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Contribution de la Guadeloupe à la pensée française/Jacques-Coquille Dugommier

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JACQUES COQUILLE DUGOMMIER


Vu par le général en chef
Dugommier

JACQUES-COQUILLE DUGOMMIER


 
Né à Basse-Terre,

le 1er août 1738.
Décédé à la Montagne-Noire,
le 17 novembre 1794.



Il fut aussi bon écrivain que valeureux soldat. Son nom patronymique est Coquille. Il était, dit son acte de baptême, « fils légitime de messire Germain Coquille, conseiller du Roy au Conseil Supérieur de l’Isle de la Guadeloupe ». Dugommier est le surnom qu’il prit pour le distinguer des autres membres de sa famille.

À 15 ans, il entra dans la Compagnie des Cadets Gentil’hommes des Colonies établie à Rochefort et devint enseigne d’une Compagnie d’Infanterie. Il laissa l’armée et devint major du bataillon des milices du quartier de Basse-Terre. Pendant la guerre de l’Indépendance américaine, il aida le marquis de Bouillé à conquérir les Petites Antilles Anglaises, et se distingua au siège de Sainte-Lucie. Il fut fait chevalier de Saint-Louis, en avril 1780.

En 1790, la Martinique se trouvait en guerre civile ; Dugommier, à la tête de volontaires, y accourut et fut assez heureux pour y rétablir la paix, ce qui lui valut le surnom de La Fayette des Isles du Vent. Républicain, patriote, comme on disait alors, Dugommier se rendit en France, en 1791, et se lia d’amitié avec Marat. Député des Antilles, il s’occupa des intérêts de son pays.

Nommé maréchal de camp, il fut désigné, le 22 mai 1793, pour servir à l’armée d’Italie. Il s’y rendit en poste, faute de ressources. De hauts faits d’armes mirent en évidence ses talents militaires. La Convention lui confia l’armée d’Italie et le chargea spécialement de reprendre Toulon aux Anglais. Il dirigea les opérations avec habileté, fut blessé deux fois et rendit la ville à la République. Il avait alors sous ses ordres le chef de bataillon Bonaparte, qui devait plus tard remplir le monde de sa gloire. Il pressentit l’avenir du jeune officier, en écrivant au Comité du Saint Public : « Récompensez et avancez ce jeune homme, car, si on était ingrat envers lui, il s’avancerait tout seul. » Sur sa demande, Bonaparte fut nommé général de brigade.

Le vainqueur de Toulon, comme l’appelle Thiers, se disposait à aller sièger à la Convention, où l’avaient nommé ses compatriotes des Antilles, quand le Comité de Salut Public lui confia le commandement en chef de l’armée des Pyrénées Orientales. Il eut alors sous ses ordres Augereau, plus tard duc de Castiglione, maréchal de France, Desaix, Dugua, Clauzel, le futur maréchal. Partout il bat les Espagnols, s’empare de Bellegarde, et mérite le beau nom de Libérateur du Midi. Le 17 novembre 1794, au matin, sur la Montagne-Noire, s’étant retiré pour déjeûner sur le revers intérieur du piton dans un petit enclos derrière un mur de pierres sèches, un obus, après avoir ricoché, l’atteint en pleine poitrine : il tomba mort, en pleine gloire, sans proférer une parole[1].

« Dugommier avait toutes les qualités d’un vieux militaire », a dit Napoléon dans son Mémorial de Sainte-Hélène.

La Convention accorda une pension à sa veuve et à ses enfants[2]. Son nom est inscrit sur l’Arc de Triomphe de l’Étoile et des villes de France, dont Paris, Marseille, Toulon, etc., ont donné son nom à des voies publiques. Depuis 1884, une rue de la Pointe-à-Pitre porte le nom du grand capitaine qui sut tenir la plume aussi bien que l’épée.

Un homme de lettres de la Guadeloupe, Émile Vauchelet, a publié un excellent ouvrage sur Dugommier. En 1904, M. Arthur Chuquet, membre de l’Institut, a édité un volume intitulé : Dugommier, dans lequel il cite M. Vauchelet et fait l’éloge de « l’héroïque Guadeloupéen », du « créole des Antilles », dont, « dans les années 1793 à 1794, nul général ne rendit peut-être plus de services ».


LA PRISE DE TOULON

(Lettre au Ministre de la Guerre)


29 frimaire an II (19 décembre 1793).

