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Contre l’antisémitisme/03

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P.-V. STOCK (p. 10-13).


I

CONTRE L’ANTISÉMITISME




M. Émile Zola vient de commettre une action abominable. Il a défendu les Juifs ou plutôt il a attaqué l’antisémitisme. Qu’attendre d’un homme qui a du sang italien dans les veines ? Un Français de France n’eût point osé faire chose semblable. Sarcey lui-même a renoncé à intervenir en faveur de cette tribu de déicides qui, chacun le sait, dévore les petits enfants chrétiens, tombe en des convulsions de rage au saint nom de Jésus-Christ, un des rares Juifs qui ne soient pas maltraités par les antisémites, et dispose d’une puissance si formidable qu’elle écraserait en un jour l’antisémitisme si elle le voulait, ce dont chacun s’aperçoit.

Drumont n’a pas laissé passer cette algarade de l’auteur de Rome sans lui dire son fait, et il a ouvert son mandement par quelques paroles à mon adresse, si aimables qu’il m’en voudrait de ne pas lui dire que son article n’était pas bon. Il fera bien à l’avenir, et c’est là un conseil désintéressé, de surveiller son argumentation, de choisir ses raisonnements et de soigner sa logique. Sa réponse est vraiment un peu embrouillée : Coppée, Halévy, les prophètes, Enguerrand de Marigny, Swedenborg et Rouanet, Carlyle et le baron de Hirsch, le centenaire de Tolbiac et les pauvres religieux que les francs-maçons traquent « comme des Outlaws », le couvent des Oiseaux et Fourmis se rencontrent au long des trois colonnes de la Libre Parole, dans le plus joyeux pêle-mêle. Jamais le bon public antisémite ne se reconnaîtra là-dedans. Mais enfin ce n’est pas là mon affaire et Drumont doit savoir mieux que moi ce qu’il lui faut et quels sont les plaisirs, artistiques ou autres, qu’il sait goûter.

Mais je ne veux pas faire de critique littéraire, et ce que je dis là est pour constater une fois de plus l’art infini que met Drumont à ne jamais répondre.

Zola lui dit que l’antisémitisme est une conception barbare, médiocre, inférieure, il riposte en blâmant les gens du monde qui lisent Germinal — et oublient sans doute, pendant ce temps, de méditer sur la France juive. Il ne s’agit pas de cela, et le geste de la Mouquette n’a rien à voir avec la guerre aux Juifs. J’ai, quant à moi, souvent demandé à M. Drumont de s’expliquer sur certains points obscurs de sa doctrine. Je n’en ai jamais su tirer que des renseignements sur sa famille et sur ses débuts dans le journalisme, et encore ne m’a-t-il pas tout dit et il m’a laissé apprendre indirectement bien des choses.

Cependant aujourd’hui il a glissé dans son réquisitoire quelques phrases qui m’ont tout l’air d’un programme précis. Il faut donc les reproduire.

« Les antisémites, écrit-il, se sont proposé de délivrer les travailleurs écrasés par tous les monopoles juifs, exploités de toutes les façons par des entrepreneurs de ventes à crédit, dépouillés des quelques économies qu’ils ont pu parfois réaliser à grand’peine, par des flibustiers sans vergogne ». Est-ce tout ? Eh bien, vraiment, voilà qui n’est pas brillant, surtout pour un sociologue. Comment, Drumont, vous avez fait tant de livres, écrit tant d’articles — dont quelques-uns étaient bons — uniquement pour faire supprimer les établissements de vente à crédit juifs, les monopoleurs juifs et les exploiteurs juifs ? Et les monopoleurs, les exploiteurs, les entrepreneurs chrétiens qu’en ferez-vous ? Vous les supprimerez aussi ? Alors pourquoi êtes-vous seulement antisémite ? Vous les garderez ? Alors votre sociologie devient inférieure. Vous allez protester par quelques périodes ronflantes. Je vous connais, vous êtes capable, pour la circonstance, de sortir quelque citation de Voltaire ou de Proudhon. Il y a aussi quelques phrases de Fourier que je vous signale et quelques autres de Marx que je pourrais vous donner ; ça nous changera un peu de « l’enfer excrémentiel » de Swedenborg qui ne peut pas toujours servir et des aphorismes du baron de Billing qui manquent un peu de notoriété.

