dame ; après quoi, elle lui dit : « Il me semble que maintenant j’ai bien gagné le tétras. » Quelque désagréable que cela lui fût, le chasseur, pour le coup, dut s’exécuter et retourna chez lui les mains vides.



XXX

RÉPONSE D’UN ÉVÊQUE


Un général et un évêque causaient ensemble. « Nous autres pécheurs, » dit le premier, « nous ne pouvons pas vivre sans pécher, sans forniquer ; comment Votre Grandeur fait-elle donc pour ne jamais pécher ? — Envoyez demain chez moi, » repartit l’évêque, « vous aurez la réponse à cette question. »

Le lendemain, le général dit à son laquais : « Va prier l’évêque de me donner la réponse qu’il m’a promise. » Le domestique se rendit chez Sa Grandeur ; un frère convers l’annonça. « Qu’il attende un moment, » dit le prélat. Une heure, deux heures, trois heures se passèrent, et le domestique posait toujours ; la réponse n’arrivant pas, il pria le frère convers de rappeler à Sa Grandeur l’objet de sa visite. « Qu’il attende encore un peu ! » répondit l’évêque. Quand le laquais eut fait le pied de grue pendant bien longtemps, la fatigue l’obligea à se coucher dans l’antichambre, il s’endormit et ne se réveilla que le lendemain.

De retour chez son maître, il lui dit : « Je suis resté là jusqu’à ce matin et il ne m’a donné aucun message pour vous. — Retourne chez lui, » ordonna le général, « et insiste pour avoir sa réponse. » Le laquais se rendit de nouveau chez l’évêque qui, cette fois, le reçut dans sa cellule. « Hier, chez moi, tu es resté debout ? » demanda Sa Grandeur. — Oui. — Ensuite, tu t’es couché et tu t’es endormi ? — Oui. — Eh bien ! mon υιτ fait la même chose : il se lève, il se tient debout un certain temps, ensuite il s’affaisse et s’endort. Dis cela au général. »



XXXI

SEMAILLES DE υιτς


Deux paysans étaient allés semer du seigle, chacun dans son champ. Un vieillard vint à passer, il aborde l’un d’eux : « Bonjour, moujik ! — Bonjour, vieux ! — Qu’est-ce que tu sèmes ? — Du seigle, grand-père. — Eh bien ! que Dieu t’assiste ! Puisse ton seigle être haut et riche en grains ! » Le vieillard s’approcha ensuite de l’autre paysan. « Bonjour, moujik ! » lui dit-il. — « Bonjour, vieux ! — Qu’est-ce que tu sèmes ? — Quel besoin as-tu de le savoir ? Je sème des υιτς. — Eh bien, je te souhaite d’en avoir beaucoup ! » Le vieillard s’éloigna, les moujiks firent leurs semailles, donnèrent une façon à leurs champs et retournèrent chez eux.

Quand les pluies du printemps eurent arrosé le sol, le seigle du premier paysan leva dru et fort, mais dans le champ voisin il ne poussa que des υιτς, leurs têtes rouges occupaient toute une dessiatine ; on ne pouvait mettre le pied nulle part, c’étaient partout des υιτς ! Les deux paysans vinrent voir si leurs seigles étaient levés. L’un d’eux éprouva une vive satisfaction à la vue de son champ, mais l’autre sentit son cœur défaillir. « Que ferai-je maintenant avec de pareils diables ? » pensa-t-il.

Arriva l’époque de la moisson. Les deux moujiks retournèrent sur la campagne, l’un se mit à faucher son seigle ; l’autre, au premier coup d’œil jeté sur son champ, constata que les υιτς dont il était couvert avaient atteint la hauteur d’une archine et demie ; à voir leurs têtes rouges dressées en l’air, on aurait dit des fleurs de coquelicot. Après avoir longuement considéré ce spectacle, le paysan reprit le chemin de sa demeure. Arrivé chez lui, son premier soin fut de chercher un couteau et de l’aiguiser ; il se munit aussi de fil et de papier, puis il retourna dans son champ. Là, il commença à couper tous les υιτς, il les enveloppa deux par deux dans du papier, noua un fil autour de chaque paquet et les mit dans sa charrette pour les aller vendre à la ville. « Oui, » se dit-il, « je vais les offrir en vente là ; il se trouvera peut-être quelque sotte pour en acheter une couple ! »

Pendant qu’il conduisait sa charrette par les rues de la ville, il criait à plein gosier : « Qui veut des υιτς, des υιτς, des υιτς ? J’ai de beaux υιτς à vendre, de beaux υιτς, de beaux υιτς ! » Une dame, l’ayant entendu crier sa marchandise, dit à sa jeune femme de chambre : « Va vite demander à ce moujik ce qu’il vend. » La jeune fille s’élança aussitôt dans la rue : « Écoute, moujik, qu’est-ce que tu vends ? — Des υιτς, madame ! » Rentrée à la maison, la jeune femme de chambre n’osait pas répéter cela à sa maîtresse. « Parle donc, sotte, » ordonna celle-ci, « il ne faut pas être honteuse ! Voyons, qu’est-ce qu’il vend ? — Eh bien ! madame, le drôle vend des υιτς ! — Que tu es bête ! Cours vite, rattrape-le et demande-lui à quel prix il m’en céderait une couple. » La femme de chambre rappela le paysan : « Combien coûte la couple ? » lui demanda-t-elle. — « Cent roubles, c’est le dernier prix. » Dès que la servante eut rapporté cette réponse à sa maîtresse, la barinia lui donna cent roubles, « Tiens, » dit-elle, « va et choisis-en de beaux, prend-les longs et gros. » La fille alla porter l’argent au paysan. « Seulement, » fit-elle, « je t’en prie, moujik, donne-moi les meilleurs. — Ils sont tous fort beaux, » répondit-il. La femme de chambre prit une couple de υιτς bien conditionnés et les rapporta à sa maîtresse. La dame les examina, et, comme ils lui plaisaient beaucoup, elle s’empressa de les mettre où il fallait, mais ils refusèrent d’entrer. « Est-ce que le moujik ne t’a pas dit comment on doit leur parler pour qu’ils agissent ? » demanda-t-elle à sa femme de chambre. — « Il n’a rien dit, madame. — Eh ! que tu es bête. Va tout de suite le lui demander. » La fille revint trouver le paysan : « Écoute, moujik, dis-moi quel ordre il faut donner à ta marchandise pour la faire agir. — Si tu me donnes encore cent roubles, je te le dirai, » répliqua le moujik. La femme de chambre alla aussitôt faire part à sa maîtresse de cette nouvelle exigence : « Il ne veut pas le dire pour rien, madame, il demande encore cent roubles. — Eh bien ! va les lui porter ; acheter pour deux cents roubles un pareil engin, ce n’est vraiment pas trop cher. » Le paysan, ayant reçu la somme, dit à la servante : « Quand ta maîtresse voudra s’en servir, elle n’aura qu’à dire : « No, no ! » Dès que cette réponse lui eut été transmise, la dame se coucha sur son lit, releva sa robe et commanda : « No, no ! » Les deux υιτς s’acquittèrent immédiatement de leur office ; mais quand la barinia voulut leur faire quitter la place, cela lui fut impossible. La situation devenait inquiétante ; dans son émoi, le pauvre femme mit de nouveau sa femme de chambre en campagne : « Cours après ce fils de chien et demande-lui ce qu’il faut dire pour les faire sortir. » La servante partit à toutes jambes, rejoignit le moujik et lui fit la commission dont elle était chargée : « Apprends-moi, moujik, ce qu’il faut dire pour que les υιτς quittent le corps de ma maîtresse, car ils la tourmentent fort en ce moment. » Et le paysan de répondre : — « Si elle me donne encore cent roubles, je le dirai. » La fille revint en toute hâte à la maison. La barinia gisait sur son lit, plus morte que vive. « Prends, » ordonna-t-elle, « les cent roubles qui restent encore dans la commode et porte-les au plus vite à ce coquin ; dépêche-toi, car je suis sur le point de mourir ! » Lorsqu’on eut fait au paysan un troisième versement de cent roubles, il lâcha enfin le mot qu’on attendait de lui ; « Elle n’a qu’à dire Tprrou ! ils sortiront tout de suite. » La femme de chambre partit au galop ; de retour à la maison, elle trouva sa maîtresse sans connaissance, avec la langue qui pendait hors de la bouche. C’est pourquoi elle-même cria : « Tprrou ! » Les deux υιτς sortirent. La barinia était guérie, elle se leva, les prit et les mit en lieu sûr. Dès lors commença pour elle une existence fort agréable : sitôt qu’elle en avait envie, elle se faisait βαισερ par les υιτς et il lui suffisait de leur dire : « Tprrou ! » pour se débarrasser d’eux[9].

Un jour, la dame alla voir des amis à la campagne et elle oublia de prendre les υιτς avec elle. Le soir venu, elle éprouva un vif regret de ne pas les avoir et elle se disposa à regagner sa demeure. Ses hôtes insistèrent pour la garder jusqu’au lendemain. « C’est absolument impossible, » dit-elle, « j’ai laissé chez moi certain objet sans lequel je ne puis dormir. — Eh bien ! si vous voulez, » répondirent les maîtres de la maison, « nous allons l’envoyer chercher par un homme sûr qui vous le rapportera intact. » La visiteuse y consentit. Aussitôt on ordonna à un laquais de seller un bon cheval et d’aller chercher l’objet en question chez la dame. « Tu le demanderas à ma femme de chambre, » ajouta-t-elle, « elle sait où il est. » Quand le laquais fut arrivé chez la barinia, la femme de chambre lui remit les deux υιτς, enveloppés dans du papier. Il les fourra dans sa poche de derrière et remonta à cheval pour retourner chez ses maîtres. Chemin faisant, le cavalier eut à monter une côte, et, comme son cheval allait trop lentement, il lui cria : « No, no ! » Aussitôt, les υιτς s’élancèrent hors du papier et s’introduisirent dans le κυλ du laquais, qui fut terriblement effrayé. « Qu’est-ce que c’est que ces monstres-là ? D’où viennent-ils, les maudits ? » pensa-t-il ; pour un peu, il aurait fondu en larmes, il ne savait que devenir. Mais, à la descente de la côte, le cheval prit une allure si rapide que le laquais dut lui crier : « Tprrou ! » À l’instant même, les υιτς évacuèrent l’endroit qu’ils occupaient, le domestique les prit, les enveloppa dans le papier et, arrivé à la maison, les remit à la barinia. « Eh bien ! » demanda-t-elle, « tu me rapportes cela en bon état ? — Que le diable les emporte ! » répondit-il, « si je n’avais pas eu une côte à descendre, ils m’auraient φουτυ tout le long de la route ! »[10].



XXXII

L’ANNEAU ENCHANTÉ


Dans un village vivaient trois frères qui, ne s’entendant plus, se décidèrent à faire cesser l’indivision. Le bien ne fut point partagé également entre eux : le sort favorisa les deux aînés et n’accorda presque rien au plus jeune. Tous trois étaient célibataires. Se trouvant ensemble dans la rue, ils exprimèrent l’avis qu’il était temps pour eux de se marier. « Vous l’avez belle, » dit le troisième frère à ses aînés, « vous êtes riches et vous vous marierez richement, mais moi que ferai-je ? Je suis pauvre, je n’ai d’autre richesse qu’un υιτ descendant jusqu’au genou. » En ce moment la fille d’un marchand passait à côté du groupe formé par les trois frères ; elle entendit cette conversation et se dit à part soi : « Ah ! si je pouvais épouser ce jeune homme ! Il a un υιτ qui lui descend jusqu’au genou ! » Les frères aînés se marièrent et le plus jeune resta garçon. Mais, rentrée chez elle, la fille du marchand ne songea plus qu’à l’épouser. Plusieurs commerçants la demandèrent en mariage, elle les refusa tous. « Je n’aurai, » dit-elle, « d’autre mari que tel jeune homme. » Ses parents se mirent à la sermonner : « À quoi penses-tu, sotte ? Sois raisonnable ! Comment peut-on épouser un pauvre paysan ? — Ne vous inquiétez pas de cela, » leur répondit-elle, « ce n’est pas vous qui devrez vivre avec lui. » Puis, elle s’aboucha avec une marieuse de profession et l’envoya dire à ce gars de venir demander sa main. S’étant rendue chez le paysan, la marieuse lui dit : « Écoute un peu, mon cher ! Pourquoi lambines-tu ainsi ? Va demander en mariage la fille de tel marchand ; elle t’aime depuis longtemps et sera heureuse de t’épouser. » À ces mots, le moujik mit un sarrau neuf, un bonnet neuf, et alla incontinent trouver le père de la jeune fille. Celle-ci n’eut pas plus tôt aperçu le visiteur, qu’elle reconnut en lui l’homme qui avait un υιτ descendant jusqu’au genou. À force d’instances, elle obtint de ses parents qu’ils consentissent à son union avec ce jeune homme.

La nuit des noces, la mariée constata que le υιτ de son époux n’était pas long comme le doigt. « Ah ! drôle, » vociféra-t-elle, « tu te vantais d’avoir un υιτ descendant jusqu’au genou, qu’est-ce que tu en as fait ? — Ah ! madame mon épouse, tu sais qu’avant notre mariage j’étais fort pauvre ; quand j’ai dû pourvoir aux frais de la noce, je n’avais ni argent ni rien sur quoi je pusse m’en faire prêter, force m’a donc été de mettre mon υιτ en gage. — Et pour quelle somme l’as-tu engagé ? — Pas pour une grosse somme, pour cinquante roubles. — Allons ! c’est bien ; demain j’irai trouver ma mère, je lui demanderai de l’argent et tu dégageras ton υιτ ; il le faut absolument ; sinon, ne remets pas les pieds ici ! » Le lendemain matin, la jeune femme courut dire à sa mère ; « Je t’en prie, matouchka, donne-moi cinquante roubles, j’en ai grand besoin ! — Pourquoi te les faut-il, dis-moi ? — Eh bien ! ma mère, voici pourquoi : mon mari avait un υιτ descendant jusqu’au genou, mais, à la veille de notre noce, le pauvre homme, faute de pouvoir se faire prêter de l’argent sur autre chose, l’a engagé pour cinquante roubles. À présent mon mari a un υιτ qui n’est pas long comme le doigt ; il faut absolument qu’il dégage l’ancien ! » La mère comprit cette nécessité, elle donna cinquante roubles à sa fille, qui alla aussitôt les porter à son mari en lui disant ; « Eh bien ! à présent, cours au plus vite dégager ton ancien υιτ : que d’autres n’en profitent pas ! »

Le jeune homme prit l’argent et partit tout soucieux. « Que vais-je devenir maintenant ? » se demandait-il ; « comment procurer à ma femme un pareil υιτ ? Je vais marcher tant que terre me portera. » Il marchait depuis un temps plus ou moins long quand il rencontra une vieille femme. « Bonjour, grand’mère ! — Bonjour, brave homme ! Où vas-tu comme cela ? — Ah ! grand’mère, si tu savais combien je suis malheureux ! Je ne sais où aller ! — Dis-moi ton malheur, mon cher, je pourrai peut-être y remédier. — Je n’oserais pas le dire ! — N’aie pas peur, ne sois pas honteux, et parle hardiment ! — Eh bien ! grand’mère, voici le fait : je me suis vanté d’avoir un υιτ descendant jusqu’au genou ; la fille d’un marchand a entendu ces paroles et m’a épousé ; mais dès la première nuit qu’elle a passée avec moi, elle s’est aperçue que mon υιτ n’était pas long comme le doigt. Alors elle s’est fâchée : « Qu’as-tu fait de ton grand υιτ ? » m’a-t-elle demandé. Je lui ai répondu que je l’avais engagé pour cinquante roubles. Là-dessus, elle m’a remis cette somme en me disant d’aller le dégager ou, sinon, de ne plus remettre le pied à la maison. Je ne sais pas ce que je vais devenir ! — Donne-moi ton argent, » reprit la vieille, « et je viendrai en aide à ton malheur. » Le paysan lui compta aussitôt les cinquante roubles et reçut en échange un anneau. « Tiens, » dit-elle, « prends cette bague et mets-la seulement à ton ongle. » Le gars obéit ; à l’instant même, son υιτ atteignit la longueur d’une coudée. « Eh bien ! » poursuivit la vieille, « sera-t-il assez long ? — Mais, grand’mère, il ne va pas encore jusqu’au genou. — Tu n’as qu’à faire descendre l’anneau, mon cher. » Il fit glisser la bague jusqu’au milieu de son doigt et il eut soudain un υιτ long de sept verstes. « Eh ! grand’mère, qu’est-ce que je vais en faire ? C’est une calamité qu’un membre de cette dimension-là ! — Remets la bague à ton ongle, ton υιτ n’aura plus qu’une coudée ; à présent, sans doute, tu trouves cette longueur suffisante ! Quand tu te serviras de l’anneau, fais attention à ne jamais dépasser l’ongle. »

Le jeune homme remercia la vieille et reprit le chemin de sa demeure, heureux de penser qu’il ne reparaîtrait pas les mains vides devant sa femme. Après avoir beaucoup marché, sentant le besoin de prendre quelque chose, il s’écarta un peu de la route, s’assit près d’un ruisseau, tira de sa besace quelques petits biscuits, les trempa dans l’eau et se mit à les manger. Ensuite, il se coucha sur le dos et se complut à admirer les effets de l’anneau : il le passa à son ongle ; son υιτ se dressa en l’air à la hauteur d’une coudée, il fit glisser l’anneau jusqu’au milieu du doigt ; son υιτ s’éleva à sept verstes de hauteur ; il retira l’anneau ; le membre recouvra les humbles proportions qu’il avait auparavant. Quand le jeune paysan se fut longuement amusé de la sorte, le sommeil s’empara de lui, mais, avant de s’endormir, il oublia de mettre l’anneau dans sa poche et le laissa sur sa poitrine. Un barine vint à passer en voiture avec sa femme. Apercevant non loin de la route un moujik endormi, sur la poitrine de qui brillait une bague, le gentilhomme fit arrêter et dit à son laquais : « Va prendre l’anneau de ce moujik et rapporte-le-moi. » Le domestique exécuta aussitôt l’ordre de son maître, puis l’équipage se remit en marche. Mais la beauté de l’anneau captiva l’attention du barine. « Regarde un peu, douchenka, comme cette bague est belle, » dit-il à sa femme ; « voyons si elle m’ira. » Et il se passa l’anneau au milieu du doigt : sur-le-champ son υιτ s’allongea, culbuta le cocher en bas de son siège, passa par-dessus l’attelage et s’étendit en avant de la voiture sur une longueur de sept verstes. À cette vue, la barinia consternée cria au laquais : « Retourne vite auprès du paysan, ramène-le ici ! » Le laquais courut éveiller le moujik et lui dit : « Va trouver mon maître, dépêche-toi ! » Pendant ce temps, le paysan cherchait son anneau : « Que le diable t’emporte ! Tu m’as pris mon anneau ? — Ne cherche pas après, » répliqua le laquais, rends-toi auprès de mon maître, c’est lui qui l’a ; ton anneau, mon ami, nous a attiré bien des embarras. » Le paysan ne fit qu’un saut jusqu’à la calèche. « Pardonne-moi, » commença le gentilhomme d’une voix suppliante, « aide-moi dans mon malheur ! — Qu’est-ce que tu me donneras, barine ? — Tiens, voici cent roubles. — Donne-m’en deux cents et je te viendrai en aide. » Le barine donna les deux cents roubles au moujik, qui lui retira l’anneau du doigt. Instantanément le υιτ du gentilhomme redevint ce qu’il était auparavant[11]. La voiture s’éloigna et le paysan retourna chez lui.

Sa femme, l’ayant aperçu par la fenêtre, courut à sa rencontre. « Eh bien ! » lui demanda-t-elle, « l’as-tu dégagé ? — Oui. — Allons, montre-le ! — Viens à la maison, je ne puis pas te le montrer dans la rue. » Dès qu’ils furent arrivés chez eux, la femme ne fit que répéter : « Montre-le ! montre-le ! » Il passa l’anneau à son ongle : son υιτ grandit d’une coudée ; il le sortit de son pantalon en disant : « Regarde, femme ! » Elle commença à l’embrasser : « N’est-ce pas, mon petit homme, qu’il vaut mieux avoir un pareil trésor chez nous que de le laisser à des étrangers ? Dépêchons-nous de dîner, ensuite nous nous coucherons et nous en ferons l’essai ! » Elle couvrit aussitôt la table de plats et de bouteilles. Les deux époux dînèrent, puis se mirent au lit. Après que la femme eut éprouvé la vigueur du membre dont son mari était pourvu, elle ne fit, durant les trois jours suivants, que regarder sous ses jupons : il lui semblait toujours le sentir entre ses jambes ! Elle alla voir sa mère, et pendant ce temps le moujik fut se coucher sous un pommier du jardin. « Eh bien ! » demanda la marchande à sa fille, « vous avez dégagé le υιτ ? — Oui, » répondit la jeune femme, et elle entra à ce sujet dans de longs détails.

En l’écoutant, la marchande n’eut plus qu’une idée : trouver le moyen de s’absenter, pendant la visite de sa fille, et aller chez son gendre pour expérimenter à son tour ce prodigieux engin. Elle réussit à s’esquiver et courut secrètement à la demeure du paysan, qu’elle aperçut dormant dans le jardin ; il avait l’anneau passé à l’ongle et son υιτ se dressait haut d’une coudée. « Je vais me jucher sur son υιτ, » se dit à cette vue la belle-mère. C’est ce qu’elle fit aussitôt. Malheureusement pour elle, l’anneau que le dormeur portait sur l’ongle descendit au milieu du doigt, et la marchande fut tout à coup élevée à sept verstes de hauteur par l’allongement soudain du υιτ. Cependant la fille, ayant remarqué l’absence de sa mère, en soupçonna la cause et revint précipitamment chez elle. Dans la maison, personne ; elle va au jardin, et quel spectacle s’offre à ses regards ? Son mari dormant, le υιτ dressé en l’air, et tout au bout, à peine visible, la marchande qui, dans cette position, tourne au gré du vent comme une girouette. Que faire ? Comment arracher sa mère au danger d’une pareille situation ? Un rassemblement se forme en cet endroit ; c’est à qui trouvera un moyen de salut, chacun donne son avis. « Il n’y a qu’une chose à faire, » disent les uns : « prendre une hache et couper le υιτ. — Non, » répondent les autres, « il ne faut pas faire cela, ce serait tuer deux personnes. Si nous coupons le υιτ, la femme tombera par terre et se brisera tous les membres. Mieux vaut prier Dieu tous ensemble, il fera peut-être un miracle pour sauver la vieille. » Sur ces entrefaites, le dormeur s’éveilla, il s’aperçut qu’il avait l’anneau au milieu du doigt et que son υιτ dressé perpendiculairement sur une longueur de sept verstes le tenait lui-même si fortement pressé contre le sol qu’il n’aurait pas pu seulement se mettre sur l’autre côté. Tout doucement il retira l’anneau ; son υιτ se rapetissa peu à peu, et quand il ne fut plus que d’une coudée, le paysan remarqua que sa belle-mère était dessus. — « Par quel hasard es-tu là, matouchka ? » lui demanda-t-il. — « Pardonne-moi, mon cher gendre, je ne le ferai plus ! »[12].

Autre version

Il y avait un tailleur qui possédait un anneau magique : dès qu’il le mettait à son doigt, son υιτ acquérait un développement extraordinaire. Il lui arriva de travailler chez une dame ; or, c’était un homme très gai et très facétieux : quand il se couchait, il négligeait toujours de couvrir ses parties génitales. La dame remarqua qu’il avait un fort grand υιτ ; désireuse d’éprouver la puissance d’un pareil outil, elle appela le tailleur dans sa chambre[13]. « Écoute, » lui dit-elle, « consens à pécher une fois avec moi ! — Pourquoi pas, madame ? Seulement, c’est à une condition : défense de péter ! Si tu pètes, tu devras me donner trois cents roubles ! — Bien ! » répondit-elle. Ils se mirent au lit : la dame prit toutes les précautions possibles pour ne point péter pendant le coït : elle ordonna à sa femme de chambre d’aller chercher un gros oignon, de le lui fourrer dans le κυλ et de l’y maintenir à deux mains. Ces instructions furent exécutées de point en point, mais, au premier assaut que le tailleur livra à la dame, l’oignon fut violemment expulsé et alla frapper la femme de chambre avec une telle force qu’il la tua net ! La dame perdit les trois cents roubles. Le tailleur empocha cette somme et se mit en devoir de retourner chez lui.

Après avoir marché assez longtemps, il sentit le besoin de se reposer et se coucha dans un champ. Il passa l’anneau à son doigt et son υιτ devint long d’une verste. Pendant que le tailleur était ainsi couché, le sommeil le surprit, et, tandis qu’il dormait, survinrent sept loups affamés qui dévorèrent la plus grande partie de son υιτ. Il s’éveilla comme si de rien n’était, ôta l’anneau de son doigt, le mit dans sa poche et poursuivit son chemin.

Le soir venu, le tailleur entra chez un paysan pour y passer la nuit. Ce moujik était marié à une jeune femme qui aimait beaucoup les hommes bien membrés. Le voyageur alla se coucher dans la cour, et laissa son υιτ à découvert. L’ayant aperçu, la femme du paysan se sentit toute excitée : elle retroussa sa robe et s’accoupla au tailleur. « Très bien ! » se dit celui-ci ; puis il passa l’anneau à son doigt et son υιτ s’éleva peu à peu jusqu’à une verste de hauteur. Quand la femme se vit à une telle distance du sol, toute idée folâtre l’abandonna et elle se cramponna des deux mains à son étrange soutien dans l’espace. Témoins du danger que courait la malheureuse, ses voisins et ses connaissances pensaient déjà à faire célébrer à son intention un service religieux. Mais le tailleur retira tout doucement l’anneau de son doigt ; insensiblement les dimensions de son membre commencèrent à décroître, et, lorsque ce dernier n’atteignit plus qu’une faible hauteur, la femme sauta à terre. « Eh bien ! κον insatiable, » lui dit le tailleur, « ç’aurait été ta mort, si on m’avait coupé le υιτ. »



XXXIII

LA DAME EXCITÉE


Dans certain royaume vivait un riche paysan qui avait un fils appelé Ivan. « Pourquoi, mon fils, ne t’occupes-tu de rien ? » lui dit son père. — « Il n’est pas encore trop tard ! Donne-moi cent roubles et bénis mes entreprises. » Le père lui donna l’argent qu’il demandait. Ivan se rendit à la ville ; en passant devant une maison seigneuriale, il aperçut dans le jardin une dame fort bien de sa personne ; il s’arrêta et regarda à travers la grille. « Qu’est-ce que tu fais là, jeune homme ? » demanda la dame. — « Je m’étais oublié à te contempler, Madame : tu es fort belle ! Si tu me montrais tes pieds jusqu’à la cheville, je te donnerais cent roubles ! — Pourquoi ne te les montrerais-je pas ? Tiens, regarde ! » Ce disant, elle releva un peu sa robe. Le jeune homme lui donna les cent roubles et retourna chez lui.

« Eh bien ! mon fils, » demanda le père, « de quel commerce t’es-tu occupé ? Qu’as-tu fait de tes cent roubles ? — J’ai acheté un terrain et du bois pour construire une boutique ; donne-moi encore deux cents roubles, il faut que je paie le travail des charpentiers. » Le père donna la somme demandée et le fils revint encore se camper devant la grille du même jardin. La dame, en le voyant, lui dit : « Pourquoi es-tu revenu, jeune homme ? — Laisse-moi entrer dans le jardin, Madame, et montre-moi tes genoux, je te donnerai deux cents roubles. » Elle le reçut dans le jardin et, relevant sa robe, lui montra ses genoux. Le gars lui compta l’argent, salua et regagna sa demeure. À son retour, son père le questionna : « T’es-tu organisé, mon fils ? — Oui, père, donne-moi trois cents roubles, je vais acheter des marchandises. »

Dès que le vieux paysan se fut exécuté, son fils alla de nouveau se poster devant la grille du jardin. Cependant le père se dit : « Si j’allais voir comment il fait ses affaires ? » Là-dessus il partit sur les traces d’Ivan et fut se mettre en observation à peu de distance de la grille. « Pourquoi es-tu revenu, jeune homme ? » demanda la dame. — « Soit dit sans vouloir te fâcher, madame, » répondit le gars, « permets-moi de promener mon υιτ autour de ton κον, je te donnerai pour cela trois cents roubles. — Soit. » Elle le fit entrer dans le jardin, et, après avoir reçu l’argent, se coucha sur l’herbe ; Ivan ôta son pantalon et commença à frôler doucement avec son membre les parties génitales de la dame, ce qui excita tellement celle-ci qu’elle-même se mit à dire : « Fourre-le au milieu, enfonce-le, je te prie ! » Mais le jeune homme refusa en disant : « J’ai seulement demandé à le promener sur les bords. — Je te rendrai tout ton argent, » reprit la dame. — « Je n’en ai pas besoin. » En même temps, il continuait son manège. — « J’ai reçu de toi six cents roubles, je t’en rendrai douze cents, mais fourre-le au milieu ! »

Le père qui, derrière la grille, observait cette scène, ne put se contenir plus longtemps. « Accepte, mon fils, » s’écria-t-il, « les petits ruisseaux font les grandes rivières ! » En entendant ces mots, la dame se releva brusquement et s’enfuit. Le gars resta sans un kopek et se mit à invectiver son père : « Tu avais bien besoin de venir crier, vieux barbon ! »



XXXIV

À LA FAÇON DES CHIENS


Dans certain royaume vivait un gentilhomme qui avait une fille fort belle. Un jour, comme elle se promenait, suivie d’un laquais, ce dernier songea à part soi : « Quel friand morceau ! M’est avis que je ne désirerais plus rien au monde s’il m’était donné de la βαισερ ne fût-ce qu’une petite fois, alors la mort ne m’effraierait plus. » Ces pensées l’absorbèrent tellement qu’il lui échappa de dire à voix basse : « Ah ! belle demoiselle ! si je pouvais seulement te saluer à la façon des chiens ! » La jeune fille entendit ces mots ; rentrée à la maison, elle fit appeler le laquais dès que la nuit fut venue. « Répète un peu, drôle, » commença-t-elle, « ce que tu as dit pendant que j’étais en promenade ! — Pardon, Mademoiselle ! J’ai dit telle et telle chose. — Eh bien, puisque tu le voulais, fais tout de suite comme un chien ; sinon, je raconte tout à papa !… » Ayant ainsi parlé, la jeune fille releva sa robe, se plaça au milieu de la chambre, le postérieur à découvert, et dit au laquais : « Baisse-toi et flaire, comme font les chiens ! » Le laquais obéit. « Allons, maintenant lèche avec ta langue, comme lèchent les chiens ! » Le laquais lécha par trois fois. « Eh bien ! à présent cours autour de moi ! » À dix reprises il dut courir autour de la demoiselle, ensuite il lui fallut encore la flairer et la lécher. Le pauvre garçon fit une mine assez maussade, mais force lui fut de s’exécuter. « Allons, à présent, en voilà assez ; pour la première fois, cela suffit, » dit la jeune fille, « va te coucher et reviens demain soir. »

Le lendemain, dans la soirée, elle fit de nouveau revenir le laquais. « Pourquoi, drôle, n’es-tu pas venu de toi-même ? Je ne puis pas t’envoyer chercher chaque fois ; c’est à toi de savoir ce que tu dois faire ! » Cela dit, elle retroussa sa robe, se mit à quatre pattes et le même jeu que la veille recommença. Dix fois le laquais dut la flairer, la lécher et tourner en courant autour d’elle. Après l’avoir longtemps régalé de la sorte, la jeune fille finit par avoir pitié de lui : elle se coucha sur son lit, releva sa robe par devant et consentit à ce qu’il la βαισᾶτ une petite fois. Le laquais prit son plaisir avec elle et se dit : « Allons, cela ne fait rien ! Je l’ai léchée, soit, mais j’ai obtenu ce que je voulais ! »



XXXV

LES DEUX ÉPOUSES


Deux marchands vivaient dans une étroite amitié. Ils étaient tous deux mariés, et un jour l’un d’eux dit à l’autre : « Écoute, mon ami ! Faisons une expérience pour savoir laquelle de nos femmes aime le mieux son mari. — Soit, mais comment nous assurer de cela ? — Voici : partons pour la foire de Makarieff, et celle de nos femmes qui pleurera le plus sera celle qui aime le plus son mari. » Ils firent leurs préparatifs de départ et, quand ils se séparèrent de leurs épouses, l’une d’elles versa un torrent de larmes, tandis que l’autre se montra fort gaie. Les marchands partirent pour la foire ; après qu’ils eurent fait cinquante verstes, l’un des voyageurs dit à son compagnon : « Comme ta femme t’aime, comme elle a pleuré en te disant adieu ! La mienne, au contraire, n’a fait que rire ! — J’ai une idée, mon ami, » proposa l’autre, « à présent que nos femmes nous croient en route pour la foire, retournons chez nous et ainsi nous saurons ce que nos femmes font en notre absence. — Bien ! »

Il était nuit quand ils rentrèrent à la ville. Ils se dirigèrent d’abord vers la demeure du marchand dont l’épouse avait tant pleuré au moment des adieux, et voici ce qu’ils virent en regardant à la fenêtre : la femme était en train de s’amuser avec un amant. Celui-ci remplit un verre d’eau-de-vie, le porta à ses lèvres, puis le présenta à l’épouse infidèle : « Tiens, bois, ma chère ! » Elle but à son tour et dit : « Mon cher ami ! Maintenant je suis à toi. — Quelle bêtise, toute à moi ! Il y a bien aussi quelque chose qui est à ton mari ! » Elle répondit en lui montrant son derrière : « Voilà ce qui est à ce fils de putain : rien que mon κυλ ! »

Après avoir été témoins de cette scène, les marchands allèrent voir comment les choses se passaient chez la femme qui avait ri lors du départ de son époux ; en levant les yeux vers la fenêtre, ils aperçurent une lampe allumée devant l’icone ; la femme était à genoux et priait avec ferveur : « Seigneur, » disait-elle, « accorde à mon mari un heureux retour ! » « Eh bien ! voilà, » fit un des marchands ; « maintenant, allons à la foire. »

Ils se rendirent à la ville, où ils firent d’excellentes affaires : jamais ils n’avaient eu tant de bonheur ! Quand ils furent sur le point de retourner chez eux, l’idée leur vint de rapporter des cadeaux à leurs femmes. Le marchand qui avait surpris son épouse en prière, lui acheta du brocart pour en faire un manteau. L’autre acheta aussi de cette étoffe, mais seulement pour le κυλ. « Puisque le κυλ seul est à moi, je n’ai besoin que d’une demi-aune : je ne veux pas que mon κυλ soit mal vêtu. » De retour chez eux, ils remirent leurs présents à leurs femmes. « Pourquoi as-tu acheté une si petite pièce ? » demanda avec colère l’épouse coupable. — « Rappelle-toi, putain, ce que tu as dit à ton amant : puisque ton κυλ seulement m’appartient, j’ai acheté de quoi habiller la partie de ta personne qui est à moi ! Porte ce brocart sur le κυλ. »



XXXVI

LA DAME PUDIQUE


Il y avait une jeune dame qui changeait souvent de laquais ; elle les trouvait toujours mal embouchés et les mettait à la porte. Voilà qu’un jeune homme vient chez elle s’offrir comme domestique. « Fais attention, mon cher, » dit la dame, « je ne regarde pas à l’argent, je tiens seulement à ce que tu ne prononces aucune parole indécente. — Comment peut-on dire des indécences ! »

Quelque temps après, la dame se rendit dans ses terres. En approchant d’un village, elle aperçut un troupeau de porcs ; un verrat était monté sur une truie et s’adonnait à sa besogne avec une telle ardeur que l’écume lui sortait de la bouche. « Écoute ! » fit la dame, s’adressant au laquais. — « Que voulez-vous, madame ? — Qu’est-ce que c’est que cela ? » Le laquais, dans la circonstance, ne manqua pas de tact. — « Cela, » répondit-il, « voici ce que c’est : par-dessous ce doit être quelque parente, une sœur ou une tante, et par-dessus, un frère ou un neveu : il est malade et elle le ramène chez elle. — Oui, oui, c’est cela ! » dit la dame, et elle se mit à rire. Chemin faisant, on rencontra un autre troupeau, celui-ci composé de bêtes à cornes ; un taureau était en train de saillir une vache. « Eh bien ! et cela, qu’est-ce que c’est ? » demanda la dame. — « Cela, voici ce que c’est : la vache n’est pas forte et elle ne trouve plus à manger, ayant tout brouté autour d’elle ; c’est pourquoi, comme vous voyez, le taureau la pousse vers l’herbe fraîche. — C’est bien cela ! » observa de nouveau en riant la dame. Ensuite passa un troupeau de chevaux ; un étalon s’accoupla à une jument. « Et cela, qu’est-ce que c’est ? — Voyez-vous, madame, au delà du bois il y a de la fumée ; sans doute le feu est quelque part ; eh bien ! le cheval est monté sur la jument pour apercevoir l’incendie. — Oui, oui, c’est vrai ! » dit la jeune femme qui riait à se tordre. On arriva près d’une rivière. La barinia eut envie de prendre un bain, elle fit arrêter sa voiture, se déshabilla et entra dans l’eau. Le domestique la contemplait sans bouger de place. « Si tu veux te baigner avec moi, déshabille-toi vite ! » Le laquais se dépouilla de ses vêtements et descendit dans la rivière, exhibant sur sa personne l’outil qui sert à faire les hommes. À cette vue, sa maîtresse frémit de joie. « Regarde, qu’est-ce que j’ai là ? » demanda-t-elle en lui montrant son trou. — « C’est un puits, » répondit-il. — « Oui, c’est la vérité ! Et toi, qu’est-ce que tu as là qui pend ? — Cela s’appelle un cheval. — Est-ce qu’il boit, ton cheval ? — Oui, madame ; voulez-vous me permettre de le faire boire à votre puits ? — Allons, soit, mais qu’il boive seulement à l’entrée, ne le laisse pas aller au fond ! » Le laquais s’en tint d’abord aux prescriptions de sa maîtresse, mais, quand celle-ci fut un peu excitée, elle cria : « Fais-le entrer plus avant, plus avant ! Qu’il se désaltère bien ! » Il s’en donna alors à cœur joie et ce ne fut pas sans peine que tous deux sortirent de l’eau[14].



