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Contre le repos

La bibliothèque libre.
Odes et PoèmesMichel Lévy frères (p. 242-245).
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V

Contre le repos


 
Va ! marche au but suprême où marche toute chose :
Vois, d’un souffle divin l’espace est tourmenté ;
Quel globe est endormi ? quel astre se repose ?
Toi seul tu prétendrais à l’immortalité !

Attends-tu là, couché, que le désert t’apporte
Ses fontaines d’eau vive où tu veux t’étancher ;
Et, venu pour toi seul, que Dieu frappe à ta porte,
Sans que tu daignes faire un pas pour le chercher ?

Ses bras te sont tendus ; va toi-même, et réclame
La part qui te revient d’air pur et de soleil ;
Et s’il pleut quelque part de la manne pour l’âme,
Sache, pour la cueillir, t’arracher au sommeil.

Suis l’instinct qui t’invite à sortir de toi-même,
Si tu veux croître en force, en sagesse, en beauté ;

Vois le saint univers qui t’appelle et qui t’aime :
Cherche en lui ce qui manque à ta divinité.

Monte sur les sommets, fouille dans les cavernes ;
Aux astres, aux volcans, allume tes flambeaux ;
Agrandis chaque jour l’empire ou tu gouvernes ;
De ton sceptre brisé réunis les lambeaux.

Dompte les éléments et rends-les tributaires ;
Mets aux chaînes Protée ; emploie à tes desseins
La nymphe des glaciers et l’esprit des cratères ;
Multiplie, ô Titan ! tes sublimes larcins.

Du vol de la pensée aide tes bras trop frêles ;
La volonté des monts sait courber les sommets ;
Fatigue tour à tour ou tes pieds ou tes ailes,
Et rampe, s’il le faut, mais ne t’assieds jamais.

Lève-toi ! Dieu maudit les races accroupies
Des stagnantes cités respirant F air mauvais ;
Le doute et le repos aujourd’hui sont impies :
Homme, sache trouver ce qu’enfant tu rêvais.

Marche seul, si ton frère en chemin t’abandonne
Et des désirs sacrés ne sent plus l’aiguillon.
Vois là-bas, au désert, ce champ que Dieu te donne :
Au sol de l’inconnu va creuser ton sillon.

Souffre et combats ; la lutte a des palmes certaines !
C’est trop peu d’en gémir, il faut dompter le mal ;
Il faut chercher et vaincre, au bout des mers lointaines,
Le monstre vigilant qui garde l’idéal.

Passe, et n’écoute pas qui taxe de mensonge
Cet invincible espoir, ton guide et ton soutien :

Tout abîme a sa perle ; et quand le cœur y plonge,
Sous l’horrible douleur il trouve encor le bien.

Va, sans le renier, jusqu’au bout de ton rêve.
Qu’aperçois-tu, mon âme ? Au fond, n’est-ce pas Dieu ?
Tu vas à lui. Crains-tu d’échouer sur la grève ?
Est-ce pour te tromper qu’y luit son œil de feu ?

Pars, recueillant les bruits sous les chênes prophètes,
Les parfums, les rayons que darde l’avenir ;
Demande au vin sacré que versent les poètes
L’ardeur de proclamer celui qui doit venir !

Remplis donc à deux mains la coupe où tu t’enivres ;
Puise dans le désert, puise dans la cité.
Va ! lis dans la nature, et même dans les livres ;
Où l’amour n’est-il pas ? où n’est pas la beauté ?

Prends à la terre, aux flots, tout ce qui s’en exhale ;
Emporte dans ton vol les rumeurs des chemins ;
Prends aux fleurs des sommets l’haleine matinale ;
Respire-la mêlée à celle des humains !

Vole au terme entrevu de tes courses fécondes,
Sans t’arrêter ici, car le but est ailleurs :
Car, ô souffle immortel, tu dois à d’autres mondes
Porter ce que le nôtre a d’atomes meilleurs.

Va donc, homme, va donc ! ta moisson n’est pas mûre,
Tu n’as pas tout aimé, tu n’as pas tout compris ;
Tu n’as pas accompli, sous l’œil de la nature,
Les rites de l’hymen avec tous ses esprits !

Marche sans t’endormir, même parmi les roses,
Pour aller, quand la terre aura repris tes os,

Vers l’être que tu sens à travers toutes choses,
Te reposer en lui… s’il connaît le repos !