Toulon est rendu à la République, et le succès de nos armes est complet. Le promontoire de l’Aiguillette devait décider le sort de la ville infâme, comme je te l’avais mandé. Les vaisseaux n’ont jamais attendu les bombes, et une position d’où ils peuvent les craindre devait nous amener à leur retraite. Le 26 frimaire, tous les moyens furent réunis pour la conquête de cette position. Le temps nous contraria et nous persécuta jusqu’à près d’une heure du matin ; mais rien ne peut éteindre l’ardeur d’un homme libre qui combat des tyrans ; aussi, malgré tous les obstacles du temps, nos frères s’élancent dans le chemin de la gloire aussitôt l’ordre donné. Les représentants du peuple : Robespierre, Saliceti, Ricard et Fréron, étaient avec nous. Ils donnaient à nos frères l’exemple du dévouement le plus signalé ; cet ensemble fraternel et héroïque était bien fait pour mériter la victoire ; aussi ne tarda-t-elle point à se déclarer pour nous et nous livra bientôt, par un prodige à citer dans l’histoire, la redoute anglaise défendue par une double enceinte, un camp retranché, des buissons composés, des chevaux de frise, des abatis, des puits, treize pièces de canon du calibre de 36, 24, etc., cinq mortiers et deux mille hommes de troupes choisies ; elle était soutenue, en outre, par les feux croisés de trois autres redoutes qui renfermaient trois mille hommes. L’impétuosité des républicains et l’enlèvement subit de cette terrible redoute, qui paraissait à ces hauteurs un volcan inaccessible, épouvantèrent tellement l’ennemi qu’il nous abandonna bientôt le reste du promontoire et répandit dans Toulon une terreur panique, qui acquit son dernier degré lorsqu’on apprit que les escadres avaient résolu d’évacuer les rades. Je fis continuer, dans la même journée, les attaques de Malbousquet et autres postes ; alors Toulon perdit tout espoir, et la redoute rouge, celle des Pommettes, de Faron et plusieurs autres furent abandonnées dans la nuit suivante. Enfin, Toulon fut aussi évacué à son tour ; mais l’ennemi, en se retirant, eut l’adresse de couvrir sa fuite, et nous ne pûmes le poursuivre. Il était garanti par les remparts de la ville, dont les portes, fermées avec le plus grand soin, rendirent impossible le moindre avis. Le feu qui parut à la tête du pont fut le seul indice de son départ ; nous nous approchâmes aussitôt de Toulon, et ce ne fut qu’après minuit que nous fûmes assurés qu’il était abandonné par de vils habitants et l’infâme coalition qui prétendait faiblement nous soumettre à son révoltant régime.

La précipitation avec laquelle l’évacuation générale a été faite nous a sauvé presque toutes nos propriétés ; la plus grande partie des vaisseaux a été préservée des flammes, l’arsenal, le magasin, la corderie, les provisions de toutes espèces, le trésor de l’ennemi ; enfin, à la réserve de quelques vaisseaux enlevés et brûlés, Toulon nous rend par la force tout ce que sa trahison nous avait ravi. Je vous enverrai incessamment l’état que je fais dresser de tous les objets qui méritent attention.

Tandis que la division de l’ouest de notre armée préparait ce grand événement, celle de l’est, commandée par le général Lapoype, s’était portée avec le citoyen Barras, représentant du peuple, sur la montagne de Pharaon et avait enlevé sa première redoute ; toutes les autres, ainsi que le fort Pharaon, furent évacuées par l’ennemi comme celle de l’ouest. Nous avons perdu soixante-quinze à quatre-vingt de nos frères, et le nombre des blessés est environ de deux cent cinquante. Il n’est guère possible de connaître la perte de l’ennemi que par ses blessés dans notre ambulance ; mais on peut t’assurer qu’en y ajoutant les morts et les prisonniers, nous lui avons enlevé, dans cette journée, plus de douze cents combattants.

Ainsi se termine, citoyen ministre, la contre-révolution du Midi ; nous le devons aux braves républicains formant cette armée, qui, tout entière, a bien mérité de la patrie et dont quelques individus doivent être distingués par la reconnaissance nationale. Je vous en envoie la liste et vous prie de bien accueillir ma demande. Elle vous fera connaître tous ceux qui ont été les plus saillants dans l’action, et j’attends avec confiance l’avancement que je sollicite pour eux.

(Gazette Nationale du 6 nivôse an II (26 décembre 1793).


  1. Un noir de la Guadeloupe. Patoche, fidèle serviteur et compagnon de tous les dangers de Dugommier, dit M. Arthur Chuquet, s’évanouit de douleur sur le corps de son maître.
  2. Dugommier avait laissé sa femme à la Guadeloupe avec sa fille et son dernier fils. Après être restée quelque temps sur sa propriété aux Trois-Rivières, elle alla vivre auprès de sa mère, Mme Coudrey-Bottée, à Sainte-Anne. À la nouvelle de la prise de Toulon, les Anglais qui occupaient la Guadeloupe, furieux, jetèrent en prison la femme de Dugommier et la mirent aux fers. Elle ne se rétablit jamais des mauvais traitements qu’elle eut à subir et mourut à la Basse-Terre, le 15 avril 1810.