XXXVII

LE BON PÈRE


Dans un village habitait un gai paysan, père de deux jolies filles ; celles-ci avaient beaucoup d’amies qui venaient faire la veillée chez elles. Le vieillard était grand amateur du beau sexe ; la nuit, quand les veilleuses s’étaient endormies, il arrivait à tâtons, relevait la robe de l’une d’elles et se mettait à forniquer ; la fille ne disait jamais rien, c’était l’usage. Par suite, il n’est pas étonnant que le vieux moujik eût βαισέ peut-être toutes les jeunesses du village, ses deux filles exceptées.

Il arriva qu’un soir beaucoup de jeunes paysannes se réunirent dans son izba ; elles filèrent, elles s’amusèrent, puis chacune retourna chez soi : l’une avait à travailler le lendemain de grand matin, une autre n’avait pas obtenu de sa mère la permission de découcher, une troisième avait son père malade. Le vieillard ronflait dans la soupente ; s’étant endormi après le souper, il n’avait pas vu partir les jeunes filles. La nuit, il s’éveilla, descendit de la soupente et s’approcha à tâtons des bancs sur lesquels les veilleuses avaient coutume de se tenir. Sa fille aînée dormait sur la kazenka[15] ; il lui releva sa robe et commença à besogner avec énergie ; mal éveillée, elle s’abandonna complaisamment aux caresses de son père. Le lendemain, le vieillard se lève et demande à sa femme : « Vieille, à quelle heure sont parties ce matin les filles qui ont passé la nuit chez nous ? — Comment, les filles qui ont passé la nuit ? Toutes sont retournées chez elles hier soir. — Tu plaisantes ! Mais qui donc ai-je βαισέ sur la kazenka ? — Qui ? On le sait bien, c’est ta fille aînée. ». Le vieillard se mit à rire : « Oh ! fille de putain, » dit-il. — « Pourquoi, vieux diable, dis-tu de pareilles grossièretés ? — Tais-toi, vieille bête ! Je ris en pensant à ma fille ; elle est vraiment fort experte au déduit ! » La cadette, assise sur un banc, était en train de se chausser : « Ce serait honteux, » observa-t-elle, « si ma sœur ne savait pas faire cela : elle a dix-neuf ans. — Oui, en effet ! C’est votre métier ! »



XXXVIII

LE POPE QUI A ENGENDRÉ UN VEAU


Un pope et sa femme avaient pour ouvrier un Cosaque nommé Vanka ; ce dernier, par suite de l’avarice de la popadia, ne vivait pas bien du tout chez ses patrons. Un jour le pope alla avec son ouvrier faire la fenaison à dix verstes de chez lui. Arrivés dans la prairie, ils se mirent à l’ouvrage et chargèrent deux chariots. Tout à coup un troupeau de vaches s’approcha du foin ; s’armant d’un gourdin, le pope s’élança vers ces animaux, les chassa au loin, et revint, tout en sueur, auprès du Cosaque. Ayant fini leur travail, ils se disposèrent à retourner chez eux. L’obscurité les surprit en route. « Vanka, » dit le pope, « ne vaut-il pas mieux que nous logions au prochain village, chez Gvozd ? C’est un bon moujik, et sa cour est couverte. — Bien, batouchka », répondit Vanka. Ils se rendirent au village, demandèrent et obtinrent la permission de loger chez le moujik. Le Cosaque entra dans l’izba, fit une prière et, après avoir salué le maître de la maison, lui dit : « Écoute, patron, au moment du souper, dis : Asseyez-vous, vous tous qui êtes baptisés ; si tu dis au pope : Assieds-toi, père spirituel ! tu le blesseras et il ne voudra pas se mettre à table ; il n’aime pas qu’on l’appelle ainsi. » Pendant ce temps le pope dételait les chevaux ; à son apparition dans l’izba, le paysan ordonna à sa femme de servir le repas et, quand tout fut prêt, il dit : « Mettez-vous à souper, vous tous qui êtes baptisés ! » Tout le monde prit place à table, sauf le batouchka qui s’assit sur un banc ; il s’attendait à recevoir une invitation particulière, mais son espoir fut trompé. Lorsqu’on eut fini de souper, le maître de la maison dit à l’ecclésiastique : « Pourquoi, père Mikhaïl, ne t’es-tu pas mis à table avec nous ? — Je n’ai pas faim, » répondit le pope. On alla se coucher. Le paysan conduisit ses hôtes à la skotnaïa[16], parce qu’il y faisait plus chaud que dans l’izba. Le pope se coucha sur le poêle, et le Cosaque dans la soupente. Vanka s’endormit tout de suite ; quant au pope, il aurait bien voulu trouver quelque chose à manger, mais il n’y avait rien dans la skotnaïa, sauf une huche contenant de la pâte. Il éveilla le Cosaque. « Qu’est-ce qu’il te faut, batouchka ? — Cosaque, j’ai faim ! — Eh bien ! pourquoi ne manges-tu pas ? Il y a, dans la huche, le même pain que sur la table, » répondit Vanka ; puis il descendit de la soupente et inclina la huche en disant : « Tu as là de quoi te rassasier. » Le pope se mit à laper la pâte, mais Vanka poussa la huche comme par mégarde et en répandit le contenu sur son maître. Celui-ci, ayant satisfait sa faim, se recoucha et ne tarda pas à s’endormir.

Sur ces entrefaites, une vache vêla dans l’étable ; aux cris de l’animal, la maîtresse de la maison accourut ; elle prit le veau, le porta à la skotnaïa et le mit sur le poêle à côté du pope ; après quoi, elle se retira. La nuit, le pope s’éveilla en sentant une langue qui lui léchait le visage ; son premier soin fut de réveiller Vanka. « Qu’est-ce qu’il te faut encore ? » demanda le Cosaque. — « Vanka ! il y a un veau près de moi sur le poêle et je ne sais pas comment il se trouve là ! — Qu’est-ce qu’il a encore imaginé ! C’est lui-même qui a engendré le veau et il dit : Je ne sais pas comment il se trouve là ! — Mais comment donc cela a-t-il pu se faire ? » questionna le pope. — « Eh bien ! voici comment : tu te rappelles que, pendant que nous chargions le foin, tu as couru après des vaches ! Voilà qu’à présent tu as donné le jour à un veau ! — Vanka, comment faire pour dérober cela à la connaissance de ma femme ? — Donne-moi trois cents roubles : je ferai en sorte que la chose reste un secret pour tout le monde. » Le pope donna l’argent. — « Mais fais attention à ceci, » reprit le Cosaque : « retourne maintenant chez toi, file en cachette et laisse ici tes bottes, tu mettras à leur place mes chaussures de tille. » Dès que le pope fut parti, le Cosaque alla trouver le maître de la maison : « Ah ! vous êtes des ânes ! Vous ne savez pas que votre veau a mangé le pope ; il n’a laissé que les bottes ; allez voir. » Le paysan, épouvanté, offrit trois cents roubles au Cosaque pour prix de son silence. Vanka promit de se taire ; il prit les trois cents roubles, monta à cheval et s’élança sur les traces du pope. Quand il l’eut rejoint, il lui dit : « Batouchka ! le moujik veut aller chez ta femme avec le veau et lui dire que tu en es le père ». Plus effrayé que jamais, le pope donna encore une centaine de roubles au Cosaque. « Seulement, » supplia-t-il, « arrange cette affaire. — Retourne chez toi, je me charge d’empêcher tout scandale, » répondit Vanka, et il revint chez le moujik à qui il dit : « La femme du pope va devenir folle quand elle apprendra la mort de son mari ; il t’en cuira ! » Le nigaud pria le Cosaque d’accepter encore cent roubles : « Seulement », ajouta-t-il, « trompe la popadia et ne dis rien à personne. — Bien, bien ! » fit le Cosaque. Arrivé au presbytère, Vanka soutira de nouveau quelque argent au pope ; ensuite il prit congé de lui, se maria et vit dès lors prospérer ses affaires[17].



XXXIX

LE POPE ET LE PIÈGE


Dans un village vivait un moujik, boucher de son état. Il conservait sa viande dans une remise, mais les chiens et les chats avaient pris l’habitude de s’y introduire et d’y commettre force larcins. Le boucher disposa donc un piège sur l’appui de la fenêtre par où ces animaux pénétraient dans la remise. Le chien du pope, étant venu en maraude, fut pris au piège et y laissa la vie. Le pope ressentit vivement cette perte, mais, ne pouvant ressusciter son chien, il en acheta un autre. « Comment faire, » se dit-il, « pour que le nouveau n’ait pas le sort de l’ancien ? » En même temps il voulait faire une niche au moujik. À la fin une idée s’offrit à lui : il se dirigea vers la remise, ôta son pantalon, grimpa jusqu’à la fenêtre et se mit à χιερ sur le piège. Mais soudain le ressort se redressa, étreignant avec force les τεστικυλες du pope, qui commença à jeter les hauts cris. Le moujik accourut. « Ah ! fils de putain, » vociféra-t-il ; « quel diable t’a amené là ? Ah ! la sotte engeance. » Un rassemblement se forma ; tant bien que mal on dégagea le pope, mais il expira immédiatement.



XL

LE POPE, SA FEMME, SA FILLE ET SON OUVRIER


Un pope se disposait à prendre un ouvrier : « Aie soin, pope, » lui recommanda sa femme, « de ne pas engager un homme qui tienne des propos orduriers ; nous avons une fille nubile ! — C’est bien, mère, j’y ferai attention. » L’ecclésiastique se mit en route avec sa charrette. Au devant de lui se présenta un jeune homme qui cheminait pédestrement. « Bonjour, batouchka ! — Bonjour, mon ami ! Où vas-tu ? — Je voudrais me louer comme ouvrier, batouchka. — Et moi, mon cher, justement je cherche un ouvrier ; veux-tu entrer à mon service ? — Volontiers, batouchka. — Seulement, c’est à une condition : il faut, mon cher, que tu t’abstiennes de toute parole déshonnête. — Batouchka, je n’en ai même jamais entendu prononcer depuis que j’existe. — Eh bien ! prends place à côté de moi, tu es l’homme qu’il me faut. » Une jument était attelée à la charrette ; le pope lui releva la queue et montrant avec son fouet la vulve de la jument : « Qu’est-ce que c’est que cela, mon cher ? — C’est un κον, batouchka. — Eh bien, mon cher, je n’ai pas besoin de gens aussi mal embouchés ; va où tu veux ![18] » Le gars vit qu’il avait lâché une sottise, mais le mal était fait ; il descendit de la charrette et se mit à chercher par quelle ruse il pourrait jobarder le pope. Prenant un chemin de traverse, il devança l’équipage du batouchka, qui bientôt le retrouva sur son passage. Le jeune homme avait retourné sa pelisse. « Bonjour, batouchka ! » dit-il. — « Bonjour, mon cher ! où vas-tu ? — Eh bien ! voici, batouchka, je vais me louer comme ouvrier. — Et moi, mon cher, justement je cherche un ouvrier, viens demeurer chez moi, mais à la condition que tu ne proféreras aucune parole indécente ; celui de nous deux qui lâchera un mot obscène devra payer cent roubles à l’autre ; cela te va-t-il ? — Soit, batouchka ; moi-même je ne puis souffrir les gens qui disent de telles paroles ! — Eh bien, tant mieux ! Assieds-toi à côté de moi, mon cher ! » Le jeune homme obéit et la charrette reprit la route du village. Quand on eut fait un bout de chemin, le pope releva la queue de sa jument dont il montra la vulve avec le manche de son fouet : « Qu’est-ce que c’est que cela, mon cher ? » demanda-t-il. — « C’est une prison, batouchka. — Ah ! mon cher, j’ai trouvé en toi l’ouvrier que je cherchais ! » Arrivé à sa demeure, le pope y entra avec son compagnon, releva la robe de sa femme et, montrant du doigt le κον, demanda : « Et cela, qu’est-ce que c’est, mon cher ? — Je ne sais pas, batouchka ! Je n’ai jamais vu de ma vie une chose si terrible ! — N’aie pas peur, mon cher ! C’est aussi une prison. » Ensuite il appela sa fille, la retroussa et poursuivit, en attirant sur le κον les yeux de l’ouvrier : « Et cela qu’est-ce que c’est ? — Une prison, batouchka ! — Non, mon cher, c’est un violon »[19].

On se mit à table pour souper et, le repas fini, on se coucha. L’ouvrier grimpa sur le poêle, prit les chaussettes du pope, les passa à son υιτ et, tenant celui-ci dans ses deux mains, commença à crier de toutes ses forces : « Batouchka ! J’ai mis la main sur un voleur ! Allume vite une chandelle ! » Le pope se lève précipitamment et court, comme un enragé, à travers la chambre. « Ne le lâche pas, tiens-le bien ! » crie-t-il à l’ouvrier. — « Sois tranquille, il ne s’échappera pas ! » Le pope allume une chandelle et s’approche du poêle : il vit alors le gars qui tenait entre ses mains son υιτ enveloppé de chaussettes. « Le voilà, batouchka, il a chipé toutes tes chaussettes ; il faut le punir, le fripon ! — Voyons, tu as perdu l’esprit sans doute ! » demanda le pope. — « Non, batouchka, je n’admets pas l’indulgence à l’égard des voleurs ; lève-toi, matouchka, nous allons fourrer le coquin en prison. » La femme du pope se leva. « Mets-toi vite en position ! » continua l’ouvrier. Bon gré, mal gré, la popadia s’exécuta et le jeune homme s’empressa de la βαισερ. À cette vue, le pope vexé se permit une observation : « Qu’est-ce que tu fais, mon cher ? Tu φους ! — Ah ! batouchka, tu sais ce qui a été convenu entre nous au sujet des mots obscènes ; paye-moi cent roubles ! » Force fut au pope de délier les cordons de sa bourse ; quant à l’ouvrier, il empoigna de nouveau son υιτ et se remit à l’invectiver : « Ce n’est pas assez pour toi, canaille, de la détention que tu viens de subir, je vais te coffrer dans une prison encore pire. Allons, ma colombe, » ajouta-t-il en s’adressant à la fille du pope, « ouvre le cachot ». Il fit prendre à la jeune fille la pose voulue et procéda avec elle comme avec la mère. Celle-ci ne put se contenir : « Qu’est-ce que tu regardes, batouchka ! » dit-elle vivement à son mari, « il φουτ notre fille ! — Tais-toi, » lui répondit le pope ; « j’ai déjà payé cent roubles pour toi, veux-tu que j’en paie encore autant pour elle ? Non, qu’il fasse ce que bon lui semble, je ne dirai plus un mot ! » L’ouvrier s’en donna tout à son aise avec la jeune fille, après quoi, le pope le mit à la porte[20].



XLI

LE COCHON DE LAIT


Dans un village vivait un pope fort bête, mais il avait une fille si belle que c’était un plaisir de la contempler. Voilà que le pope prit à son service un ouvrier. Ce dernier était un solide gars. Il se trouvait depuis trois mois chez l’ecclésiastique, lorsque la femme d’un riche paysan vint à accoucher. Le mari invita le pope à aller baptiser le nouveau-né et à assister au repas qui devait être donné à cette occasion. « Je vous en prie, batouchka, » ajouta-t-il, « amenez-nous aussi votre femme. » On sait que les gens d’église se régalent volontiers à la table d’autrui. Le pope attela donc sa charrette et partit avec sa femme, hissant chez lui sa fille en compagnie de l’ouvrier. Celui-ci eut faim et justement il y avait à la maison deux cochons de lait que la popadia avait fait cuire. « Écoute ce que je vais te dire, » commença l’ouvrier en s’adressant à la fille de son maître, « mangeons ces cochons de lait puisque nous sommes seuls ici. — Soit. » Il alla aussitôt chercher un des cochons de lait et le mangea avec la jeune fille. « Quant à l’autre, » dit-il ensuite, « je vais le cacher sous ta robe, pour qu’on ne le trouve pas, et plus tard nous le mangerons aussi. Si le pope et la popadia nous questionnent au sujet des cochons de lait, nous répondrons tous les deux que le chat les a mangés. — Mais comment donc le cacheras-tu sous ma robe ? — Ce n’est pas ton affaire ! Je sais comment. — Allons, c’est bien, cache-le ! » Il ordonna à la jeune fille de se baisser, la retroussa et lui mit son υιτ au κον. « Ah ! que tu le caches bien ! » dit-elle, « mais comment le retirerai-je de là ? — Sois tranquille, tu n’auras qu’à lui présenter de l’avoine, et de lui-même il sortira. »

Bref, l’ouvrier besogna si bien la fille du pope que, du coup, elle devint enceinte ; son ventre commença à s’arrondir ; à chaque instant elle allait à la cour ; l’enfant remuait dans son sein et elle croyait que c’était le cochon de lait ; elle venait sur le perron, levait la jambe et répandait de l’avoine par terre en disant : « Tchoukh, tchoukh, tchoukh ! » « Il sortira peut-être, » pensait-elle, « si je l’appelle ainsi. » Un jour le pope s’aperçut de la chose et il eut à ce sujet une conversation avec sa femme : « Notre fille est grosse, demandons-lui avec qui elle a succombé aux artifices du malin. » Les parents appelèrent leur fille : « Annouchka, viens ici ! Qu’est-ce que tu as ? Pourquoi es-tu si alourdie ? » Elle regarda son père et sa mère sans leur répondre. « Qu’est-ce qu’ils me demandent ? » pensait-elle. « Allons, parle : comment se fait-il que tu sois enceinte ? » Nouveau silence de la jeune fille. « Mais réponds donc, imbécile : d’où vient que tu as une si grosse panse ? Ah ! maman, j’ai un petit cochon dans le ventre, c’est l’ouvrier qui me l’a mis ! » À ces mots, le pope se frappa le front et s’élança à la recherche de l’ouvrier, mais celui-ci n’avait pas attendu ce moment pour disparaître de la maison[21].


XLII

LE PÈRE SPIRITUEL


Le grand carême était arrivé, un paysan se disposa à aller à confesse. Il mit dans un sac une bûche de bouleau, ficela l’ouverture du sac et vint trouver le pope. « Eh bien ! parle, mon cher : quels péchés as-tu commis ? Mais qu’est-ce que tu as là ? — C’est un saucisson blanc que je t’apporte, batouchka. — Eh bien ! tant mieux. Il est gelé, sans doute ? — Oui, il est resté tout le temps dans ma cave. Allons, il se dégèlera ! — Je viens pour me confesser, batouchka : une fois, étant à la messe, j’ai vessé. — Est-ce là un péché ? Moi-même, un jour, il m’est arrivé de péter à l’autel. Ce n’est rien, mon cher ! Va et que Dieu t’assiste ! » Alors le pope enleva la ficelle qui fermait le sac et s’aperçut qu’il ne contenait qu’une bûche de bouleau. — « Ah ! maudit vesseur, où est donc le saucisson blanc ? — Ne voudrais-tu pas un υιτ, péteur que tu es ! »


XLIII

LE POPE ET LE PAYSAN


Dans certain pays, et, pour dire la vérité, dans celui où nous vivons, il y avait un moujik marié à une jeune femme. Le paysan alla travailler loin de son village, laissant au logis son épouse enceinte. Le pope, à qui elle plaisait depuis longtemps, eut recours à une ruse pour satisfaire son caprice. Un jour, la paysanne vint à confesse à lui. « Bonjour, Marie ! » dit l’ecclésiastique, « où est maintenant ton mari ? — Il est allé travailler au loin, batouchka. — Ah ! le coquin, comment a-t-il pu te planter là ? Il t’a engrossée, mais il n’a pas achevé son œuvre ! À présent, tu accoucheras d’un monstre, d’un enfant sans bras ou sans jambes, et tu seras montrée au doigt dans tout le district. »

La paysanne était fort naïve. — « Que faire, batouchka ? Ne peux-tu pas me venir en aide dans ce malheur ? — Je tâcherai de remédier à cela, mais c’est seulement pour toi, car pour ton mari je n’y consentirais à aucun prix ! — Tâche d’y remédier, batouchka ! », supplia la femme les larmes aux yeux. — « Allons, soit, j’achèverai ton enfant ! Trouve-toi ce soir dans notre remise ; j’irai chercher à manger pour les bêtes et je m’occuperai de toi. — Merci, batouchka ! »

La paysanne se rendit le soir à la remise du pope. « Allons, ma chère, couche-toi sur la paille. » Elle se coucha et écarta les jambes ; le pope la βαισα à six reprises, puis il lui dit : « Retourne chez toi et que Dieu t’assiste ! À présent tout ira bien. » Après avoir prodigué au pope les salutations et les actions de grâces, la paysanne se retira.

Quand le moujik revint chez lui, sa femme le reçut de l’air le plus maussade. « Pourquoi donc me fais-tu une pareille mine ? » lui demanda-t-il. — « Laisse-moi donc ! Tu ne sais rien faire comme il faut : tu es parti d’ici sans avoir achevé l’enfant ! Par bonheur, le pope a eu pitié de moi, il y a mis la dernière main ; autrement je t’aurais donné un monstre ». Le moujik vit qu’il avait été cocufié par le pope. « Attends un peu, » pensa-t-il, « je te revaudrai cela ! »

Arrivée à son terme, la paysanne mit au monde un garçon. Le mari se rendit chez le pope et le pria de venir baptiser le nouveau-né. L’ecclésiastique alla procéder à la cérémonie ; ensuite il s’assit à table, but de l’eau-de-vie et la trouva excellente. « Qu’elle est bonne ! » dit-il au maître de la maison ; « tu devrais envoyer chercher ma femme ; elle en boirait volontiers aussi. — Je vais y aller moi-même, batouchka. — Vas-y, mon cher ».

Le paysan alla inviter la popadia. « Merci d’avoir pensé à moi, je vais m’habiller tout de suite, » répondit-elle. Aussitôt elle prépara sa toilette, mit sur un banc des boucles d’oreilles en or et commença ses ablutions. Profitant du moment où elle passait sur ses yeux un essuie-mains mouillé, le moujik s’empara des boucles d’oreilles. Quand elle se fut lavée, la popadia les chercha et ne les retrouva pas. « N’est-ce pas toi, moujik, qui les as prises ? » demanda-t-elle au paysan. — « Comment, est-ce possible, matouchka ! J’ai vu pourtant où elles se sont fourrées, mais ça ne peut pas se dire. — N’importe, dis-le ! — Tu t’es assise sur le banc, matouchka, et ton κον les a avalées. — Est-ce que tu ne pourrais pas les retirer de là ? — Soit, pour te faire plaisir, j’essaierai ! » Il la troussa, la βαισα par deux fois et mit ensuite une des boucles d’oreilles au bout de son υιτ. « Tiens, matouchka, vois-tu, j’en ai retrouvé une ! » Après deux nouvelles opérations du même genre, l’autre boucle fut aussi retrouvée. « Tu t’es donné bien du mal, pauvre homme », dit la popadia, « mais j’ai encore un service à te demander : il y a deux ans, nous avons perdu un pot de cuivre, cherche un peu s’il n’est pas là aussi. » Le paysan la besogna encore deux fois. — « Non, matouchka, impossible de l’avoir ! Le pot est là, mais il est retourné sens dessus dessous, il n’offre aucune prise. »

Cette affaire finie, le paysan revint chez lui, accompagné de la femme du pope. Celle-ci, au moment de prendre place à table, dit à son mari : « Eh bien ! batouchka, je sais sûre que tu as trouvé le temps long en nous attendant ? — Je crois bien !… Toi, » ajouta le pope en s’adressant au moujik, « tu serais bon à aller quérir la mort ! — Qu’est-ce que tu veux, batouchka ? Mes boucles d’oreilles étaient perdues, je les avais déposées sur un banc, ensuite je m’étais assise là et mon κον les avait avalées ; fort heureusement le moujik me les a retrouvées. » Ces paroles apprirent au pope que le paysan lui avait rendu la monnaie de sa pièce, et on devine si cette nouvelle lui fit plaisir[22].

Autre version

Un moujik se vit dans la nécessité d’aller à Moscou. Il lui en coûtait de faire ce voyage, alors que sa femme était enceinte, mais il ne pouvait s’en dispenser. « Puisqu’il le faut », dit-il, « je vais me rendre à Moscou ; en mon absence sois sage et veille attentivement sur ta conduite. » Ayant ainsi parlé, il se mit en route. La chose se passait pendant le grand carême. La paysanne se disposa à remplir le devoir pascal et alla à confesse. C’était une jolie femme. « Pourquoi as-tu le ventre gros ? » lui demande le pope, tandis qu’elle était au confessionnal. — « J’ai péché, batouchka, j’ai vécu avec mon mari, je sois devenue enceinte et maintenant il est allé à Moscou. — Comment, à Moscou ? — Oui, batouchka. — Et il doit y rester longtemps ? — Environ un an. — Ah ! le coquin, il a commencé un enfant et il ne l’a pas achevé : c’est un péché mortel ! Il n’y a pas à dire : je suis ton père spirituel, et je dois finir ton enfant, mais pour ma peine tu me donneras trois pièces de toile. — Aie cette bonté, » supplia la femme, sauve-moi du péché mortel, achève l’enfant ; mais, pour ce qui est de ce coquin, quand il reviendra de Moscou, je lui arracherai les deux yeux ! — Eh bien ! ma chère, je suis prêt à te rendre service ; le cas est urgent puisque tu accoucheras avant le retour de ton mari. » Naturellement, le pope s’empressa de tenir sa promesse.

Mais cet ecclésiastique était marié, il avait même deux filles, et sa grande crainte était que son épouse n’eût vent de la chose. Il y avait déjà longtemps que la paysanne avait accouché quand son mari revint de Moscou. En le voyant entrer dans l’izba, elle se mit à l’invectiver violemment : « Ah ! fils de chienne, coquin ! Il me recommandait d’être sage, et lui-même est parti sans avoir achevé l’enfant qu’il m’avait fait ! C’est encore bien heureux que le batouchka ait terminé l’ouvrage ; autrement j’aurais été dans une belle position ! » Ces paroles ne laissèrent aucun doute au paysan sur son malheur conjugal. « Patience ! » se dit-il, « cet hérétique à longue crinière n’aura pas le dernier mot avec moi ! » À quelque temps de là, le pope, qui habitait tout à côté de l’église, était en train de célébrer la messe ; on était en été, le paysan se disposa à aller travailler dans son champ. Comme il avait besoin d’une herse et que le pope en possédait trois chez lui, le moujik l’alla trouver à l’église pour lui en demander une. Craignant toujours que ses fredaines n’arrivassent à la connaissance de sa femme par l’intermédiaire du moujik, le pope n’osait rien refuser à ce dernier. « Prends-les toutes trois, » répondit-il. — « Mais, en ton absence, batouchka, on ne me les donnera pas ; crie par la fenêtre à la popadia qu’on me les donne toutes trois. — Bien, mon cher, va ! » Le paysan se présenta à la femme du pope et lui dit : « Madame, le batouchka veut que vous me donniez toutes trois votre κον. — Tu as perdu l’esprit, sans doute, mon cher ? — Demande-lui toi-même, il vient de me le dire à l’instant. « La popadia cria à son mari : « Pope ! Tu veux que nous donnions au moujik ?… — Oui, oui, donnez toutes les trois. » Il n’y avait qu’à s’exécuter, c’est ce qu’elles firent ; le paysan les βαισα l’une après l’autre, il commença par la popadia et finit par la fille cadette ; ensuite il retourna chez lui. Dès que le pope fut revenu de l’église, sa femme l’accabla d’injures : « Ah ! diable, hérétique ! Tu es devenu fou, n’est-ce pas ? Tu as livré tes deux filles au déshonneur ! Passe encore si ce n’avait été que moi, mais tu lui as ordonné de nous prendre toutes trois[23]. » Le pope empoigna sa barbe et courut chez le moujik : « Je vais te traîner devant la justice, tu as déshonoré mes filles ! — Ne te fâche pas, batouchka, » répondit le paysan, « tu aimes à achever les enfants des autres et, qui plus est, tu te fais donner de la toile pour prix de ta peine ; eh bien ! à présent nous sommes quittes. » Le pope se réconcilia avec le moujik et ils vécurent dès lors bons amis.

Autre version

Dans une variante de ce récit, c’est un oncle qui a achevé l’enfant commencé par son neveu. Ivan chercha un moyen de rendre la pareille à son oncle Kouzma. Un jour ce dernier s’absenta, il ne resta au logis que les femmes. Vanka prit une corde, l’attacha aux cornes de sa vache et promena celle-ci à travers le village. Sa tante l’aperçut par la fenêtre : « Pour sûr », dit-elle, « Vanka est complètement ruiné : il se dispose à vendre sa dernière vache. Ma bru, va donc lui demander où il la mène ». La jeune femme s’élança dans la rue : « Où conduis-tu ta vache ? » questionna-t-elle. — « Je suis fâché avec ma femme, » répondit Vanka, « et ma vache sera pour celle qui se laissera φουτρε par moi. — Donne-toi à lui, ma bru, » dit la tante, « il ne faut pas que des étrangers deviennent propriétaires de cette bête. » Tel fut aussi l’avis de la bru. « Conduis la vache dans notre cour ! » cria-t-elle à Vanka ; il mena l’animal à l’étable de sa tante et l’attacha à un pilier ; puis il jeta la bru sur la paille et, après l’avoir besoignée comme il faut, il voulut lui recoudre le κον : il prit dans sa poche une aiguille et du fil. Effrayée, elle s’enfuit chez elle au plus vite.

« Eh bien ! où est la vache ? » demanda la tante. — « Vas-y toi-même ! » répondit la bru d’une voix lamentable ; « s’il n’avait fait que me βαισερ ! mais, non content de cela, il voulait encore me recoudre le κον : il est trop large ! disait-il. — Allons, va, toi, Matrechka, » ordonna la tante à sa fille ; « si tu perds ton honneur, au moins ce ne sera pas pour rien, tu auras toujours la vache. » Matrechka se rendit auprès de Vanka. Il la coucha sur la paille, la βαισα, puis tira de sa poche un petit couteau. « Ah ! la vieille diablesse, » dit-il, « elle t’a envoyée pour se moquer de moi, sans doute ? Mon υιτ est tout écorché. Ce n’est pas parce que tu es ma cousine que j’aurai pitié de toi, je vais t’élargir le κον avec mon couteau ! » Matrechka eut peur et regagna l’izba en toute hâte. « Vas-y toi-même, vieille sorcière ! » dit en pleurant la jeune fille à sa mère, « il m’a fait fort mal et il voulait encore m’élargir avec un couteau, — Si j’y allais ? » dit la tante, « après tout, qu’est-ce que je risque, moi ? Je suis une vieille femme. »

Quand elle entra dans l’étable, Vanka la jeta sur la paille ; puis il ricana : « Il y a beaucoup de neige dans ma cave ; » après quoi, il prit une allumette et fit mine de mettre le feu à la paille. La vieille se sauva à toutes jambes. Alors Vanka ramena sa vache chez lui et alla au devant de son oncle. « Bonjour, diadiouchka ! » lui dit-il quand ils se rencontrèrent. — « Bonjour ! Je te remercie d’avoir, en mon absence, maintenu l’ordre dans ma maison. — Mais tu n’as plus du tout de cheveux sur la tête ? — Que faire ? Dieu me les a enlevés ! — Si tu veux, je les ferai repousser ; je n’ai qu’à dire deux mots tout bas dans ta chapka et ce sera une affaire faite ! » Vanka prit alors le bonnet de son oncle et alla χiερ dedans derrière un buisson ; après avoir eu soin d’étendre un peu d’herbe par dessus ses ordures, il remit la chapka sur la tête du vieillard. « Fais attention, mon oncle, à la porter pendant trois jours, ne l’ôte pas ! »


XLIV

LE POPE ET L’OUVRIER


Un pope marié et père de deux filles avait pris chez lui un ouvrier. Au printemps, il se décida à faire un pèlerinage. « Écoute, mon cher, » dit-il, avant de partir, à son ouvrier, « il faut qu’à mon retour tu aies bêché tout le potager et fait les plates-bandes. — Bien, batouchka. » En l’absence de son maître, l’ouvrier ne s’occupa guère du potager, tout au plus retourna-t-il la terre, çà et là, avec un pieu ; la plupart du temps, il ne faisait que s’amuser. Revenu chez lui, le pope alla avec sa femme visiter le potager, et le retrouva à peu près tel qu’il l’avait laissé. « Eh ! mon cher, se peut-il que tu ne saches pas comment on bêche un jardin ? — Le fait est que je ne le sais pas ! Si je le savais, je l’aurais fait. — Eh bien ! mon cher, va à la maison, demande à mes filles qu’elles te donnent une pelle, et je te montrerai comment on bêche. » L’ouvrier courut au presbytère, et, de but en blanc, dit aux filles de son maître : « Eh bien ! mesdemoiselles, votre père vous ordonne de me donner toutes deux votre … — Quoi ? — Vous le savez vous-même, quoi : votre κον. » Les filles du pope se mirent à l’accabler d’injures. — « Il n’y a pas lieu de m’injurier ; le batouchka veut que vous vous dépêchiez, parce que je ne puis pas poser ici : il faut que je bêche les plates-bandes, Si vous ne me croyez pas, demandez-le-lui vous-mêmes. »

L’une des deux sœurs s’élança aussitôt sur le perron. « Batouchka ! » cria-t-elle, « vous avez ordonné de donner ça à l’ouvrier ? — Donnez-lui vite, pourquoi le retenez-vous là ? — Eh bien ! ma sœur, » dit la jeune fille quand elle fut rentrée dans la chambre, « il n’y a rien à faire, il faut lui donner, notre père l’a ordonné. » Alors elles se couchèrent toutes deux, et l’ouvrier fit d’elles ce qu’il voulut. Ensuite il prit une pelle dans le vestibule, et courut au potager où son maître l’attendait. Après avoir montré à l’ouvrier comment on bêche des plates-bandes, le pope revint à la maison avec sa femme, et y trouva ses filles tout en larmes. « Pourquoi pleurez-vous ? — Comment ne pleurerions-nous pas, batouchka ? Tu nous as toi-même livrées aux outrages de l’ouvrier. — Comment, à ses outrages ? — Mais oui, tu nous a ordonné de lui donner… — Eh bien ! quoi ? j’ai ordonné de lui donner une pelle. — Comment, une pelle ? Il nous a déshonorées toutes deux, il nous a fait perdre notre innocence. »

En entendant ces paroles, le pope entra dans une violente colère ; il saisit un pieu et courut droit au potager. L’ouvrier n’augura rien de bon, quand il vit son maître, ainsi armé, s’élancer vers lui ; il jeta la pelle et s’enfuit à toutes jambes. Le pope se mit à sa poursuite, mais l’ouvrier courait plus vite que lui, et il fut bientôt hors de vue. Voulant retrouver le scélérat, l’ecclésiastique accosta un paysan qui passait : « Bonjour, mon cher ! — Bonjour, batouchka ! — N’as-tu pas rencontré sur ton chemin un ouvrier ? — Je ne sais pas, j’ai croisé un gars qui filait comme une flèche. — C’est lui ! Viens avec moi, moujik, aide-moi à le retrouver, je reconnaîtrai ce service. — Volontiers, batouchka. » Les voilà qui font route ensemble. Un Tsigane vient à passer. « Bonjour, Tsigane ! » dit le pope. — « Bonjour, batouchka. — Est-ce que tu n’as pas rencontré un gars, sur ta route ? — Il y en a un, batouchka, qui est passé à côté de moi avec la rapidité de l’éclair. — C’est lui-même, aide-nous à le trouver, je reconnaîtrai ton obligeance. — Volontiers, batouchka. » Ils se mettent en route à trois.