Cependant je vous avertis que cela ne saura pas m’émouvoir. Écoutez-moi, Drumont, vous ne connaissez pas les Juifs, ou du moins vous ne les connaissez pas tous. Il y en a un grand nombre qui ont gardé des persécutions anciennes une déplorable habitude : celle de recevoir des coups et de ne pas protester, de plier l’échine, d’attendre que l’orage passe et de faire les morts pour ne pas attirer la foudre. J’en sais qui ont des conceptions différentes. Je suis de ceux-là et je ne suis pas le seul. J’en sais bien d’autres, et dans ce journal même, qui sont partisans de moins de mansuétude. Ceux-là en ont assez de l’antisémitisme, ils sont fatigués des injures, des calomnies et des mensonges, des dissertations sur Cornéliuz Herz et des prosopopées sur le baron de Reinach. Et demain ils seront légion, et s’ils m’en croyaient, ils se ligueraient ouvertement, bravement contre vous, Drumont, contre les vôtres, contre vos doctrines ; non contents de se défendre, ils vous attaqueraient, et vous n’êtes pas invulnérable, ni vous, ni vos amis.

Vous allez rire et me répondre que nous ne sommes pas près de voir se fonder une association de Juifs contre l’antisémitisme. C’est possible, mais en attendant vous ne douterez pas si je vous dis que, à deux ou trois seulement, il serait possible de vous empêcher de vous dérober.

Il y a des Juifs, mon bon Drumont, qui gagnent quarante sous par jour et les Rothschild ne les invitent pas au mariage de leurs filles, ils préfèrent y convier les papas des bons jeunes gens des cercles catholiques et de l’Union nationale que vous haranguez du haut de votre balcon.

Je vous le demande, croyez-vous que les travailleurs de France, dont le sort vous préoccupe tant, seront plus heureux quand ils seront sous la coupe des industriels qui font patronner leur établissement par Notre-Dame de l’Usine ? Donnez-moi donc une fois votre avis sur le capital chrétien et dites-moi si sincèrement vous ignorez que l’antisémitisme sert uniquement les intérêts des capitalistes catholiques, des petits bourgeois catholiques et que le dernier de ses soucis est précisément le sort du prolétariat ?

Quand vous aurez répondu à cette question, je pourrai vous en poser d’autres et nous ne sommes pas encore au bout.


En réponse aux questions que je posais, M. Drumont publia dans la Libre Parole du 22 mai, un article auquel il voulut bien donner pour titre : Un Émule de Zola. Cet article commençait ainsi :

« Pour une fois que j’ai eu la faiblesse de dire quelque chose d’aimable à un Juif, je n’ai vraiment pas eu de chance. J’avoue que j’avais trouvé dans l’antisémitisme, son histoire et ses causes de Bernard Lazare, quelques pages empreintes d’une certaine impartialité[1]. Je l’ai dit, et M. Bernard Lazare en profite aujourd’hui pour m’être désagréable à propos de l’article de Zola. Que voulez-vous ? La race est comme cela… »

Dans le Voltaire du 24 mai, je répondis à M. Drumont.



  1. Voici ce qu’écrivait à propos de ce livre M. Édouard Drumont dans la Libre Parole du 10 janvier 1895 : « C’est un livre remarquable, ai-je dit, que cet essai d’histoire de l’Antisémitisme ; c’est un livre fort nourri de faits et dominé d’un bout à l’autre par un bel effort d’impartialité, par la consigne donnée au cerveau de ne pas céder aux impulsions de la race. »