Pendant ce temps, l’ouvrier était allé changer de vêtements ; sous son nouveau costume, il vint au devant du pope. Celui-ci ne le reconnut pas et lui demanda : « Eh bien ! mon cher, n’as-tu pas vu certain moujik sur ton chemin ? — Si, il s’est sauvé dans tel village. — Allons, mon cher, aide-nous à le trouver. — Volontiers, batouchka ! » Tous les quatre se mirent à la recherche de l’ouvrier du pope ; ils arrivèrent au village, marchèrent toute la journée, mais ils n’avaient encore obtenu aucun résultat, lorsque la nuit les surprit. Où loger ? Ils s’approchèrent d’une maison habitée par une veuve, et demandèrent qu’on voulût bien les y recevoir. « Bonnes gens, » leur répondit la veuve, il y aura, cette nuit, une inondation chez moi ; vous risquez d’être noyés ! » Mais ils insistèrent tellement, qu’elle finit par leur accorder l’hospitalité. Il faut dire que l’amant de la veuve avait promis de venir la voir cette nuit-là. Les quatre hommes entrèrent dans l’izba, et chacun s’y installa de son mieux pour dormir. « Si, en effet, il allait y avoir une inondation ? » se dit le pope. En vue de cette éventualité, il prit une grande auge, la plaça sur une tablette et se mit dedans. « Que l’inondation se produise, » pensa-t-il, « l’auge flottera sur l’eau. » Le Tsigane se coucha sur le foyer du poêle, la tête dans les cendres ; le moujik s’étendit sur le banc qui était devant la table ; quant à l’ouvrier du pope, il prit place sur un escabeau, tout près de la fenêtre.

À peine couchés, les voyageurs fermèrent l’œil. Seul, l’ouvrier ne s’endormit pas ; il entendit quelqu’un s’approcher de la fenêtre, puis il perçut les mots : « Ouvre, mon âme ! » C’était le galant de la veuve qui venait la voir. L’ouvrier se leva, ouvrit et dit tout bas au visiteur : « Ah ! mon chéri, tu arrives mal à propos. J’ai maintenant des étrangers logés chez moi. Viens la nuit prochaine. — Eh bien ! chérie, » répondit l’amant, « penche-toi à la fenêtre, que je puisse du moins t’embrasser ! » L’ouvrier tourna le dos à la fenêtre et présenta son κυλ à l’amant, qui le couvrit de baisers. « Allons, adieu, chérie, je viendrai te voir la nuit prochaine ; porte-toi bien ! — Viens, mon âme, je t’attendrai ; mais, avant de t’en aller, chéri, laisse-moi, du moins, tenir un moment ton υιτ dans mes mains : ce sera toujours un peu plus gai. » L’amant tira son υιτ de son pantalon et l’approcha de la croisée : « Tiens, chère, fais-lui des caresses ! » L’ouvrier prit dans ses mains l’objet qu’on lui présentait et le caressa à plusieurs reprises ; puis, tirant un couteau de sa poche, il trancha net les parties génitales du galant. Celui-ci poussa les hauts cris et retourna chez lui plus mort que vif. L’ouvrier ferma la fenêtre, s’assit sur le banc et se mit à remuer bruyamment ses mâchoires, comme s’il mangeait quelque chose. Le moujik, à ce bruit, s’éveilla. « Qu’est-ce que tu manges, mon ami ? » demanda-t-il. — « Eh bien ! j’ai trouvé sur la table un morceau de saucisson, seulement, je ne peux pas venir à bout de le manger : il n’est pas cuit. — Ça ne fait rien, mon ami, laisse-moi y goûter. — C’est que je n’en ai déjà pas beaucoup pour moi ! Allons, soit, je vais te donner un bout, régale-toi ! » Et il donna le υιτ coupé au moujik. Ce dernier le porta avidement à sa bouche, mais il eut beau faire, ses dents ne purent entamer le prétendu saucisson. « J’y renonce, mon ami, » dit-il, « il n’y a pas moyen de le manger, c’est de la viande crue. — Eh bien ! mets-le dans le poêle, et, quand il sera cuit, tu le mangeras. » Le moujik s’approche du poêle avec le saucisson, qu’il place juste contre les dents du Tsigane ; après l’avoir tenu là un temps assez long, il essaie encore de le manger. « Non, décidément, c’est impossible ; ce saucisson est trop cru, il résiste même à l’action du feu ! — Eh bien ! en voilà assez, laisse-le là ; si la maîtresse de la maison t’entend, elle va gronder. Pour sûr, le feu doit être tout éparpillé dans le poêle ; verse de l’eau dessus, que notre logeuse ne s’aperçoive de rien. — Mais où trouver de l’eau ? — Eh bien ! pisse dessus, cela vaudra mieux que d’aller à la cour. » Le moujik suit ce conseil et il arrose abondamment la trogne du Tsigane. Cette aspersion fait croire au Tsigane que l’inondation à lieu, et il se met à crier de toutes ses forces : « Eh ! batouchka, nous sommes inondés ! » Ces cris réveillent le pope, il veut immédiatement mettre à l’eau sa nacelle improvisée, et il fait choir sur le parquet l’auge dans laquelle il se trouve. « Oh ! mon Dieu ! » gémit l’ecclésiastique qui s’est rompu toutes les côtes ; « quand un petit enfant tombe, la Providence place sous lui un coussin pour amortir sa chute, et quand le même accident arrive à un vieillard, le diable lui présente une herse. À présent, me voilà tout brisé ! À coup sûr, je ne pourrai pas trouver mon coquin d’ouvrier. — Tu feras mieux de ne pas chercher après lui, » observa l’ouvrier, « va plutôt te soigner chez toi. »

Autre version

Un pope, qui avait loué un ouvrier, lui dit un matin : « Nous allons manger un morceau, et ensuite nous irons battre le blé. » Ils se mirent à table et, après qu’ils eurent fait un déjeuner très sommaire, la femme du pope apporta trois œufs : deux pour son mari et un pour l’ouvrier. Le repas fini, les deux hommes se rendirent à la grange, ils prirent chacun un fléau et commencèrent à travailler. Mais, sur le temps que le pope frappait deux coups, l’ouvrier n’en frappait qu’un. L’ecclésiastique le remarqua et en témoigna son mécontentement : « Est-ce une plaisanterie, mon cher ? moi je bats comme il faut, et toi tu lambines toujours ; mon fléau fait deux fois plus d’ouvrage que le tien ! — Écoute, batouchka, » répondit l’ouvrier, « au déjeuner tu as mangé deux œufs et moi un, voilà pourquoi j’ai moins de force ! — Que ne me le disais-tu plus tôt, mon cher ? j’aurais ordonné à ma femme de te donner un second œuf. Va à la maison et dis-lui de t’en donner un ; quand tu l’auras mangé, tu reviendras. »

L’ouvrier jeta son fléau, courut à l’izba et dit à la femme de son maître : « Matouchka ! le pope veut que tu me donnes… — Que je te donne quoi ? — Tu devines toi-même que c’est ton κον. Seulement, dépêche-toi, le batouchka m’a ordonné de revenir tout de suite. — As-tu perdu la tête, maudit ? Qu’est-ce que tu racontes là ? — Eh bien ! interroge toi-même le pope, si tu ne me crois pas. » La popadia passa dans la cour : Écoute, batouchka, » cria-t-elle, « tu veux que je donne à l’ouvrier ?… — Tu ne lui as pas encore donné ? » répondit le pope ; « dépêche-toi, ne le retiens pas là : il faut qu’il revienne travailler. » La popadia rentra dans la maison. « Allons, tu ne m’as pas trompée, » dit-elle à l’ouvrier, et elle se coucha sur le banc placé devant la table. Le gars la besogna vivement ; après quoi, craignant d’être surpris par le pope, il s’empressa de filer ; mais, tandis qu’il franchissait la table au plus vite, il laissa tomber dessus plusieurs gouttes révélatrices. Naturellement, il ne retourna pas à la grange.

Cependant le pope, tout en battant son blé, se disait : « Comment se fait-il que l’ouvrier ne soit pas encore revenu ? Il faut que j’aille voir après lui. » Il arriva à l’izba et demanda à sa femme : « Où est donc l’ouvrier ? — Sitôt son affaire faite, il est parti. » L’ecclésiastique croit que la popadia veut parler de l’œuf, il s’approche de la table, voit le liquide qui est répandu dessus, et dit à sa femme : « Pour sûr, tu lui as donné un œuf à la coque ; il n’a pas su le manger convenablement, il a laissé tomber de la glaire sur la table[24]. » La popadia regarde à son tour, puis s’écrie : « Le drôle ! En me quittant, il est monté sur la table, et c’est alors, sans doute, que ces gouttes auront coulé de son υιτ ; il faut nettoyer cela. — Quoi ! quoi ! » interrogea le pope, « qu’est-ce qu’il a fait avec toi ? — Eh bien ! il a fait ce que tu avais ordonné : il m’a βαισέε ! » À ces mots, le pope arracha ses longs cheveux et accabla sa femme d’injures : « Ah ! maudite putain ! » Il attela aussitôt son cheval et se mit à la poursuite de l’ouvrier.

Celui-ci, ayant aperçu son maître, se barbouilla de boue à la hâte et, quand il se fut rendu méconnaissable, alla au devant de l’ecclésiastique. « Bonjour, batouchka ! — Bonjour, mon cher ! — Où vas-tu ? — Je cherche mon ouvrier. — Prends-moi avec toi. — Mais qui es-tu ? — Griaznoff. — Soit, faisons route ensemble. » Ils partirent à deux, et, chemin faisant, rencontrèrent un Tsigane qui demanda aussi la permission de se joindre à eux. Les voilà voyageant à trois. Ils étaient arrivés près d’une rivière, quand la nuit les surprit. Sur la rive se trouvait une maisonnette ; là habitait une veuve que son amant venait voir la nuit. Ils la prièrent de les laisser loger chez elle. D’abord, elle répondit par un refus : « C’est absolument impossible ! cette nuit, ma maison sera inondée ; vous serez tous noyés pendant votre sommeil ! — Non, nous trouverons bien moyen d’échapper à l’inondation. » Vaincue par les instances des voyageurs, la veuve consentit enfin à leur accorder l’hospitalité. Le pope s’installa dans la soupente : « Ici, » pensa-t-il, « j’ai quelque lieu de me croire en sûreté : l’eau n’atteindra peut-être pas à cette hauteur. » Le Tsigane accrocha une auge au plafond et se coucha dedans, après s’être muni d’un couteau. « Quand se produira l’inondation, » pensa-t-il, « je couperai les cordes qui retiennent l’auge, et elle flottera sur l’eau. » La maîtresse de la maison se coucha sur le poêle. L’ouvrier se doutait qu’elle avait un galant, il se mit tout près de la fenêtre : « Si je suis noyé, tant pis, » dit-il, « on ne meurt qu’une fois ! » La nuit, il entend que quelqu’un s’approche de la croisée. « Qui est là ? — C’est moi, » répond l’amant. — « Eh bien ! as-tu apporté quelque chose ? — J’ai apporté une demi-bouteille d’eau-de-vie et une andouille. — Allons, donne ! » L’autre obéit. Alors l’ouvrier lui dit : « Il m’est tout à fait impossible de te recevoir maintenant, car j’ai des voyageurs logés chez moi, mais laisse-moi du moins tenir un moment ton υιτ dans mes mains : ce sera toujours une consolation pour moi. » L’amant exhiba son membre ; l’ouvrier l’empoigna avec force, puis chercha s’il ne trouverait pas un bâton pour caresser les côtes du visiteur ; le hasard lui fit rencontrer un couteau, il le saisit et coupa net le υιτ de l’amant, qui retourna chez lui dans l’état le plus lamentable. Incontinent, l’ouvrier se mit en devoir de vider la bouteille et de manger l’andouille, mais les popes ont du flair pour ces choses-là ! Le batouchka s’éveilla. « Griaznoff ! » cria-t-il, « qu’est-ce que tu manges ? — Une andouille. — Donne-m’en. » L’ouvrier lui tendit le υιτ qu’il avait coupé au galant. Le pope essaya en vain de le manger, force lui fut de le rendre à l’ouvrier. « Elle est trop dure, » observa-t-il. — Elle n’est pas encore cuite. » Ensuite, tous se rendormirent ; mais l’ouvrier s’avisa d’une autre niche. Il grimpa à la soupente et commença à pisser en visant la bouche du pope. « Voilà l’eau ! Nous sommes inondés ! » s’écria l’ecclésiastique, et il s’abattit lourdement sur le parquet. À cette vue, le Tsigane coupa les cordes qui retenaient l’auge dans laquelle il se trouvait, et celle-ci tomba par terre avec fracas. Ils se relevèrent plus ou moins contusionnés, et se hâtèrent de déguerpir. Quant à l’ouvrier, il vit maintenant avec la veuve[25].


XLV

LA FAMILLE DU POPE ET L’OUVRIER


Dans notre pays vivait un pope qui avait une femme, trois filles et un ouvrier. Ce dernier songeait à obtenir les faveurs des filles de son maître, mais il n’osait pas les solliciter carrément. Arriva un jour de fête, l’ouvrier prit une marmite et la porta à la remise ; ensuite il versa de l’eau dans la marmite, alluma du feu et se mit à faire bouillir l’eau. Quand le pope, revenu de la messe, s’assit à table avec sa femme et sa fille, il demanda : « Mais où est donc l’ouvrier ? — Il travaille à la remise depuis ce matin, » répondit la popadia. — « Comment, impies, vous l’avez envoyé travailler un jour comme aujourd’hui ? Vous n’avez donc pas la crainte de Dieu ? — Ce n’est pas nous qui l’avons envoyé, il y est allé de lui-même. — Va le chercher, » ordonna le pope à sa fille aînée, « dis-lui de venir dîner. »

La jeune fille courut à la remise. « Qu’est-ce que tu cuisines là, ouvrier ? » demanda-t-elle. — Quelque chose de bon ! — Laisse-moi y goûter ! — Laisse-moi te βαισερ ! » La fille du pope se retroussa et l’ouvrier la βαισα ; après quoi, il lui donna de son fricot. — « Mais c’est de l’eau ! » dit-elle quand elle y eut goûté, et elle se retira. Le pope, lorsqu’il la vit rentrer dans l’izba, lui demanda : « Pourquoi donc l’ouvrier ne vient-il pas ? — Il travaille. — Imbécile ! tu devais lui dire de tout laisser là et de venir dîner. Va le chercher, toi, » ajouta-t-il en s’adressant à sa seconde fille, « et ramène-le ici. » La jeune fille alla aussitôt à la remise et fit la même question que sa sœur : « Qu’est-ce que tu cuisines, ouvrier ? — Quelque chose de bon ! — Laisse-moi goûter de ton fricot ! — Laisse-moi te βαισερ une fois ! » Elle y consentit et, quand l’ouvrier l’eut βαισέε, il lui offrit de son fricot. « C’est de l’eau ! » observa-t-elle, et elle retourna en hâte à la maison. — « Eh bien ! et l’ouvrier ? » lui demanda son père. — « Il ne vient pas, il est toujours occupé. » Le pope envoya à la remise sa plus jeune fille qui, à son tour, demanda : « Ouvrier, qu’est-ce que tu fricotes ? — Quelque chose de bon ! — Laisse-moi y goûter ! — Laisse-moi te βαισερ une petite fois. » La jeune fille montra la même complaisance que ses sœurs et, en retour, l’ouvrier lui fit boire à elle aussi de l’eau de sa marmite, après quoi elle revint à l’izba. « Vous êtes toutes des imbéciles ! » déclara avec colère le pope. « Vas-y, ma femme, dis à cet homme de venir tout de suite. »

La popadia se rendit à la remise. « Qu’est-ce que tu tripotes là, ouvrier ? » commença-t-elle. — Quelque chose de délicieux. — Laisse-moi en manger une bouchée. — Si tu me permets de te βαισερ. » La popadia se rebiffa d’abord, mais l’ouvrier tint bon, et comme elle avait grande envie de savoir ce qu’il cuisinait là, elle se laissa βαισερ pour obtenir la faveur de boire un peu d’eau. « Eh bien ! matouchka, » lui demanda ensuite l’ouvrier, « mon fricot est-il bon ? » Ils vidèrent ensemble la marmite et allèrent dîner. « Pourquoi, imbécile, n’es-tu pas venu plus tôt ? » dit le pope, « c’est un péché de travailler aujourd’hui. » Tout le monde se mit à table ; on servit un pâté, le pope le découpa et en distribua une tranche à chacun des convives. La popadia offrit la sienne à l’ouvrier : « Tiens, » dit-elle, « je te donne ma part, ouvrier : c’est pour la chose de tantôt ! »[26]. Les jeunes filles s’empressèrent d’imiter l’exemple donné par leur mère : « Tiens, ouvrier, » firent-elles toutes trois en lui présentant leur tranche de pâté, « c’est pour la chose de tantôt. » Le pope » voyant cela, finit par en faire autant : « Ouvrier, prends aussi ma part, c’est pour la chose de tantôt. — Mais, est-ce qu’il t’a φουτυ ? » demanda la popadia à son mari. — « Et vous, est-ce qu’il vous a φουτυες ? — Comment donc ! Je crois bien ! » répondirent d’une commune voix les quatre femmes. Le pope entra alors dans une violente colère et mit l’ouvrier à la porte.



XLVI

LE PEIGNE


Un pope avait une fille encore innocente. L’été venu, il se mit en devoir de faire couper son foin, mais en stipulant avec chacun des ouvriers qu’il ne les paierait pas, si sa fille sautait par-dessus le foin qu’ils auraient fauché. Plusieurs acceptèrent cette condition et durent retourner chez eux sans avoir touché le prix de leur travail : dès qu’ils avaient fait une meule de foin, arrivait la fille du pope qui sautait par-dessus.

Voilà qu’un gars audacieux se présente à son tour pour faire la fenaison chez l’ecclésiastique ; ce dernier lui apprend quelles sont les conditions ; le jeune homme y souscrit et commence à travailler ; quand il a coupé une certaine quantité de foin, il en fait un tas et se couche à côté ; puis il tire son υιτ de son haut-de-chausses et le met en érection. Sur ces entrefaites la fille du pope vient voir comment l’ouvrier travaille et, le surprenant dans cette occupation, lui demande : « Qu’est-ce que tu fais là, moujik ? — J’arrange mon peigne. — Qu’est-ce que tu peignes donc avec cela ? — Si tu veux, je vais te peigner, couche-toi sur le foin. » La jeune fille obéit et l’ouvrier la peigna de la façon qu’on devine[27]. « Quel bon peigne ! » dit la popovna quand elle se fut relevée. Ensuite elle voulut sauter par-dessus le foin, mais elle n’y parvint pas et ne réussit qu’à mouiller ignoblement son linge.

Elle alla trouver son père et lui dit : « La meule de foin est fort grande, je n’ai pas pu sauter par-dessus. — Ah ! ma fille, pour sûr, nous avons là un excellent ouvrier. Je vais l’engager pour un an. » Lorsque le moujik vint demander son salaire, le pope ne consentit pas à le laisser partir. « Je désire te conserver pendant un an, mon cher. — Bien, batouchka. » L’ouvrier resta donc chez le pope, à la grande satisfaction de la popovna qui, la nuit, se rendit auprès de lui. « Peigne-moi un peu ! » commença-t-elle. — « Non, je ne te peignerai pas pour rien ; donne-moi cent roubles, et ainsi tu achèteras le peigne. » La jeune fille alla chercher cent roubles et les remit à l’ouvrier qui, dès lors, la peigna chaque nuit. Mais, à quelque temps de là, le moujik, ayant eu une querelle avec le pope, se fit régler son compte et s’en alla. La popovna n’était pas chez elle à ce moment. De retour au logis, elle demanda où était l’ouvrier. « Il a pris congé de moi, » répondit le pope, « je lui ai payé ce que je lui devais et il vient de partir. — Ah ! mon père, qu’avez-vous fait ? Il a emporté mon peigne. » Ce disant, la jeune fille s’élança à la poursuite de l’ouvrier ; elle le rejoignit près d’un petit cours d’eau. Il retroussa son pantalon et entreprit de traverser le rivière à gué. « Rends-moi mon peigne ! » lui cria la popovna. Le moujik ramassa une pierre et la jeta dans l’eau : « Prends-le ! » dit-il ; après quoi, étant passé sur l’autre rive, il gagna le large. La jeune fille releva sa robe, entra dans l’eau et se mit à chercher le peigne, mais elle eut beau fouiller le lit de la rivière, ce fut peine perdue.

Vint à passer un barine en équipage. « Qu’est-ce que tu cherches, ma chère ? demanda-t-il. « Un peigne ; je l’avais acheté cent roubles à notre ouvrier, mais, en partant de chez nous, il l’a emporté ; je me suis mise à sa poursuite et il l’a jeté à l’eau. » Ce barine descendit de voiture, ôta son pantalon et entra dans la rivière pour chercher le peigne avec la jeune fille. Tout à coup son υιτ attira l’attention de la popovna, elle l’empoigna aussitôt des deux mains en criant : « Ah ! barine, tu devrais être honteux ! c’est mon peigne, rends-le-moi[28] ! — Qu’est-ce que tu fais, déhontée ? » dit l’autre ; « lâche-moi ! — Non, c’est toi-même qui es un déhonté ! Tu veux prendre ce qui ne t’appartient pas. Rends-moi mon peigne ! » Et, tenant toujours le barine par le υιτ, la popovna le ramena chez son père.

Celui-ci était à sa fenêtre ; il vit sa fille qui tirait le barine par l’endroit le plus sensible et ne cessait de crier : « Rends-moi mon peigne, coquin ! » tandis que le pauvre homme suppliait plaintivement : « Batouchka ! sauve-moi d’une mort que je n’ai pas méritée ! Je ne t’oublierai pas ! » Que faire ? l’ecclésiastique sortit de son pantalon sa verge de pope, la montra par la fenêtre à sa fille et cria : « Fillette ! eh ! fillette, voilà ton peigne ! »

— « En effet, c’est le mien, » dit-elle, « oui, il est rouge au bout ! Et moi qui croyais que le barine l’avait pris ! » Aussitôt elle lâcha sa victime et entra précipitamment dans la maison. Le barine détala au plus vite.

À peine chez elle, la fille du pope demanda : « Papa, où est donc mon peigne ? » Son père l’apostropha vivement : « Ah, vaurienne que tu es ! » et il cria ensuite à sa femme : « Regarde, matouchka, elle n’a plus son honneur ! — Assez, batouchka, » répondit l’épouse à son mari, « regardes-y toi-même et mets ordre à cela. » Le pope ôte à l’instant son pantalon et βαισε sa fille ; au fort de la jouissance, il hennit et crie : « Non, non, notre fille n’a pas perdu son honneur… — Batouchka, » dit la popadia, « rentasse-lui bien son honneur. — Sois tranquille, matouchka, il ne tombera pas, je viens de le consolider. Mais notre fille est encore jeune : elle ne sait pas lever les jambes comme il faut. — Lève-les plus haut, fillette, plus haut ! » fait la mère. — « Ah, matouchka, » reprend le pope, « elle est encore toute en tas ! » C’est ainsi que la popovna retrouva son peigne, et dès lors le pope vécut maritalement avec sa fille comme avec sa femme.



XLVII

INTRODUIS DE LA CHALEUR


Un moujik avait trois fils : les deux aînés étaient intelligents, mais le troisième était un imbécile. « Mes chers enfants, » leur demanda le père, « comment me nourrirez-vous, maintenant que je suis vieux ? — Par notre travail, » dirent les fils aînés, mais le plus jeune, en imbécile qu’il était, répondit : « Par quoi te nourrirai-je mieux que par mon υιτ ? »

Le lendemain, l’aîné de la famille prit sa faux et se mit en quête de foin à couper. Chemin faisant, il rencontra le pope, qui lui demanda où il allait. « Je cherche du travail, » répondit-il, « je voudrais me louer comme faucheur de foin. — Viens chez moi, » reprit le pope, « mais voici mes conditions : je te donnerai cent roubles si ma fille ne saute pas par-dessus le foin que tu auras coupé dans ta journée ; autrement, tu n’auras pas un kopek[29]. » « Pas de danger qu’elle saute par dessus ! » pensa le gars, et il accepta l’arrangement proposé. Le pope le mena à sa prairie et lui dit : « C’est ici, ouvrier, fauche ! » Le jeune homme se mit immédiatement à la besogne et, le soir venu, il avait fauché un tas de foin qui atteignait des proportions effrayantes. Mais la fille du pope arriva et sauta par-dessus la meule, en sorte que l’ouvrier dut retourner chez lui tout penaud.

Même fortune advint au second frère. « Eh bien, » dit alors le plus jeune, « je vais chercher de l’ouvrage pour mon υιτ. » Il prit sa faux, se mit en route et fit aussi la rencontre du pope, qui l’engagea aux mêmes conditions que ses frères aînés. L’imbécile commença à faucher, mais quand il eut promené une fois sa faux dans la longueur de la prairie, il ôta son pantalon et se coucha, le derrière à l’air. Arriva la fille aînée du pope. « Ouvrier, » demande-t-elle, « pourquoi ne fauches-tu pas ? — Une minute ! laisse-moi introduire de la chaleur dans mon κυλ pour n’être pas gelé l’hiver. — Introduis-en aussi dans le mien, s’il te plaît ; l’hiver nous allons en voyage et nous sommes toujours transies de froid. — Présente ton derrière, tu recevras aussi de la chaleur. » La jeune fille se plaça dans la position indiquée ; l’imbécile brandit son émouchoir et introduisit de la chaleur dans le κον de la popovna, au point de la faire suer à grosses gouttes. « Allons, c’est assez, » dit-il ensuite, « tu en as maintenant pour tout un hiver. » Elle courut chez elle. « Ah, chères, » fit-elle en s’adressant à ses sœurs, « comme l’ouvrier m’a bien chauffé le κυλ ! Lui et moi nous ruisselions de sueur ! » À leur tour les deux cadettes s’empressèrent d’aller trouver l’ouvrier et il les approvisionna aussi de chaleur pour l’hiver ; mais, pour ce qui était de son travail, il ne s’en occupa guère.

Le pope arriva avec sa fille aînée et, voyant le peu de foin qui avait été fauché, il dit d’un ton plein d’assurance : « Ouvrier, tu ferais mieux de retourner chez toi ; ma fille n’aura pas de peine à sauter par-dessus cela. — C’est ce que nous verrons. » Le pope ordonna à sa fille de sauter, mais au moment où elle venait de relever sa robe pour obéir à l’ordre de son père, une inondation se produisit le long de sa personne. « Tu vois bien ! » observa l’ouvrier ; « et tu parlais avec tant d’aplomb ! » Le pope, vexé, envoya chercher ses deux autres filles. « Si aucune des trois ne saute par-dessus le foin, » déclara-t-il à l’ouvrier, « je te donnerai cent roubles pour chacune d’elles. — Bien. » Mais il arriva aux deux cadettes ce qui était arrivé à leur aînée. Après avoir reçu du pope trois cents roubles, l’imbécile revint chez lui. « Tenez, » dit-il aux siens, « voilà ce que j’ai gagné avec mon υιτ ! Voyez un peu quelle somme il m’a rapporté ! »



XLVIII

L’ENTERREMENT DU CHIEN (OU DU BOUC)


Un moujik avait un chien. S’étant fâché contre cet animal, il l’emmena dans un bois et l’attacha à un chêne. Le chien se mit à fouir la terre avec ses pattes et mina le sol sous le chêne, si bien que celui-ci fut renversé par le vent. Le lendemain le paysan alla au bois ; l’idée lui vint de donner un coup d’œil à son chien, il se rendit à l’endroit où il l’avait attaché, et que vit-il ? le chêne était abattu et à la place qu’il occupait naguère se trouvait une grande marmite remplie d’or. Le paysan, enchanté de cette aubaine, regagna sa demeure au plus vite, puis il revint au bois avec une charrette, s’empara du trésor et ramena le chien dans son véhicule. De retour chez lui, il dit aux femmes de sa maison : « Écoutez ! j’entends que désormais vous traitiez mon chien avec les plus grands égards ! Si vous n’avez pas soin de lui, si vous le laissez manquer de nourriture, vous aurez affaire à moi ! » Dociles à cet ordre, les femmes furent tout attention pour le chien, elles lui prodiguèrent les mets délicats, lui firent un lit moelleux, bref, le choyèrent de toutes les façons. Quant au maître de la maison, il ne se fiait qu’au chien : chaque fois qu’il s’absentait, il lui pendait toujours ses clés au cou.

Mais, au bout de quelque temps, l’animal tomba malade et mourut. Le paysan imagina de lui faire rendre les honneurs funèbres. Il prit cinq mille roubles et alla trouver le pope. « Batouchka, mon chien est mort, et il t’a légué cinq mille roubles à condition que tu l’enterres selon le rite chrétien. — Allons, c’est bien, mon cher ! Il n’est pas permis de le porter à l’église, mais on peut l’enterrer. Prépare-toi, j’irai demain procéder à la levée du corps. » Le moujik fit un cercueil et y plaça le chien ; le lendemain matin arriva le pope accompagné du diacre et des chantres ; tous étaient revêtus des ornements sacerdotaux ; ils célébrèrent l’office des morts, portèrent le chien au cimetière et le déposèrent dans une fosse. Force fut au pope de prélever la part de son clergé sur la somme qu’il avait reçue du moujik, mais il fit si mesquinement les choses que les chantres, par esprit de vengeance, le dénoncèrent à l’évêque comme ayant donné la sépulture chrétienne à un chien. Le prélat cita le pope à son tribunal. « Comment as-tu osé, » lui dit-il, « enterrer un misérable chien ? » et il le mit aux arrêts. Alors le paysan prit dix mille roubles et se rendit à l’évêché pour obtenir la libération du pope. « Qu’est-ce que tu viens faire ? » lui demanda l’évêque. — « Mon chien est mort, » répondit le moujik ; « il a légué dix mille roubles à Votre Grandeur et cinq mille au pope. — Oui, mon ami, j’ai entendu parler de cela et, si j’ai mis le pope aux arrêts, c’est parce que l’impie n’a pas porté le chien à l’église ; il aurait dû dire une messe pour lui ! » Le prélat prit les dix mille roubles à lui légués par le chien et, non content de remettre le pope en liberté, il le nomma doyen ; quant aux chantres, il les fit incorporer dans la milice.

Autre version

Un vieillard vivait avec sa femme, ils n’avaient pas d’enfants et ne possédaient en fait d’animaux qu’un bouc. Le vieillard ne connaissait aucun métier, il tressait des chaussures de tille, c’était là son seul moyen d’existence. Le bouc était habitué à son maître et l’accompagnait chaque fois qu’il sortait. Un jour, le vieillard alla au bois pour chercher de la tille, et le bouc le suivit. Ils arrivèrent au bois, le vieux paysan se mit à arracher des écorces de tilleul ; pendant ce temps, le bouc broutait l’herbe çà et là ; tout à coup ses pieds de devant s’enfoncèrent dans un sol friable, il commença à creuser et exhuma une marmite pleine d’or. Voyant le bouc gratter la terre, le vieillard s’approcha de lui et aperçut le trésor. Rempli d’une joie indicible, il jeta ses tilles, prit la précieuse marmite et la rapporta chez lui. « Allons, vieux, » lui dit sa femme, après avoir entendu le récit de la trouvaille, « c’est Dieu qui nous a envoyé cette fortune dans notre vieillesse en dédommagement de la pauvreté dont nous avons souffert pendant tant d’années ! À présent, nous allons nous donner du bon temps ! — Non, vieille, » répondit le mari, « cet argent a été trouvé, non par nous, mais par le bouc ; nous devons en conséquence avoir grand soin de lui et veiller à son bien-être avant de nous occuper du nôtre. » Dès lors, les deux époux s’appliquèrent à faire au bouc l’existence la plus heureuse, mais eux-mêmes s’entourèrent aussi de tout le confort possible ; le vieillard en vint à oublier comment on tresse les tilles ; bref, le ménage, à partir de ce moment, vécut dans l’aisance et ne connut plus aucun souci. Au bout de quelque temps, une maladie emporta le bouc. Le mari délibéra avec sa femme sur la conduite à tenir dans cette circonstance. « Si, » dit-il, « nous jetions le bouc aux chiens, nous serions coupables devant Dieu et devant les hommes, car c’est à lui que nous devons notre bonheur. Il vaut mieux que j’aille trouver le pope et que je le prie d’enterrer le bouc chrétiennement, comme on enterre les autres défunts. »

Là-dessus, le vieillard se rendit chez le pope. « Bonjour, batouchka ! » commença-t-il en s’inclinant. — « Bonjour, mon cher ! quelle nouvelle ? — Voici, batouchka, je suis venu pour adresser une prière à Ta Grâce ; il est arrivé chez moi un grand malheur : mon bouc est mort ! Je viens te prier de l’enterrer. » À ces mots, le pope entra dans une violente colère, il saisit le vieillard par la barbe et le secoua avec force : « Ah ! maudit, à quoi penses-tu ? Enterrer un bouc puant ! — Mais, batouchka, ce bouc était tout à fait orthodoxe ; il t’a légué deux cents roubles. — Écoute ! vieux barbon, » reprit l’ecclésiastique, « si je te houspille, ce n’est pas parce que tu me demandes d’enterrer ton bouc, mais parce que tu as attendu jusqu’à ce moment pour m’informer de son décès : il est peut-être mort depuis longtemps déjà ! » Et après avoir pris les deux cents roubles du paysan, le pope continua en ces termes : « Eh bien, va tout de suite trouver le père diacre, dis-lui de se préparer, nous allons immédiatement enterrer le bouc. »

Le vieillard se rendit chez le diacre et lui dit : « Donne-toi la peine, père diacre, de venir chez moi pour procéder à un enterrement. — Qui est-ce qui est donc mort chez toi ? — Mais vous connaissiez mon bouc, c’est lui qui est mort. — Comment ! » fit le diacre et il appliqua un formidable soufflet sur la joue du visiteur. — « Ne me bats pas, père diacre, » reprit le paysan, « mon bouc était tout à fait orthodoxe ; en mourant il t’a légué cent roubles pour ses funérailles. — Eh ! que tu es bête, tout vieux que tu es ! » répliqua le diacre ; « pourquoi ne m’as-tu pas dit plus tôt qu’il était mort chrétiennement ? Va vite chez le sacristain : qu’il sonne les cloches pour le trépas du bouc. » Le vieillard courut chez le sacristain. « Va sonner, » lui dit-il, « pour le trépas de mon bouc. » Colère du sacristain qui empoigne la barbe du vieillard et la tire avec violence. « Lâche-moi s’il te plaît, » crie le visiteur, « mon bouc était orthodoxe, il t’a légué cinquante roubles pour son enterrement. — Que ne le disais-tu plus tôt ? Si j’avais été prévenu de cela, il y a longtemps que j’aurais sonné le trépas du bouc ! » Ayant ainsi parlé, le sacristain se rendit précipitamment à l’église et sonna à toute volée.

Le pope et le diacre vinrent célébrer l’office des morts chez le vieillard, après quoi, ils mirent le bouc dans un cercueil et l’allèrent inhumer au cimetière. Cependant cette affaire fit du bruit dans la paroisse, et l’évêque finit par apprendre qu’on avait donné la sépulture chrétienne à un bouc. Le pope et le paysan furent cités à comparaître devant le prélat. « Comment, » leur dit-il, avez-vous osé enterrer un bouc ? Ah ! vous êtes des impies. — Mais ce bouc ne ressemblait pas du tout aux autres, » observa le vieillard ; « avant de mourir, il a légué mille roubles à Votre Grandeur. — Eh ! vieil imbécile, ce que je te reproche, ce n’est pas d’avoir fait enterrer ton bouc, mais de l’avoir laissé mourir sans sacrements. » L’évêque prit les mille roubles et renvoya indemnes les deux accusés.



XLIX

SENTENCE RENDUE À PROPOS DE VACHES


Dans un village vivaient un pope et un moujik ; le premier possédait sept vaches, le second n’en avait qu’une, encore était-elle boiteuse. Mais un pope est naturellement convoiteur ; celui-ci chercha un moyen de s’approprier l’unique vache du moujik : « Cela m’en fera huit ! » se dit-il. Un jour que les paysans, à l’occasion d’une fête, s’étaient rendus à l’église, le pope sortit de l’altar et, feignant de lire dans un livre ouvert devant lui, prononça à haute voix ces mots : « Écoutez, mes frères ! si quelqu’un donne une vache à son pasteur spirituel, Dieu le récompensera conformément à son infinie bonté : cette unique vache lui en amènera sept autres ! » Notre moujik, qui se trouvait dans la foule des fidèles, se dit en entendant ces paroles : « À quoi nous sert notre unique vache ? Elle ne donne même pas assez de lait pour toute la famille ! Je vais agir comme il est dit dans l’Écriture, je vais offrir ma vache au pope. Peut-être que Dieu m’en récompensera ! » Dès que la messe fut finie, le moujik revint chez lui, passa une corde autour des cornes de sa vache et mena celle-ci au presbytère. « Bonjour, batouchka ! » fit-il en entrant. — « Bonjour, mon cher. Qu’est-ce que tu nous diras de bon ? — J’ai été aujourd’hui à l’église et j’ai entendu qu’il est dit dans l’Écriture : Si quelqu’un donne une vache à son père spirituel, elle lui en amènera sept autres ! Eh bien, batouchka, je viens offrir ma vache à Votre Grâce. — C’est bien, mon cher, de te souvenir de la parole divine ! Dieu te rendra cela au septuple. Conduis, mon cher, ta vache à l’étable et mets-la avec les miennes. »

Le paysan déféra à cet ordre, mais, quand il rentra chez lui, sa femme l’assaillit de reproches : « Pourquoi, vaurien, as-tu donné la brunette au pope ? Tu veux, n’est-ce pas, que nous crevions de faim comme des chiens ? — Eh ! que tu es sotte, » répliqua le mari ; « est-ce que tu n’as pas entendu ce que le pope a lu à l’église ? Attends un peu, notre vache nous sera rendue avec sept autres, et alors nous aurons du lait à bouche-que-veux-tu. »

Le paysan resta tout l’hiver sans vache. Arriva le printemps ; on conduisit le bétail dans les pâturages, et les vaches du pope y allèrent comme les autres. Le soir, le vacher ramena le troupeau au village ; toutes les vaches reprirent le chemin de leurs étables respectives, mais celle que le moujik avait donnée au pope revint, par habitude, chez son ancien maître ; les sept vaches de l’ecclésiastique s’étaient tellement habituées à leur nouvelle compagne qu’elles la suivirent jusqu’à dans la cour du paysan. Ce dernier vit cela de sa fenêtre et dit à sa femme : « Regarde un peu, notre vache nous en a ramené sept autres. Ce qu’a lu le pope était la vérité : la parole de Dieu se réalise toujours ! Et tu me faisais des reproches, encore ! À présent, nous ne manquerons ni de lait ni de viande. » Il ne fit qu’un saut jusqu’à la cour, poussa toutes les vaches dans son étable et les y enferma.

Cependant le pope, voyant que la nuit est venue et que ses vaches ne sont pas encore rentrées, se met à les chercher dans le village. Il va chez le paysan et lui dit[30] : « Pourquoi, mon cher, as-tu fait entrer chez toi des vaches qui ne t’appartiennent pas ? — Qu’est-ce que tu me racontes ? Il n’y a pas ici de vaches qui ne m’appartiennent pas, il y a les miennes, car Dieu me les a données : c’est ma brunette qui en a ramené chez moi sept autres, conformément à ce que toi-même, batouchka, tu as lu l’autre jour à l’église. — Tu plaisantes, fils de chien, ce sont mes vaches. — Non, elles sont à moi ! » La discussion s’échauffa et le pope finit par dire au paysan : « Allons, que le diable t’emporte ! reprends ta vache, mais rends-moi du moins les miennes. — Ne veux-tu pas un υιτ de chien ? »

En désespoir de cause, le pope déposa une plainte contre le moujik. L’affaire fut portée devant le tribunal de l’évêque. Ce dernier ne savait à qui donner raison, car il avait reçu de l’argent du pope et de la toile du paysan. « Je suis fort embarrassé, » leur dit-il, « pour décider entre vous, mais voici ce que j’ai imaginé : retournez maintenant chez vous, et demain, celui de vous qui arrivera le premier chez moi, celui-là aura les vaches. » Le pope retourna chez lui et dit à sa femme : « Fais attention à m’éveiller demain de grand matin. » Mais le moujik ne fut pas bête : au lieu de regagner sa demeure, il s’avisa de se fourrer sous le lit de l’évêque : « Je vais passer toute la nuit ici, » se dit-il, « je ne dormirai pas, et demain à la première heure je serai sur pied ; comme cela, je soufflerai les vaches au pope. »

Pendant que le moujik est couché sous le lit, il entend quelqu’un frapper à la porte. L’évêque se lève tout de suite, va ouvrir et demande : « Qui est là ? — C’est moi, la mère abbesse, père ! — Eh bien ! mère abbesse, couche-toi sur le lit. » Elle obéit. Le prélat se mit alors à lui palper les tétons. « Qu’est-ce que tu as là ? » demanda-t-il. — « Saint père, ce sont les montagnes de Sion, et en bas ce sont les vallées. » L’évêque lui tâta le nombril : « Et cela, qu’est-ce que c’est ? — C’est le nombril de la terre. » La main de l’évêque, descendant plus bas encore, saisit le κον de l’abbesse : « Et cela, qu’est-ce que c’est ? — Cela, père, c’est un petit enfer. — Moi, mère, j’ai un pécheur[31] ; il faut le mettre dans l’enfer. » L’effet suivit aussitôt les paroles ; autrement dit, l’évêque βαισα la mère abbesse, après quoi, il la reconduisit hors de son appartement.

Pendant ce temps le moujik s’esquiva sans bruit et retourna chez lui. Le lendemain le pope se leva avant le jour et, sans même se laver, courut au plus vite chez l’évêque. Quant au moujik, il dormit bien, fit la grasse matinée ; le soleil était déjà levé depuis longtemps quand il s’éveilla ; après avoir déjeuné, il se mit en route sans se presser. Arrivé au palais épiscopal, il y trouva l’ecclésiastique qui l’attendait depuis longtemps. « Eh bien ! mon ami, » fit celui-ci avec un sourire moqueur, « pour sûr, tu t’es attardé à caresser ta femme. » L’évêque, s’adressant au paysan, lui dit : « Allons, tu arrives le second ! — Non, monseigneur, le pope est arrivé après moi ; tu as donc oublié que je suis arrivé chez toi au moment même où tu te promenais sur les montagnes de Sion et où tu mettais un pécheur en enfer ? » L’évêque agita les deux mains pour lui imposer silence : — « Les vaches sont à toi, moujik ! » prononça-t-il ; « en effet, tu as raison, c’est toi qui es arrivé le premier. » Ainsi le pope resta privé de ses bêtes à cornes et le moujik vécut désormais dans l’aisance[32].



L

LE POPE AVIDE


Un pope avait une cure importante, mais il était si intéressé que, pendant le grand carême, il n’exigeait pas moins d’un grivennik[33] de tout fidèle qui se présentait au tribunal de la pénitence ; ceux qui ne lui apportaient pas cette somme, il refusait de les confesser et les accablait d’injures : « Quelle bête à cornes ! Pendant toute une année tu n’as pu mettre de côté un grivennik pour l’offrir à ton père spirituel quand tu viendrais à confesse ! Et il prierait Dieu pour des maudits comme vous !… » Un jour, un soldat vint pour se confesser à ce pope et, sur le rebord du confessionnal, il déposa un simple piatak[34] de cuivre. À cette vue, l’ecclésiastique entra dans une violente colère : « Écoute, maudit ! » vociféra-t-il, « comment l’idée t’est-elle venue d’apporter à ton père spirituel un piatak de cuivre ? C’est une plaisanterie, sans doute ? — Voyons, batouchka, est-ce que j’ai le moyen de vous offrir plus ? Je donne ce que j’ai. — Pour les putains et les cabarets je suis sûr que tu as de l’argent, mais à ton père spirituel tu te contentes d’apporter tes péchés ! Tu devrais, pour une circonstance pareille, voler quelque chose et le vendre ; tu apporterais au prêtre la somme voulue, tu lui confesserais ton vol avec tes autres péchés et il te les remettrait tous en bloc. » Cela dit, il renvoya le soldat sans vouloir le confesser. « Et ne reparais plus devant moi qu’avec un grivennik ! » ajouta-t-il.

« Comment faire avec ce pope ? » pensa le soldat, chassé du confessionnal. En promenant ses yeux autour de lui, il aperçut près du chœur une canne d’ecclésiastique surmontée d’un bonnet de castor. « Eh bien ! » se dit-il, « essayons de chiper ce bonnet. » Il s’en empara, sortit sans bruit de l’église et se rendit droit au cabaret. Là, le soldat vendit le bonnet pour vingt roubles, il fourra l’argent dans sa poche et mit en réserve un grivennik pour le pope, après quoi il revint à l’église et s’approcha du confessionnal. « Eh bien ! as-tu apporté un grivennik ? » lui demanda l’ecclésiastique. — « Oui, batouchka. — Et comment te l’es-tu procuré, mon cher ? — Je suis un pécheur, batouchka ! J’ai volé un bonnet fourré que j’ai vendu pour un grivennik. » Le confesseur prit la pièce de monnaie : « Allons, » dit-il à son pénitent, « Dieu te pardonne et je t’absous. » Le soldat se retira et le pope, ayant fini de confesser ses paroissiens, célébra les vêpres. Lorsqu’il eut terminé l’office, il se disposa à regagner sa demeure et courut à l’endroit où il avait déposé son bonnet, mais il ne l’y trouva plus. Force fut au pope de retourner chez lui nu-tête. Rentré au presbytère, son premier soin fut d’envoyer chercher le soldat. « Que me voulez-vous, batouchka ? » demanda celui-ci. — « Allons, mon cher, dis-moi la vérité : tu as volé mon bonnet ? — Je ne sais pas, batouchka, si c’est le vôtre que j’ai volé, mais ces bonnets-là, plus personne n’en porte excepté les popes. — Et où l’as-tu pris ? — Je l’ai trouvé dans votre église, accroché à une canne de pope, tout près du chœur. — Ah ! fils de chien, comment as-tu osé voler le bonnet de ton père spirituel ? — Mais vous-même, batouchka, m’avez absous de ce péché. »



LI

LE RIRE ET LE CHAGRIN


Dans certain pays vivait un pope qui, demeurant près d’un cours d’eau, passait les voyageurs d’une rive à l’autre. Un jour un bourlak[35] arriva au bord de la rivière : « Eh ! batouchka, passe-moi ! » cria-t-il au pope qui se trouvait du côté opposé. — « Est-ce que tu me paieras ton passage, mon cher ? — Je te paierais si j’avais de l’argent, mais je n’en ai pas. — Alors je ne te passerai pas. — Si tu me passes, batouchka, je te montrerai « le rire et le chagrin ». Le pope devint pensif, il eut envie de voir « le rire et le chagrin » ; qu’est-ce que cet homme a voulu dire par là ? se demanda-t-il ; bref, il embarqua, alla prendre le bourlak et le passa de l’autre côté de la rivière. « Eh bien ! batouchka, mets ton bachot sens dessus dessous ! » dit le voyageur. Le pope retourna son canot, curieux de voir ce qui allait arriver. Le bourlak tira de sa culotte un membre remarquablement vigoureux, en frappa le fond du canot et, d’un seul coup, brisa celui-ci en deux. À la vue d’un instrument si bien conditionné, le pope s’était d’abord mis à rire ; mais ensuite, quand il songea à la destruction de son canot, il se sentit si triste que les larmes lui vinrent aux yeux. « Eh bien ! es-tu content de moi, batouchka ? » demanda le bourlak. — « Que le diable t’emporte ! Passe ton chemin ! » Le bourlak dit adieu au pope et s’éloigna.

L’ecclésiastique revint chez lui. En franchissant le seuil de sa demeure, il se rappela le membre du bourlak et se mit à rire, mais à la pensée de son canot il fondit en larmes. « Qu’est-ce que tu as, batouchka ? » interrogea sa femme. — « Tu ne connais pas mon malheur, matouchka, » et il raconta naïvement tout ce qui lui était arrivé. Dès qu’elle eut appris la rencontre de son mari avec le bourlak, la popadia éclata en reproches : « Ah ! vieux diable que tu es ! Pourquoi l’as-tu lâché ? Pourquoi ne l’as-tu pas ramené à la maison ? Ce n’est pas un bourlak, c’est mon frère ! Pour sûr, mes parents l’ont envoyé nous faire visite, et tu ne t’es pas douté de cela… Attelle vite le cheval et mets-toi à sa recherche ; autrement le pauvre homme va faire bien des pas inutiles, il est même dans le cas de retourner chez lui sans nous avoir vus. Ce cher frère, si je pouvais seulement le contempler une minute et lui demander des nouvelles de mes parents ! » Le pope attela son cheval et partit à la recherche du moujik ; l’ayant rejoint, il lui dit : « Écoute, brave homme ! Pourquoi m’as-tu caché que tu étais le frère de ma femme ? Quand je lui ai raconté ton exploit, elle t’a reconnu tout de suite et m’a ordonné de te ramener chez nous. » Le bourlak devina immédiatement le fin mot de l’histoire. — « Oui, » répondit-il, « c’est la vérité, je suis le frère de ta femme, mais toi, batouchka, je ne t’avais jamais vu auparavant, par conséquent je ne pouvais pas te reconnaître. » Le pope le prit par le bras et le fit monter dans sa charrette : « Assieds-toi, mon cher, assieds-toi ! Allons à la maison ! ma femme et moi, grâce à Dieu, nous vivons dans l’aisance et le bien-être, nous avons le moyen de te régaler. » Lorsque la charrette fut arrivée devant le presbytère, la popadia courut à la rencontre du bourlak, se jeta à son cou, l’embrassa : « Ah ! cher frère, qu’il y a longtemps que je ne t’ai vu ! Et comment va-t-on chez vous ? — Comme à l’ordinaire, ma sœur ! Nos parents m’ont envoyé chez toi pour avoir de tes nouvelles. — Eh bien ! nous, mon frère, jusqu’à présent Dieu est indulgent pour nos péchés, nous vivotons. » Elle l’invita à se mettre à table, lui offrit divers hors-d’œuvre, une omelette, de l’eau-de-vie. « Mange, cher frère, » répétait-elle à chaque instant. Le repas fut fort gai et se prolongea jusqu’à la nuit.

Lorsqu’il commença à faire sombre, la popadia dressa un lit et dit à son époux : « Je vais coucher ici avec mon frère, nous causerons de nos parents, des vivants et des morts ; toi, batouchka, tu coucheras seul sur le banc du poêle, ou dans la soupente. » Quand on fut couché, le bourlak assaillit si vigoureusement la popadia qu’elle ne put se contenir et poussa un cri qui retentit dans toute la maison. Le pope l’entendit et demanda : « Qu’est-ce qu’il y a ? — Eh ! batouchka, tu ne connais pas mon malheur : mon père est mort ! — Eh bien ! que Dieu ait son âme ! » observa le pope, et il fit le signe de la croix. Mais bientôt la popadia laissa échapper un nouveau cri encore plus perçant que le premier ; son mari voulut en avoir l’explication : « Pourquoi pleures-tu encore ? — Eh ! batouchka, ma mère est morte aussi ! — Que Dieu lui fasse paix ! Qu’elle repose avec les saints ! » Ainsi se passa toute la nuit[36].

Le lendemain matin, le bourlak se disposa à retourner chez lui, mais la popadia n’eut garde de le laisser partir à jeun, elle lui offrit du pâté, lui versa de l’eau-de-vie, se montra fort empressée : « Allons, cher frère, quand tu reviendras dans nos parages, n’oublie pas de passer chez nous ! » L’ecclésiastique se joignit à sa femme : « Viens nous voir, nous te recevrons toujours avec plaisir. » Le bourlak dit adieu à ses hôtes. La popadia voulut faire un pas de conduite à son prétendu frère et le pope tint aussi à accompagner le voyageur. Tous trois se mirent en route et, chemin faisant, la conversation ne languit pas entre eux. Quand on fut arrivé dans la campagne, la popadia dit à son mari : « Retourne à la maison, batouchka, tu n’as pas besoin d’aller plus avant, maintenant je reconduirai seule mon frère. » L’ecclésiastique rebroussa chemin ; après avoir fait trente pas, il s’arrêta et se retourna pour voir à quelle distance ils étaient. Pendant ce temps, le bourlak, voulant faire à sa soi-disant sœur des adieux dignes de lui, l’avait couchée sur le talus de la route et s’était mis en devoir de la βαισερ ; mais, pour mieux tromper le mari, il avait passé son bonnet au pied droit de la popadia et ordonné à celle-ci de lever la jambe en l’air. Durant le déduit, le pied coiffé du bonnet ne cessait de s’agiter ; ce que voyant, le pope se dit : « Quel parent affectueux ! Il est déjà bien loin, et il n’en continue pas moins à m’envoyer des saluts avec son bonnet. » Lui-même ôta sa chapka et commença à l’agiter en criant « Adieu, beau-frère, adieu ! » Après avoir reçu les adieux chaleureux du bourlak, la popadia, toute heureuse, rejoignit son époux ; dans sa joie, elle chantait des chansons. « Depuis tant d’années que je vis avec elle, » remarqua le pope, « c’est la première fois que je l’entends chanter. » — « Eh bien ! batouchka, » dit-elle, « je viens de faire la conduite à mon cher frère, me sera-t-il donné de le revoir encore une fois ? — Dieu est miséricordieux, tu auras peut-être encore ce bonheur. »



LII

L’ONGUENT MERVEILLEUX


Dans certain pays vivait un jeune paysan dont les affaires n’allaient pas bien : une épizootie avait fait périr toutes ses bêtes à cornes et tous ses chevaux, à l’exception d’une jument. Cet animal, il se mit à le choyer, à l’aimer comme la prunelle de ses yeux ; il se privait de tout pour que sa jument ne manquât de rien. Un jour, après lui avoir donné ses soins, il commença à la caresser, à lui parler avec tendresse : « Ah ! ma colombe ! matouchka ! Il n’y a pas plus jolie que toi ! » La fille du voisin, une grosse paysanne, entendit ces paroles et, quand les jeunes villageoises furent réunies dans la rue, elle leur dit : « Oh ! mes amies ! Pendant que j’étais dans notre potager, Grigorii, notre voisin, a pansé sa jument ; ensuite il a fait l’amour avec elle, l’a embrassée, lui a dit des douceurs : Ma colombe ! matouchka ! Il n’y a pas plus jolie que toi au monde ! » Dès lors, le gars fut en butte aux risées des filles du village ; partout où elles le rencontraient, elles lui criaient : « Ah ! matouchka ! ma colombe ! » Le pauvre jeune homme n’osa plus se montrer nulle part et tomba dans une profonde tristesse. Sa vieille tante s’en aperçut : « Pourquoi es-tu chagrin, Gricha ? Pourquoi baisses-tu la tête ? » Il lui raconta toute l’affaire. — « Ce n’est rien, Gricha, » reprit-elle, « j’arrangerai cela. Viens demain chez moi. Sois tranquille, elles ne se moqueront plus de toi. »

La vieille pratiquait la médecine, ce qui lui donnait beaucoup d’importance dans la localité, et les jeunes filles allaient chez elle à la veillée. Le soir, elle vit la paysanne qui avait ébruité l’affection déréglée de Grigorii pour sa jument. « Ma fille, » lui dit la vieille, « passe chez moi demain matin, j’aurai à te parler. — Bien, grand’mère. » Le lendemain, le jeune homme se leva, s’habilla et se rendit chez sa tante. « Allons, Gricha, tiens-toi prêt à fonctionner ; mais, pour le moment, mets-toi derrière le poêle et reste là bien tranquille jusqu’à ce que je t’appelle. » À peine avait-il pris place derrière le poêle, que la jeune paysanne arriva. « Bonjour, grand’mère. — Bonjour, ma colombe ! Voici ce que j’ai à te dire : tu files un mauvais coton ; tu es fort malade, ma chère ! — Eh ! grand’mère, il me semble que je me porte parfaitement. — Non, ma colombe, tu as un mal interne auquel on ne peut même penser sans frayeur ; maintenant, tu ne le sens pas ; mais quand cela sera parvenu au cœur, il n’y aura plus de remède, tu mourras ! Laisse-moi te tâter le ventre. — Tâte, grand’mère, » répondit la jeune fille ; peu s’en fallait qu’elle ne pleurât déjà, tant elle était effrayée. — « Vois-tu, je ne m’étais pas trompée, » observa la vieille, après lui avoir palpé l’abdomen, « hier, au premier regard jeté sur toi, j’ai deviné que tu avais quelque chose de mauvais, un ictère dans le voisinage du cœur. — Traite-moi, je t’en prie, grand’mère. — Sans doute, puisque tu es malade, il faut te traiter ; mais sauras-tu supporter le traitement ? Je t’avertis qu’il est douloureux. — Fais-moi tout ce que tu veux ; quand tu me taillerais le corps avec un couteau, peu m’importe, pourvu que tu me guérisses ! — Eh bien ! mets-toi là, debout, passe ta tête par la fenêtre et examine de quel côté il passe le plus de monde, si c’est à droite ou à gauche ; mais ne regarde pas derrière toi, autrement mon remède ne produirait aucun effet, et tu mourrais d’ici à quinze jours. » Tandis que la jeune fille, docile à ces instructions, regardait dans la rue, la vieille lui écarta les jambes : « Penche-toi un peu plus sur l’appui de la croisée, » dit-elle, « et ne te retourne pas, je vais te frictionner avec de l’onguent de goudron. » Puis, à voix basse, elle appela son neveu : « Allons, à la besogne ! » Le gars s’approcha de la jeune fille et lui fourra son onguent à quatre verchoks de profondeur. Sentant le remède agir, la patiente commença à frétiller du κυλ. « Grand’mère ! chère grand’mère ! » s’écria-t-elle, « frictionne-moi, frictionne-moi encore avec ton onguent de goudron ! » Grigorii, son affaire achevée, se retira derrière le poêle. « Eh bien ! ma fille, » dit la vieille, « à présent, tu vas être superbe de santé et de fraîcheur ! » La paysanne la remercia avec effusion : « Merci, grand’mère ! Tu as là un fameux remède ! C’est un vrai charme ! — Mes médicaments ne font jamais de mal, et celui-ci est d’une grande utilité pour les femmes et les jeunes filles. Mais de quel côté as-tu vu passer le plus de monde ? — À droite, grand’mère. — Ah ! quelle chance tu as ! Allons, retourne chez toi, et que Dieu te protège ! »

La jeune fille sortit, et le gars ne tarda pas, lui aussi, à prendre congé de la vieille. Après son dîner, il mena sa jument boire à la rivière. La paysanne, l’ayant aperçu, s’élança vers lui et se mit à crier : « Ah ! matouchka ! ma colombe ! — Ah ! grand’mère, chère grand’mère, frictionne-moi, frictionne-moi encore avec ton onguent de goudron ! » repartit railleusement Grigorii. À ces mots, la paysanne se mordit les lèvres, et depuis lors elle vécut en bons termes avec le gars.

Autre version

Un jeune homme avait pris l’habitude de passer devant la demeure d’un marchand ; arrivé vis-à-vis de cette maison, il toussait, crachait, puis observait à haute voix : « Je me suis engoué à manger de l’oie. » Voilà qu’un jour la fille du marchand lui dit : « Mon père a beaucoup d’argent, mais il ne mange pas de l’oie tous les jours. — Ce n’est pas la fortune qui fait le bonheur, » repartit l’autre, et il retourna chez lui. La fille du marchand appela une vieille mendiante : « Suis ce jeune homme, » lui ordonna-t-elle, « et sache ce qu’il va manger pour son dîner : tu ne m’auras pas donné pour rien ce renseignement. » Quand le jeune homme fut arrivé chez lui, la mendiante, qui lui avait emboîté le pas, demanda la permission de se reposer un moment dans l’izba ; on la laissa entrer. La plus grande pauvreté régnait dans cette maison. « Ma mère, » demanda le jeune homme, « y a-t-il quelque chose à manger ? — Il y a du chtchi d’hier et du kacha d’avant-hier. — Donne-moi le kacha. » La mère servit ce mets, en faisant remarquer qu’on n’avait pas de beurre. — « Si tu pouvais seulement me donner du suif ? — Tiens, voilà un bout de chandelle. » Il mêla cet assaisonnement à son kacha et se mit à manger avec avidité.

La mendiante raconta tout cela à la fille du marchand. Peu après, le jeune homme repassa devant la maison du marchand ; il toussa, cracha, puis fit entendre sa phrase accoutumée : « Je me suis engoué à manger de l’oie ! — Il a mangé du kacha avec un bout de chandelle ! » cria par la fenêtre la fille du marchand. — « Ah ! que le diable l’emporte ! Comment sait-elle cela ? Pour sûr, c’est la mendiante qui le lui a appris ! » Il se mit à la recherche de cette femme et, l’ayant retrouvée, lui dit : « Ne peux-tu pas arranger cette affaire ? quand j’aurai de l’argent, je reconnaîtrai tes services. — Bien, » répondit la vieille, et elle se rendit aussitôt chez la fille du marchand : « Comment vas-tu, mademoiselle ? — Je sois souffrante, grand’mère, j’ai toujours des douleurs dans le ventre. Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de guérir ce mal ? — Si ; fais chauffer un bain, je te frotterai le ventre avec de la graisse. » On prépara le bain ; la mendiante qui, au préalable, avait caché le jeune homme dans la cabine, y mena ensuite la fille du marchand, la déshabilla, et quand elle fut toute nue, lui dit : « Allons, mademoiselle, il faut que je te bande les yeux, pour que tu ne te trouves pas mal. » Après avoir noué un mouchoir sur les yeux de la malade, la vieille la coucha sur un banc. « Maintenant, » fit-elle, « je vais te frictionner avec une graisse légère, » et elle promena sa main à deux reprises sur le ventre de la jeune fille. « À présent, ce sera un peu plus rude. » Alors, sur un signe de la vieille, le jeune homme s’approcha de la fille du marchand et l’attaqua si furieusement, qu’elle jeta les hauts cris. « Un peu de courage, mademoiselle ! Au commencement, cela fait toujours mal, mais c’est l’affaire d’un instant ; ensuite ça ira tout seul, et ton ventre sera guéri. » La demoiselle trouva bientôt le traitement à son goût. « Frotte-moi, grand’mère, » dit-elle, « frotte, ta graisse est bonne. » L’opération terminée, le jeune homme regagna sa cachette, et la vieille ôta le bandeau à la fille du marchand. Celle-ci aperçut alors du sang sous elle : « Qu’est-ce que c’est que cela, grand’mère ? — C’est du mauvais sang que tu as rendu ; tu vas mieux ? — Oui, grand’mère ! Ah ! tu as là une fameuse graisse, elle est plus douce que du miel ! Ne me frotteras-tu pas encore ? — Est-ce que tu en veux encore ? — Oh ! oui, grand’mère ! voilà que le ventre recommence à me faire un peu mal ! » La vieille lui banda de nouveau tes yeux, la fit coucher sur le banc, et le jeune homme se remit à l’ouvrage. « Frotte, grand’mère, frotte, ta graisse est excellente ! » dit la fille du marchand. Quand il eut achevé sa besogne, le gars disparut. La malade se leva : « Grand’mère, » fit-elle, « apporte-moi de cette graisse ; voici cent roubles pour les soins que tu m’as donnés. » Ainsi finit l’affaire.

Voilà que le jeune homme revient devant la maison du marchand avec son antienne accoutumée : « Je me suis engoué à manger de l’oie. » À quoi la jeune fille répond, en criant par la fenêtre. « Il a mangé du suif de chandelle avec son kacha ! » Et le gaillard de répliquer : « Frotte, grand’mère, frotte ; ta graisse est excellente ! »

Cependant la taille de la jeune fille prenait un développement anormal ; sa mère s’en aperçut : « Qu’est-ce que cela, ma fille ? » lui demanda-t-elle, « tu ne sors pas de la maison et pourtant ton ventre devient énorme. — Ah ! ma mère, vois-tu, c’est depuis que cette vieille bonne femme m’a conduite au bain : elle m’a frotté le ventre avec de la graisse, et une si bonne graisse, plus douce que du miel ! » La mère devina la vérité ; elle fit venir la mendiante et l’interrogea : « Tu as mené ma fille au bain et tu l’as frottée avec de la graisse ? — Oui, madame. — Frotte-moi aussi. — Volontiers. » Elle courut aussitôt chez le jeune homme : « Habille-toi et viens vite : la marchande veut être graissée ! » On se rendit à l’établissement de bains. La vieille banda les yeux de la marchande, la coucha sur un banc, et le jeune homme procéda avec la mère comme il l’avait fait avec la fille. Au cours de l’opération, la marchande arracha brusquement le mouchoir qu’elle avait sur les yeux et, en apercevant le gars, elle l’embrassa pour le récompenser de son travail. « Eh bien ! mon garçon, » lui dit-elle, « je suis mariée depuis vingt ans, et une pareille jouissance m’était encore inconnue. Voici cent roubles pour toi ; sois le mari de ma fille. » Le jeune homme épousa la riche héritière, et il y eut à cette occasion un grand dîner ; j’y ai moi-même assisté, j’ai bu du vin et de l’hydromel : on en avait à bouche-que-veux-tu !

Autre version

Un soldat était adonné à la boisson ; souffrant d’un asthme, il alla trouver une femme qui pratiquait la médecine. Quoique avancée en âge, cette femme avait encore du tempérament. En apercevant le soldat, elle sentit une démangeaison entre ses jambes. « Qu’est-ce que tu veux, militaire ? — Je suis asthmatique et je viens te prier de me guérir. — Déshabille-toi et assieds-toi. » Le soldat obéit et la praticienne plaça devant lui une bouteille d’eau-de-vie. « Bois, militaire, tant que le cœur t’en dira. » Le visiteur ne se fit pas prier ; bientôt l’ivresse se manifesta sur son visage, finalement il roula à terre et s’endormit. Alors la vieille commença à le peloter, promenant sa main d’abord jusqu’au nombril, puis plus bas encore. « Ah ! que je suis étourdie ! » s’écria-t-elle tristement, « j’en ai fait une belle ! Bien loin d’avoir acquis plus d’énergie, son membre est complètement affaissé… » Elle étendit le dormeur sur le lit, se coucha elle-même près de lui et essaya par de nouveaux attouchements de ranimer la virilité du soldat. Mais celui-ci continuait à ronfler comme un tuyau d’orgue. Après l’avoir chatouillé en vain une dernière fois, la vieille s’endormit à son tour. Un peu avant l’aurore, le soldat s’éveilla ; à la vue de la femme couchée à côté de lui, il se dit : « Si je la prenais de biais ? », et il se mit en devoir de la βαισερ. Arrachée au sommeil, la rusée commère feignit l’indignation : « Qu’est-ce que tu fais là, militaire ? Comment n’es-tu pas honteux ? » Mais, tout en parlant ainsi, elle prit la posture la plus propre à faciliter la besogne du soldat. « Eh bien ! grand’mère, est-ce que c’est mauvais pour un malade ? En ce cas, je vais l’ôter. — Qu’est-ce que tu dis là, militaire ! Au contraire, fourre-le le plus avant que tu pourras, cela te fera du bien ! » Quand il eut βαισέ la vieille, le soldat s’en alla en disant : « Je ne sais pas si cela me fera du bien, mais j’en avais envie. »

Malheureusement pour lui, dans la soupente était alors couchée une jeune fille, nièce de la vieille ; elle vit toute cette scène et la raconta à ses amies ; dès lors le soldat fut en butte à leurs sarcasmes : « Il a fait l’amour avec la vieille, il a fait l’amour avec la vieille ! » lui cornaient-elles sans cesse aux oreilles. À bout de patience, il alla conter ses doléances à sa maîtresse d’une nuit. « Ah ! mon bienfaiteur, » répondit-elle, « que ne m’as-tu dit cela plus tôt ? j’aurais fait cesser les railleries de ces péronnelles ! Ah ! les pécores ! Est-ce que le trou d’une vieille ne vaut pas le leur ? Où donc prennent-elles le droit de se moquer ainsi ? Écoute, militaire : je reçois la visite d’une jeune fille que je traite pour une hernie ; viens ici demain soir, tu te cacheras dans le lit, je dirai à la fille de se mettre à quatre pattes, et tu lui en donneras en long et en large ! »

Le lendemain, à l’heure indiquée, le soldat se rendit chez la vieille et se fourra dans le lit. Au bout d’une demi-heure arriva la jeune fille ; dès que le soldat l’eut aperçue, il entra en érection. La vieille examina la visiteuse et lui dit : « Ma chère, des puces ont fait leur nid entre tes jambes, il n’y a pas moyen de les ôter autrement qu’avec la main, et si on les laisse là, tu es perdue ! — Grand’mère, sois assez bonne pour m’en débarrasser, je t’en supplie ! — Allons, il n’y a pas à dire ! Je n’aurais pas voulu fourrer ma main dans cet endroit-là, mais il le faut. Tiens, voilà un mouchoir, bande-toi les yeux, ôte tous tes vêtements et mets-toi à quatre pattes. » La jeune fille fit tout ce qu’on lui avait ordonné ; après quoi le soldat s’approcha d’elle, prit son membre à deux mains et le lui introduisit dans le κον. La patiente alors de crier : « Cela me fait mal, grand’mère, cela me fait mal ! — Un peu de courage, ma chérie ! Vois-tu, ces maudites puces se sont tellement multipliées, il y en a jusque dans l’orifice ! » Le soldat ayant pénétré à la profondeur de quatre verchoks, ce furent de nouvelles plaintes : « Aïe, grand’mère, je meurs ; cela me fait mal, ma chère, cela me fait mal ! — Attends, mon enfant, je vais essayer avec de l’onguent de goudron, peut-être que tu t’en trouveras mieux. » Le soldat alla aussi avant qu’il put, la jeune fille se mordit la langue, mais, ensuite, sentant l’effet de la graisse, elle s’écria : « Tiens, à présent, grand’mère, c’est bon ! Vraiment, cela me fait du bien ! Ne peux-tu pas me frotter encore avec ton onguent ? j’en suis toute ravigotée ! Je prendrai un seau de goudron chez mon père et je te l’apporterai. » Entendant ces paroles, le soldat appliqua tous ses efforts à satisfaire la jeune fille, et fit si bien qu’il élargit considérablement l’ouverture par où il était entré. « Eh bien ! éprouves-tu un soulagement ? » demanda la vieille, « il me semble qu’elles sont toutes crevées ! — Comment donc, grand’mère ! À présent, je vais beaucoup mieux ! » Le militaire se cacha, la malade se releva, remit ses vêtements et sortit.

Le lendemain, la jeune fille, maintenant large comme un entonnoir, rencontra le soldat et commença à le taquiner : « Il a besogné la vieille, il a besogné la vieille ! — Mais c’est meilleur avec l’onguent de goudron ! » répondit-il.



LIII

LE CHALUMEAU MERVEILLEUX


Dans certain pays vivait un villageois dont la pauvreté était indescriptible. Un jour un barine le fit venir et lui dit : « Écoute, moujik : tu ne paies pas de redevance et il n’y a rien à saisir chez toi ; pour t’acquitter, tu vas rester trois ans attaché à mon service. » Le paysan passa un an, puis deux, puis trois dans la domesticité du barine ; celui-ci vit que le moujik allait avoir bientôt fini son temps et se dit : « Quel prétexte trouverai-je pour garder encore ce serf chez moi pendant trois ans ? » Il l’appela et lui parla en ces termes : Écoute, moujik : voici dix lièvres, mène-les paître dans la campagne, mais aie soin de n’en perdre aucun, sinon tu resteras encore trois ans chez moi. » Le moujik n’eut pas plus tôt lâché les lièvres dans la campagne qu’ils s’enfuirent tous de divers côtés. « Que faire ? » pensa-t-il ; « à présent c’en est fait de moi ! » Il s’assit quelque part et se mit à pleurer.

Tout à coup se montre un vieillard : « Pourquoi pleures-tu, moujik ? » demanda-t-il. — « Comment ne pleurerais-je pas, vieillard ? Mon maître m’avait chargé de faire paître des lièvres, ils se sont tous enfuis, maintenant ma perte est inévitable ! » Le vieillard lui donna un chalumeau en disant : « Tiens, tu n’auras qu’à jouer de cet instrument pour les voir accourir tous auprès de toi. » Le paysan remercia, prit le chalumeau, et dès qu’il eut commencé à en jouer, tous les lièvres revinrent vers lui. Il les ramena chez son maître, qui, après les avoir comptés, dut reconnaître qu’il n’en manquait pas un seul. « Eh bien ! que faire ? » dit ensuite le barine à sa femme, « quel moyen de prendre en faute ce moujik ? — J’ai une idée, mon ami : demain, pendant qu’il fera paître les lièvres, j’irai le trouver sous un déguisement, et je lui en achèterai un. — Allons, très bien ! »

Le lendemain matin, le moujik sortit du village avec les lièvres et, au moment où il approchait d’un bois, tous s’enfuirent qui d’un côté, qui de l’autre. Quant au moujik, il s’assit sur l’herbe et se mit à tresser des chaussures de tille. Soudain arrive une dame en équipage, elle fait arrêter, s’avance vers le paysan et l’interpelle : « Qu’est-ce que tu fais ici, moujik ? — Je fais paître des bestiau. — Quels bestiaux ? » Il prit son chalumeau et, sitôt qu’il eut commencé à s’en servir, tous les lièvres se réunirent autour de lui. « Ah ! moujik, » dit la dame, « vends-moi un petit lièvre. — C’est absolument impossible, ils appartiennent à mon maître, et il est fort sévère ! Il serait dans le cas de me manger ! » La barinia insista : « Cède-m’en un, je t’en prie ! » Voyant combien elle désirait avoir un lièvre, le moujik répondit : « J’ai fait un vœu, ma dame. — Quel vœu ? — Celui de donner un lièvre à la personne qui se laissera βαισερ par moi. — Accepte plutôt de l’argent, moujik ! — Non, il ne me faut rien d’autre. » De guerre lasse, elle se résigna à subir cette condition : le moujik la βαισα et lui donna un lièvre : « Seulement, madame, » dit-il, « tiens-le tout doucement pour ne pas l’étrangler. » Elle prit le lièvre, remonta en voiture et se disposa à regagner sa demeure ; mais le moujik n’eut qu’à jouer de son instrument pour que l’animal s’échappât des mains de la barinia et revînt auprès de lui. Quand la dame fut rentrée chez elle, son mari lui demanda : « Eh bien ! as-tu acheté un lièvre ? — J’en ai bien acheté un, mais aux premiers sons que le moujik a tirés de son chalumeau, le lièvre s’est élancé hors de la calèche et je n’ai plus pu le ravoir. »

Le lendemain, la barinia se rendit de nouveau auprès du paysan, et entre eux s’engagea le même dialogue que la veille : « Qu’est-ce que tu fais, moujik ? — Je tresse des chaussures de tille et je garde le troupeau de mon maître. — Où est-il donc ce troupeau ? » Le moujik joua du chalumeau et aussitôt accoururent vers lui tous les lièvres. La barinia manifesta le désir d’en acheter un. — « J’ai fait un vœu, » lui fut-il répondu. — « Lequel ? — Laisse-moi te βαισερ. » La dame y consentit et, en retour, reçut un lièvre ; mais, le son du chalumeau s’étant fait entendre, l’animal la quitta aussitôt.

Le troisième jour, le barine lui-même se travestit et arriva en équipage. « Qu’est-ce que tu fais, moujik ? — Je fais paître des bestiaux. — Mais où sont-ils donc, tes bestiaux ? » Le moujik souffla dans son chalumeau, les lièvres accoururent vers lui. « Vends-m’en un ? — Pour de l’argent, non ; j’ai fait un vœu. — Quel vœu ? — À qui φουτρα une jument, je donnerai un lièvre. » Le barine se bouta contre une jument et fit le péché avec elle. Le moujik lui donna un lièvre et dit : « Tiens-le tout doucement, barine, autrement tu l’étrangleras. » Le barine prit le lièvre, mais, au moment où il s’éloignait dans son équipage, le paysan se mit à jouer du chalumeau ; cet appel fut entendu par l’animal, qui sauta hors de la voiture et vint reprendre sa place dans le troupeau du moujik. Ayant vu échouer toutes ses manœuvres, le barine rendit la liberté au paysan.



LIV

LE BERGER[37]


Dans un village vivait un berger qui plaisait beaucoup aux jeunes filles et aux jeunes femmes de la localité. Mais s’il faisait volontiers l’amour, ce n’était pas avec la première venue. Aussi s’était-il attiré l’inimitié de plusieurs paysannes. À tort ou à raison elles répandirent le bruit qu’on l’avait surpris avec une jument dans une position plus qu’équivoque ; dès lors, le gars fut en butte aux railleries des jeunesses du village. La plus acharnée contre lui était une certaine Dounia. Le matin, en menant paître ses bestiaux, elle lui criait : « Eh ! Ivan, fais attention à ma jument ! » Enfin, elle ne lui laissait pas de repos avec sa jument. Le jeune homme prenait bonne note de tout cela.

Dans le village demeurait une vieille femme fort obligeante, chez qui les jeunes filles allaient à la veillée. Le berger vint se jeter à ses genoux : « Grand’mère, » commença-t-il, « fais en sorte que je prie éternellement Dieu pour toi, et je ne t’oublierai pas, tant que je vivrai. » Ensuite il lui raconta ses ennuis et lui donna un rouble d’argent. « C’est bien, mon ami, viens à la chute du jour. » Le soir, le berger ramena son troupeau des champs ; il pleuvait un peu ; les femmes se mirent, elles aussi, en devoir de faire rentrer leurs bestiaux ; Dounia, entre autres, courut chercher sa vache. La vieille l’aperçut par la fenêtre et lui cria : « Dounia, Dounia, viens donc ici ! » La jeune fille entra aussitôt et la vieille commença à l’admonester sévèrement, tandis que le berger était chez elle, caché derrière le poêle : « Prends-y garde, Douniacha, tu t’en repentiras quand il sera trop tard ! » Ces paroles effrayèrent Dounia, qui ne savait de quelle faute elle s’était rendue coupable. « Les folles, les imprudentes jeunesses que vous êtes ! » poursuivit la vieille : « Vous courez étourdiment, vous sautez les fossés sans penser à rien ! Qu’est-ce que vous gagnez à agir ainsi ? Vois un peu, sotte, ce que tu as fait maintenant : tu as endommagé ton honneur ! Qui voudra t’épouser ? — Ah ! grand’mère, n’y a-t-il pas moyen de le raccommoder ? — Heu ! le raccommoder ! Pour tout, c’est toujours à la grand’mère qu’on s’adresse ! Allons, viens ici, fais ce que je te dirai et arme-toi de courage, car l’opération sera douloureuse. — Bien, grand’mère ! — Regarde par la fenêtre et écarte les jambes, mais ne retourne pas la tête, sinon, ce sera une affaire manquée et il n’y aura plus de remède. » Ayant ainsi parlé, la vieille retroussa la sarafane[38] de la jeune fille, et fit un signe au berger. Ivan s’approcha tout doucement, ôta son pantalon et se mit à raccommoder l’honneur de Dounia. « Eh bien ! c’est bon ? » demanda la vieille. — « Oui, grand’mère ; oh ! que c’est bon ! Raccommode encore, grand’mère ! Je ne t’oublierai jamais ! » Quand le berger eut fini son affaire, il alla reprendre sa place derrière le poêle. « À présent, » dit la vieille, « retourne chez toi, petite sotte, et prie Dieu pour la grand’mère. »

Le lendemain, en menant paître son troupeau, Dounia s’avisa encore de taquiner le berger par des allusions à la jument. « Veux-tu que je raccommode ton honneur ? » lui répondit-il. — « Allons, c’est bon, Ivan, » observa la jeune fille d’un ton de reproche. — « Je ne sais pas comment tu l’as trouvé, mais pour moi ça m’a paru bon ! » répliqua le berger.



LV

LE SOLDAT, LE MOUJIK ET LA PAYSANNE


Des soldats avaient été mis en cantonnement dans un village, et les paysannes étaient devenues très familières avec eux ; naturellement, ces relations n’allaient pas sans péché : tandis que le maître du logis travaillait au dehors, sa femme buvait, mangeait et couchait avec le militaire logé chez elle.

Un moujik, entre autres, avait une épouse très vicieuse ; à maintes reprises, il l’avait trouvée soit avec des paysans, soit avec des soldats, mais elle savait toujours se disculper. Une fois le moujik la surprit avec un gars dans une remise : « Eh bien ! putain, qu’est-ce que tu diras maintenant ? » Ayant alors le gars sur elle, elle ne put que répondre : « Pardon, mon cher ami ! » Mais elle se leva vivement, courut à la maison et se présenta tout en larmes à sa belle-mère. Arriva le mari. « Eh bien ! mère, » dit-il, « je ne voulais pas croire les gens, mais maintenant je l’ai moi-même trouvée avec un gars dans la remise. — Tu vois, mère, » fit en pleurant la paysanne, « quelle accusation calomnieuse je subis ! — Ah ! maudite putain, je t’ai surprise, il y a un instant, couchée sous Andréiouchka ! — Tu mens, drôle ! Eh bien ! dis, où avais-je la tête ? » Le moujik devint songeur et finit par répondre : « Le diable sait où tu avais la tête ! — Vois-tu, mère, comme il m’accuse faussement ! » La vieille femme, indignée contre son fils, l’accabla de reproches. « C’est bien, » dit le moujik, « je te repincerai bientôt, ma chère ! »

Quelque temps après, cette paysanne ayant noué des relations avec un soldat, les deux amants se rendirent à la remise ; là le soldat fit coucher la femme sur une botte de paille et commença à la βαισερ. Le mari, qui avait des soupçons, s’en fut à la remise et surprit le couple en flagrant délit. « Ah ! militaire, ce n’est pas bien ! — Avec vous, le diable lui-même ne s’y reconnaîtrait pas ! » répliqua le soldat ; « elle dit que c’est bien, toi tu dis que ce n’est pas bien. Il n’y a pas moyen de vous contenter. — Militaire, je demanderai justice contre toi ! — Eh bien ! demande, moi, j’ai déjà obtenu ! »



LVI

LE SOLDAT QUI DORT PENDANT QUE SON υιτ
TRAVAILLE


Un moujik était marié à une jeune femme. Des soldats furent mis en cantonnement dans le village, et l’on envoya l’un d’eux loger chez ce paysan. Le soir venu, tous trois se couchèrent dans le même lit : la femme au milieu et les deux hommes sur les côtés. Le moujik cause avec son épouse et le soldat, saisissant un moment propice, attaque son hôtesse par derrière. Le paysan veut aussi βαισερ sa femme, il commence par la peloter, lui met la main au κον et le trouve occupé. « Qu’est-ce que tu fais, militaire ? » Aussitôt le soldat de ronfler comme s’il dormait d’un profond sommeil. « Eh ! quel militaire ! » observa le moujik, « il dort et il a fourré son υιτ dans le κον de ma femme. — Excuse-moi, mon hôte ! Je ne sais pas moi-même par quel hasard il se trouve là ! »

Autre version

Un soldat, après avoir longtemps cherché comment il pourrait jouir d’une Petite-Russienne, s’avisa du stratagème suivant ; il dit au mari chez qui il logeait : « Mon hôte, il y a beaucoup de diables dans ta maison, ils ne me laissent pas dormir ! Et toi, comment dors-tu ? — Je dors bien, grâce à Dieu. — Eh bien ! maintenant, je vais coucher avec toi. — Laisse-le coucher avec nous, » dit la Petite-Russienne. Le mari y consentit, il prit place au bord du lit et fit mettre sa femme au milieu, le visage tourné de son côté ; quant au soldat, il se mit dans la ruelle et n’eut rien de plus pressé que d’assaillir par derrière la maîtresse du logis. Le Petit-Russien, avançant la main tout doucement, le saisit par le υιτ : « Ah ! monsieur le militaire ! Il dort, et cela ne l’empêche pas d’introduire son υιτ dans un κον qui ne lui appartient pas. ― Qu’est-ce que tu fais, fils du diable ! » commença à crier le soldat : « pourquoi m’empoignes-tu le υιτ ? Je ne permettrais pas cela à ta femme, encore moins à toi ! — Et pourquoi, monsieur le militaire, fourres-tu ton υιτ dans un κον qui n’est pas à toi ? — Mais est-ce qu’il est entré là ? — Je crois bien ! J’ai même eu assez de peine à l’en retirer. — Quel effronté paillard ! Eh bien ! je vais lui donner une bonne leçon pour lui apprendre à ne plus se fourrer dans un trou où il n’a que faire ! »



LVII

LE SOLDAT ET LA PETITE-RUSSIENNE


Un Petit-Russien se rendait à la ville avec sa femme et son fils dans une charrette attelée de bœufs, tandis qu’un cuirassier était en train de forniquer avec sa jument attachée à un arbre de la route. « Qu’est-ce que tu fais, soldat ? — Le cheval que le gouvernement m’a donné s’est luxé la jambe et je la lui remets. » La femme se dit : « Pour sûr, il a un gros υιτ ! Té ! il φουτ la jument ! » Sans dire gare, elle s’assit sur le bord extérieur de la charrette ; la roue ayant rencontré un fossé, la Petite-Russienne versa. « Cours vite chercher le soldat, » cria-t-elle, « je me suis démis un membre ! » En quelques secondes, le mari arriva près du cuirassier : « Militaire ! sois un père pour nous ! Viens-nous en aide, s’il te plaît ! ma femme s’est démis un membre. — Il n’y a pas à dire ! Puisque tu es dans la peine, il faut que je vienne à ton secours. » Bref, le mari ramena le soldat sur le lieu de l’accident.

La Petite-Russienne gisait à terre et gémissait : « Ah ! Seigneur, je me suis luxé la jambe ! — As-tu une bâche pour couvrir la charrette ? » demanda le soldat au Petit-Russien. — « Oui. — Bien ; donne-la ! » Il couvrit la charrette et y déposa la victime de l’accident. « As-tu du pain et du sel ? » continua-t-il. — « Oui. » Le cuirassier prit un morceau de pain et le saupoudra de sel. « Allons, Petit-Russien, va tenir les bœufs, pour qu’ils ne bougent pas de place. » Le Petit-Russien les saisit par les cornes et les tint immobiles ; pendant ce temps, le cuirassier grimpa dans la charrette et commença à βαισερ la femme. Le fils remarqua que le soldat était couché sur sa mère : « Papa, » fit-il, « eh ! papa, le soldat βαισε maman. — En effet, mon fils, on dirait qu’il la βαισε ! Mais non ! Il ne peut pas faire cela après avoir mangé notre pain et notre sel. ». Quand le cuirassier, ayant fini son affaire, descendit de la charrette, la Petite-Russienne lui dit : « Eh bien ! merci, militaire, voici un rouble d’argent pour toi. » À son tour, le mari tira sa bourse de sa poche et donna deux roubles au soldat ! « Merci, militaire, d’avoir guéri ma femme. »



LVIII

LE SOLDAT ET LE PETIT-RUSSIEN


Un soldat, logé chez un Petit-Russien, noua une intrigue avec la femme de son hôte. Celui-ci s’en étant aperçu, cessa d’aller travailler au dehors et ne quitta plus sa demeure. Le soldat eut alors recours à la ruse : il changea de costume et vint un soir cogner à la fenêtre de l’izba. « Qui est là ? » demanda la Petite-Russienne. — « C’est Babé, » répondit le soldat. — « Quel Babé ? — Celui qui φουτ les Petits-Russiens ! Le maître de la maison est-il chez lui ? — Qu’est-ce que tu lui veux ? — Eh bien ! ordre a été donné de φουτρε tous les Petits-Russiens ! Ouvre vite la porte ! » Le mari, qui entend ces paroles, ne sait où se fourrer ; il prend une pelisse, s’en enveloppe et se cache sous un banc. La femme ouvre la porte, le soldat entre en criant : « Où est donc le maître de la maison ? — Il n’est pas ici. » Le soldat se mit à le chercher sur le poêle, dans la soupente, dans tous les coins ; à la fin, quelque chose sous le banc attira son attention. « Et cela, qu’est-ce que c’est ? — C’est un veau, » répondit la femme. À ces mots, le Petit-Russien fit entendre le mugissement de l’animal qu’il était censé être. « Eh bien ! puisque le maître de la maison est absent, tu vas le remplacer : couche-toi là ! — Ah ! mon Dieu, ne peux-tu pas attendre que mon mari soit revenu ? — Tu l’as belle à me dire d’attendre ! Il faut que je passe dans toutes les maisons du village et, si j’en néglige une seule, je recevrai trois cents coups de bâton sur le dos. Couche-toi donc vite, je n’ai pas le temps de causer avec toi. » La Petite-Russienne s’abandonna aux caresses du soldat, qui la pressa au point de la faire péter. Quant il l’eut βαισέε, il s’en alla.

Le mari sortit alors de sa cachette. « Eh bien ! femme, » dit-il, « je te remercie d’avoir pris cette peine pour moi ; tu n’as pas pu y tenir et tu t’es mise à péter, mais moi, je crois bien que j’aurais χιέ ! Oh ! femme, tu es intelligente, mais je suis encore plus intelligent que toi : tu as parlé de veau, et moi j’ai mugi comme un veau ! »



LIX

LE SOLDAT DÉSERTEUR


Un soldat déserteur s’introduisit dans la grange d’un paysan pour y passer la nuit et se coucha sur le foin. Mais, au moment où il allait s’endormir, il entendit un bruit de pas. Effrayé, le soldat grimpa jusque sous le toit. Entre dans la grange une fille suivie d’un gars ; ils apportaient avec eux de l’eau-de-vie et diverses victuailles ; après avoir déposé leurs provisions dans un coin, ils se déshabillèrent et commencèrent à s’embrasser. Puis le gars jeta sa compagne sur le foin et se mit à la βαισερ. « Ah ! cher ami, » dit la fille tandis qu’elle s’ébattait avec son amant, « si Dieu veut que j’aie un enfant, qui est-ce qui aura soin de lui ? — Celui qui est au-dessus de nous, » répondit le jeune homme. À ces mots, le soldat ne put se contenir : « Ah ! coquins que vous êtes, » cria-t-il ; « vous voulez que je supporte les conséquences de votre paillardise ! » Troublés dans leurs plaisirs par cette sortie inattendue, les deux amants détalèrent au plus vite ; le soldat, s’étant laissé glisser à terre, s’empara de leurs vêtements et des vivres qu’ils avaient apportés ; puis il se remit en route.



LX

LE SOLDAT ET LE POPE


Un soldat voulait βαισερ la femme d’un pope ; comment faire ? Il revêtit tous ses effets d’équipement, prit un fusil et se rendit chez l’ecclésiastique. « Eh bien ! batouchka, on vient de promulguer un oukaze ordonnant de φουτρε tous les popes ; prépare-toi ! — Ah ! militaire, est-ce que tu ne peux pas faire une exception en ma faveur ? — Voilà encore une idée ! Tu crois que je vais m’exposer à une punition pour toi ! Ôte vite ta culotte et mets-toi en position ! — Voyons, militaire, ma femme ne pourrait-elle pas me remplacer ? — Soit, cela se peut ! Mais il ne faut pas qu’on le sache, autrement il m’arriverait malheur ! Et toi, batouchka, qu’est-ce que tu me donneras ? Je n’accepterai pas moins de cent roubles. — Prends-les, militaire, mais aie pitié de moi. — Allons, va te coucher dans ta charrette, et mets ta femme sur toi ; je monterai sur elle et j’aurai l’air de te φουτρε. » Le pope se coucha dans la charrette, sa femme se plaça sur lui ; puis le soldat releva la robe de la popadia et se mit à la βαισερ. En se prolongeant, cette scène produisit une violente excitation chez l’ecclésiastique couché au fond du véhicule ; son υιτ, tendu avec force, se fourra dans un trou de la charrette et ressortit, tout rouge, de l’autre côté. À cette vue, la fille du pope s’écria : « Ah ! ce militaire, quel robuste υιτ il a ! Après qu’il a traversé de part en part ma mère et mon père, le bout s’agite encore ! »



LXI

LE CADEAU DE NOCE DU SOLDAT


Un riche paysan maria son fils et donna à cette occasion un grand dîner. Le soir, on coucha les époux ; le lendemain matin, on les fit lever, on leur adressa les félicitations d’usage, puis on les couvrit d’un drap blanc et le défilé des cadeaux commença, chacun donnant selon ses moyens. Tout le monde offrit quelque chose, à l’exception d’un soldat qui gisait, ivre, sur le plancher. Le vieillard l’interpella : « Allons, militaire, fais un cadeau aux jeunes époux ! » Le soldat se lève : — « Soit, » dit-il, « va pour un cadeau ! » Sans remettre son pantalon, il va soulever le drap et attaque la croupe de la mariée. « Militaire, » crie le beau-père, « ce n’est pas ainsi qu’on fait un cadeau de noce ! » La jeune femme alors : — «  N’importe, papa, c’est bon tout de même ! » Le beau-père, fâché, dit aux filles : « Faites donc honte au soldat de sa conduite ! — Ah ! soldat, » braillent les filles, « tu as couru le monde et tu n’as pas appris comment on fait un cadeau de noce ! — Sottes femelles que vous êtes ! » répondit-il, j’ai fait mon cadeau comme j’ai pu ! »



LXII

LA BELLE-MÈRE ET LE GENDRE IMBÉCILE


Un paysan vivait avec sa femme ; ils avaient une fille : un jeune homme la demanda en mariage et l’obtint. Il arriva qu’à la Noël le gendre vint voir sa belle-mère. Elle l’invita à se mettre à table, commença à le régaler, plaça devant lui diverses victuailles, puis engagea la conversation : « Dis-moi, fils, « demanda-t-elle, « quelle bête a-t-on tuée chez vous pour la fête ? — Eh bien ! à la veille même de la fête, mon père a surpris une chienne dans l’ambar[39] et il l’a battue à la faire πισσερ et χιερ ; la chienne a réussi non sans peine à s’enfuir, mais mon père s’est mis à sa poursuite, l’a rattrapée au moment où elle allait sortir de la maison et l’a encore battue sur le κον. — Allons, j’ai là un gendre intelligent, » pensa la belle-mère, « on n’a pas plus d’esprit ! Il sera tard quand je lui demanderai encore quelque chose ! »



LXIII

L’ÉPOUSE BAVARDE


Un paysan voulut s’assurer s’il pourrait à l’occasion compter sur la discrétion de sa femme. Un jour, ayant un besoin à satisfaire, il alla à la cour et, quand il se fut soulagé, il revint à la maison ; là, il s’assit sur un banc, baissa la tête et commença à pousser de gros soupirs comme un homme qui n’a pas la conscience tranquille. Sa femme se mit à le questionner : « Qu’est ce que tu as ? Es-tu malade ? Tantôt tu étais si gai, et maintenant te voilà tout soucieux. — Eh ! femme, tais-toi, » répondit le moujik, « je ne sais pas moi-même si je dois augurer bien ou mal de ce qui m’est arrivé. » La paysanne insista : — « Allons, parle, dis-moi ce qui t’est arrivé. — Tout à l’heure, femme, je suis allé au privé, et à peine avais-je commencé à fonctionner qu’une corneille s’est envolée de mon κυλ ! Je me demande ce que cela peut signifier ! »

Dès que la paysanne eut entendu ce récit, elle courut, sous un prétexte quelconque, chez une commère à qui elle s’empressa de dire : « Écoute, ma chère, ce qui est arrivé à mon mari : hier, il est allé au privé et à peine avait-il commencé à se soulager qu’il lui est sorti du κυλ deux corneilles. Qu’est-ce que cela signifie ? — Je n’en sais rien, ma chère. » Après avoir longuement commenté le fait, les deux femmes prirent congé l’une de l’autre. La commère alla aussitôt trouver une de ses amies et lui dit : « As-tu entendu parler, ma bonne Arina, de ce qui est arrivé à Ivan ? Sa femme est venue me voir et m’a raconté qu’au moment où il était en train de satisfaire un besoin, trois corneilles se sont envolées de son κυλ. » Arina se hâta d’aller apprendre aux voisins qu’Ivan, étant au privé, avait laissé échapper quatre corneilles. À mesure que l’histoire se répandait, le nombre des corneilles allait croissant ; quand elle eut fait le tour du village, il se trouva que douze corneilles s’étaient envolées du κυλ d’Ivan ; ce dernier jouissait maintenant d’une telle notoriété qu’il n’osait plus se montrer nulle part. Chacun, en le rencontrant, lui demandait : « Comment, mon ami, il s’est envolé douze corneilles de ton κυλ ? Raconte-moi donc cela ! »



LXIV

LE POPE QUI HENNIT COMME UN ÉTALON


Dans un village habitait un pope, grand amateur du beau sexe : dès qu’il voyait par la fenêtre une jeune femme passer devant sa cour, tout de suite il se penchait en dehors de la croisée et se mettait à hennir comme un étalon. Dans ce même village demeurait un moujik marié à une fort jolie femme ; chaque jour, pour aller chercher de l’eau, elle passait devant la cour du pope ; sitôt que l’ecclésiastique l’avait aperçue, il allongeait la tête en dehors de la fenêtre, et commençait à hennir. Une fois, en rentrant chez elle, la paysanne dit à son mari : « Mon petit homme, dis-moi, je te prie, pourquoi le pope hennit comme un cheval quand je passe devant sa cour en allant chercher de l’eau. — Eh ! sotte, c’est parce qu’il a un caprice pour toi ! Mais, fais-y attention, quand tu iras à l’eau et que le pope commencera à faire : hi, ho, ho ! réponds-lui toi-même : hi, hi, hi ! Il accourra aussitôt vers toi et te priera de lui accorder une nuit ; attire-le à la maison et nous le traiterons de façon à lui ôter toute envie de hennir par la suite. » La femme prit un seau et alla puiser de l’eau. Le pope l’aperçut par la fenêtre et remplit toute la rue de ses hi, ho, ho ! — « Hi, hi, hi ! » fit à son tour la paysanne. Le pope mit à la hâte une soutanelle, s’élança hors de chez lui et s’approcha vivement de la femme. — « Eh bien ! matouchka, est-ce que cela ne se peut pas ? — Si fait, batouchka, mon mari se dispose à aller à la ville pour la foire ; seulement il ne peut trouver de chevaux nulle part. — Que ne le disais-tu plus tôt ? Envoie-le chez moi, je lui prêterai mes deux chevaux et ma voiture : qu’il aille faire ses affaires à la ville ! »

La femme revint chez elle et fit part de cette offre à son mari. Celui-ci alla aussitôt trouver le pope, qui l’attendait depuis longtemps. « Ayez la bonté, batouchka, de me prêter votre attelage pour aller à la foire. — Volontiers, mon cher, volontiers. » Le paysan retourna chez lui avec l’équipage du pope et dit à sa femme : « Eh bien ! la maîtresse, je vais aller au-delà du village, je resterai là un moment et puis je reviendrai. Pendant ce temps-là, libre au pope de venir s’amuser chez toi ! Quand j’arriverai ici et qu’il m’entendra cogner à la porte, il aura peur et te priera de lui indiquer une cachette ; mets-le dans le coffre où il y a du noir de fumée ; tu entends ? — Bien. » Le moujik monta en voiture et se rendit au-delà du village. Le pope, l’ayant vu s’éloigner, courut aussitôt chez la paysanne. « Bonjour, matouchka ! — Bonjour, batouchka ! Maintenant nous sommes libres, amusons-nous ! mets-toi à table et bois de l’eau-de-vie. » Après avoir bu un petit verre, le pope, ne pouvant plus y tenir, ôta sa soutane, ses chausses et ses bottes ; mais, au moment où il va se mettre au lit, on frappe tout à coup à la porte. « Qu’est-ce qui cogne ainsi, matouchka ? » demanda le pope effrayé. — « Ah ! batouchka, c’est mon mari qui est revenu ; sans doute il a oublié quelque chose ! — Mais où me cacherai-je, ma chère ? — Tiens, il y a là dans le coin un coffre vide, fourre-toi dedans. » Le pope se réfugia aussitôt dans cette cachette et tomba en plein dans la suie ; il s’étendit là, plus mort que vif. La paysanne se hâta de rabattre le couvercle et donna un tour de clé. Le moujik entra dans l’izba. « Pourquoi es-tu revenu ? lui demanda sa femme. — « J’avais oublié de prendre le coffre à la suie ; je trouverai peut-être à le vendre à la foire ; aide-moi à le charger sur la voiture. » Les deux époux soulevèrent le coffre qui contenait le pope et se mirent en devoir de le traîner hors de l’izba. « Pourquoi est-il si lourd ? » dit le mari, « je le croyais entièrement vide et il a un rude poids ! » Tandis qu’il trimbalait le pesant colis, lui-même faisait exprès de le heurter tantôt contre le mur, tantôt contre la porte. « Eh bien ! je suis tombé dans un fameux traquenard ! » pensait le pope ainsi cahoté. À la fin, le coffre fut hissé dans la voiture, le paysan s’assit dessus et se mit en route pour la ville.

Dès qu’il eut fouetté les chevaux, ceux-ci partirent ventre à terre. Chemin faisant, apparut l’équipage d’un barine qui allait en sens inverse. « Va dire à ce moujik d’arrêter, » ordonna le gentilhomme à son laquais, « et demande-lui pourquoi il a fait prendre un pareil trot à ses bêtes. » Le laquais courut en avant et cria : « Eh ! moujik, arrête, arrête ! » Le paysan obéit. « Mon maître veut savoir pourquoi tu vas si vite. — C’est que je fais la chasse à des diables, voilà pourquoi j’ai lancé mon attelage au grand trot. — En as-tu déjà pris seulement un, moujik ? — Oui, j’en ai pris un et j’en poursuivais un autre quand tu es venu me déranger, maintenant je ne pourrai plus le rattraper ! » Lorsque le laquais eut rapporté ces paroles à son maître, celui-ci s’approcha aussitôt du paysan : « Montre-moi, mon ami, le diable que tu as pris, je n’en ai jamais vu de ma vie. — Donne-moi cent roubles, barine, et je te le montrerai. — Bien. » Le gentilhomme ayant donné les cent roubles, le moujik ouvrit son coffre et lui en fit voir le contenu : le pope gisait là, tout meurtri, tout barbouillé de suie, les cheveux en désordre. « Ah ! qu’il est affreux, » observa le barine, « c’est vraiment un diable ! il a les cheveux longs et la peau noire, les yeux lui sortent de la tête ! » Ensuite le moujik referma le coffre et continua sa route.

Arrivé à la ville, il s’arrêta sur le champ de foire. « Qu’est-ce que tu vends, moujik ? » lui demanda-t-on. — Un diable, » répondit-il. — « Et combien le fais-tu ? — Mille roubles. — Pas moins ? —

Pas moins ; mille roubles, c’est mon dernier mot. » Il s’était rassemblé tant de monde autour du paysan, qu’une pomme ne serait pas tombée par terre. Deux riches marchands, se frayant tant bien que mal un passage à travers la foule, s’approchèrent de la voiture. — « Moujik, vends-nous ton diable ! — Il ne tient qu’à vous de l’acheter. — Eh bien ! quel est ton prix ? — Mille roubles, et encore je le vends seul, sans le coffre, car j’ai besoin du coffre : si je prends encore un diable, il faut que j’aie où le mettre. » Les marchands se décidèrent à faire cette acquisition à frais communs et remirent mille roubles au moujik. « Veuillez prendre livraison du diable, » dit-il en ouvrant le coffre. Aussitôt le pope s’élança dehors et prit sa course à travers la foule qui se hâta de fuir dans toutes les directions. « Quel diable ! si on en rencontre un pareil, on est perdu ! » se disaient l’un à l’autre les marchands.

Quant au moujik, il revint chez lui et ramena au presbytère les chevaux du pope : « Merci pour votre équipage, batouchka, » dit-il ; « j’ai fait d’excellentes affaires à la foire, j’ai gagné mille jolis roubles. » Sa femme alla ensuite chercher de l’eau ; en passant devant la cour du pope, elle aperçut ce dernier et se mit à faire : « hi, hi, hi ! » — « Tais-toi, maudite ! » répliqua l’ecclésiastique : « avec ces hi, hi, hi ! ton mari m’a joué un fameux tour ! » Dès lors, on n’entendit plus le pope hennir.

Autre version

Dans certain pays vivait un pope qui était amoureux de la femme d’un paysan ; toutes les fois qu’elle allait chercher de l’eau, il se mettait à hennir comme un étalon. Un jour qu’elle se rendait, selon sa coutume, à la fontaine, le pope s’étant mis à hennir à sa vue, elle s’avisa de lui répondre par un hennissement du même genre. En un instant l’ecclésiastique fut auprès d’elle : « Eh bien ! charmante, n’y a-t-il pas moyen de faire ta connaissance ? — Si, batouchka ! seulement, il faut arranger cette affaire. » Revenue chez elle, la paysanne dit à son mari : « Le pope veut faire ma connaissance, il demande à passer la nuit avec moi. — Eh bien ! quoi ? Qu’il vienne ! J’irai travailler aux champs et, à mon retour, je le pincerai ; peut-être que nous pourrons lui soutirer quelque chose. » Le moujik partit avec sa charrette et fit exprès de passer devant la cour du pope. « Où vas-tu, mon cher ? — Je vais labourer un champ, batouchka, donnez-moi votre bénédiction pour la route. — C’est une bonne chose, » reprit le pope, « que Dieu te bénisse ! » La femme, de son côté, alla aussitôt chercher de l’eau et, rencontrant le pope, elle lui dit : « Eh bien ! mon mari est allé labourer ! Viens ce soir, batouchka ; je te préparerai une collation, mais apporte de l’eau-de-vie. »

Le pope attendit le soir avec impatience ; quand l’obscurité fut venue, il se hâta de s’habiller, prit de l’argent, mit dans sa poche une bouteille d’eau-de-vie et courut chez la paysanne. « Bonjour, charmante, » dit-il en entrant. — « Bonjour, batouchka ! » Le visiteur tira de sa poche la bouteille d’eau-de-vie et la posa sur la table ; on mangea et on but comme il faut ; puis le pope commença à folâtrer avec la femme et à lui peloter les tétons ; mais au moment où il la poussait vers le lit, on entendit soudain frapper à la fenêtre : « Ouvre, femme ! Pourquoi t’es-tu enfermée ? Est-ce que tu serais avec un galant ? — Attends, mon petit homme, je vais t’ouvrir. » Le pope eut peur. « Que vais-je devenir ? Où me fourrer ? » demanda-t-il. — « Déshabille-toi vite, batouchka, » lui répondit la maîtresse du logis, « mets ces mauvaises hardes et assieds-toi ici près du poêle. Si mon mari m’interroge à ton sujet, je dirai : C’est un mendiant qui m’a demandé un gîte pour la nuit et je le lui ai accordé. » Le pope ôta immédiatement sa soutane, se revêtit de haillons et s’assit près du poêle. Le moujik entra dans l’izba. « Pourquoi, mon petit homme, reviens-tu si tôt ? Tu m’avais dit que tu partais pour trois jours. — Mais j’avais oublié de prendre un baril d’eau. Et qu’est-ce que c’est que cet homme-là ? — C’est un voyageur, il m’a demandé l’hospitalité pour la nuit et j’ai consenti à l’héberger. — Allons, la maîtresse, sers le souper et ensuite nous nous coucherons ; demain, il faut que je me lève de bonne heure pour aller labourer. » Le paysan se mit à table et commença à manger avec avidité. « Tu boirais peut-être bien un peu d’eau-de-vie ? » lui dit sa femme. — « Mais est-ce qu’il y en a ? — Oui, j’ai été aujourd’hui chez ma mère, elle m’en a donné toute une bouteille. » Le paysan but force rasades, puis il dit au pope : « Mets-toi là, pays, et soupe avec nous. » L’ecclésiastique prit place à table et resta silencieux. « Eh ! femme, il demande l’aumône, sa barbe couvre tout son visage et il est honteux de paraître devant les gens, vois comme il a peur ! Donne donc des ciseaux, je vais le raser ! » La femme apporta les ciseaux et le paysan coupa la barbe du pope au ras de la peau. Quelque temps après, une nouvelle idée lui vint. « Eh ! la maîtresse, » dit-il, « va chez la femme du pope et prie-la de venir manger un morceau avec nous ; c’est une brave femme, on peut la régaler. » La paysanne courut au presbytère ; la popadia, enchantée de l’invitation, quitta aussitôt son lit, s’habilla et se rendit chez le moujik. « Pourquoi n’es-tu pas arrivée plus tôt, matouchka ? » lui demanda-t-il. — « Eh ! sans doute tu sais toi-même ce qu’il faut de temps à la femme d’un pope pour faire sa toilette : pendant qu’elle se lave et s’habille, un bon moujik peut faire dix verstes. — Allons, assieds-toi, matouchka, et soupe avec nous à la fortune du pot ; c’est fête chez moi aujourd’hui : notre vache a vêlé. » Là-dessus, il versa à la visiteuse un grand verre d’eau-de-vie qui fut suivi d’un second, puis d’un troisième. « Bois, matouchka, à la santé de notre veau. » Il ne resta bientôt plus de vodka. « Femme, » ordonna le moujik à son épouse, « va encore chercher une demi-bouteille au cabaret : aujourd’hui je veux rigoler. »

La paysanne courut au cabaret, et le moujik, voyant la femme du pope prise de boisson, lui témoigna le désir de faire l’amour avec elle. Cette demande fut d’abord repoussée avec énergie ; toutefois les instances réitérées du paysan finirent par triompher des refus de la visiteuse. « Je t’en prie, matouchka, » suppliait-il, « je n’ai encore jamais tâté d’une femme de pope. — Mais où nous cacherons-nous ? » observa-t-elle, « il y a ici un mendiant. — Cela ne fait rien ; libre à lui de regarder ! » répondit-il, puis il étendit la popadia sur le lit et se mit à la βαισερ sous les yeux du pope, qui contemplait cette scène en poussant de gros soupirs. Au moment où le moujik venait de finir son affaire avec l’épouse du batouchka, sa femme arriva avec l’eau-de-vie et on recommença à boire. Ensuite la visiteuse prit congé et retourna chez elle, le paysan se mit au lit avec sa femme, le prétendu mendiant se coucha sur un banc et feignit de dormir, mais il n’attendait que le moment propice pour s’esquiver. Le paysan, s’en étant aperçu, fit exprès de ronfler avec bruit ; alors le pope se leva tout doucement et détala au plus vite. Ce ne fut pas sans peine qu’arrivé à sa demeure, il put s’en faire ouvrir la porte. Sitôt rentré chez lui, il se débarrassa de ses haillons et se coucha à côté de sa femme. Celle-ci lui passa sa main sur le visage et, surprise de n’y pas trouver de barbe, demanda : « Qui est-ce qui t’a ainsi rasé, batouchka ? — C’est le diable qui t’a βαισέε, » répondit-il. À ces mots, la popadia se mordit la langue.



LXV

LA FEMME RUSÉE[40]


Un bourgeois avait une jolie femme. Le ménage se trouvant à bout de ressources, l’épouse dit au mari : « Il faut tâcher de nous procurer des moyens d’existence. — Mais comment faire ? — J’ai une idée, seulement ne m’injurie pas. — Eh bien ! fais ce que tu as imaginé. — Cache-toi, » reprit la femme, « et reste aux aguets. Je vais trouver quelqu’un que je ramènerai ici, alors tu cogneras à la porte et nous ferons notre affaire. — Allons, très bien ! » Elle prit une caisse, la remplit de suie et la plaça dans la soupente ; le mari s’éclipsa ; la femme se farda, s’habilla coquettement, puis sortit de la maison et alla s’asseoir sous la fenêtre[41]. Peu de temps après le pope passa à cheval ; il s’approcha de la jolie personne et lui dit : « Pourquoi, jeune femme, as-tu fait cette toilette ? C’est donc fête chez toi ? — Comment, fête ? C’est pour me distraire de mon chagrin que je me suis ainsi habillée : je suis maintenant seule à la maison. — Et ton mari, où est-il ? — Il est allé travailler au dehors. — Eh bien ! ma chère, on peut soulager ta peine ; laisse-moi loger chez toi, tu ne passeras pas la nuit toute seule. — Tu seras le bienvenu, batouchka ! — Mais que ferai-je de mon cheval ? — Conduis-le dans la cour, je dirai à l’ouvrier de le mettre à l’écurie. »

Ils entrèrent ensemble dans l’izba. « Au préalable, ma chère, » commença alors le pope, « il faut boire ; voici un rouble, envoie chercher de l’eau-de-vie. » L’ouvrier leur rapporta une bouteille de vodka ; ils se mirent à boire, tout en mangeant quelques hors-d’œuvre. « Allons, maintenant, » dit ensuite le pope, « il est temps de se coucher ; fourrons-nous dans les draps et faisons l’amour. — Écoute, batouchka ! Puisque aussi bien, de toute façon, nous ferons un péché, mets-toi tout nu, ce sera plus gai. » Le pope se déshabilla complètement, mais, au moment où il se couchait sur le lit, on frappa avec violence à la porte. « Oh ! malheur à moi ! mon mari est revenu ! Monte dans la soupente, batouchka, et cache-toi dans le coffre. » Sans prendre le temps de se rhabiller, l’ecclésiastique suivit ce conseil et se coucha dans la suie. Le mari entra en maugréant dans la chambre : « Pourquoi, coquine, as-tu tant tardé à m’ouvrir ? » Il s’approcha de la table, but un verre d’eau-de-vie et mangea un morceau ; puis il sortit de la maison pour aller se remettre aux aguets. La femme s’empressa de retourner à la place qu’elle occupait tout à l’heure sous la fenêtre dans la rue.

Le diacre vint à passer, et avec lui se renouvela la même histoire. Quand le mari frappa à la porte, le diacre, tout nu, se fourra dans le coffre à la suie, où il tomba sur son supérieur : « Qui est là ? — C’est moi, » répondit le pope à voix basse, « et toi, mon cher, qui es-tu ? — Je suis le diacre, batouchka. — Mais comment se fait-il que tu sois ici ? — Et vous, batouchka, par quel hasard vous y trouvez-vous ? — Tais-toi, que le maître de la maison ne nous entende pas, autrement il nous arriverait malheur. »

La femme ramena chez elle de la même façon le chantre, qui alla, à son tour, retrouver dans le coffre à la suie le pope et le diacre ; les ayant tâtés avec les mains, il demanda : « Qui est là ? — C’est moi et le père diacre, » répondit le pope, « mais toi, il me semble que tu es le chantre ? — En effet, batouchka. »

La jeune femme retourna encore une fois sur la rue et ramena le sonneur. Dès que celui-ci se fut déshabillé, on cogna violemment à la porte ; il se précipita dans le coffre : « Qui est là ? — C’est moi, mon cher, avec le père diacre et le chantre, mais « toi, n’es-tu pas le sonneur ? — En effet, batouchka. — Eh bien ! maintenant, mon cher, le personnel de la paroisse est au complet. »

Le mari entra et dit à sa femme : « N’avons-nous pas de suie à vendre ? On veut en acheter. — Soit, vends-la, » répondit-elle, « il y en a plein un coffre dans la soupente. » Aidé de l’ouvrier, le mari prit ce coffre, le chargea sur une charrette et se mit en route. Chemin faisant, il rencontra l’équipage d’un barine. « Range-toi ! » cria de toutes ses forces ce dernier. — « Je ne peux pas, j’ai des diables dans ma charrette. — Ah ! montre-les ! » dit le barine. — « Donne-moi cinq cents roubles. — Pourquoi me demandes-tu une pareille somme ? — Parce que, si j’ouvre le coffre pour te les faire voir, ils s’en iront tout de suite. » Le barine donna les cinq cents roubles ; dès que le bourgeois eut ouvert le coffre, tous les desservants de la paroisse, noirs comme de vrais diables, s’élancèrent dehors et s’enfuirent à toutes jambes[42].

Autre version

Un moujik avait une jeune et jolie femme. Elle était aimée d’un pope, d’un diacre et d’un chantre. « Eh bien ! matouchka, » lui demanda le pope, « est-ce que cela n’est pas possible ? — Venez ce soir, batouchka, dès qu’il commencera à faire sombre. » Sollicitée de même par le diacre, elle lui dit : « Venez, père diacre, quand il fera tout à fait nuit. » Au chantre, elle donna rendez-vous vers minuit. Le moujik, qui s’était entendu avec sa femme, sortit de chez lui en emportant quantité de sacs, comme s’il voulait aller au marché de la ville. Le pope arriva chez sa belle, et il venait à peine de se déshabiller quand on frappa à la porte : le mari était de retour. Le pope se cacha tout au fond d’un coffre. Puis parut le diacre ; il chercha un refuge dans la même cachette et se coucha sur le pope ; après eux se montra le chantre, qui se fourra aussi dans le coffre, où il prit place au-dessus du diacre. « Femme, » cria le moujik, « donne-moi mon fusil, je veux m’exercer au tir, fais une cible avec de la craie, tiens, sur ce coffre. » La femme se mit en devoir d’obéir. « Fais-la plus haut ! » lui dit tout bas le pope. — « Fais-la plus bas ! » supplia à son tour le chantre. Après les avoir bien effrayés, le paysan ordonna à sa femme de leur rendre la liberté, mais lui-même, armé d’un gourdin, se posta sur le seuil et, au passage, les rossa d’importance.

Le chantre et le diacre se retirèrent ; quant au pope, il se cacha dans le vestibule, sous la vache. Le moujik s’en aperçut et dit à son épouse : « Femme, va chez la popadia, tu lui diras qu’elle peut venir acheter la vache ; il y a longtemps qu’elle a envie de l’avoir, et maintenant je la lui céderais à bon marché. » En apprenant cette nouvelle, la popadia quitta aussitôt son lit, s’habilla et courut chez le paysan. « Eh bien ! Ivan, tu veux me vendre ta vache ? — Oui, matouchka. — Qu’est-ce que tu en demandes ? — Quarante roubles, mais, si tu me permets de m’amuser un peu avec toi, je te la laisserai pour rien. — Allons, amuse-toi, mon cher. » Le moujik étendit la popadia dans le vestibule, la βαισα, puis lui dit : « La vache, matouchka, je te l’enverrai demain avec son veau. » La popadia s’en alla. « Donne-moi à souper ! » cria alors le paysan à sa femme. — « Qu’est-ce que tu veux ? — Donne du lait. — Il n’y en a pas, le veau l’a tout bu. » Le paysan prit son gourdin, et flanqua une tripotée au pope. Celui-ci se mit à pousser des cris comme un veau ; à la fin, ne pouvant plus y tenir, il s’élança hors de la maison et revint chez lui au galop. « Où as-tu été ? » lui demanda sa femme, « tu rentres à minuit passé, tu roules tout le temps chez les putains ? — Tais-toi, maudite « femelle, » répliqua le pope, « où est donc la vache que tu as achetée ? »

Autre version

Un forgeron avait une femme étonnamment belle. Ils vivaient dans la pauvreté. Un jour le mari dit à son épouse : « Écoute, ma femme ! Que faire ? Où trouver de l’argent ? Tiens, tu devrais attirer chez toi des amoureux, tu peux tourner la tête même à des gens riches. Va donc sur la route, tu rencontreras peut-être quelque imbécile. Mais ne fais pas de bêtise : si quelqu’un sollicite tes faveurs, exige d’abord de l’argent et dis-lui de venir te trouver la nuit à la forge en s’y introduisant par la cheminée. Je serai là et je l’arrangerai comme il faut. » La femme fit une toilette pimpante et se mit en route.

Le premier qui l’accosta fut le pope, qu’elle connaissait. « Bonjour, petite femme ! Est-ce que ton mari est à la maison ? — Non, batouchka ! Le barine l’a appelé chez lui, où il doit travailler pendant tout un mois, et maintenant je suis seule. — Eh bien ! ma chère, tant mieux si tu es seule. Est-ce que je ne puis pas aller passer la nuit chez toi ? — Pourquoi pas, batouchka ? Tu le peux, seulement donne-moi vingt roubles. — Soit, ma chère, les voici. J’irai chez toi ce soir, aussitôt après les vêpres. — Viens, batouchka, mais pas à l’izba ; je passerai la nuit à la forge pour garder les outils de mon mari ; viens m’y trouver en cachette, descends par la cheminée. — Bien, ma chère. » Ayant reçu l’argent du pope, elle continua son chemin.

Le marguillier la rencontra. « Ah ! bonjour, kouznetchikha[43] ! — Bonjour, brave homme ! — Est-ce que ton mari est à la maison ? — Non, il est allé chez le barine, où il a du travail pour tout un mois, de sorte que maintenant je suis seule à la maison. — Ne puis-je pas, ma chère, passer une petite nuit avec toi ? — Pourquoi pas ? À présent je suis libre. Donne-moi vingt roubles et viens ce soir, assez tard : je coucherai à la forge, mais quand tu arriveras, ne fais pas de bruit : au lieu de frapper à la porte, glisse-toi tout doucement dans la cheminée. — C’est entendu ! » Elle prit les vingt roubles du marguillier et poursuivit sa promenade.

Un Tsigane, la rencontrant, lui dit : « Eh ! bonjour, charmante ! — Bonjour, Tsigane ! — Ton vieux est-il à la maison, ma bien-aimée ? — Non, il est allé travailler chez le barine et doit y rester un mois, à présent je suis seule. — Eh ! ma beauté ! Alors je puis passer la nuit avec toi ? — Certainement ! Viens, Tsigane ! mais donne-moi vingt roubles. » Le Tsigane prit de l’argent dans sa poche. « Tiens, ma belle ! Ce soir, j’accourrai chez toi. — Viens directement à la forge, Tsigane, et descends par la cheminée : je t’attendrai là. — Bien, ma colombe ! »

La kouznetchikha revint chez elle et dit à son mari : « Eh bien ! mon petit homme, cette nuit je recevrai la visite de trois amoureux, j’ai pris à chacun d’eux vingt roubles. — Allons, femme, Dieu soit loué ! je leur réglerai leur compte. »

Quand arriva le soir, le moujik se rendit à la forge, alluma du feu dans un fourneau, y fit chauffer des tenailles et attendit les amoureux. Le pope expédia les vêpres au plus vite, mit sa soutane et de l’église courut tout droit à la forge. En chemin il fut rejoint par le marguillier. « Où allez-vous, batouchka ? — Ah ! silence, mon cher ! j’ai péché contre Dieu, je vais passer la nuit chez la femme du forgeron, et j’ai payé d’avance. — Ah ! batouchka ! c’est aussi là que je vais ! — Cela ne fait rien, mon cher ! Allons ensemble, ce sera encore plus gai. » Au moment où ils approchaient de la forge, le Tsigane les rejoignit. « Eh ! mes pères spirituels, où allez-vous ? — Tais-toi, Tsigane, nous allons passer la nuit chez une femme, tiens, dans cette forge. — Ah ! mes pères ! moi-même je vais chez elle. — Eh bien ! viens avec nous. » Ils arrivèrent à trois. « Çà, maintenant, qui est-ce qui descendra le premier dans la cheminée ? — C’est moi, mes amis, » dit le pope, « je suis votre aîné ! — Allons, vas-y, batouchka ! « L’ecclésiastique se dépouilla de sa soutane, de ses chausses et de ses bottes ; le marguillier et le Tsigane lui attachèrent des cordes sous les bras, après quoi ils se mirent en devoir de l’introduire dans la cheminée. « Mes amis, » leur dit le pope, « dès que j’aurai fini mon affaire, je crierai : Fuik ! Vous répondrez : Chmuik ! et vous tirerez à vous. »

À peine la descente du pope se fut-elle effectuée que le forgeron, prenant les tenailles rougies au feu, saisit les parties génitales du batouckha. « Fuik ! » cria désespérément celui-ci ; « Chmuik ! » répondirent ses compagnons, et ils le tirèrent hors de la forge, « Tu as eu bien vite fini, batouchka ! » observa le Tsigane. — « Ah ! mon cher, comme elle a le κον chaud ! Je n’y avais pas plutôt touché que j’étais brûlé comme par une flambée de poudre. Je n’en ai encore jamais rencontré de pareil ! — Allons, maintenant, c’est à mon tour » dit le marguillier. — « Vas-y ! » Le marguillier se déshabilla, le pope et le Tsigane lui passèrent une corde sous les aisselles et le descendirent dans la forge, où il fut reçu par le mari de la même façon que l’avait été son prédécesseur. « Fuik ! » se mit-il à crier. — « Chmuik ! » firent les autres, et ils tirèrent la corde à eux. « Eh bien ! Tsigane, » dit le marguillier lorsqu’il se trouva hors de la forge, « je ne regrette pas mes vingt roubles : la chose les vaut ; à ton tour maintenant ! — Moi, mes pères, je ne ferai pas comme vous : je ne la quitterai pas avant de l’avoir repassée trois fois. Ainsi, faites attention, mes pères : tant que vous ne m’aurez pas entendu crier à trois reprises : Fuik ! ne me remontez pas. — C’est bien. »

On descendit le Tsigane. Dès que le forgeron eut constaté dans la cheminée la présence du troisième amoureux, les tenailles ardentes firent de nouveau leur office. « Fuik ! » cria à plein gosier le Tsigane, mais personne ne parut l’entendre. « Fuik ! « répéta-t-il ensuite, et ce second cri resta encore sans écho. « Fuik ! » vociféra pour la troisième fois le malheureux, « je t’εμμερδε, batouchka ! On ne βαισε pas ici, on est rôti tout vif ! Fuik !Chmuik ! » répondirent le pope et le marguillier en tirant la corde à eux. À peine hors de la forge, le Tsigane, qui avait les testicules dans un état lamentable, se mit à invectiver violemment le pope : « Barbe de bouc ! Pourquoi ne nous as-tu pas dit comment on était reçu là ? Que le diable t’emporte ! Tu aurais dû seul avoir les κουιλλες brûlées. Oh ! mes pères, il m’en a cuit plus qu’à personne. — Ce n’est rien, mon cher. Puisque la coquine nous a trompés, allons tous maintenant la trouver dans son izba et réglons nos comptes avec elle de la bonne façon. »

Ils se rhabillèrent tant bien que mal et se rendirent clopin-clopant chez la femme du forgeron, qu’ils trouvèrent seule au logis. « Comment as-tu agi avec nous, friponne ? — Ah ! mes chers amis, » répond-elle, « je suis moi-même désolée que les diables aient ramené mon mari à la maison : il est revenu inopinément et le soir il est allé travailler à la forge. Asseyez-vous donc, mes amis, je vais m’arranger un peu ; nous avons toute la nuit à nous ; mon mari est maintenant à la forge et il y restera jusqu’au matin. » Les visiteurs s’asseyent. Tout à coup arrive le forgeron, il fait semblant d’être ivre, cogne à la porte et injurie sa femme : « Ouvre, putain ! » En entendant ce bruit et ces vociférations, les trois hommes se lèvent précipitamment. « Qu’allons-nous devenir maintenant ? — N’ayez pas peur, mes amis, » dit la kouznetchikha, « je vais vous cacher ; il est ivre, il ne tardera pas à s’endormir. Toi, batouchka, ôte vite tous tes vêtements et mets-toi tout nu dans le coin de devant : je dirai à mon mari que j’ai acheté un icone. » Quittant aussitôt soutane, chausses, bottes et chemise, le pope se plaça à l’endroit indiqué, dans l’attitude d’un icone, la barbe et les cheveux épars. — « Et moi, où vais-je me mettre ? » demanda le marguillier. — « Et moi ? » fit le Tsigane. — « Vous, mes amis, déshabillez-vous, complètement. Toi, » dit-elle au marguillier, « je vais t’attacher par une corde au croc et je dirai à mon mari que j’ai acheté une grande buie. Quant à toi, Tsigane, tiens, mets-toi dans ce cuveau où il y a du marc de kvass, reste là bien tranquille, il ne te verra même pas. » Ils se mirent tout nus, la maîtresse de la maison attacha le marguillier au croc avec une corde, et le Tsigane se fourra dans le cuveau. Ensuite la kouznetchikha ouvrit la porte à son mari. Il entra en maugréant et cria : « Femme, donne-moi à souper ! » Puis il promena ses regards autour de lui et aperçut le pope debout dans le coin. « Ah ! qu’est-ce que c’est que ce diable-là ? — Que le Seigneur t’assiste ! Comment, un diable ? C’est un icone. — Et combien as-tu payé pour en avoir un si grand ? — Tu le sauras demain ; à présent couche-toi. » Le forgeron alluma une chandelle et s’approcha du pope dont il empoigna le membre viril. « Et cela, qu’est-ce que c’est ? » demanda-t-il à sa femme. — C’est pour mettre la chandelle. — Eh bien ! je vais l’y mettre. » Il prit la chandelle et la posa sur cette partie de la personne du pope, mais elle roula par terre. « Quand ce chandelier aura été rougi au feu, cela tiendra mieux. » Ce disant, le forgeron se mit en devoir de brûler à la flamme de la chandelle le bout de la verge de l’ecclésiastique. Ce dernier sauta par-dessus la table et, nu comme il était, s’élança hors de l’izba. « Ah ! putain ! » commença à crier le mari, « ce n’est pas un icone que tu as acheté, mais un diable ; tu vois, il a disparu et tu en es pour ton argent ! » Il s’approcha ensuite du croc. « Mais qu’est-ce qui pend là ? — C’est une grande buie que j’ai achetée, un vase à mettre de l’eau. — Comment, diable, une buie ? C’est un vrai tonneau ! Mais est-elle solide ? — J’ai frappé dessus avec le poing ; elle résonne bien. — Attends, je vais essayer avec une bûche : voyons si elle ne se brisera pas. » Il prit une bûche et, de toute sa force, en asséna plusieurs coups sur les côtes du marguillier qui, au bout de la corde, oscillait comme un balancier. Soudain la corde se rompit : le marguillier piqua une tête contre le plancher, se releva d’un bond et gagna aussitôt la porte. « Eh bien ! tu as fait de belles emplettes ! » observa le forgeron ; « à présent, je vais boire du kvass. » Il s’approcha du cuveau et aperçut le Tsigane plongé jusqu’au cou dans le marc ; son museau seul émergeait au dehors. Le forgeron se signa. « Voilà de quoi je devais être témoin en vivant avec toi ! Pour sûr, tu gardes ce marc dans le cuveau depuis que tu m’as épousé : vois-tu, les diables s’y sont mis ! » Il cloua un couvercle sur l’orifice du cuveau où se trouvait le Tsigane, et celui-ci resta là deux jours, privé de toute nourriture.

Le troisième jour, le forgeron attela sa charrette, y mit le cuveau et partit pour le lac. Arrivé en cet endroit, il s’arrêta, ôta ses bottes, retroussa son pantalon et descendit dans l’eau ; puis il longea les bords du lac, tenant son fouet à la main, comme un homme en train de pêcher. Quelque temps après, un barine vint à passer. « Bonjour, moujik ! — Eh ! barine, tu avais bien besoin de me dire bonjour ! Tu n’as fait que nuire à ma pêche. — Comment, à ta pêche ? — Oui ; tout à l’heure un diable était sur le point de mordre à l’hameçon, mais en entendant ta voix, il a battu en retraite, au moment où j’allais le ferrer. — Quels contes débites-tu là ? — Comment, des contes ? J’en ai déjà pris un que j’ai mis dans ce cuveau, et j’allais en attraper un autre si tu ne l’avais pas effarouché. — Montre-moi celui que tu as pris. — Je ne te le montrerai pas, barine. — Tiens, voici cinquante roubles. — À la maison, mes maîtres m’en donneront cent. — Allons, je vais te donner cent roubles. » Le forgeron prit l’argent du barine et ouvrit le cuveau ; le Tsigane en sortit aussitôt, barbouillé de marc des pieds à la tête, et s’enfuit à toutes jambes. « En effet, c’est un diable, » remarqua le barine en lançant un jet de salive, « voilà la première fois que j’en vois un, depuis tant d’années que je suis au monde. »

De retour chez lui, le forgeron dit à son épouse :

« Eh bien ! femme, j’ai vendu le Tsigane cent roubles ; à présent il reste encore à vendre la soutane du pope, et nous aurons fait une affaire excellente ! » Il revêtit la soutane, prit la canne du batouchka et se rendit de grand matin au presbytère. Le pope, en apercevant le forgeron, se dit : « Mauvaise affaire, si mes paroissiens viennent à apprendre mon aventure ! » Et il se mit à supplier le visiteur : « Je t’en prie, mon cher, ne fais pas rire à mes dépens ! — Qu’est-ce que tu me donneras ? Veux-tu racheter ces objets pour cent roubles ? — Ce n’est pas cent roubles que je t’offre, mais cent cinquante. » Contre remise de cette somme, le forgeron rendit au pope sa soutane et sa canne. Il retourna chez lui, et les deux époux

vécurent dès lors un peu plus à l’aise[44].

LXVI

LA JUIVE


Un gars allait chercher du travail ; chemin faisant, il entra dans un cabaret pour y passer la nuit. Le cabaret était tenu par un Juif et sa femme. Le soir venu, ils se couchèrent sur le plancher. La nuit, la Juive eût trop chaud ; moitié endormie, moitié éveillée, elle rejeta tout ce qu’elle avait sur elle et resta le κυλ à découvert. Le gars, à cette vue, fut pris d’un désir qu’il satisfit sans hésitation : il assaillit la femme de son hôte et se mit en devoir de la βαισερ. « Volko, Volko ! » fit la Juive, croyant avoir affaire à son mari. — « Tais-toi donc avec tes Volko, » répondit le gars, « tu vas réveiller le Juif. » La femme promena sa main sur la tête du jeune homme et n’y trouva pas les boucles de cheveux que les Juifs ont coutume de porter sur les tempes. « Eh ! Volko, est-ce toi ? » demanda-t-elle. — « Allons, silence ! » dit le gars, qui se hâta de terminer son affaire.



LXVII

LE SOLDAT ET LE DIABLE


Un soldat retournait chez lui en congé définitif. Il était fort triste, car il ne lui restait plus rien de son maigre quibus : tout avait été dépensé de côté et d’autre. « Allons, » se dit-il, « pour me consoler, je vais faire ribote, je vendrai mon havresac et je me paierai une orgie. » Là-dessus, le soldat entra dans un cabaret et céda son havresac au patron en échange d’une bouteille d’eau-de-vie. Quand il se remit en route, il était tellement ivre qu’il ne tarda pas à s’étaler par terre. Passe un diable qui l’aperçoit couché à plat ventre sur le chemin. « Qu’est-ce que tu fais, militaire ? » demanda-t-il. — « Tu le vois bien : je φους. — Et pourquoi donc ton υιτ est-il à découvert ? — Sois tranquille, je ne le perdrai pas. Mais que φους-tu là ? — Je φους qui tu voudras. » Le diable vit que le soldat n’était pas manchot, et il leur en faut de pareils ; il le prit avec lui. À présent, le soldat vit dans l’opulence, il se pocharde tous les jours, fume de la makhorka[45] et mange du raifort sur son eau-de-vie.



LXVIII

NICOLAS L’ERMITE


Un vieux paysan avait une jeune femme. Chez elle venait souvent en visite un jouvenceau, Térékha Gladkoï. Le vieillard en eut connaissance et dit à sa femme : « La maîtresse ! J’ai été au bois et j’y ai trouvé Nicolas l’ermite ; quoi que tu lui demandes, il te l’accordera ! » Le lendemain matin, lui-même courut au bois, il y trouva un vieux pin et s’introduisit dans le creux de cet arbre. La femme se mit à la besogne et, après avoir fait bon nombre de pâtés, de petits pains ronds et de blines savoureux, elle alla au bois pour invoquer Nicolas l’ermite. Arrivée près du pin, elle aperçut le vieillard : « Voilà Nicolas l’ermite ! » pensa-t-elle, et elle se mit à le prier : « Batouchka Nicolas, fais que mon mari devienne aveugle ! — Retourne chez toi, femme, » répondit le vieillard, « ton mari perdra la vue, mais laisse ici tes pâtés. » La paysanne déposa sa corbeille au pied de l’arbre et revint chez elle. Aussitôt le vieillard sortit de sa cachette, mangea les pâtés, les petits pains et les blines, puis se coupa un gourdin et reprit le chemin de sa demeure. Il arriva, marchant à tâtons, comme un aveugle. « Pourquoi vas-tu si doucement, vieux ? » lui demanda sa femme, « est-ce que tu ne vois pas clair ? — « Hélas ! ma mie, le malheur m’a atteint, j’ai perdu la vue ! » La paysanne prit son mari par le bras, le guida dans la maison et l’aida à se coucher sur le poêle.

Le soir de ce même jour, elle reçut la visite de son bon ami, Térékha Gladkoï. « À présent n’aie plus peur, » lui dit-elle, « viens me voir quand tu voudras. Aujourd’hui j’ai été au bois, j’ai prié Nicolas l’ermite d’ôter la vue à mon vieux ; eh bien ! il est rentré tout à l’heure à la maison et il ne voit plus clair du tout ! » Ensuite la jeune femme fit des blines et, quand ils furent sur la table, Térékha se mit à les manger goulument. « Prends garde, Térékha, de t’étrangler avec les blines, » lui dit la maîtresse du logis, « je vais t’apporter de quoi les arroser ! » Dès qu’elle fut sortie pour aller chercher du beurre, le vieillard prit une arbalète, l’arma, visa Térékha Gladkoï et le tua net. Puis, sautant en bas du poêle, il roula un bline en forme de boulette et le fourra dans la bouche de Térékha pour donner à croire que ce dernier s’était étouffé en mangeant ; cela fait, le vieillard alla reprendre sa place sur le poêle. La femme revint avec le beurre et, à la vue de Térékha qui ne donnait plus aucun signe de vie, elle s’écria : « Je t’avais dit qu’il ne fallait pas manger les blines sans beurre, qu’autrement tu t’étranglerais ; tu ne m’as pas écoutée, et voilà que maintenant tu es mort ! » Elle prit le corps du jeune homme, le traîna sous l’escalier et se mit au lit. Comme elle ne pouvait dormir seule, elle appela son mari auprès d’elle, mais le vieillard répondit : « Je me trouve bien ici. » Au bout d’un certain temps, il commença à crier comme en songe : « Femme, lève-toi, Térékha Gladkoï est étendu mort sous notre escalier ! — Tu as vu cela en rêve, vieux ! » répliqua-t-elle. Le mari descendit du poêle, il poussa hors de la maison le corps de Térékha Gladkoï et le traîna jusqu’à la demeure d’un riche moujik. Devant la porte se trouvait un tonneau de miel ; le vieillard plaça le cadavre tout contre et lui mit dans les mains une petite pelle : disposé de la sorte, Térékha avait l’air de puiser du miel dans le tonneau. Le moujik, l’ayant aperçu, le prit pour un voleur, s’élança vers lui et lui asséna sur la tête un coup qui le renversa à terre. Le vieillard se tenait caché dans un coin ; il accourut aussitôt et saisit au collet le moujik : « Pourquoi as-tu tué ce jeune homme ? — Je te donnerai cent roubles, seulement ne parle de cela à personne ! » répondit le moujik. — « Donne-m’en cinq cents, ou je te livre à la justice ! » Le moujik donna les cinq cents roubles. Le vieillard prit le mort et le traîna au presbytère, il fit sortir un cheval de l’écurie du pope, mit Térékha sur le dos de l’animal, lui attacha les rênes aux mains, et lâcha le cheval dans les dépendances de l’église. Le pope sort précipitamment, invective Térékha et veut l’arrêter ; le cheval rentre au galop dans son écurie où le cavalier se heurte à une solive, ce qui a pour effet de le désarçonner : il roule en bas de sa monture. Alors surgit le vieillard, qui saisit le pope par sa barbe : « Pourquoi as-tu tué ce jeune homme ? Viens avec moi à la police ! » Que faire ? le pope lui donne trois cents roubles, à condition qu’il se taira, et inhume le défunt.

Autre version

Un pope avait une femme qui le trompait avec un amant. L’ouvrier de l’ecclésiastique s’était aperçu de cette intrigue et la traversait par tous les moyens possibles. « Comment me défaire de lui ? » pensa l’épouse infidèle, et elle alla demander conseil à une vieille sorcière ; mais depuis longtemps l’ouvrier s’était entendu avec celle-ci. « Ma chère, » commença l’épouse infidèle, « aide-moi à me débarrasser du pope et de son ouvrier. — « Va au bois, » répondit la vieille, « tu y trouveras Nicolas l’ermite ; adresse-toi à lui, il te viendra en aide. » La femme du pope courut au bois et se mit à la recherche de Nicolas l’ermite. Or l’ouvrier, parfaitement grimé, la barbe enfarinée, s’était glissé dans le creux d’un sapin ; il fit entendre un gémissement qui attira l’attention de la jeune femme ; elle tourna les yeux de ce côté, et, apercevant, dans l’intérieur du sapin, un vieillard tout blanc, elle s’approcha de l’arbre. « Batouchka Nicolas l’ermite, » dit-elle, « comment faire périr le pope et son ouvrier ? — « Ô femme, femme ! » répondit Nicolas l’ermite, « les faire périr ce serait un péché, mais on peut les priver de la vue. Fais demain un grand nombre de blines au beurre, ils les mangeront et deviendront aveugles ; si, de plus, tu leur fais cuire des œufs, ils perdront l’ouïe après en avoir mangé. »

De retour chez elle, la femme prépara des blines ; le lendemain elle les mit au feu et fit cuire des œufs. Comme le pope et son ouvrier étaient sur le point d’aller travailler dans la campagne, elle les invita à déjeuner avant de partir ; puis elle leur servit des blines et des œufs, apporta du beurre, n’épargna rien. « Mangez cela avec du beurre, mes chers amis, » dit-elle, « ce sera meilleur ! » L’ouvrier avait fait la leçon au pope. Quand ils eurent mangé, ils commencèrent à dire : « Comme il fait sombre ! » et ils tentèrent de grimper sur le mur. — « Qu’est-ce que vous avez, mes amis ? — « Dieu nous a punis : nous ne voyons plus clair du tout. » La femme les aida à se coucher sur le poêle ; après quoi elle appela son bon ami, avec qui elle se mit à boire et à rigoler. « Laisse-moi te βαισερ, » lui dit le visiteur, « mais par derrière, comme le bouc fait à la chèvre. » La jeune femme tendit sa croupe et son amant monta sur elle. Aussitôt le pope et l’ouvrier, quittant la place qu’ils occupaient sur le poêle, tombèrent à bras raccourcis sur les deux coupables.


LXIX

LES DEUX FRÈRES


Un paysan avait deux fils déjà en âge de s’établir. Le vieillard tint conseil à ce sujet avec sa femme. « Lequel de nos fils marierons-nous ? » demanda-t-il à la vieille, « Gritzka ou Lavr ? — « Marions l’aîné, » répondit-elle. Et pendant les jours gras ils fiancèrent Lavr à une jeune fille d’un autre village. Arriva la semaine sainte, puis, le carême fini, Lavr se disposa à aller voir sa future en compagnie de son frère Gritzka ; ils montèrent dans un chariot attelé de deux chevaux : en sa qualité de fiancé, Lavr occupait, dans l’équipage, la place du maître, tandis que son frère remplissait l’office de cocher. À peine venaient-ils de quitter le village que Lavr, qui s’était trop largement dédommagé des abstinences du carême, éprouva le besoin de mettre culotte bas. « Gritzka, mon frère, » dit-il, « arrête les chevaux. — Pourquoi ? — J’ai un besoin à satisfaire. — Quel imbécile tu es ! se peut-il que tu fasses cela sur ta terre ? Attends un peu, nous allons avoir à traverser le champ d’un autre, là tu pourras déposer tout ce que tu as dans le ventre. » Force fut à Lavr de patienter ; le visage ruisselant de sueur, il se résigna à attendre.

Voilà que le chariot pénètre dans le champ du voisin. « Allons, mon frère, » dit Lavr, « fais-moi le plaisir d’arrêter les chevaux, je ne puis plus y tenir, c’est un besoin plus fort que moi ! — Que tu es bête ! » réplique Gritzka, « tu te mettrais dans de beaux draps ! Pourquoi ne m’as-tu pas dit cela quand nous traversions notre champ ? Là, tu n’aurais pas eu à te gêner. Mais maintenant ce n’est plus ça, tu sais toi-même qu’il n’est pas permis de déposer des immondices sur les terres d’autrui. D’ailleurs quelque diable peut nous apercevoir, il nous battra tous les deux et il emmènera nos chevaux. Retiens-toi un moment ; quand nous arriverons dans la cour de ton beau-père, saute en bas du chariot et va droit au privé, là tu pourras te soulager ; moi, pendant ce temps-là je détellerai les chevaux. » Lavr reste dans le chariot et ronge son frein.

Les voici arrivés au village, ils entrent dans la cour du beau-père ; tout près de la grand’porte la mère de la fiancée accueille son futur gendre par les mots : « Bonjour, mon fils, mon chéri ! Nous t’attendions depuis longtemps déjà ! » Sans proférer une parole, le fiancé sauta à terre et fila vers le privé. Pensant qu’il était intimidé, la vieille le saisit par le bras et lui dit : « Pourquoi es-tu honteux, mon fils ? Que Dieu t’assiste, n’aie pas peur, il n’y a chez nous aucun étranger, je te prie humblement d’entrer dans la maison. » Elle l’entraîna à sa suite dans l’izba et le fit asseoir au haut bout de la table. Ne pouvant plus se contenir, Lavr laissa tout aller dans ses chausses, puis il se tint immobile à sa place, n’osant faire le moindre mouvement. Cependant la maîtresse de la maison s’empressait autour de ses hôtes ; elle leur servit une collation, prit un carafon d’eau-de-vie et remplit un verre qu’elle présenta au fiancé. Celui-ci se leva pour le prendre, mais en ce moment les matières fécales que recélait le fond de sa culotte glissèrent le long de ses cuisses et descendirent dans ses bottes : ce fut une infection par toute l’izba. « D’où vient qu’il pue ainsi ? » La belle-mère va fureter dans tous les coins : les mioches n’auraient-ils pas fait des ordures quelque part ? Non, on n’en voit aucune trace ; la vieille s’adresse aux visiteurs : « Ah ! mes amis, notre cour est fort malpropre ; l’un de vous a peut-être mis le pied dans un étron ; levez-vous, je vais voir si vos bottes ne sont pas sales. » Elle visita d’abord Gritzka et, n’ayant pas trouvé sur lui ce qu’elle cherchait, elle s’approcha de Lavr : « Eh bien ! mon gendre, à peine arrivé dans la cour, tu t’es dirigé vers le privé, ne t’es-tu pas embrené ? » Elle se mit à tâter les vêtements du jeune homme et, en lui touchant les genoux, elle se salit toute la main. Alors elle se répandit en injures contre Lavr : « Tu as perdu l’esprit, sans doute ? Que diable as-tu donc ? Assurément c’est pour te moquer de nous, et non pour nous faire une visite amicale, que tu es venu, polisson ! Il n’a encore rien bu ni mangé et il fait sous lui à table ! Va-t-en au diable, sois son gendre et non le nôtre ! » Ensuite la vieille appela sa fille et lui dit : « Eh bien, ma chère enfant, je ne te permets pas d’épouser ce cochon, épouse son frère : voilà le mari qu’il te faut ! » On relégua Lavr à l’écart, on donna sa place à Gritzka, puis le repas commença, la société but et mangea jusqu’au soir.

Arriva la nuit, il fallut aller se coucher. La maîtresse de la maison dit aux visiteurs : « Vous coucherez dans la nouvelle izba ; toi, ma fille, dresse là un lit pour ton futur ; quant à ce salaud, pas besoin de lui en préparer un, il n’a qu’à dormir sur le banc ! » Les deux jeunes gens vont se coucher ; tandis que Gritzka a un lit de plume, Lavr est réduit à s’étendre sur un banc ; il ne dort pas et ne songe qu’au moyen de se venger du tour que lui a joué son frère. Entendant Gritzka ronfler, il se lève, prend la table et va tout doucement la placer contre la porte, après quoi il se recouche sur le banc. À minuit, Gritzka s’éveilla, il quitta son lit et, pris d’un besoin, voulut sortir, mais au moment où il croyait arriver à la porte, il se heurta contre la table. « Qu’est-ce que cela veut dire ? Où est donc la porte ? » se demanda-t-il. Il revint sur ses pas et se mit à chercher, mais il eut beau se tourner de tous les côtés, il ne rencontra partout que des murs. « Qu’est-ce que la porte est donc devenue ? » Cependant le besoin qu’il éprouvait le tourmentait de plus en plus. Que faire ? Gritzka s’assit près de la table et se déchargea du fardeau qui l’oppressait. Ensuite il réfléchit : « Voilà qui ne vaut rien, il faut faire disparaître cela d’ici à demain matin ! » En regardant autour de lui, il remarqua dans le mur une grande fente ; il voulut la boucher, mais il manqua son coup, lança la matière fécale à côté de la lézarde, et le mur la lui renvoya en plein museau. Gritzka s’essuya avec ses mains, il prit encore une jointée et fit une nouvelle tentative, mais sans plus de succès que la première fois. Il ne réussit qu’à barbouiller les murs et à se barbouiller lui-même. Il fallait se laver : le pauvre jeune homme se mit à chercher de l’eau ; en tâtonnant il découvrit sur le poêle une marmite qui contenait de la teinture : celle dont on se sert pour colorier les œufs de Pâques. Après avoir retiré la marmite de dessus le poêle, il commença à se laver les mains et le visage. « Allons, maintenant le mal est réparé ! » Sur cette réflexion, Gritzka se recoucha ; dès qu’il se fut endormi, son frère alla sans bruit prendre la table et la remit à son ancienne place.

Il faisait grand jour quand la fiancée vint réveiller son prétendu. « Lève-toi, mon âme ! » dit-elle, « le déjeuner est servi ! » Mais quelle ne fut pas sa frayeur quand, jetant les yeux sur son futur, elle vit qu’il ressemblait à un diable ! Épouvantée, la jeune fille s’enfuit et, toute en larmes, courut retrouver sa mère : « Pourquoi pleures-tu ? » lui demanda la vieille. — « Et comment ne pleurerais-je pas ? Je suis perdue : va donc voir toi-même ce qui se passe chez nous dans la nouvelle izba ! — Mais qu’est-ce qui peut s’y passer ? Ton fiancé est là avec son frère. — Comment, mon fiancé ? C’est le diable et non un fiancé ! » Tous trois, le père, la mère et la jeune fille, se rendirent à l’izba où le futur avait passé la nuit. En les voyant entrer, Gritzka eut un sourire joyeux : ses dents seules étaient blanches, mais tout son visage avait une teinte gros bleu qui lui donnait l’air d’un véritable diable.

Les maîtres de la maison s’enfuirent. Le vieillard ferma avec soin la porte de l’izba et alla trouver le pope. « Batouchka, viens bénir notre nouvelle izba et chasses-en l’esprit impur : le maudit en a pris possession ! — Comment, mon cher, il y a des diables chez toi ? Mais, moi aussi, mon cher, j’ai peur des diables. — N’en aie pas peur, batouchka ! j’ai une jument : s’il arrive quelque chose, enfourche-la et file au galop, ce n’est pas un diable, ni même un oiseau qui pourrait la rattraper. — Allons, soit, mon cher, j’irai chasser l’esprit impur, seulement il faut que la jument soit à moi ! — Elle sera à vous, batouchka, à vous ! » répondit le moujik en s’inclinant devant le prêtre. Celui-ci se rendit à l’izba, accompagné d’un chantre et d’un sacristain ; il avait revêtu ses ornements sacerdotaux et tenait dans ses mains un encensoir où brûlaient quelques grains d’encens ; les trois hommes font le tour de l’izba en chantant : « Dieu saint ! » « Allons, » pensa Gritzka, « le pope arrive avec la croix ; je vais me mettre près de la porte et, quand il entrera, je lui demanderai sa bénédiction. » Il se plaça près de la porte et attendit. Ayant fait trois fois le tour de l’izba, le pope se mit en devoir d’y pénétrer, mais dès qu’il en eut franchi le seuil, il recula brusquement : Gritzka venait de lui tendre sa main bleue. L’ecclésiastique s’enfuit aussitôt, sauta sur le dos de la jument et, faute de fouet, se mit à lui cingler les flancs avec l’encensoir. L’animal partit au galop ; le pope alors essaya de modérer la fougue de sa monture, mais il s’y prit mal et ne fit que l’exciter davantage. Dans sa course folle, la jument rencontra un obstacle contre lequel elle buta. Le pope vida les étriers et, dans sa chute, se fracassa la tête. Quant aux deux frères, ils retournèrent chez eux sans avoir mieux réussi l’un que l’autre.



LXX

LA FILLE SANS TÊTE


Un paysan vivait avec sa femme. Il mena une vache à la foire et la vendit à un moujik d’un autre village ; après avoir bu ensemble un pot de vin, les deux hommes se mirent à fraterniser. « Eh bien ! copain, à présent nous voilà amis pour toujours ! — Certainement, copain, comment donc ! » Dès lors, chaque fois qu’ils se rencontraient, il se traitaient de copains gros comme le bras et s’offraient réciproquement des petits verres. Un jour le hasard les fit se rencontrer dans une gargote. « Ah, bonjour, copain ! — Bonjour, copain ! Comment va ta vache ? — Grâce à Dieu, elle va bien. — Allons, tant mieux, Dieu soit loué ! Mais, voyons, copain, est-ce que nous ne pourrions pas devenir parents l’un de l’autre ? — Pourquoi pas ? Tu as un fils en âge de s’établir et moi j’ai une fille à marier. — Eh bien ! c’est une affaire conclue, n’est-ce pas ? — Affaire conclue ! » Ils causèrent encore un moment, puis se quittèrent. De retour chez lui, le paysan qui avait vendu la vache dit à son fils : « Allons, mon garçon, remercie-moi : je t’ai trouvé une femme, je veux te marier ! — Où donc l’as-tu ainsi trouvée, père ? — Te rappelles-tu le copain à qui j’ai vendu une vache dernièrement ? — Oui, père. — Eh bien ! ce copain a une fille, une beauté ! — Est-ce que tu l’as vue ? — Non, mais son père me l’a dit. — Si tu ne l’as pas vue, tu ne peux pas vanter sa beauté. Tu le sais toi-même, on n’achète pas chat en poche. Laisse-moi aller à leur village, je verrai de quoi il retourne et je m’assurerai de ce qu’est cette fille. — Eh bien ! va et que Dieu te protège ! »

Le jeune homme s’habilla le plus misérablement qu’il put, mit une bride sur son épaule, prit en main un fouet et se rendit chez l’ami de son père. Il arriva dans la soirée et cogna à la fenêtre de l’izba : « Bonjour, patron ! — Bonjour, brave homme, » répondit le maître du logis, « qu’est-ce qu’il te faut ? — Accorde-moi un gîte pour cette nuit ! — Mais d’où viens-tu ? — Je viens de loin, je demeure à cent verstes d’ici. Je cherche les chevaux de mon maître, diadiouchka ; on me les a volés dans un endroit où je m’étais arrêté pour passer la nuit et voilà trois jours que je les cherche sans pouvoir les retrouver. — Soit, loge chez nous. » Le jeune homme entra dans la maison, ôta la bride de dessus son épaule et la pendit à un clou ; ensuite il s’assit sur un banc et se mit à examiner la jeune fille. — « Et chez vous, qu’est-ce qu’on dit de bon ? » demanda le paysan à son hôte. — « Les nouvelles de chez nous ne sont pas bonnes, diadiouchka, on n’entend parler que de malheur. — Quoi donc ? — Eh bien, chaque nuit il y a des gens mangés par les loups ; depuis deux semaines, il ne se passe guère de nuit où les loups ne dévorent de cinq à dix personnes ! » La conversation se prolongea pendant quelques instants, ensuite on se coucha : le vieillard et sa femme dans la chambre, leur fille et le voyageur dans le vestibule, mais la première sur un lit et le second sur un tas de foin.

Quand il fut couché, le gars ne cessa de prêter l’oreille, pensant que la jeune fille allait peut-être recevoir la visite de quelque amant. Une heure, deux heures se passèrent, tout à coup quelqu’un frappa à la porte : « Ouvre, chérie ! » fit une voix. La jeune fille se leva sans bruit, alla ouvrir la porte, et son amant entra ; il se déshabilla et se mit au lit avec elle. Après qu’ils eurent causé un moment ensemble, le visiteur accola son amie et la chevaucha à deux reprises. « Écoute, mon âme, des femmes m’ont dit que, si on a les jambes liées avec une corde et ramenées tout contre le cou, le κον est alors mis tout à découvert, et c’est si bon, paraît-il, d’être φουτυε comme cela ! on n’a pas même un mouvement à faire. — Essayons un peu, mon ami ! » L’autre ne se le fit pas répéter deux fois : il lia avec sa ceinture les jambes de la jeune fille, les lui ramena tout près du cou et commença à la βαισερ dans cette position.

Aussitôt le voyageur qui couchait dans le vestibule se dresse sur ses pieds et crie de toutes ses forces : « À la garde ! Lève-toi, patron ! Tu n’as plus de fille : les loups lui ont dévoré la tête. » Le galant ne fait qu’un saut jusqu’à la porte, mais le voyageur le saisit au collet : « Non, mon ami, halte là ! Attends une minute ! » Aux cris de leur hôte, le paysan et sa femme sortent précipitamment de la chambre et s’élancent vers le lit de leur fille. Le vieillard tâte : sa main, dans l’obscurité, rencontre un κον et un κυλ ; la frayeur s’empare de lui ; ce n’est que le tronc, pense-t-il, il n’y a plus de tête. « Va vite chercher de la lumière ! Notre enfant n’est plus de ce monde ! » crie-t-il à sa femme, et il pleure sur sa fille dont il tient toujours en main le κον et le κυλ. La vieille revient avec une chandelle. « Vois donc, elle est garrottée ! Seigneur, mon Dieu, qu’est-ce que c’est que cela ? — Tenez, le voilà, le loup, diadiouchka ! » dit le voyageur en montrant son prisonnier. « Oh ! fils de chienne que tu es ! » vociféra la mère, « est-ce que tu ne pouvais pas la βαισερ tout uniment ? » Le galant fut mis dehors par les deux épaules et on délia la jeune fille. « Je t’en prie, mon ami, » dit le vieillard à son hôte, « ne parle de notre malheur à personne : pour prix de ton silence voici vingt-cinq roubles ! — Non, diadiouchka, je n’en parlerai pas ; que Dieu vous assiste ! ce n’est pas mon affaire ! »

Le lendemain matin, le paysan régala le jeune homme et lui fit la conduite jusqu’au delà du village. En retournant chez lui, le gars rencontra sur son chemin toute une bande de mendiants qui portaient des besaces. « Écoutez, pauvres gens, » leur dit-il, « allez dans tel endroit, tout au bout de ce village habite un riche paysan ; il a fait célébrer aujourd’hui un service pour sa fille qui a eu la tête mangée par les loups. C’est un bon homme, il vous recevra, vous donnera à boire et à manger, et mettra même encore quelque chose dans vos besaces. » Les mendiants se rendirent incontinent à l’adresse qui leur avait été indiquée. Arrivés dans la cour du paysan, ils se formèrent en rang et attendirent le dîner. « Oh ! combien il y en a ! » dit, en les apercevant, le maître de la maison. Il prit un grand pain rond et en coupa un morceau pour chacun des mendiants ; mais ceux-ci, la distribution terminée, ne bougèrent pas de leur place. « Qu’attendez-vous donc ? » leur demanda le moujik, « on vous a fait l’aumône. » — « Mais, diadiouchka, ne serait-ce pas un effet de ta bonté de nous donner à dîner en mémoire de ta fille. — Quelle fille ? — Eh bien ! celle que les loups ont dévorée. — Quel diable vous a dit cela ? il n’est rien arrivé de pareil chez moi. — C’est tel gars qui nous a envoyés chez toi. — Allons, allons, décampez ! » cria le paysan. Les mendiants se retirèrent et le moujik dit à sa femme : « Eh bien ! vieille, je suis refait ! C’est en pure perte que j’ai donné de l’argent à ce fils de chienne : il m’avait promis de ne rien dire à personne, et à peine sorti d’ici il a envoyé chez nous toute une bande de mendiants ! Pour sûr, il a maintenant répandu l’histoire dans tout le pays ! Si le copain vient à l’apprendre, voilà qui gâtera notre affaire ! »

Pendant ce temps le jeune homme continuait son chemin. Quand il arriva chez lui, ses parents lui demandèrent : « Eh bien ! mon fils, as-tu vu ta future ? — Ah ! père, ne renouvelez pas mon chagrin, il aurait bien mieux valu que je ne la visse jamais ! — Pourquoi cela ? — Celle que vous me destiniez pour femme (Dieu lui fasse paix !) a eu la tête dévorée par les loups, ils n’ont laissé que le tronc ; on l’enterre demain ! — Quel malheur pour cette pauvre famille ! Il faut, vieille, que nous allions dire adieu à la défunte avant qu’on l’enterre. Ces gens-là ont été bons pour nous ! Mon fils, attelle les chevaux, ta mère et moi nous allons nous rendre chez le copain… » Le jeune homme attela, les deux vieillards montèrent dans leur charrette et partirent. L’équipage approchait de la cour quand le maître de la maison, apercevant ses amis, court au devant d’eux. « Bonjour, copain, comment vas-tu ? Donnez-vous la peine d’entrer dans l’izba, chers visiteurs ! — Merci, copain ! » répondirent-ils tristement ; « ce n’est pas une visite que nous te faisons, nous sommes venus dire le dernier adieu à ta fille. Évidemment, il était écrit qu’il n’y aurait pas d’alliance entre nos deux familles. — Pourquoi donc, copain ? — Mais le malheur est entré dans ta maison, les loups ont dévoré la tête de ta fille ! — Quand ? Qui vous a dit cela ? — C’est mon fils, il a logé chez vous la nuit dernière, il a tout vu de ses yeux. — Ah ! par exemple, en voilà une ! Ainsi, c’était ton fils ? Il n’y a pas à dire, quoique ma fille soit encore vivante, c’est une affaire ratée. » Après quelques moments d’entretien on se sépara et, depuis lors, les deux paysans cessèrent de s’appeler copains.

Autre version

Un soldat qui revenait en congé reçut pour une nuit l’hospitalité chez un pope. Ce pope avait une fille dont le soldat avait entendu parler en chemin : on lui avait dit qu’elle était en relations intimes avec un jeune homme. Le souper fut servi et les maîtres de la maison se mirent à table avec leur hôte. « Où sers-tu, militaire ? » demanda le pope. — À Piter[46], batouchka. » — « Eh bien ! vois-tu souvent le tsar ? — À chaque instant. — Et qu’est-ce qu’on dit de nouveau chez vous ? — J’ai bien entendu parler de quelque chose, mais ça ne peut pas se répéter. — Dis-le donc, mon cher ! — Tu le sauras, quand l’oukaze aura été promulgué. — Allons, parle, je t’en prie ! — Eh bien ! batouchka, » répondit le soldat vaincu par les instances de l’ecclésiastique, « il va y avoir une tenue obligatoire pour les femmes qui se font βαισερ : elles ne pourront être φουτυες qu’avec la tête et les pieds passés dans un collier de cheval ! Quelle sévérité on introduit maintenant partout ! Même pour faire l’amour, il faudra être en uniforme ! — Il n’y a rien à dire, le tsar est le maître ! » observa le pope. Sa fille, présente à cette conversation, n’en avait pas perdu un mot. Quand fut venu le moment de se coucher, elle prit place sur le poêle et le soldat monta dans la soupente. « Donne-moi une bûche, batouchka, » dit-il au pope. — Qu’est-ce que tu en feras, cavalier ? — C’est que la nuit, sans doute, les loups viennent chez vous. » Le pope se mit à rire, lui donna une bûche et dit à sa fille : « Vois-tu, on prétend qu’à Piter il n’y a pas d’imbéciles : eh bien ! ce soldat n’en est-il pas un, lui qui croit que les loups entrent comme ça dans une izba ? »

À minuit arriva l’amant de la jeune fille ; il s’approcha du poêle sur lequel elle était couchée et voulut faire l’amour avec elle, mais elle n’y consentit pas : « Apporte-moi un collier de cheval, » dit-elle, « le tsar vient d’instituer pour cela une nouvelle tenue, un soldat l’a dit aujourd’hui à mon père. — Et où trouverai-je un collier de cheval ? — Il y en a un pendu à un clou dans le vestibule. » L’amant courut chercher l’objet demandé, il passa le collier aux jambes de son amie, les lui releva en l’air le plus raide qu’il put, puis lui engagea la tête dans le collier. À peine avait-il commencé à βαισερ que le soldat sauta en bas de sa soupente, appliqua un violent coup de bûche sur le κυλ de l’amant et se mit à crier de toutes ses forces : « Batouchka, les loups ! » Le galant décampa sans finir son affaire, le pope et sa femme s’élancèrent vers le poêle, pour voir si, en effet, des loups n’étaient pas en train de dévorer leur fille ; le père l’empoigna par le κον, la mère par le κυλ : « Ah ! pauvre enfant, » s’écrièrent-ils, « les loups t’ont mangé la tête ! » Sur ces entrefaites, le soldat s’approcha du poêle avec une lumière ; les parents s’aperçurent alors que leur fille était vivante, mais qu’elle avait la tête et les jambes prises dans un collier de cheval. Le soldat, à cette vue, commença à crier : « Comment donc a-t-elle osé faire cela sans attendre l’ordre de l’empereur ? — N’en parle pas, militaire, » supplia le pope ; « voici cent roubles pour toi. » Le soldat prit l’argent et dit : « Allons, soit, batouchka, je lui pardonne à cause de sa bêtise, mais si c’était toi-même qui eusses ainsi φουτυ ta femme, tu n’en aurais pas été quitte pour mille roubles ! »



LXXI

MALICES DE FEMMES

Ma petite tante ! Je voudrais te demander… « — Allons, parle, qu’est-ce qu’il te faut ? — Je pense que tu peux toi-même t’en douter. » La tante comprit tout de suite de quoi il s’agissait : « Soit, Ivanouchka, je te ferais volontiers plaisir, mais tu ne connais pas nos malices féminines. — Peut-être, ma tante, ne suis-je pas non plus sans malice. — Allons, c’est bien, viens cette nuit sous notre fenêtre. » Enchanté, le gars attendit la nuit avec impatience et, quand elle fut arrivée, il se rendit dans la cour de son oncle ; mais cette cour était jonchée de chénevotte qui craquait sous les pas du jeune homme, tandis qu’il se dirigeait vers la fenêtre. « Regarde un peu, vieux, » dit la tante à son mari, « quelqu’un se promène autour de l’izba : n’est-ce pas un voleur ? » L’oncle ouvrit la fenêtre et demanda : « Qui est-ce qui rôde ici la nuit ? — C’est moi, mon oncle, » répondit le neveu. — « Quel diable t’a amené ici ? — Mais quoi, mon oncle ! Je viens d’avoir une discussion avec mon père : il prétend qu’il y a neuf rangées de poutres à ton izba, et je lui soutiens qu’il y en a dix. Voilà, je suis venu les compter. — Est-ce que le vieux diable a perdu la raison ? » dit l’oncle : « il a lui-même travaillé avec moi à la construction de ma maison, il doit bien savoir qu’elle compte dix rangées de poutres. — En effet, mon oncle, en effet ; je vais aller cracher au visage de mon père. »

Le lendemain, le gars dit à sa tante : « Eh bien, ma tante ! Ainsi il n’y a moyen de rien faire avec toi ! — Que tu es bête ! Quand ton oncle cause avec toi, comment puis-je aller te trouver ? Mais tu connais l’endroit où nous rentrons nos brebis, vas-y cette nuit et certainement tu m’y verras ! » La nuit venue, le gars ne manqua pas d’aller au rendez-vous qu’on lui avait donné, il se blottit dans un coin et attendit sa tante. Mais celle-ci dit à son mari : « Écoute, vieux, notre cour n’est pas tranquille, on dirait qu’il y est entré une bête féroce, nos brebis ont pris l’alarme : est-ce qu’un loup ne se serait pas introduit dans la bergerie ? » Le vieillard alla dans la cour et demanda : « Qui est là ? — C’est moi, mon oncle ! — Pourquoi le diable t’a-t-il amené à une pareille heure ? — Qu’est-ce que vous voulez, mon oncle ? Mon père ne me laisse pas de repos ; tout à l’heure nous avons failli en venir aux coups. — Pourquoi cela ? — Eh bien ! il dit que tu as neuf brebis et un bélier, moi je lui soutiens que tu as seulement neuf brebis, attendu que le bélier tu l’as tué. — Oui, tu as raison : le bélier, je l’ai tué pour un dîner de baptême. Le vieux diable lui-même a assisté à ce dîner et il a mangé du bélier ! Quoiqu’il soit mon propre frère, demain, quand je le verrai, je lui cracherai au visage ! — Et moi, quoiqu’il soit mon propre père, je vais aller lui arracher la barbe ; il ne peut même pas laisser dormir les gens ! Adieu, mon oncle ! — Porte-toi bien ! » Pendant ce dialogue, la tante se tordait de rire.

Le lendemain, son neveu, en l’apercevant, lui dit : « Ah ! ma tante, ma tante ! Comment n’es-tu pas honteuse ? Je n’arriverai donc jamais à rien avec toi ! — Eh ! Vania, Vania, que tu es bête ! Ton oncle cause avec toi, est-ce que je puis aller te trouver ? Voilà déjà deux fois que tu échoues, tâche d’être plus heureux à la troisième. Viens cette nuit dans notre izba, tu sais où nous couchons, tu me reconnaîtras au toucher : j’aurai le κυλ à l’air. » Dès que la tante se fut mise au lit avec son mari, elle lui parla en ces termes : « Écoute ce que j’ai à te dire : je ne puis plus y tenir, voilà six ans que j’occupe le bord du lit ; à présent changeons de place, je veux être contre le mur. — Cela m’est égal, » répondit le vieillard, et il se coucha sur le bord. Au bout d’un certain temps, la paysanne reprit la parole : « Eh ! patron, qu’il fait chaud dans l’izba ! Regarde un peu, le poêle est fermé, sans doute ». Ce disant, elle posa la main sur le κυλ de son mari. « Ah ! tu es toujours en caleçon ! Cela n’est pas permis ! Demande donc à Loukian ou à Karp s’ils couchent jamais en caleçon avec leurs femmes ! » L’époux sentit la justesse de cette observation, il ôta son caleçon et s’endormit, le κυλ à l’air. Au premier chant du coq, le neveu se glisse dans le vestibule, applique son oreille contre la porte : le silence règne dans l’izba. Il ouvre tout doucement, pénètre dans la chambre et se met à tâter autour du lit. Sa main rencontre un κυλ qu’il croit être celui de sa tante et qu’il attaque vigoureusement. L’oncle, assailli de la sorte, pousse les hauts cris et empoigne le membre coupable. « Qu’est-ce que tu as, vieux ? » demande la tante. — « Lève-toi vite, allume un copeau, » fait-il d’une voix forte ; « j’ai pris un voleur. » La tante sort précipitamment du lit ; feignant de croire que la maison brûle, elle court chercher de l’eau et éteint ce qui restait de feu. — « Pourquoi donc lambines-tu ainsi ? — C’est qu’il n’y a pas de feu ici. — Eh bien ! va vite en demander chez le voisin ! — Comment sortir à présent ? Il fait nuit, les loups rôdent dans le village ! — Que le diable t’emporte ! J’irai moi-même chercher du feu ; tiens le voleur et fais attention à ce qu’il ne s’échappe pas ! » L’oncle chercha une lanterne, ouvrit la grande porte, se rendit chez le voisin, le réveilla, lui apprit ce qui était arrivé et lui demanda du feu ; pendant ce temps, la tante resta dans l’izba avec le neveu. « Allons, » dit-elle, « maintenant fais de moi ce que tu veux ». Il la mit sur le lit et la besogna à deux reprises ; après quoi il s’esquiva.

Le jeune homme parti, la tante songea : « Que répondre à mon mari quand il me reprochera d’avoir laissé le voleur s’échapper ? » Heureusement pour elle, une vache avait mis bas peu de temps auparavant et son veau était attaché au lit des époux. La rusée commère saisit la langue du veau et la tint serrée dans sa main. Lorsque le mari revint avec de la lumière, il demanda : « Femme, qu’est-ce que tu tiens là ? — Je tiens ce que tu m’as mis dans la main. » Le paysan entra dans une violente colère, prit son couteau et trancha la tête du pauvre animal. « Qu’est-ce que tu fais ? » lui cria sa femme, « as-tu perdu l’esprit ou es-tu devenu enragé ? » Il ôta son caleçon et lui montra son κυλ : « Tiens, regarde comme il m’a léché ! Je crois que je n’aurais pas survécu à une nouvelle caresse de sa langue. »

La tante, ayant rencontré son neveu, lui dit : « Eh bien ! Vania, m’achèteras-tu de belles chaussures ? — Pourquoi pas ? Tiens, demain j’irai à la ville et je t’en achèterai. — Achète-m’en, Vania, je t’en récompenserai. » Mais le gars ne fut pas bête ; il alla prendre un chou cabus dans son potager, en détacha la tête, et, après l’avoir enveloppée dans un mouchoir, l’apporta à sa tante. « Tu m’as acheté des souliers, Ivanouchka ? — Oui. — Donne, que je les essaie. — Gagne-les d’abord. » Il la mena dans une remise, plaça le mouchoir sous sa tête et commença à la βαισερ. Pendant ce temps le chou qui servait d’oreiller à la tante rendait un son aigu. « Criez ou non, » dit-elle, « vous serez à mes pieds. — Tu pourras aussi les manger en pâté, » observa le neveu.



LXXII

SINGULIERS NOMS


Un paysan vivait avec sa femme ; il alla un jour labourer son champ et, à peine eut-il tracé un sillon, qu’il mit au jour une cassette pleine d’argent. Le moujik fut enchanté, il ramassa la cassette, mais au moment où il allait se l’approprier, survint un soldat qui, ayant vu l’argent, lui dit : « Écoute, paysan ! Cet argent est à moi. Si tu me le rends, tu trouveras une cassette remplie d’argent dans chacun des sillons que tu vas creuser ! » Le paysan réfléchit et finit par céder sa trouvaille au soldat. Ensuite il se remit à labourer, traça un sillon, n’y trouva rien, en traça un second et ne fut pas plus heureux. « Évidemment je n’enfonce pas assez le soc ! » pensa-t-il, et il creusa la terre plus profondément : le cheval avait grand peine à tirer le soc ! et toujours point de trésor. La femme du moujik vint lui apporter son dîner et l’accabla de reproches : « Quel dur maître tu es ! Tu ne crains pas Dieu ; vois donc comme tu as mis le cheval en sueur ! Pourquoi laboures-tu si profond ? — Écoute, femme ! » répondit le paysan, dès que je suis arrivé dans le champ et que j’ai eu tracé mon premier sillon, j’ai déterré une cassette pleine d’argent ; mais le diable a alors amené un soldat : Si tu me donnes cet argent, m’a-t-il dit, tu trouveras autant de cassettes semblables que tu creuseras de sillons aujourd’hui. Je lui ai donné ma trouvaille, j’ai recommencé à labourer, mais voyant que je ne déterrais rien, je me suis dit : C’est sans doute parce que je n’enfonce pas la charrue assez avant, et je me suis mis à faire des sillons plus profonds. J’ai labouré, labouré toute la journée, et je n’en suis pas plus avancé ! — Quel imbécile tu es ! Le bonheur s’est offert à toi et tu n’as pas su le garder. Mais de quel côté est allé le soldat ? — Tiens, voilà la direction qu’il a prise. — Eh bien ! je vais le rattraper ! » Et la paysanne se mit avec son jeune fils à la poursuite du soldat.

Après avoir marché un certain temps, elle aperçoit en avant d’elle, sur la route, un soldat qui porte dans ses mains une cassette. Elle le rejoint. « Bonjour, militaire ! Où vas-tu ? — Je vais en congé, ma chère ! — Et à quel village te rends-tu ? — À tel endroit. — Eh bien ! c’est là aussi que je dois aller ; faisons route ensemble. — Soit. » La femme et le soldat cheminent en compagnie, on se met à causer. « Comment t’appelle-t-on, ma chère ? — Ah ! militaire, mon fils et moi nous avons des noms qu’on n’ose pas dire. — Pourquoi cela ? Qu’on ait honte de voler, bien, mais on peut tout dire sans qu’il y ait lieu d’être honteux. — Eh bien ! vois-tu, je m’appelle Nasérou[47], et mon fils Nasral[48]. — Allons, qu’est-ce que cela fait ? » Ils arrivèrent à une auberge où ils se mirent en devoir de passer la nuit ; dès que le soldat se fut endormi, la paysanne lui enleva la cassette, éveilla son fils, et tous deux retournèrent chez eux. À son réveil le soldat chercha autour de lui et, ne trouvant plus l’argent, commença à appeler : « Nasérou, Nasérou ! » Le maître de la maison entendit ces mots : « Militaire, » dit-il, « va faire cela au privé. » Quand le soldat vit que la femme ne répondait pas à ses cris, il se mit à appeler l’enfant : « Nasral, Nasral ! » La-dessus colère de l’aubergiste : « Maudit troupier ! Il a fait ses ordures dans la chambre ! » Il saisit le soldat et le jeta à la porte.



LXXIII

LE POPE ET LE TSIGANE


Dans certain royaume vivait un Tsigane qui avait un père avancé en âge. Le vieillard tomba gravement malade et prit le lit ; son fils le soigna, puis il cessa de s’occuper de lui. Que le père demandât à boire ou n’importe quoi, le Tsigane faisait semblant de ne pas entendre, et n’avait qu’un désir : voir mourir le malade le plus tôt possible. « Eh ! mon fils, mon fils, » dit le vieillard, « tu as l’air de ne pas me considérer comme ton père ; et pourtant c’est moi qui t’ai engendré. — Père, » lui répond le fils, « je t’εμμερδε ! Ce n’est pas pour moi que tu m’as engendré, mais pour ton propre plaisir. Retourne dans le ventre de ta mère ; autrement, père, je te couperai en deux. » Le vieillard soupira et garda le silence. Au bout de quelque temps il mourut. On l’habilla et on le déposa sur un banc ; le cadavre du défunt, avec sa longue barbe, fut couché là, on brûla de l’encens dans l’izba, on fit tous les préparatifs d’usage : le Tsigane alla chercher un pope : « Bonjour, batouchka ! — Bonjour, Tsigane, quelle nouvelle ? — Mon père est mort, viens l’enterrer. — Est-il possible qu’il soit mort ? — Il est mort, sa fin a été douce ! sur le banc où il est couché il a l’air d’un Christ, et sa barbe est si bien arrangée ! viens chez nous, je te prie, tu verras comme son corps est blanc. Je crois même, batouchka, que c’est un saint, car il exhale une odeur d’encens ! — Eh bien ! Tsigane, as-tu de l’argent pour payer les funérailles ? — Pourquoi te donnerais-je de l’argent ? Pour cette charogne étendue sur le banc qui est noire comme un fumeron et montre les dents comme un chien enragé ! Et c’est pour cela que je te donnerais de l’argent ? Soit, ne viens pas l’enterrer, je te l’amènerai en le traînant par les pieds, tu en feras ce que tu voudras ! — Allons, c’est bien, c’est bien, » reprit le pope, « j’irai l’enterrer tout de suite. »

Le Tsigane revint chez lui où arriva peu après l’ecclésiastique. On célébra un service funèbre, on déposa le corps dans le cercueil, on le porta au cimetière et on l’enterra. « Se peut-il que tu ne me donnes aucune rétribution pour avoir enterré ton père ? » dit le pope au Tsigane ; « ce serait un péché de ta part. — Ah ! batouchka, » répondit le fils du défunt, « tu sais toi-même si les Tsiganes ont de l’argent : j’avais quelques groschs, je les ai dépensés tous pour le Requiem ; mais, batouchka, prends patience jusqu’à la foire, je gagnerai alors de l’argent et je te paierai. — Allons, c’est bien, mon cher, on peut attendre. » La foire eut lieu ; le Tsigane alla vendre des chevaux à la ville, l’ecclésiastique s’y rendit aussi pour ses affaires. Voilà qu’ils se rencontrent. « Écoute, Tsigane, » commence le pope, « il est temps que tu me paies ! — Que je te paie ? Mais est-ce que je te dois de l’argent ? — Comment, si tu m’en dois ! j’ai enterré ton père. — Ah ! voilà ce qui me tourmentait ! J’avais beau chercher mon père, je ne pouvais pas le trouver ; les pères des autres vendent des chevaux et le mien pas ; ainsi, barbe de bouc, tu as enterré mon père ! » Il saisit le pope par sa barbe, le renversa à terre, puis, détachant un fouet pendu à sa ceinture, se mit à le flageller : « C’est ta faute, barbe de bouc, si mon père ne vit plus ! Mais je vais te cingler avec mon knout ! » Le pope ne réussit qu’à grand’peine à se dégager des mains du Tsigane, il s’empressa de détaler et cessa dès lors de réclamer de l’argent à un tel débiteur.



LXXIV

LE BON POPE


Un pope loua un ouvrier, le ramena chez lui et lui dit : « Allons, travailleur, fais bien ton service, je ne t’abandonnerai pas. » L’ouvrier était là depuis huit jours quand arriva le moment de la fauchaison. « Allons, mon ami », lui dit le pope, « si Dieu le permet, nous passerons une bonne nuit et demain matin, nous irons faucher le foin. — Bien, batouchka ! » Le lendemain ils se levèrent de bonne heure. Le pope dit à sa femme : « Donne-nous à déjeuner, matouchka, nous devons aller faucher le foin dans la campagne. » L’épouse du pope mit la table. Le prêtre et l’ouvrier s’assirent et déjeunèrent copieusement. Puis le premier dit au second : « Par la même occasion, mon cher, nous allons dîner et nous faucherons sans interruption jusqu’à midi. — Comme il vous plaira, batouchka ; soit, dînons. — Sers-nous à dîner, matouchka », ordonna le pope à sa femme. Elle obéit et ils se remirent à manger. « Puisque nous sommes à table », dit ensuite le pope à l’ouvrier, « si tu veux, mon cher, nous allons goûter et nous faucherons jusqu’à l’heure du souper. — Comme vous voudrez, batouchka ; soit, goûtons. » La femme du pope servit le goûter auquel les deux hommes firent largement honneur. « Au fait, si du même coup nous soupions ? » observa ensuite l’ecclésiastique ; « nous passerons la nuit dans la campagne et demain nous pourrons nous mettre à l’ouvrage plus tôt. — Volontiers, batouchka. » La femme du pope leur servit à souper. Après ce repas, ils se levèrent de table. L’ouvrier prit son sarrau et se disposa à se retirer. « Où vas-tu, mon cher ? » lui demanda le pope. — « Comment, où je vais ! Vous savez vous-même, batouchka, qu’après le souper il faut aller se coucher. » Il se rendit à la remise et dormit jusqu’au lendemain matin. Depuis lors, le pope ne s’avisa plus de régaler en une seule fois son ouvrier d’un déjeuner, d’un dîner, d’un goûter et d’un souper.



LXXV

UN PARI


Un pope tenait une auberge sur une grande route ; les moujiks qui revenaient chez eux après avoir gagné de l’argent au dehors, allaient loger et dîner dans cette maison. Voilà qu’un jour le pope dit à un gars : « Eh bien ! mon cher, as-tu fait de bonnes journées ? As-tu gagné beaucoup d’argent ? — Je rapporte à la maison cinq cents roubles. — C’est une bonne affaire, mon ami ! Veux-tu parier avec moi ces cinq cents roubles contre mille que je te donnerai si tu gagnes ? — Quel pari pourrais-je faire avec toi ? — Voici : passe vingt-quatre heures chez moi, bois, mange autant qu’il te plaira, mais ne satisfais aucun besoin naturel : si tu remplis cette condition, tu auras gagné ; dans le cas contraire, c’est moi qui gagnerai. — Soit, batouchka ! » Le pari fut accepté. Le pope mit aussitôt sur la table toutes sortes de victuailles et de liquides ; le jeune homme mangea et but au point de ne plus pouvoir respirer. Le pope l’enferma dans une chambre particulière.

Avant que la journée fût finie, le paysan éprouva certain besoin, il ne put y tenir. « Que faire ? » dit-il à son hôte, « ouvre, batouchka, j’ai perdu mon pari ! » Le pope le soulagea de son argent et le renvoya chez lui entièrement nettoyé. Cette façon de grossir son pécule plut à l’ecclésiastique et il dévalisa encore, par le même procédé, deux ou trois autres moujiks. Le bruit s’en répandit dans les villages et dans les hameaux ; un malin paysan, qui retournait chez lui avec moins d’un grosch dans sa bourse, résolut de berner à son tour le pope. Il se présenta à l’auberge de ce dernier pour y passer la nuit. « D’où viens-tu ? » lui demanda l’ecclésiastique. — « J’ai été travailler au dehors et maintenant je retourne chez moi. — Rapportes-tu beaucoup d’argent chez toi ? — Environ quinze cents roubles. » À ces mots, peu s’en fallut que le pope ne sautât de joie. « Écoute », dit-il, « faisons un pari. Mange et bois tout ton saoul chez moi, mais pendant vingt-quatre heures ne satisfais aucun besoin ; si tu remplis cette condition, je te paierai quinze cents roubles ; si tu y manques, c’est toi qui me les paieras. Ça va-t-il ? — Soit, batouchka ! » Le paysan se mit à table et commença à se régaler ; le pope ne lui avait pas plus tôt apporté à boire et à manger qu’aliments et boissons étaient absorbés ; après s’être gorgé de nourriture et de liquides, le paysan roula par terre et s’endormit ; le pope l’enferma.

La nuit le moujik s’éveilla ; pris d’une violente envie de χιερ, il voulut enfoncer la porte, mais celle-ci résista à tous ses efforts. Le moujik aperçut, pendu à un clou, le gros bonnet du pope, il le prit, le remplit plus qu’à moitié, puis le remit à sa place et se recoucha.

Les vingt-quatre heures s’étant écoulées, notre homme cogna à la porte : « Ouvre, batouchka ! » Le pope ouvrit, promena ses regards autour de lui et ne vit de déjections nulle part. Alors le paysan le pressa de s’exécuter. L’ecclésiastique fit la grimace, mais force lui fut de payer quinze cents roubles. « Comment t’appelle-t-on, maudit ? » demanda-t-il, « je ne te laisserai pas partir avant de le savoir. — On m’appelle Kakofii, batouchka ! » répondit le moujik ; il prit son argent et s’en alla. Resté seul, le pope devint pensif : il regrettait ses quinze cents roubles· L’idée lui vint de faire une promenade à cheval pour se distraire ; il prit soit bonnet pendu au mur ; mais, lorsqu’il s’en coiffa, l’infect contenu de la chapka inonda la tête, le cou et les épaules du pope. Sa colère ne fit que s’accroître, il s’élança dans la cour et monta à cheval en toute hâte. Sur la grande route, il rencontra des voituriers. « Mes enfants, n’avez-vous pas vu Kakofii ? »[49] leur demanda le pope. — « Comment tu es, batouchka ? Il n’y a pas à dire, tu es beau ! Qui est-ce qui t’a si bien arrangé ? » Là-dessus le pope regagna sa demeure.



LXXVI

COMMENT JE SUIS[50]


Dans un certain royaume demeurait un paysan excessivement fripon. Ayant chipé une centaine de roubles, il s’enfuit de son village et, après avoir longtemps marché, se présenta chez un pope à qui il demanda l’hospitalité pour la nuit. « Entre, il y a place ici pour toi, » lui répondit le pope. Le paysan entra, se déshabilla, s’étendit sur un banc. L’idée lui vint de vérifier la somme qu’il avait sur lui, il la tira de sa poche et se mit à la compter. Le pope vit le paysan en train de se livrer à cette occupation (ils remarquent cela tout de suite !) et se dit : « Voyez donc, il est couvert de haillons, et quelle masse d’argent il a ! Je vais le faire boire et je profiterai de son ivresse pour le dévaliser ! » Peu après, le pope, s’approchant du moujik, lui dit : « Allons souper ensemble, mon cher ! — Merci, batouchka ! » répondit joyeusement l’autre. Ils se mirent à souper, le pope versait à chaque instant de l’eau-de-vie à son hôte, il ne lui laissait pas de repos ! Ces libations répétées enivrèrent le paysan, qui roula sur le parquet ; aussitôt l’ecclésiastique lui prit son argent, le serra dans un meuble et coucha le moujik sur un banc.

Le lendemain matin, quand le visiteur se réveilla, il ne trouva plus rien dans sa poche, et comprit ce qui en était, mais que faire ? S’il portait plainte contre le pope, on ne manquerait pas de lui demander comment il s’était procuré cet argent et d’où il venait lui-même ; il ne ferait que s’attirer de nouveaux désagréments ! Le moujik s’en alla donc ; pendant un mois, deux mois, trois mois, il traîna de divers côtés, ensuite il se dit : « Pour sûr, à présent le pope m’a oublié ; je vais m’habiller de façon qu’il ne me reconnaisse pas, je me présenterai chez lui et je lui ferai payer le tour qu’il m’a joué autrefois. »

Il se rendit au presbytère ; à ce moment le pope n’était pas chez lui, sa femme, seule, se trouvait à la maison. « Laisse-moi passer la journée chez toi, matouchka ! — Soit, entre ! ». Le paysan entra et s’assit sur un banc. « Comment t’appelle-t-on, mon cher ? D’où viens-tu ? » — « On m’appelle Kakofii, matouchka, et je viens de loin, je vais en pèlerinage. » Il y avait un livre sur la table du pope ; le moujik le prend, le feuillette, marmotte entre ses dents comme s’il lisait, puis fond en larmes. « Pourquoi pleures-tu, mon ami ? » lui demande la femme du pope. — « Comment ne pleurerais-je pas ? Il est dit dans la Sainte Écriture que chacun sera puni de ses péchés, et moi, pécheur, je commets tant de mauvaises actions, que je ne sais pas, matouchka, comment Dieu peut encore supporter mes fautes. — Tu sais lire et écrire, mon ami ? — Comment donc, matouchka ! Sous ce rapport, je n’ai pas à me plaindre de la Providence ! — Et connais-tu le chant d’église ? — Si je le connais ! Je crois bien, matouchka, je l’ai appris dès mon enfance ; je sais tout l’office ecclésiastique. — Eh bien ! mon ami, nous n’avons pas de chantre, le nôtre est allé enterrer son frère ; ne pourrais-tu pas, demain, prêter ton concours à mon mari pour la célébration de la messe ? — Certainement, matouchka, pourquoi pas ? »

Arriva le pope ; sa femme lui raconta tout. Il fut enchanté et régala de son mieux le moujik. Le lendemain matin, les deux hommes se rendirent ensemble à l’église. Le pope commença à dire la messe ; le paysan, debout dans le chœur, restait muet. « Pourquoi donc, au lieu de chanter, te tiens-tu debout sans rien dire ? » lui cria l’ecclésiastique. — « Soit, je vais m’asseoir puisque tu ne veux pas que je reste debout ! » répliqua le paysan, et il s’assit. Sur quoi, le pope cria de nouveau : « Pourquoi t’assieds-tu et ne chantes-tu pas ? — Eh bien ! je vais me coucher. » Et il s’étendit sur le parquet. Le pope s’avança vers lui et le mit à la porte, mais lui-même resta pour achever l’office. Le paysan retourna chez l’ecclésiastique. « Eh bien ! le service divin est fini ? » lui demanda la femme du pope. — « Oui, matouchka ! — Mais où est donc mon mari ? — Il est resté à l’église ; il doit enterrer un mort. Mais il m’a envoyé te demander sa pelisse neuve doublée de drap et son bonnet de castor : comme il a une longue route à faire, il veut se couvrir chaudement. » Pendant que la femme du pope allait chercher les deux objets demandés, le moujik passa derrière l’izba, ôta son bonnet, y fit ses ordures, et le déposa sur un banc ; ensuite il prit la pelisse du pope, son bonnet de castor et décampa.

L’ecclésiastique, sa messe finie, revint à la maison ; sa femme, le voyant vêtu de sa vieille pelisse, lui demanda ce qu’il avait fait de la neuve. — « Comment, de la neuve ? » Une explication eut lieu alors entre les époux et ils reconnurent que le paysan les avait trompés. Dans sa colère, le pope saisit le bonnet rempli d’ordures qui se trouvait sur le banc, le mit sur sa tête et courut dans le village à la recherche du fourbe ; mais, en se coiffant, il répandit sur son visage le contenu du malencontreux couvre-chef et en fut tout barbouillé. Il entra précipitamment dans une izba. « N’as-tu pas vu Kakofii ? » demanda-t-il au maître de la maison. — « Je vois comment tu es, batouchka ! tu es propre ! » Tous ceux que le pope questionne lui font la même réponse. « Quels imbéciles ! » se dit-il, « ils ne comprennent pas ce dont vous leur parlez ». Il courut tout le village, mais sans obtenir aucun renseignement sur son voleur. « Allons, » pensa-t-il, « ce qui tombe du chariot est perdu ! » Il rentra chez lui, se débarrassa de son bonnet, et, lorsque sa femme eut jeté les yeux sur lui, elle s’écria aussitôt : « Ah ! batouchka, tu as la figure toute couverte de boutons ! — Qu’est-ce que tu racontes ? » répliqua le pope ; il passa sa main sur son visage et se salit abominablement les doigts. Ainsi finit l’histoire.



LXXVII

LA FEMME DU MARCHAND ET LE COMMIS


Un marchand, vieux barbon, avait épousé une jeune femme, et il avait plusieurs commis. Son premier employé s’appelait Potap ; c’était un beau gars ; il se mit à faire la cour à sa patronne, à plaisanter avec elle, et il réussit à gagner ses bonnes grâces. On le remarqua, on en parla au marchand. Celui-ci dit à sa femme : « Écoute, mon âme, les gens disent que tu vis avec le commis Potap… — Allons donc, est-ce que je consentirais à cela ? N’en crois pas les gens, crois-en tes yeux ! — On dit qu’il s’est, depuis longtemps, procuré tes faveurs ! Ne pourrait-on pas le mettre à l’épreuve d’une façon quelconque ? — Eh bien ! » reprend la femme, « écoute-moi ; affuble-toi de mes vêtements, va le trouver dans le jardin (tu sais où il loge), et dis-lui à voix basse : J’ai quitté mon mari pour venir chez toi. Tu verras alors ce qu’il dira. — Soit ! » répondit le marchand. La jeune femme, profitant d’un moment propice, fit la leçon au commis : « Quand mon mari viendra, » lui dit-elle, « flanque-lui une bonne tripotée dont le drôle se souvienne longtemps ! « Le marchand attendit la nuit, s’habilla des pieds à la tête avec les vêtements de sa femme et se rendit au jardin du commis. « Qui est là ? » demanda celui-ci. — « C’est moi, mon âme ! » répond tout bas le marchand. — « Pourquoi cette visite ? — J’ai quitté mon mari et je suis venue chez toi. — Ah ! coquine ! On dit déjà que je te fais la cour, et tu veux, paraît-il, que je me rende tout à fait odieux à mon patron ! » Ce disant, il accable le marchand de coups sur les épaules, sur le dos, bref, il lui donne une peignée complète : « Ne viens plus chez moi, gredine, ne me déshonore pas ; pour rien au monde je ne consentirai à de pareilles infamies ! » Le marchand s’échappa tant bien que mal, revint en toute hâte auprès de sa femme et lui dit : « Non, ma chère, à présent on aura beau me dire que tu vis avec le commis, je ne le croirai pas. Il s’est mis à m’injurier, à me vilipender et à me battre ; j’ai eu beaucoup de peine à me débarrasser de lui ! — Vois-tu ! Et tu crois tout ce qu’on te dit ! » reprit la marchande qui, à partir de ce jour, vécut sans aucune crainte avec le commis.

FIN
  1. Où est le peuple, il y a des gémissements.
  2. Le tchetvérik = 2,621 décalitres.
  3. Ce conte a été recueilli dans le gouvernement de Voronèje.
  4. Recueilli dans le district de Maloarkhangelsk.
  5. Variante. — « As-tu vu l’évêque ? — Oui. — Comment est-il donc ? — Il marche à quatre pattes, on le conduit enchaîné, il a un anneau d’or passé dans le nez, et les chiens aboient après lui. »
  6. Fils de pan ou de gentilhomme, appellation polie usitée en Ukraine quand on adresse la parole à un jeune homme.
  7. Endroit où l’on met le grain, la farine et quelquefois d’autres denrées.
  8. Enclos où l’on place des meules de blé.
  9. Variante. — Le paysan apprit à la dame qu’il fallait dire : No ! et Tprrou ! Au premier de ces commandements le υιτ entrait dans le trou, au second il en sortait, etc.
  10. Variante. — La dame envoie le laquais chercher une boîte chez elle, en lui défendant de l’ouvrir, mais en route il contrevient à cette défense, vaincu par la curiosité. À la vue du contenu de la boîte, il hoche la tête et dit : « Nou, nou, nou ! » (Eh bien ! eh bien ! eh bien !) Les deux υιτς lui entrent aussitôt dans le κυλ et le tourmentent longtemps ; par bonheur, il fait la rencontre d’un charretier qui crie à son cheval : « Tprrou ! » Ce mot mit tout de suite fin au supplice du laquais.
  11. Variante. — Le moujik, fatigué, se coucha et s’endormit, mais, pendant son sommeil, l’anneau qu’il avait gardé au doigt glissa de l’ongle jusqu’à la deuxième phalange ; instantanément le υιτ du dormeur atteignit la longueur de sept verstes ; étendu par terre, il ressemblait à un immense tronc de chêne. Soudain contre cet obstacle vient se heurter une voiture à trois chevaux qu’un jeune barine menait à toute vitesse. Crac ! l’essieu se brise ! Qu’est-ce que c’est que cela ? En suivant le υιτ, on arriva jusqu’au moujik. Le barine le réveilla. « Comment se fait-il, dis-moi, que tu aies un si grand υιτ ? » Le paysan raconta son histoire. « Vends-moi ton anneau. — Achète-le. — Combien coûte-t-il ? — Cent roubles. » Le gentilhomme déboursa les cent roubles et continua sa route. Chemin faisant, il mit l’anneau à son doigt et vit avec épouvante son membre prendre des proportions monstrueuses. Il revint trouver le moujik, qui, après s’être fait donner encore cent roubles, lui retira l’anneau du doigt.
  12. Variante. — Le gendre dormait couché dans l’izba, son υιτ se dressait haut d’une coudée ; la belle-mère se jucha dessus en montant sur un tas de foin ; l’anneau se déplaça, le υιτ s’éleva de plus en plus haut, passa à travers le plafond, perça le toit et reparut au niveau de la cheminée, portant toujours la belle-mère à son bout.
  13. Variante. — Il y avait un pauvre homme appelé Ivan, dont le υιτ était long d’une toise et demie. Il travaillait comme ouvrier chez un marchand. Un jour, pendant qu’il pissait, la fille de son patron eut occasion de remarquer la longueur de son υιτ et elle l’épousa. Ivan possédait un anneau enchanté. (Le récit se continue par l’histoire de la belle-mère).
  14. Variante. — « Que fait ce cheval ? — Il cherche des yeux les autres chevaux. — C’est vrai, c’est vrai ! — Si ce n’était pas vrai, madame, je ne le dirais pas. » Voilà qu’un coq couvre une poule. « Qu’est-ce que c’est que cela ? — Il pleut aujourd’hui ; eh bien ! il la protège contre la pluie. — C’est vrai, c’est vrai ! — Si ce n’était pas vrai, je ne le dirais pas. » Le coq et la poule s’accouplent. « Qu’est-ce qu’ils font ? — Demain c’est fête, ils vont en visite, l’un portant l’autre. — C’est vrai, c’est vrai !! »
  15. Banc près du poêle dans les chaumières des paysans Russes.
  16. Endroit où couche le bouvier et où on met, en hiver, les veaux et les animaux malades ; c’est aussi là qu’on trait les vaches.
  17. Recueilli dans le gouvernement de Vologda.
  18. Variante. — Le gars répondit naïvement : « En haut c’est un κυλ, et en bas un κον. — Eh bien ! mon ami, descends de la charrette et va te faire φουτρε. Je ne puis pas te ramener chez moi, ma femme ne nous laisserait pas entrer : elle déteste mortellement les gens qui disent des paroles ordurières. »
  19. Variante. — Le pope arriva chez lui avec l’ouvrier. La popadia, qui était assise sur un banc, releva sa robe, écarta ses jambes et dit au jeune homme : « Regarde, qu’est-ce que j’ai là ? » L’ouvrier feignit l’épouvante et fit mine de s’enfuir ; la femme du pope le retint : « De quoi as-tu peur, petit imbécile ? Ce n’est rien, vraiment. » Alors la fille du pope, relevant sa robe, demanda à l’ouvrier : « Et moi, qu’est-ce que j’ai ? » Tremblant de frayeur, le gars paraissait vouloir prendre la fuite. « Allons, » dit la femme du pope. « nous ne te ferons plus peur, mon cher, mais rappelle-toi ce que je vais te dire : j’ai entre les jambes une prison et ma fille a une prison encore pire : celui qui se rend coupable d’un vol ou de quelque autre méfait, c’est là que nous le mettons. »
  20. Variante. — L’ouvrier usa de finesse : il vola une cuiller d’argent et l’attacha à son υιτ avec un chiffon de tille. La femme du pope se mit à visiter le jeune homme, elle lui ôta son pantalon et découvrit la cuiller. « Ah ! » s’écria-t-elle en riant, « le diable t’a tenté ! Et pourtant je t’avais dit que le vol était puni de la prison ! — Mais moi-même, matouchka, je suis sans pitié pour les voleurs ; le coquin qui s’est rendu coupable d’un tel délit, il faut le mettre dans la pire des prisons ! » Le pope et sa femme comprirent ce que signifiaient ces paroles. « Pour la première fois, on peut pardonner, » répondirent-ils. — « Vous pardonnez, » reprit l’ouvrier, mais moi je ne pardonne pas, ma réputation en souffrirait ! Je vais fourrer le drôle dans la pire des prisons ! » À force de prières, d’instances, de supplications, les deux époux obtinrent la grâce du voleur : l’ouvrier consentit à ne point le fourrer dans la prison de la jeune fille et reçut en retour une somme de cent roubles. Ainsi finit l’histoire.
  21. Variante. — Le pope avait une truie pleine. Après le départ de l’ecclésiastique et de sa femme, elle mit bas et donna le jour à onze petits. « Notre truie a fait des jeunes ! » s’écria la fille du pope ; « ah, comme je désirais avoir un cochon de lait ! — Eh bien quoi ? » dit l’ouvrier ; « prenons-en un, nous le tuerons et nous le ferons rôtir. — Mon père le saura. — Allons donc, comment le saura-t-il ? Parce qu’il est pope, n’est-ce pas ? Une truie n’a pas toujours le même nombre de petits : c’est tantôt six, tantôt dix ou plus. » Ils prirent un des cochons de lait, le tuèrent et, après l’avoir échaudé, le placèrent sur une lèchefrite qu’ils mirent dans le poêle. Bientôt toute la maison fut remplie de fumée. Pendant ces opérations culinaires, la jeune fille et l’ouvrier aperçurent tout à coup le pope qui revenait chez lui : quel diable le ramène ? que faire ? où mettre le cochon de lait ? « Passe ta tête par la fenêtre, » dit l’ouvrier à la fille du pope, « et regarde si ton père est encore loin, moi, je cacherai la bête. » Tandis qu’elle se penchait à la croisée, l’ouvrier fourra le cochon de lait sous une natte ; ensuite il ôta son pantalon, et releva la robe de la jeune fille. « Qu’est-ce que tu fais ? — Je cache là le cochon ! Personne ne l’y trouvera. » Au cours de l’opération, la pauvrette pousse des cris de douleur : « Ah ! que cela fait mal ! Je suis sûre que je saigne ! — Prends patience, je le cache comme je peux. » Arrive le pope : « Pourquoi y a-t-il tant de fumée dans l’izba ? — C’est, sans doute, qu’il y avait un fumeron dans le poêle, » répondit l’ouvrier ; « voyez, votre fille s’est brûlée, elle a complètement changé de visage. » Dès ce moment la jeune fille devint enceinte. Sentant l’enfant qui s’agitait dans son sein, elle dit à l’ouvrier : « Sais-tu une chose ? le cochon de lait que tu m’as fourré dans le ventre, y est revenu à la vie ! — Vraiment ? — Je te l’assure ! Il se remue tellement ! — Eh bien ! on peut le faire sortir en lui présentant du pâté. » La fille du pope prit un restant de pâté, alla à la remise où se trouvait la charrette et, mettant son pied gauche sur la roue, Cria : « Tchoukh, tchoukh, tchoukh ! »
  22. Variante. — La femme du pope partit avec le moujik pour assister au repas de baptême. Arrivée en rase campagne, force lui fut de s’arrêter pour satisfaire un besoin, après quoi, la popadia voulut se laver les mains dans une flaque d’eau : elle ôta un anneau qui se trouvait à son doigt et le déposa à terre ; le moujik le prit et le mit dans sa poche. La suite du récit est la même que plus haut. L’anneau est retrouvé de la façon dont l’ont été les boucles d’oreilles dans l’histoire qu’on vient de lire.
  23. Comparer avec le conte XLIV.
  24. Variante. — Il s’approcha de la table et dit : « Eh ! mère, tu as mangé une omelette avec l’ouvrier. » mais tu as épanché de la glaire. » Là-dessus, il saupoudra de sel la prétendue glaire et se mit à la lécher. (Ainsi se termine le conte.)
  25. Variante. — Un bottier faisait route, un tailleur l’accosta et lui dit : « Bonjour, bon voyage ! — Bonjour ! — Puis-je t’accompagner ? — Soit, viens avec moi. » Ils partent ensemble et rencontrent un Allemand qui leur dit : « Bonjour, bon voyage, mes amis ! Voulez-vous m’accepter pour compagnon ? — Est-ce que nous pouvons être tes compagnons ? nous sommes Russes et tu es Allemand ! — Prenez-moi avec vous, mes amis ! — Allons, viens ! « (Pour la suite, le récit diffère peu du précédent). Les voyageurs s’arrêtent chez une veuve pour y passer la nuit ; nonobstant les résistances de la maîtresse de la maison, le bottier se couche près de la fenêtre, le tailleur s’étend sur un banc près du poêle, et l’Allemand se met dans une auge qu’il a, au préalable, suspendue au plafond. Arrive le galant de la veuve. « Chère, » dit-il, « laisse-moi au moins t’embrasser ! » Le bottier lui présente son κυλ ; l’amant le baise. « Quel large museau elle a ! » observe-t-il. Ensuite, le bottier pisse dans la bouche de l’Allemand, et celui-ci tombe par terre. « L’Allemand est malin, » dit le bottier, « mais nous l’avons attrapé tout de même. »
  26. Variante. — « Pour ton bon fricot ».
  27. Variante. — Il y avait dans un village un pope qui vivait avec sa fille unique Catherine et un ouvrier. Un jour, tandis que la jeune fille chauffait le poêle, l’ouvrier se tenait devant le feu et son membre très excité pointait sous sa chemise. La popovna le remarqua. « C’est, » demanda-t-elle, « une fusée qui fait ainsi saillir sous ta chemise ? — Ah ! mademoiselle, ce n’est pas une fusée, mais un peigne. — Comment, un peigne ? Est-ce que tu ne peux pas me peigner une fois ? — Quels yeux convoiteurs tu as, mademoiselle ! Tu ne peux rien voir sans le demander ! » Sur ce, l’ouvrier se mit à peigner la popovna et il renouvela l’opération jusqu’à ce que la jeune fille se trouvât dans un état de grossesse avancé. Alors il se fit régler son compte par le pope et décampa.
  28. Variante. — La popovna chercha son peigne dans la rivière ; arriva le pope qui se mit à fouiller avec elle au fond de l’eau ; il releva sa soutane ; quant à son pantalon, il l’avait laissé sur la rive. La jeune fille, apercevant le υιτ de son père, commença à crier : « Batouchka, rends-moi mon peigne ! » Le pope resta interloqué, mais sa fille poursuivit de plus belle : « Rends-moi mon peigne ! »
  29. Comparez avec le conte XLVI.
  30. Variante. — Le pope se rendit chez le moujik ; la porte de celui-ci était fermée, l’ecclésiastique regarda par une fente : le moujik était en train d’écorcher les vaches du pope pour en faire des salaisons.
  31. Variante. — Judas.
  32. Variante. — Dans un autre manuscrit, ce conte se termine de la façon suivante : Le pope revint chez lui. Or, il avait un ouvrier à qui il était convenu de donner cent roubles par an, mais depuis sept ans qu’il l’avait à son service, il ne lui avait pas encore donné un grosch. L’ouvrier commença à réclamer avec instances son salaire, et le pope lui dit : « Tu demeures chez moi depuis sept ans et pas une seule fois tu ne t’es approché des sacrements. Commence par te confesser et après cela je te réglerai ton compte. » L’ouvrier vint donc trouver le pope au tribunal de la pénitence. « Avoue-le, mon cher, » lui dit l’ecclésiastique, « tu as peut-être détourné le bétail de quelqu’un, c’est un grand péché ! — Non, batouchka, je ne me suis pas rendu coupable de cela, mais puisque je suis ici pour me confesser, je t’avouerai que pendant sept ans j’ai βαισέ ta belle-fille. — Il ne s’agit pas de cela, mon cher, mais n’as-tu pas enlevé les vaches de quelqu’un ? — Je n’ai pas commis ce péché, batouchka, mais voici ce dont je m’accuse devant toi : j’ai fait la conquête de ta femme ! — Finis-en avec les bêtises, mon cher ! Je te demande si tu n’as pas chassé mes vaches hors de chez moi. — Non, batouchka, je n’ai pas un tel péché sur la conscience, mais, il n’y a pas à le cacher, mon υιτ se dresse même contre toi ! — Sois maudit, damné que tu es ! » Le pope régla ensuite le compte de son pénitent et il resta sans ouvrier comme sans vaches.
  33. Le grivennik = 10 kopeks ou 40 centimes de notre monnaie.
  34. Pièce de cinq kopeks.
  35. On appelle ainsi les ouvriers employés au halage sur le Volga.
  36. Variante. — Quand la popadia eut régalé le moujik, elle lui dit : « Maintenant, viens dans ma chambre ; nous causerons de nos parents ; toi, mon frère, tu me mettras au courant de ton existence et je te raconterai la mienne. » Le bourlak la suivit dans la chambre, mais un soupçon entra dans l’âme du pope ; il s’approcha de la porte et regarda par la fente : le moujik était couché avec la popadia et la pressait à faire trembler le lit. À cette vue, le pope ne douta plus de son infortune conjugale, toutefois il n’osa pas surprendre les coupables : « Si je les dérange, » se dit-il, « le moujik me tuera avec son υιτ. Évidemment il n’y a rien à faire. »
  37. Voir le conte LII.
  38. Vêtement que portent les paysannes Russes.
  39. Endroit où on conserve le blé, la farine et parfois d’autres denrées.
  40. Comparer avec le conte LXIV.
  41. Voici un autre commencement de ce conte : Un moujik pauvre, Vanka le gueux, voulait épouser la fille d’un riche marchand. Pour tromper le père, il s’avisa d’aller lui emprunter une mesure à mesurer l’argent. « Pour sûr, ce moujik est riche, » pensa le marchand et il lui donna sa fille. Mais Vanka ne tarda pas à dissiper toute la fortune de sa femme. Celle-ci usa alors d’artifice. Un dimanche, elle alla à la messe. Un propriétaire la vit, s’approcha d’elle, la plaignit d’avoir un mari ivrogne et finit par lui dire : « Eh ! Marie Dmitrovna, n’y aurait-il pas moyen de passer une petite nuit avec toi ? — Si, » répondit-elle, « mais lorsque mon mari ne sera pas à la maison. » Quand, la messe finie, elle quitta l’église, le pope courut après elle et lui demanda : « Ne pourrait-on pas, Marie Dmitrovna, te βαισερ une petite fois ? — Si, » dit-elle ; « viens en l’absence de mon mari. » (Parfois, au lieu du propriétaire, c’est un vayvode qu’on fait figurer dans ce récit). De retour chez elle, Marie Dmitrovna raconta tout à son mari. Aussitôt il se mit à circuler dans le village et, en passant devant la maison du propriétaire, il dit d’une voix forte : « Vanka le gueux va faire la fête toute la nuit au cabaret du Tsar ! — Entre chez moi, » lui cria le propriétaire, « je te régalerai. — Est-ce que tu crois que je n’ai pas d’argent ? » répondit Vanka. Ensuite il se dirigea vers la cour du pope et là il répéta encore à haute voix. « Vanka va faire la fête toute la nuit au cabaret du Tsar. » Le propriétaire n’eut pas plus tôt entendu ces paroles, qu’il fit une toilette élégante et se rendit chez la femme de Vanka. Elle l’invita à se mettre à table, mais comme elle était en train de lui servir des rafraîchissements, Vanka le gueux revint tout à coup à la maison. « Ah ! Marie Dmitrovna, » où me cacherai-je ? — Fourre-toi dans le coffre. » Le propriétaire s’y introduisit. Le mari entra et commença à tempêter contre sa femme : « Peste soit de toi ! Comment n’es-tu pas encore couchée à cette heure-ci ? » Il fit beaucoup de tapage, puis s’en alla. Peu après arriva le pope. La même mésaventure advint à ce nouveau visiteur : il se cacha dans le coffre et s’assit sur le propriétaire ; ce dernier le prit par la barbe : « C’est toi, batouchka ? — Oui, mon cher. » Vanka le gueux attela sa charrette, y mit le coffre et alla le jeter à la rivière. Ce ne fut pas sans peine que le pope et le propriétaire purent se sauver, Vanka resta en possession de leurs vêtements ainsi que de tout l’argent qui se trouvait dans leurs poches, et il vécut dès lors dans l’aisance avec sa femme.
  42. Variante. — Le pope arriva, et il venait à peine de boire un petit verre quand le mari cogna à la porte de l’izba. Que devenir ? « Assieds-toi ici, » dit la femme, et manœuvre ces meules ; à présent il fait sombre, il ne te reconnaîtra pas ; je lui dirai que c’est ma tante qui travaille. » Le pope se mit à la besogne. Dès que Vanka fut entré dans la maison, il appliqua une forte tape sur l’oreille de l’ecclésiastique : « Travaille, ma tante, travaille ! » Ensuite il cria à sa femme : » Allume du feu ! » Elle obéit. Vanka, regardant alors le pope, l’interpella violemment : « Eh ! diable velu, pourquoi es-tu venu ici ? » Force fut au pope d’avouer ce qu’il en était : « Je suis venu voir ta femme. — Donne cinq cents roubles pour ta rançon ! — Je te les donnerai, » répondit le pope, « mais laisse-moi la vie sauve ! — Il faudra aussi que tu chasses le diable de ma maison. » Le pope prit la croix et entonna un Te Deum. Vanka ouvrit le coffre, le propriétaire en sortit aussitôt dans un état de malpropreté repoussant et voulut prendre la fuite ; Vanka l’arrêta, lui extorqua aussi une rançon de cinq cents roubles et vécut dès lors à l’abri du besoin.
  43. Femme d’un forgeron.
  44. Variante. — Au lieu d’un forgeron, c’est quelquefois un peintre qui figure dans ce récit. Un Tsigane était allé voir secrètement la femme d’un peintre, lorsque ce dernier revint chez lui. Le visiteur chercha où se cacher. « Mets-toi tout nu, » lui dit l’artificieuse créature, « je te placerai dans l’atelier ou sont les icones. » Le mari entra et demanda : « Est-ce que les ouvriers ont bien travaillé ? — Va toi-même à l’atelier, tu le verras. » Le mari y alla avec sa femme. Le Tsigane était debout contre le mur, les bras étendus comme un Christ crucifié. Le peintre le regarda : « Qu’ont-ils fait là ? » observa-t-il ; « on dirait que c’est Saint Joannice, seulement il a un bien grand υιτ, il y a pour croire que c’est Saint Athanase, seulement il n’a pas le υιτ attaché comme nous ! Ça a l’air d’être Saint Onésime, mais son υιτ descend bien bas ! » Il prit une bougie et en approcha la flamme des parties génitales du Tsigane. Celui-ci ne fit qu’un saut jusqu’à la porte et s’élança hors de la maison. Le lendemain, le peintre, apercevant le Tsigane dans la rue, au milieu de plusieurs personnes, vint se mêler au groupe. « Ah ! mes amis ! » commença-t-il, « qu’est-ce qui est arrivé hier chez moi ! Les Saints ont pris la fuite… » À ces mots, le Tsigane ne put se contenir : « Je t’εμμερδε, « répliqua-t-il au peintre, » quand tu leur brûleras encore le υιτ, ils ne se sauveront plus comme cela. »
  45. Sorte de tabac de qualité inférieure.
  46. Nom populaire de Saint-Pétersbourg.
  47. Cacabo.
  48. Cacavi.
  49. La phrase Russe : « nié vidali Kakofia ? » (n’avez-vous pas vu Kakofii ?), prête au calembourg : lue en quatre mots : « nié vidali kakof ia ? elle signifie : « n’avez-vous pas vu comme je suis ? »
  50. Voir le conte LXXV.